Hors série n°3 — Soumission des articles en continu

Les curricula d’enseignement des langues, première et/ou seconde 

Bruno Maurer, Laurent Puren
Les curricula d’enseignement des langues, première et/ou seconde 

Les curricula d’enseignement des langues, première et/ou seconde 

TDFLE numéro hors-série FLS – 3

Coordination : Bruno Maurer (Université de Lausanne et Université Paul-Valéry Montpellier 3) – Laurent Puren (Université de la Réunion)

L’Afrique subsaharienne est le champ d’expérimentation depuis le début des années 2000 de réformes accompagnant le mouvement Éducation pour Tous (EPT) qui touchent à l’organisation générale par le remplacement des programmes traditionnels (par discipline) par des cadres plus généraux appelés curricula et orientés sur des finalités éducatives générales en fonction desquelles les objectifs et les modalités d’enseignement sont appelés à évoluer considérablement (Berkaine, 2018a). 

La principale concrétisation de ce courant est représentée par le courant dit « approche par compétences » qui s’est implanté avec différentes variantes en Tunisie, à Djibouti, au Sénégal, au Gabon, au Mali, au Burkina Faso, à Madagascar un temps, aux Comores et dans d’autres pays encore. 

 

Ces curricula souffrent de plusieurs défauts majeurs. 

Pour commencer, ils sont le résultat de réformes qui ont été engagées sur la base de décisions politiques, avec le soutien de bailleurs et non à la suite d’un vrai diagnostic sur les enjeux de qualité. Notre hypothèse, confirmée par des cas détaillés plus bas, est que ces bailleurs n’avaient pas les moyens techniques d’apprécier la pertinence des propositions, et qu’ils ont préféré accorder leur soutien de manière un peu rapide sans réellement examiner le fond de ce qui allait être mis en place, séduits par des discours généraux en apparence pleins de bon sens et, à ce niveau de généralité, difficilement réfutables. Berkaine (2018) pointe ainsi le flou conceptuel autour des notions de compétence, de situation-problème, d’intégration, de réinvestissement, qui rendent ces approches difficiles à mettre en place. Il rappelle la nécessité pour les systèmes éducatifs adoptant une approche par compétences d’une reconstruction complète des dispositifs et des démarches de formation, supposant une concertation entre les différents acteurs de ces systèmes éducatifs, l’explication et l’explicitation des soubassements de ces réformes. Or, cette approche qui prône la contextualisation des apprentissages a été imposée aux acteurs de terrain par des cabinets d’expertise via les Ministères dans des approches descendantes qui ont peu de chance d’aboutir vu la complexité de la chaîne à mettre en place pour assurer les conditions de la réussite. Il déplore des réformes qui ont ciblé sur l’écriture curriculaire sans que les responsables nationaux et les consultants internationaux accordent suffisamment d’intérêt à la formation initiale et continue indispensable pour une réelle application. 

 

Iramène Destin et Daniel Véronique (2018) s’intéressent également de manière critique à la manière dont l’approche par les compétences a été implantée au Burkina Faso, en soulignant les manques en matière de formation des maîtres. Les enquêtes réalisées auprès d’enseignants devant mettre en œuvre la réforme montrent que ceux-ci sont en difficulté sur l’acte d’évaluation des compétences (pourtant clé dans cette optique), faute d’avoir reçu une formation adéquate. De ce fait, ils reproduisent les pratiques habituelles. Ils se disent également désorientés par les querelles d’école entre les différents formateurs à l’APC, version belge ou version canadienne au gré des sources de financement, avec des divergences terminologiques dont les enjeux ne sont pas clairs. Les formations sont jugées trop théoriques, plus axées sur l’utilisation de référentiels, avec une approche techniciste, que sur les contenus d’enseignement, d’un point de vue plus concret, pratique. 

Le constat dressé par Destin et Véronique est extrêmement critique et montre une approche assez confuse théoriquement, ne répondant pas aux attentes pratiques du terrain (problèmes de fond donc) et un Ministère incapable de la mettre en œuvre via une formation des maîtres suffisante. 

C’est le même type de constat, très exactement, que fait Laurent Puren dans le contexte des Comores (2018). Lui aussi fait la critique d’une approche strictement descendante, le même modèle d’approche par les compétences et de pédagogie de l’intégration (modèle BIEF Xavier Roegiers, sous l’influence de l’UNICEF), comme au Burkina à partir de 2007. Mais comme au Burkina, l’APC est restée à l’état de propositions théoriques impossibles à mettre en œuvre. Sa critique va plus loin encore :  les exemples de situation d’intégration donnés dans les supports nationaux prévus pour la classe se révèlent totalement inadaptés du point de vue de la difficulté, ne prenant pas en compte les réalités sociolinguistiques du pays et, plus grave encore du point de vue du sens, totalement irréalistes. Son regard sur l’institution comorienne pointe ensuite l’absence de formation initiale en rapport avec l’APC, un pilotage chaotique de la réforme, une formation continue de type pyramidale avec d’énormes déperditions, une absence d’évaluation du processus de réforme en cours…

Bruno Maurer (2018) prolonge la critique des réformes curriculaires en prenant le cas de l’approche dite par les situations au Niger. Son analyse du curriculum pour le primaire nigérien révèle des situations d’apprentissage très largement inadaptées : les mêmes situations sont proposées pour l’apprentissage du français et des langues nationales, au mépris des réalités sociolinguistiques ; elles ne concernent que des problématiques d’adulte (hygiène, alimentation des animaux, vaccination des animaux) et ne prennent jamais en compte les besoins d’imaginaire d’un enfant qui n’est pas un adulte en miniature. Aucune transmission du patrimoine culturel n’est assurée par ce curriculum pourtant bilingue mais qui ne fait aucune place aux contes, légendes, mythes des différentes ethnies du pays. On enseigne une langue mais on contribue à déculturer l’élève par une approche trop matérielle de l’enseignement. C’est bien un problème didactique fondamental qui se pose et qui se prolonge avec une conception erronée de l’enseignement de la L1. Celui-ci est entièrement calqué sur celui du français qui est une langue étrangère (ou seconde) dont il faut acquérir les rudiments au travers d’actes de parole simples : nommer des objets, les caractériser, compter, saluer, etc… Toutes choses que l’enfant sait déjà faire en L1 et qu’il est inutile que l’école lui enseigne : c’est pourtant ce que le curriculum prévoit, ôtant tout sens aux apprentissages en L1.

 

Si ces quelques éclairages sur des terrains différents, issus de Puren & Maurer (2018) se rapportent tous à l’APC, c’est que cette approche se trouve être l’idéologie dominante du moment en matière de choix curriculaires en AFS. Cela ne signifie pas que ce numéro thématique doive être consacré à cette seule approche. Pourront par exemple y être également traitées, notamment dans une perspective historique ou contrastive, en lien avec l’histoire éducative d’un pays ou d’une aire plus vaste, la pédagogie convergente (Maurer, 2007), la pédagogie par objectifs, etc., à travers les axes suivants :

 

  1. Processus de réforme curriculaire en matière de langues d’enseignement 

 

Cette section accueillera des études de cas sur la manière dont ont été construits des curriculums (passés, en cours d’utilisation, en cours de construction) et sur les logiques qui sous-tendent leur conception, les institutions qui les portent, les répercussions que ces constructions ont sur les choix didactiques en matière de langues d’enseignement : on peut penser au choix des langues d’enseignement, à la durée de leur enseignement, à la complémentarité entre différentes langues d’enseignement tout au long du curriculum, sans exclure d’autres points de vue.

 

  1. Etude des logiques curriculaires en matière d’enseignement des langues

 

On pourra ici porter un regard plus précis, dans des études de cas ou des réflexions générales, sur les choix didactiques opérés/à opérer en matière d’enseignement des langues. Quelle place est faite aux savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-apprendre (nous faisons ici référence à des concepts potentiellement présents dans différents curricula), aux différentes compétences à développer en matière d’enseignement-apprentissage des langues (écrites, orales, culturelles, interculturelles, compréhension, production, médiation, etc.), aux progressions/programmation proposées par les curricula ? 

 

  1. Mise en œuvre des curricula

 

Les contributions pourront éclairer la manière dont les curriculums sont effectivement mis en œuvre sur le terrain, avec des études pouvant porter sur les institutions d’encadrement, de formation, sur les pratiques enseignantes, sur les manuels scolaires en ce qu’ils essaient de se conformer à ces textes à forte dimension prescriptive.

 

Bibliographie

 

Berkaine, M. (Éd.) (2018a). Les approches par compétences en didactique des langues : diversité et enjeux, apports et limites. Revue TDFLE - Université Paul-Valéry Montpellier 3, 72. En ligne  http://revue-tdfle.fr/les-numeros/numero-72  

Berkaine, M. (2018b). Les réformes curriculaires et l’approche par compétences dans les pays de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb, des finalités aux résultats. In L. Puren, & B. Maurer (Éds.), La crise de l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes (pp. 185-204). Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs Didactiques Plurilingues. 

Destin I., & Véronique D. (2018) : Questions de politique éducative en Afrique subsaharienne.

L’exemple de la formation des maîtres à l’approche par compétences au Burkina Faso. In L. Puren, & B. Maurer (Éds.), La crise de l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes (pp. 205-224). Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs Didactiques Plurilingues. 

Maurer, B. (2007). De la pédagogie convergente à une didactique intégrée. Langues africaines-langue française. Paris : OIF-L’Harmattan.

Maurer, B. (2018). Les systèmes éducatifs africains en recherche de qualité pris au piège des réformes curriculaires : le cas du Niger et l’approche par les situations. In L. Puren, & B. Maurer (Éds.), La crise de l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes (pp. 257-284). Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs Didactiques Plurilingues.

Puren, L. (2018). Les Comores, entre APC et IFADEM. Des cahiers de situations aux livrets d’auto-formation : les limites de l'approche "top down" dans les réformes éducatives. In L. Puren, & B. Maurer (Éds.), La crise de l’apprentissage en Afrique francophone subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes (pp. 225-256). Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien : Peter Lang, Collection Champs Didactiques Plurilingues.


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Coordinateurs du numéro

Maurer Bruno

Professeur des universités
Dipralang (UR 739)
University of Lausanne, Lausanne

Calendrier du numéro

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