N°69 / Varia

Les Algériens et la maîtrise de la langue française dans l’imaginaire d’un groupe d’étudiants algériens

Nadia Grine

Résumé

Résumé :

Le présent article est le troisième d’une série d’articles se proposant de rendre compte des résultats d’une enquête que nous avons menée pour l’obtention du diplôme de doctorat en Sciences du langage, option Sociolinguistique. Dans le premier article de cette série (Grine, 2010), nous avons tenté de donner un éclairage sur la nature du public représentant notre population d’étude à savoir les étudiants inscrits en première année de Licence de français durant l’année universitaire 2006-2007 (Université d’Alger). L’article en question a rendu compte du profil sociologique et linguistique de cette population, de son parcours scolaire et du rapport qu’elle entretient avec la filière d’études (filière choisie ou pas). Il a mis l’accent sur le regain d’intérêt pour cette licence : 70,27 % des enquêtés ont déclaré avoir choisi cette spécialité contre 29,73% ayant été orientés vers elle contre leur gré...

Mots-clés : Algérie, doctorants, sociologie étudiants, langue française

Abstract :

This is the third in a series of articles reporting the results of a survey we conducted for our doctoral degree in Language Sciences, Sociolinguistics option. In the first article of this series (Grine, 2010), we attempted to shed light on the nature of the audience representing our study population, namely students enrolled in the first year of the Licence de français during the 2006-2007 academic year (University of Algiers). The article in question reported on the sociological and linguistic profile of this population, its educational background and its relationship with the field of study (chosen field or not). It emphasized the renewed interest in this degree: 70.27% of the respondents declared having chosen this speciality against 29.73% having been oriented towards it against their will .

Keywords : Algeria, doctoral students, sociology students, French language

Nadia Grine - Université Alger 2

nadou33@yahoo.fr

 

Mots-clés

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Introduction

Le présent article est le troisième d’une série d’articles se proposant de rendre compte des résultats d’une enquête que nous avons menée pour l’obtention du diplôme de doctorat en Sciences du langage, option Sociolinguistique. Dans le premier article de cette série (Grine, 2010), nous avons tenté de donner un éclairage sur la nature du public représentant notre population d’étude à savoir les étudiants inscrits en première année de Licence de français durant l’année universitaire 2006-2007 (Université d’Alger). L’article en question a rendu compte du profil sociologique et linguistique de cette population, de son parcours scolaire et du rapport qu’elle entretient avec la filière d’études (filière choisie ou pas). Il a mis l’accent sur le regain d’intérêt pour cette licence : 70,27 % des enquêtés ont déclaré avoir choisi cette spécialité contre 29,73% ayant été orientés vers elle contre leur gré.

Dans le deuxième article de cette série (Grine, 2012), nous avons présenté les représentations que nos enquêtés ont de la qualité de l’enseignement public du français en Algérie (enseignement dispensé à l’école fondamentale, école publique algérienne au sein de laquelle la génération de nos enquêtés a suivi sa scolarité). Représentation mitigée lorsqu’il s’agissait de juger la qualité de cet enseignement dans l’absolu (pour 51,35% de l’échantillon, cette école n’est pas efficace en matière d’enseignement du français tandis que pour 48,65% de la même population c’est le point de vue contraire qui est exprimé), elle devient franchement négative lorsque cet enseignement est jugé par rapport à celui dispensé par deux autres écoles : 1. L’école coloniale perçue comme une école ayant dispensé un meilleur enseignement du français par 76,92% des enquêtés. 2. L’école privée francophone jugée plus performante, en la matière, que l’école publique par 89,18% des interrogés.

Dans le troisième article de cette série, nous proposons de rendre compte, en premier lieu, des représentations que notre population a du degré de maitrise du français caractérisant la population algérienne de façon générale et en second lieu, de ce qui représente, dans l’imaginaire de nos enquêtés, « Le modèle » en matière de maitrise du français.

Par rapport au premier point, la maitrise du français sera d’abord évaluée par nos enquêtés dans l’absolu (jugée en elle-même sans référence à celle des autres), avant d’être évaluée par rapport à celle d’autres populations francophones (les Français, les autres Maghrébins, les Africains).

1. Méthodologie de la recherche

1.1. Domaine de recherche

Cette recherche s’inscrit dans le champ d’étude des représentations des langues et de leurs locuteurs, domaine qui renseigne à la fois la sociolinguistique et la didactique des langues. L’importance de ce champ de recherche pour les deux disciplines citées n’est plus à prouver. Les travaux de Boyer1, pour ne citer que ce chercheur, en sont une bonne illustration. « Les sociolinguistes, les didacticiens ou encore les théoriciens de l’acquisition des langues s’y intéressent car celles-ci jouent un rôle parfois décisif dans l’évolution et l’issue de conflits linguistiques (entre une langue dominante et une langue dominée) ou encore dans les situations d’enseignement-apprentissage d’une langue », souligne justement Carrel-Bisagni (2010 : 83).

1.2. Démarche

La démarche adoptée pour effectuer notre enquête s’inscrit à l’intersection des démarches qualitatives et celles quantitatives. L’outil de recherche que nous avons adopté est le questionnaire, outil le plus approprié aux recherches quantitatives. Cependant, notre souci de dépasser les limites imposées par la démarche quantitative2 et d’aller dans les profondeurs du phénomène étudié nous a amenée à sacrifier la taille de l’échantillon que requiert ce genre de démarches (en effet, la taille de notre population – 74 enquêtés – est petite par rapport à ce genre d’études) au profit d’une taille importante du questionnaire (10 pages avec un nombre important de questions ouvertes nécessitant un traitement qualitatif).

1.3. Caractéristiques de l’échantillon

74 étudiants inscrits en première année de Licence de français (année 2006-207) à l’université d’Alger forment notre échantillon. Cette population est représentative de toute la promotion qui compte officiellement 485 étudiants3. Elle en représente 15,26%.

La moyenne d’âge de notre échantillon est de 21 ans4. La plupart des enquêtés sont issus d’un milieu socio-économique modeste5. 77,03% sont des filles.

Si les étudiants composant notre échantillon ne sont pas tous des Algérois, force est de constater que la région centre (Alger et ses environs : Blida, Boumerdes…) en fournit la grande majorité (54,05% de l’ensemble). Ce sous-groupe sera désigné par GA (groupe Alger). Le critère de la proximité géographique explique le taux relativement important d’étudiants venus de Kabylie. Ce sous-groupe (désormais GK), arrive en deuxième position après le GA et représente 28,38% de l’ensemble de la population étudiée. Arrive, enfin, le dernier sous-groupe, composé des étudiants venus de toutes les autres régions de l’Algérie. Ce groupe (G. Autres) est minoritaire et ne représente que 17.57 % de l’ensemble de l’échantillon.

2. Résultats de l’enquête

2.1. Maitrise du français par les Algériens

2.1.1. Degré de maîtrise du français par les Algériens

Cette question avait pour objectif de rendre compte de la représentation qu’ont nos enquêtés du degré de maitrise que leurs compatriotes ont de la langue française. Quatre niveaux ont été proposés par rapport auxquels les enquêtés devaient situer le niveau de maitrise global des Algériens :

Niveau 1 : médiocre.
Niveau 2 : moyenne.
Niveau 3 : bonne.
Niveau 4 : excellente.

Le tableau ci-dessous résume les résultats obtenus pour cette question :

  Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4 Sans réponse
GA 40
100%
1
2,5%
18
45%
18
45%
3
7,5%
0
0%
GK21
100%
0
0%
11
52,38%
9
42,86%
1
4,76%
0
0%
G Autres13
100%
2
15,38%
4
30,77%
6
46,15%
1
7,69%
0
0%
Total 74
100%
3
4,05%
33
44,59%
33
44,59%
5
6,76%
0
0%

Commentaire

Le niveau de maîtrise de la langue française par les Algériens est perçu de la même manière par les 3 groupes d’enquêtés dont les membres sont partagés entre le choix du niveau 2 ou du niveau 3. Les deux autres niveaux ont été très peu sélectionnés pour rendre compte de cette maîtrise qui n’est perçue comme excellente que par 5 enquêtés sur l’ensemble d’une population de 74 personnes interrogées, soit par 6,76 % de l’ensemble, et comme médiocre que par 3 personnes sur l’ensemble des 74 soit par 4,05% du total. Les niveaux 2 et 3, quant à eux, regroupent 89,19 % des choix des enquêtés et sont à parfaite égalité avec un taux de 44,59% pour chaque niveau.

La maîtrise de la langue française par les Algériens est donc majoritairement perçue comme moyenne à bonne.

2.1.2. Maîtrise du français par les Algériens, comparée à celle des Français

Si la précédente question a permis de rendre compte de l’image que nos enquêtés ont de la maitrise de la langue française, évaluée dans l’absolu, cette question ainsi que les deux suivantes avaient pour objectif de situer cette maitrise par rapport à celle d’autres francophones. Il était question de savoir, si pour nos enquêtés, les Algériens maitrisent le français moins bien, mieux ou comme d’autres communautés francophones dont celle des Français, locuteurs natifs de la langue.

  Moindre Égale Supérieure Pas de réponse
GA 40
100%
27
67,5%
10
25%
3
7,5%
0
0%
GK 21
100%
12
57,14%
7
33,33%
2
9,92%
0
0%
G Autres 13
100%
10
76,92%
3
23,08%
0
0%
0
0%
Total 74
100%
49
66,22%
20
27,03%
5
6,76%
0
0%

Commentaire 

À peu près les 2/3 de la population interrogée (66,22%) pensent que les Algériens ont une maitrise de la langue française inférieure à celle des Français (natifs de la langue).

27,03 % de la population interrogée estiment que les Algériens ont une compétence de natifs en langue française ce qui représente plus du quart de l’ensemble. Pour eux, les Algériens sont à égalité avec les Français quant à la maîtrise de la langue française. Ceux qui estiment que les Algériens maîtrisent le français mieux que les Français eux-mêmes ne représente que 6,76% de l’ensemble.

Nous remarquons que le GK évalue la situation quelque peu différemment des deux autres groupes. La sélection de « égale » et de « supérieure » est plus importante dans ce groupe que dans les deux autres.  En effet, 33,33 % des membres de ce groupe évaluent la maîtrise du français par les Algériens comme étant égale à celle des Français, soit le tiers de la population composant ce groupe (par rapport à 25 % pour le GA et 23,08 % pour le G Autres). 9,12% de la population du GK estiment que les Algériens ont une maîtrise de la langue française supérieure à celle des Français (contre 7,5% pour le GA et 0% pour le G Autres). Si nous additionnons les deux pourcentages, nous obtiendrons un taux de 42,85 % de personnes qui estiment que la maîtrise de la langue française des Algériens est égale ou supérieure à celle des Français parmi la population du GK (alors que seulement 32,5% du GA et 23,03 % du G Autres pensent la même chose.)

Le GK est donc celui qui estime le plus favorablement la maîtrise de la langue française par les Algériens.

2.1.3. Maîtrise du français par les Algériens, comparée à celle des autres Maghrébins

  Moindre Égale Supérieure Pas de réponse
GA 40
100%
1
2,5%
8
20%
31
77,5%
0
0%
GK 21
100%
1
4,76%
4
19,05%
16
76,19%
0
0%
G Autres 13
100%
2
15,38%
2
15,38%
9
69,23%
0
0%
Total 74
100%
4
5,4%
14
18,92%
56
75,67%
0
0%

Commentaire

Plus des 3/4 de l’ensemble de l’échantillon (les 3 groupes confondus) pensent que par rapport à l’ensemble des Maghrébins, les Algériens se distinguent par une maîtrise supérieure de la langue française (75,67 %). Seuls 18,92% de la population interrogée pensent que cette maîtrise est égale à celle de l’ensemble des Maghrébins. Quant à ceux qui pensent que la maîtrise du français par les Algériens est inférieure à celle des autres Maghrébins, ils ne représentent que 5,4 % de notre échantillon (4 sur un ensemble de 74).

2.1.4. Maîtrise du français par les Algériens, comparée à celle des Africains :

  Moindre Égale Supérieure Pas de réponse
GA 40
100%
1
2,5%
7
17,5%
25
62,5%
0
0%
GK 21
100%
2
9,52%
9
42,86%
10
47,62%
0
0%
G Autres 13
100%
2
15,38%
2
15,38 %
9
69,23%
0
0%
Total 74
100%
12
16,22%
18
24,32%
44
59,46%
0
0%

Commentaire

Alors que le GA et le G Autres affirment nettement la supériorité des Algériens par rapport aux autres Africains en matière de maîtrise de la langue française avec les taux respectifs de 62,5% et 69,23%, le GK est plutôt partagé entre l’image d’Algériens ayant une maîtrise du français égale à celle des autres Africains (9/21 soit 42,86%) et l’image d’Algériens ayant une maîtrise du français supérieure à celle de ces derniers (10/21 soit 47,62%).

Ceci est tout de même paradoxal étant donné que ce même groupe a la représentation la plus valorisante concernant la maîtrise du français par les Algériens estimée à 42,82 % égale ou supérieure à celle des natifs de la langue (les Français) et à 76,19 % supérieure à celle de nos voisins Maghrébins !

2.2. Modèles en matière de maîtrise de la langue française.

  GA GK G Autres Total

Père
Mère
Tante
oncles
Frères
Sœurs
Grand père
Grand-mère
Cousins
Les amis de ma mère
Une amie
Camarades de classe (licence de français)
Professeurs :
Animateurs radio – TV…

Hommes politiques :
Bouteflika
Chirac
Ouyahia
Saadi
Zarhouni

Hommes de lettres :
Feraoun
Hugo
Kateb
Brel
Intellos

Émigrés
Les bilingues
Ceux qui ont fait l’école coloniale
 
(111 réponses)

13
7
7
1
2
0
2
1
0
1
1
0
18
2

 
2+ surtout.
0
1
1
1


1
1
1
0
1

1
1
0

7
1
1
1
3*
1
0
0
2
0
0
0
7
1

 
2
1
0
0
0


0
0
2
1
0

0
0
0

4
1
0
0
2
0
0
0
0
0
0
1
6
0

 
0
0
0
0
0


0
0
0
0
0

0
0
1

 24
9
8
2
7
1
2
1
2
1
1
1
31
3

 
4
1
1
1
1


1
1
3
1
1

1
1
1

Commentaire

Comme toute question ouverte, cette question a suscité des réponses plutôt dispersées. Il faut dire que nous nous attendions à ce que nos enquêtés citent des personnalités célèbres comme les hommes politiques, les hommes de lettres… De telles réponses, bien qu’inventoriées parmi les différentes réponses obtenues restent marginales. Sachant qu’il était possible pour chaque enquêté de citer une ou plusieurs personnes considérées pour lui comme modèle(s) de maîtrise de la langue française, le fait que ces deux catégories réunies (hommes politiques, de lettres…) ne totalisent que 12 réponses est révélateur d’un « manque de culture » dont souffrent nos informateurs pourtant universitaires, d’une absence d’identification à des personnalités influentes algériennes ou étrangères.

Le nombre de personnalités politiques considérées comme des modèles de bons francophones, par notre échantillon est de 5, parmi elles une seule est étrangère, J Chirac, Président de la république française (1 fois). Les 4 autres sont des personnalités algériennes. Il s’agit de deux ministres, Ouyahia (1 fois), Zarhouni (1 fois) et d’un président de parti politique : Saadi (1 fois). Une seule personnalité politique a été citée par 4 enquêtés : Bouteflika, Président de la République algérienne. Deux enquêtés parmi les quatre ont accompagné la réponse « Bouteflika » par « surtout », façon pour eux d’exprimer l’idée d’une maitrise singulière de la langue française dont fait preuve ce personnage politique.

Pour ce qui est des hommes de lettres ou de culture, nous disposons de 4 noms, parmi eux, deux noms étrangers : Hugo, célèbre écrivain français (1 fois) et Brel chanteur belge non moins célèbre (1fois). Les deux autres sont des écrivains algériens d’une grande notoriété : Mouloud Feraoun (1 fois), Kateb Yacine (3 fois).

Certains enquêtés ont préféré donner des réponses plus générales telles que « les intellectuels » (1 fois), « les bilingues » (1 fois), «  les émigrés » (1 fois), «  ceux qui ont fait l’école coloniale » (1 fois).

D’autres enquêtés ont évoqué les animateurs de TV ou de radio (3 fois). Bien qu’il n’y ait eu aucune indication supplémentaire sur ces animateurs, il est clair qu’on entend part là les animateurs de radio ou TV francophones (ex. animateurs de la chaîne 3).

« Les camarades de licence » (licence de français) sont évoqués 1 fois comme modèles de maîtrise de cette langue. Il faut dire que les pairs ne constituent pas vraiment des modèles de bons francophones. En dehors de la réponse « camarades de licence », la seule réponse relative à la sphère des pairs est «  amie » (1 fois).

Majoritairement, nos enquêtés ne sont pas allés chercher bien loin leurs modèles, qui, en général, appartiennent à leur entourage immédiat (familial ou scolaire).

Pour 31 enquêtés sur l’ensemble, les « professeurs » représentent des modèles de maîtrise de la langue française. Pour une question ouverte qui admet toutes sortes de réponses, ce taux peut être considéré comme très élevé. Mais quoi de plus normal lorsqu’on sait que le français est une langue étrangère qu’on apprend généralement sur les bancs de l’école ?

L’enseignant de français est le garant du Bon usage et donc le modèle par excellence du francophone. Rien d’étonnant puisque, comme le souligne Morsly : «  les enseignants apparaissent comme détenteurs d’une certaine norme académique du français, d’une norme externe qui coïncide avec la norme scolaire. Ils sont selon l’expression de Wald (1994) « locuteurs légitimes » du français et le français constitue pour eux un trait légitime d’identité (Morsly, 2005).

Pour cette catégorie, le degré de précision est variable. On passe de la nomination d’un professeur précis : monsieur Un Tel, à un degré plus général : « mes professeurs de français, mes professeurs de fac… », à un degré encore plus général «  les professeurs » où le sens «  professeurs de français » est déduit du contexte et non posé explicitement.

Après la figure du professeur de français, arrive celle du « père » considéré par 24 enquêtés comme un modèle de bon francophone. Le père n’est cependant pas le seul membre de la famille qu’on perçoit comme un bon francophone.

Morsly a observé le même phénomène chez le public dont elle a analysé les représentations : le français est parlé, nous dit-elle : « dans les familles, entre enfants surtout quand les aînés ou quand le père (c'est surtout lui qui est cité) ont la maîtrise de cette langue» (Morsly, 2005)

Le plus souvent, la figure du bon francophone est représentée par un membre de la famille. En dehors de la figure du père, le francophone par excellence, d’autres membres de la famille sont évoqués : ( mère (9 fois), tante ( 8 fois), frère ( 7 fois), oncle (2 fois), grand –père (1 fois), cousins (2 fois), sœur ( 1 fois), grand- mère (1 fois) ) ou des proches de la famille : «  les amies de ma mère » (1 fois).

Le total des réponses se regroupant sous la sphère de la famille est de 57. Ainsi réunies, les réponses relevant de cette sphère dépassent celles relevant de la sphère de l’apprentissage : «  les enseignants ».

Conclusion

Pour conclure, nous pouvons dire que nos enquêtés ont une représentation plutôt positive de la maitrise de la langue française dont font preuve leurs compatriotes. Évaluée comme moyenne à bonne par la majorité des enquêtés (89,19%), cette maitrise est perçue comme supérieure à celle des Africains par 59,46 % de l’échantillon et à celle des autres Maghrébins par 77,67 de la même population. Cependant, 66,22% de nos enquêtés pensent que les Algériens ont une maitrise de la langue française inférieure à celle des Français (natifs de la langue). Se considérer comme moins bon francophone que le Français n’est pas le propre de l’Algérien. Judge a observé cela chez d’autres francophones non-natifs : « Pour ces francophones, le francophone natif de France est le francophone par excellence » (Judge, 1996 : 19).

Ceci n’enlève pourtant rien au caractère positif de la représentation étudiée, car si l’Algérien n’est pas perçu comme ayant une compétence de natif de la langue française, il est tout de même perçu comme un locuteur plus performant que ses voisins maghrébins voire de tout le Continent et comme justifiant d’une maitrise moyenne à bonne de la langue française.

Quant aux figures considérées comme modèles en matière de compétence en langue française, nos enquêtés citent principalement celle du professeur (de français surtout) et celle du père. Peu d’hommes politiques ou d’hommes de lettres sont cités comme modèles. Parmi les hommes de lettres algériens ou étrangers cités par nos enquêtés, Kateb Yacine arrive en première position avec 3 occurrences. Parmi les hommes politiques algériens ou étrangers cités, c’est Bouteflika qui occupe la première position avec 4 occurrences.

Bibliographie

Blanchet Ph. (2000), La linguistique de terrain, Presses Universitaires de Rennes.

Boyer H. (1991), Langages en conflit. Études sociolinguistiques, Paris, l’Harmattan. 

Boyer H,  (1998), « L’imaginaire ethnosocioculturel collectif et les représentations partagées: un essai de modélisation », in Travaux de didactique n°39, Montpellier III: I.E.F.E. Université Paul Valéry, pp.5-14.

Carel-Bisagni L., (2010), « Représentations sociolinguistiques et enseignement – apprentissage d’une langue minorisée : le cas irlandais » in Travaux de didactique du FLE n 63, PUM, pp81-98. 

Grine N., (2009), Les représentations linguistiques et leur incidence sur la réussite ou l’échec d’une politique linguistique. Thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Mostaganem.

Grine, N., (2010). Profil de l’apprenant en Licence de français (Université d’Alger), Travaux de didactique du FLE n 63, PUM, pp. 155- 168.

Grine, N., (2012). L’enseignement du français en Algérie vu par des étudiants du Département de Français de l’Université d’Alger in Travaux de didactique du FLE n 67-68, PUM, pp 243- 255.

Judge A., (1996). « La Francophonie : Mythes, masques et réalité » in  JONES B., MIGUET A., CORCORAN P. ( dirs.), Francophonie, mythes, masques et réalités, enjeux politiques et culturels, Paris : Publisud, 1996, pp19-43.

Morsly D., (2005). Étude du cas « Algérie » in Juillard C. (dir. scientifique), Dynamiques sociolinguistiques (scolaires et extrascolaires) de l’apprentissage et de l’usage du français dans un cadre bi- ou plurilingue (langues de migrants, langues locales) sur les axes ouest-africain et franco-africain (Alger, Timimoun, Dakar, Ouagadougou). Rapport définitif, AUF Réseau Sociolinguistique et dynamique des langues, (mars 2005), [En ligne] http://www.sdl.auf.org/IMG/doc/rapport_final_CJ-2.doc


Notes

1 Boyer (1991 : 39-51) pour ce qui est de l’importance de l’étude des représentations en sociolinguistique et Boyer (1998) pour ce qui est de l’impact des représentations sociolinguistiques sur l’apprentissage d’une langue.

Voir Philippe Blanchet, La linguistique de terrain, Presses Universitaires de Rennes, 2000, pp28-62.

Statistiques du Département de français.

L’âge de nos enquêtés varie entre 17 ans et 38 ans. Ces deux pôles extrêmes sont pourtant des cas isolés. Nous avons un seul enquêté de 17 ans et deux enquêtés d’un âge avoisinant la quarantaine (un de 37 ans et un autre de 38). Les deux derniers enquêtés ont rejoint les rangs de l’université après avoir entrepris un parcours professionnel ce qui explique le fait qu’ils soient beaucoup plus âgés que les autres. En général les enquêtés ont au moins 18 ans (âge d’un bachelier qui a eu un parcours scolaire normal : scolarisation à l’âge légal de 6 ans, aucun redoublement et baccalauréat obtenu du premier coup). Ceci dit, le taux d’échec au baccalauréat étant très fort en Algérie, la plupart des étudiants commencent leur parcours universitaire à un âge situé entre 18 et 21 ans. Ce retard s’explique aussi par le fait que certains, mal orientés au départ, perdent une à deux années dans des filières qui ne leur conviennent pas avant de rejoindre la filière qu’il faut.

En général, seul le père travaille ou a travaillé (retraité, employé, cadre moyen…..) ou les deux parents travaillent mais exercent des fonctions peu rémunérées (de simples employés) : 59.5%. 35,14 % des enquêtés appartiennent quant à eux à la classe moyenne.


Citer cet article

GRINE Nadia. Les Algériens et la maîtrise de la langue française dans l’imaginaire d’un groupe d’étudiants algériens, Revue TDFLE, n°69 [en ligne], 2017. 

 

Nadia GRINE
Université Alger 2

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