Introduction
L’article qui suit apparaîtra sans doute aux lecteurs en décalage avec un certain nombre d’autres contributions figurant dans ce numéro des Travaux de didactique du français de langue étrangère. En effet, il procède à une critique du Cadre européen commun de référence pour les langues (désormais Le Cadre ou CECRL) (2001), non pour le rejeter, même partiellement, mais pour démontrer que Le Cadre, dans sa dimension méthodologique – car Le Cadre n’est pas seulement un référentiel d’évaluation, mais présente également une composante méthodologique –, n’a pas exploité au maximum les potentialités de ses influences et emprunts théoriques.
Cet article développe donc l’hypothèse que la conception humaniste de la compétence élaborée par le monde du travail à partir des années 80 (la partie 1 de cet article en présente longuement les caractéristiques) a influencé le nouveau paradigme méthodologique, dénommé Perspective actionnelle, figurant à l’état d’esquisse dans Le Cadre (partie 2 de cet article). Ensuite, s’appuyant sur cette référence à la version humaniste de la compétence dans le monde du travail, il énumère les notions à introduire ou à développer afin que la Perspective actionnelle devienne pleinement une méthodologie constituée en cohérence avec ses soubassements théoriques (partie 3 de cet article).
I. La compétence dans le monde du travail
I.1. Apparition d’une notion ambiguë dans le monde du travail: la compétence
Au début des années 80, le monde du travail est soumis à d’intenses pressions. Il doit faire face :
- à des revendications sociales, émanations de mai 68, exigeant plus d’initiative et d’autonomie dans le travail ;
- à un accroissement de la mondialisation dans les échanges économiques ainsi qu’à la globalisation1 du monde économique, deux phénomènes qui ont accentué l’exigence de compétitivité des entreprises ;
- au développement de la robotisation, de l’informatisation, des technologies de la communication ;
- à des évolutions profondes dans l’organisation du travail (équipes autonomes/ polyvalentes ; travail en réseau ; flexibilité dans le travail…). Ces mutations organisationnelles se traduisent globalement par un affaiblissement du cadrage de l’activité de l’opérateur, fait que relève Pastré : « Le point qui paraît le plus important concernant l’évolution du travail, c’est l’émergence et le développement de situations de travail à prescription faible, ou à prescription évolutive, ou à prescription incertaine, ou à prescription perçue comme inadaptée. » (1999 : 142);
- à l’accroissement de la part des services2 (les entreprises ne se différencient plus tant par la qualité de leurs productions que par la qualité et la diversification de leurs services) ;
- à la multiplication des imprévus en tous genres3 (imprévus économiques : fusions, restructurations, crises économiques, changements brutaux des goûts des consommateurs, etc. ; imprévus technologiques : les installations productives d’un haut degré de technologie ne sont pas exemptes de pannes impromptues et complexes)4.
Le monde du travail a alors délaissé la notion de qualification qui désigne un ensemble de savoirs, savoir-faire s’ajustant précisément aux tâches prescrites recensées dans le descriptif d’un poste de travail. Il s’est emparé du concept de compétence, développé en linguistique par Chomsky5 comme renvoyant à une créativité langagière6, pour rendre compte de cette nouvelle capacité « de faire face à l’incertitude » (Le Boterf, 2010a - 1re éd. 2000 - : 28), de « faire face aux exigences de renouvellement, de réactivité, de flexibilité et de complexité » (Le Boterf, 2002 – 1ère éd. 1997 - : 20), requise du nouvel acteur productif. Et il l’a développé dans deux directions :
- une direction, marquée par la psychologie différentielle américaine7, qui vise surtout l’adaptation de l’individu aux exigences nouvelles d’un monde du travail prônant le rendement, la compétitivité, la rentabilité et pour qui « la compétence est essentiellement au service de l’entreprise, […] elle est vue comme une fonction de production, en vue d’une obligation de résultat.» (Roegiers, 2000 : 67).8 Cette conception est encline à une dérive productiviste que résume bien la citation suivante d’Aubert et Gauléjac : « l’individu sera sans cesse conduit et sollicité à se dépasser lui-même, à faire toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite, à répondre toujours davantage aux sollicitations de l’entreprise. » (2007 : 127) ;
- et une orientation plus humaniste9, plus francophone, qui envisage la compétence avant tout comme l’occasion de permettre le développement du potentiel créatif de l’individu, qui, à travers la compétence, privilégie « le pouvoir d’action, la capacité à donner du sens et l’engagement de la subjectivité de ceux qui s’affrontent, au quotidien, à des situations professionnelles. » (Zarifian, 2005 : 8).10 Et c’est sur cette seconde conception de la compétence11 que nous allons nous appuyer pour le développement de notre réflexion sur la compétence en didactique des langues. Nous allons maintenant en détailler les composantes.
I.2. La version humaniste de la compétence dans le monde du travail.
I.2.1. Compétence et action
La compétence dans le monde du travail, tout comme dans la linguistique chomskyienne où elle s’oppose à la performance, ne peut être appréhendée directement, mais seulement inférée à travers l’activité effectuée12. Cette réalité, Witte la traduit sur un mode humoristique en ces termes : « la compétence ne se donne jamais à voir directement : on en constate très bien les manifestations, au niveau le plus simple et le plus courant de la pratique professionnelle mais personne n’a jamais pu l’observer au microscope ni la précipiter dans un cristallisoir…. » (1994 : 24).
La compétence est donc indissociable de l’action13 (langagière, intellectuelle, physique14) qui l’actualise, un lien qu’avait souligné Le Boterf dans sa définition devenue classique de la compétence : « Celle-ci (la compétence, j’ajoute) se réalise dans l’action. Elle ne lui préexiste pas. […]. Il n’y a de compétence que de compétence en acte. » (1994 : 16). Lichtenberger réaffirme ce lien lorsqu’il écrit : « contrairement à la qualification qui désigne des savoirs et savoir-faire requis, la compétence n’est pas essentiellement de l’ordre du savoir, elle est de l’ordre de l’action […]. » (1999 : 81/82). Cette action, inhérente à la compétence, est intentionnelle, orientée vers un but, finalisée : « Les compétences sont finalisées. Elles caractérisent la mise en jeu de connaissances en vue de la réalisation d’un but, de l’exécution d’une tâche. » (Leplat, 1991 : 265). Elle est à l’opposé du conditionnement15. Elle est l’antithèse de l’improvisation16 et donc réitérable : « [ê]tre compétent, […], ce n’est pas seulement réussir accidentellement une action, c’est pouvoir reproduire cette réussite, et souvent dans des conditions sensiblement différentes. » (Pastré, 2011 : 78). Elle est toujours contextualisée ainsi que le souligne Le Boterf dans cette autre définition de la compétence : « L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier (marqué par les relations de travail, une culture institutionnelle, des aléas, des contraintes temporelles, des ressources …) est révélatrice du « passage » à la compétence.» (1994 : 16)17, donc non généralisable, donc restreinte à une famille d’actions spécifiques : « On n’est jamais compétent dans l’abstrait. On est toujours compétent ‟par rapport à” ». (Zarifian, 2001 : 22)18. Cette action est, d'autre part, une action située au sens de Suchman19, c’est-à-dire une action toujours spécifique, qui ne relève pas d’une application mécanique de prescriptions, mais qui est la résultante d’une évaluation, d’une interprétation d’un contexte sans cesse particulier, sans cesse mouvant : « La compétence est toujours compétence – d’un acteur – en situation. Elle « émerge » plutôt qu’elle ne précède. » Le Boterf, (2002 – 1re éd. 1997 – : 59). C’est enfin une action toujours complexe, multiforme : « Être compétent, c’est de plus en plus être capable de gérer des situations complexes et instables. » (Le Boterf, 2013b : 53 – 1re éd. 2000).
I.2.2. Composantes de la compétence
Dans sa composition, la compétence est plurielle. Elle comporte :
Des savoirs déclaratifs
Outre des connaissances du monde, ces savoirs déclaratifs renvoient à des connaissances factuelles liées au métier (par exemple, connaître les composants d’un ordinateur), et à des connaissances en relation avec le contexte professionnel (« équipement, règles de gestion, culture organisationnelle, codes sociaux, organisation de l’entreprise ou de l’unité … » [Le Boterf, 2011 – 1re éd. 1998 - : 54]) ;
Des savoirs procéduraux...
... qui énoncent le comment faire pour agir (par exemple « la procédure de dépannage d’un circuit électronique » [Le Boterf, 2011- 1re éd. 1998 - : 61]) et regroupent en conséquence « des procédures, des méthodes, des modes opérateurs, c’est-à-dire des enchaînements explicites d’opérations ou des séries ordonnées d’actions orientées vers la réalisation d’un but déterminé. » (Le Boterf, 2010a – 1re éd. 2000 - : 118) ;
Des savoir-faire procéduraux...
...qui, indispensables à l’accomplissement de l’action en cours, rassemblent « les démarches, les méthodes, les procédures, les instruments dont la personne maîtrise l’application pratique. Ils permettent de savoir opérer. » (Le Boterf, 2011 – 1998 : 54)20 (par exemple « conduire un entretien professionnel » [Idem : 63]). De plus, ces savoir-faire procéduraux sont épaulés en cours d’activité par des schèmes opératoires individuels21 (ou modèles d’action tout prêts) résultant de l’analyse critique par l’opérateur de ses propres pratiques, de ses expériences : « Un schème opératoire est ce qui sous-tend une pratique, ce qui l’oriente, ce qui l’organise. C’est un « modèle d’action », une « certaine façon de s’y prendre » que la personne a construite au cours de ses diverses expériences et qu’elle a incorporée dans sa mémoire. C’est un ensemble organisé de règles d’action, d’hypothèses, de principes directeurs, de concepts clés, de raisonnements, de postures qu’elle peut mobiliser face à des types ou des catégories de situations susceptibles de se présenter. » (Le Boterf, 2011 – 1re éd. 1998 - : 76).
Parmi ces savoirs faire procéduraux, doivent être distingués des savoir-faire cognitifs, c’est-à-dire un ensemble de démarches intellectuelles (« Induction, déduction, abstraction réfléchissante, raisonnement par analogie, production d’hypothèses, généralisation … Autant d’opérations qui permettent d’inférer, c’est-à-dire de créer des informations nouvelles à partir d’informations nécessaires.» [Le Boterf, 2011 – 1re éd. 1998 - : 54]) « nécessaires à l’analyse et à la résolution de problèmes, à la conception et à la réalisation de projets, à la prise de décision, à l’invention. » [Idem : 54] (par exemple : « Construire et développer une argumentation » [Ibid. : 67]).
Parmi les savoir-faire procéduraux peuvent aussi être intégrés les savoir-accéder aux ressources tant humaines qu’immatérielles disponibles dans l’entreprise et hors de l’entreprise, car, actuellement, être compétent dans le monde du travail, c’est aussi savoir trouver les informations pertinentes, qu’elles soient portées par des collègues ou enregistrées sur des supports dématérialisés : « Le savoir et le savoir-faire d’un professionnel ne se situent pas que dans sa personne. Ils sont reliés à tout un réseau de relations personnelles, de personnes-ressources, de banques de données, de carnet de notes, de livres à portée de main, de ce qui est appelé parfois « le quatrième cerveau » ». (Le Boterf, 2002 - 1re éd. 1997 - : 64).
Et, ces savoir-accéder aux ressources comprennent aussi ce que Puren appelle la compétence informationnelle, qu’il définit globalement en ces termes : « Ensemble des capacités permettant d’agir sur et par l’information en tant qu’acteur social » (2009c : 4). Cette compétence informationnelle comprend une vigilance informationnelle : « Tout document électronique doit susciter interrogations et débats. Un sens critique s’impose face à ces flux d’informations dont on ignore la provenance et le degré de pertinence. » (Giordan, 1998 : 80). Elle intègre la capacité de faire passer l’information au rang de connaissance en un mouvement que Carré décrit ainsi : « Par information, il faut entendre des flux de messages, alors que la connaissance implique une activité cognitive de la part de l’agent : celle-là consiste à sélectionner, traiter et interpréter des messages pour en produire de nouveaux. Ainsi, contrairement à l’information, qui existe indépendamment des individus, la connaissance est « attachée » aux individus puisqu’elle repose sur leurs facultés subjectives. » (2005 : 90).
Des savoir être22
Ces derniers, projetés au premier plan à la fois par l’accentuation de la dimension collective du travail consécutive à la recherche de gains de productivité, à la complexité du travail, aux organisations nouvelles du travail en unités autonomes, en mode projet, en réseau, et par le « développement d’une nouvelle forme de production de la performance centrée sur le service rendu aux clients » (Lichtenberger, 1999 : 76), regroupent des notions assez floues, très hétéroclites, susceptibles d’être détournées à des fins de sélection arbitraire ou de licenciement, telles « les qualités morales […], le caractère […], aptitudes et traits de personnalité […], les goûts et les intérêts […], les comportements […]. » d’un employé (Bellier, 1998 : 16). Toutes ces notions ressortissent du « comportement, (de) la sphère relationnelle et psychologique. » (Bellier, Idem : 1, j’ajoute).
Toutefois, parmi la multitude de ces savoir-être, la version humaniste de la compétence met un éclairage particulier sur l’autonomie indispensable à l’exercice de la compétence : « ce qui la (la compétence, j’ajoute) différencie d’un travail taylorisé, c’est qu’elle manifeste une autonomie d’action de l’individu (dans une équipe ; un réseau de travail, etc.) qui s’engage subjectivement et volontairement, de par ses initiatives, dans l’amélioration de la valeur produite. » (Zarifian, 2001a: 96). Cette autonomie implique nécessairement en amont une capacité d’initiative, car « la compétence se « prend », elle résulte d’une démarche propre de l’individu qui accepte de prendre en charge la situation et de se prendre lui-même en charge face à cette situation. » (Zarifian, 2001 : 65). Et elle se prolonge par le sens de la responsabilité : « La prise de responsabilité est bien entendu la contrepartie de l’autonomie et de la décentralisation des prises de décision. Il ne s’agit plus d’exécuter des ordres (de la pertinence desquels on ne se sent pas responsable), mais d’assumer de soi-même la charge de l’évaluation de la situation, de la prise d’initiative, et donc ce qui peut permettre de donner valeur à son propre travail. » (Zarifian, 2001 : 67).
De plus, lorsque le travail se fait par nécessité de plus en plus collectif et impose de coopérer, lorsque la dimension des services devient prégnante23, la mise en œuvre de la compétence implique un savoir-coopérer24, véritable savoir-être qui fait appel obligatoirement à une autre facette de la psychologie de l’employé, c’est-à-dire à ses savoirs relationnels. Ces derniers se voient précisés indirectement dans cette définition de la coopération au travail qu’avance Le Boterf : « Coopérer c’est faire ensemble, c’est faire en même temps, c’est faire en synchronisé, c’est transmettre des informations, c’est se concerter sur des décisions à prendre, c’est négocier des compromis, c’est se mettre d’accord sur un arbitrage, c’est effectuer un contrôle mutuel. (2010 – 2008 : 98, je souligne). – Cette même définition de la coopération souligne de biais l’importance du langage, d’un savoir dire/ savoir se dire dans la mise en œuvre d’un agir coopératif. Ce savoir-(se) dire ne se limite pas à l’élaboration et au contrôle de l’action, mais il s’étend à la démarche réflexive sur l’action qu’il accompagne : « La construction des savoirs pour et sur l’action repose sur une explicitation constitutive des « savoir-dire » qui permettent de passer des savoirs dans l’action aux savoirs sur l’action. » (De Terssac, 2011 - 1re éd. 1996 : 238/9)25.
Le lien étroit entre savoir-coopérer et savoir relationnel apparaît nettement dans cette autre définition du savoir-coopérer que donne Le Boterf où sont mises en relief la prise en compte du groupe dans l’agir professionnel ainsi que l’importance de la « part langagière »26, du savoir dire/ savoir se dire, dans le travail :
« On reconnaîtra qu’un acteur coopère de façon pertinente et efficace si :
- Il agit en anticipant l’action des autres et en rendant son action intelligible pour les autres
- Il agit non seulement avec d’autres mais en fonction des autres : il prend en compte leurs contraintes, communique les informations dont ils ont besoin et les aide à atteindre leurs propres objectifs
- Il définit ses objectifs individuels en fonction des enjeux et objectifs supérieurs de son groupe d’appartenance
- Il prend l’initiative et entretient des relations d’aide, d’encouragement et de solidarité avec les autres acteurs
- Il agit en prenant en compte les règles de l’art de son groupe professionnel d’appartenance et en les enrichissant
- Il participe activement à des activités d’échange et de capitalisation des pratiques professionnelles et au fonctionnement des retours d’expérience
- Il accepte et gère avec sérénité les situations de conflits et de confrontation
- Il exprime sans crainte et en temps opportun ses doutes, ses limites et ses besoins d’aide pour ne pas mettre en difficulté l’action des autres. » (2011 – 1re éd. 1998 - : 119).
Enfin, le savoir-être se prolonge d’une composante éthique. En effet, le professionnel doit se montrer « capable d’une réflexion éthique ». (Le Boterf, 2002 – 1re éd. 1997 – : 28) en prenant appui sur « les valeurs du métier, les chartes d’éthique » : (Le Boterf, 2010 – 1re éd. 2008 –: 49). Il se doit de développer sa propre capacité de réflexion éthique, car, comme le rappelle Jonnaert : « la question éthique des moyens utilisés (pour résoudre une situation-problème, j’ajoute) se pose : la fin envisagée ne justifie pas l’utilisation de n’importe quel moyen. » (2009 : 38).
I.2.3. Une conception dynamique de la compétence
La compétence nécessite d’être envisagée d’une manière dynamique. En effet, elle n’est pas simple addition des divers savoirs, savoir-faire/savoir être/ savoir accéder aux ressources, savoirs relationnels…que nous venons de détailler, – tous savoirs rassemblés par Le Boterf sous le terme générique de « ressources »27 – mode selon lequel la compétence est trop souvent appréhendée, notamment dans les référentiels de compétences. Elle résulte aussi de la mise en œuvre d’un savoir-faire intégrateur28 qui surplombe ces différentes catégories de savoirs, savoir-faire, savoirs être, et qui procède, en vue d’apporter une réponse pertinente au problème posé, par leur sélection, combinaison, interaction, articulation. Pour désigner ce mode d’activation de ces divers savoirs et savoir-faire, Le Boterf avance la notion de savoir-mobiliser29 : « La compétence ne réside pas dans les ressources (connaissances, capacités …) à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources. La compétence est de l’ordre du ‟savoir mobiliser”. » (1994 : 17). Relevant largement du métacognitif et partiellement des savoirs conditionnels ou stratégiques30, ce savoir-mobiliser avec pertinence (et le mot pertinence doit être souligné), à bon escient31 et au moment opportun32 des ressources, élément central de la compétence33, procède par :
- cadrage de la situation34 (une situation particulière est identifiée dans ses caractéristiques et ensuite rapprochée d’une famille de situations) ;
- sélection (c’est-à-dire, mobilisation / neutralisation de certaines ressources35) et combinaison des ressources36 pour l’agir que représentent les différents savoirs, savoir-faire/être/etc., simultanément à l’élaboration d’actions possibles, d’ « un réseau d’actions virtuelles » ;
- adaptation et évolution des ressources et des actions au fur et à mesure du déroulement de l’action37.
Ce savoir-mobiliser, pour se déployer, prend appui sur les schèmes opératoires38 ainsi que sur les « genres sociaux d’activités » (Clot, 1999 : 174) qui, dans le travail, règlent le langage et l’action, l’être aux autres dans l’action professionnelle. Clot définit ces derniers ainsi : « Ce sont des règles de vie et de métiers pour réussir à faire ce qui est à faire, des façons de faire avec les autres, de sentir et de dire, des gestes possibles et impossibles dirigés à la fois vers les autres et sur l’objet. Finalement, ce sont les actions auxquelles nous invite un milieu et celles qu’il désigne comme incongrues ou déplacées ; » (1999 : 44). Ce guidage du savoir-mobiliser par les schèmes et les genres sociaux s’interrompt au moment où la singularité, la nouveauté de la situation imposent d’élaborer d’une manière efficace39 des combinaisons, des réponses originales, créatives, pertinentes, économiques et élégantes40.
Le savoir-mobiliser, qui « est un savoir combinatoire en acte. Ce n’est pas une ressource. C’est un processus qui appelle et organise les ressources de façon dynamique. » (Le Boterf, 2013 – 1re éd. 2000 – : 90), imprime ainsi à la compétence une conception dynamique, processuelle. Par sa créativité, son originalité qui l’apparentent à la notion de style que développe Clot (le style marque l’irruption de la dimension personnelle dans les codifications imposées par les genres sociaux d’activité et est l’un des facteurs d’évolution de ces genres sociaux41), le savoir-mobiliser réintroduit, avec insistance, dans la compétence, le sujet agissant et confère à la compétence un caractère individuel : « Cette réponse organisée est en effet spécifique à chaque individu. Elle est singulière. Il n’y a pas qu’une seule réponse possible à un impératif professionnel ; il n’y a pas qu’une seule façon de résoudre un problème avec compétence ; » (Le Boterf. 2013 – 2000 : 62), fait qu’exprime Oiry par l’assertion concise suivante : « La compétence est un attribut de l’individu. » (2003 : 47).
Cette conception dynamique de la compétence42, appréhendée comme réponse singulière, créative à une situation-problème, se trouve bien rendue dans la définition suivante de la compétence que donne Le Boterf où est précisé qu’avec la compétence :
« Il s’agit donc de raisonner en termes :
- de processus, et non plus seulement en termes de possession de ressources ;
- de porteur de compétences, et non plus en termes de compétences abstraites ;
- de combinatoires, et non plus en termes d’addition ;
- de comportements en situation, et non plus de qualités ou de traits de personnalité. » (2010 – 1re éd. 2008 – : 21).
I.2.4. Autres composantes de la compétence
La compétence intègre aussi une indispensable dimension réflexive43: elle comporte une réflexion sur les modes d’agir de l’individu, réflexion avant l’action, « en cours d’action et sur l’action » (Schön, 1994 : 170)44, une réflexion distanciante, critique, qui ouvre la possibilité d’élaborer des schèmes opératoires et qui se condense en « savoirs expérientiels » : « Le professionnel sait tirer les leçons de l’expérience. Il sait transformer son action en expérience. Il ne se contente pas de faire ou d’agir. » (Le Boterf, 2010a – 1re éd. 1997 – : 89). Cette incessante dimension réflexive imprime à la compétence son caractère nécessairement évolutif, car une compétence qui se fige rétrograde alors au stade d’un simple savoir-faire.
La réflexivité permet de dépasser l’accumulation passive, inerte d’expériences et participe au développement de l’individu45, lui façonne son identité professionnelle, ainsi que l’indique Pastré dans la citation suivante au moyen de l’opposition entre accumulation passive de strates d’expériences sans impact sur l’individu et appropriation des expériences mobilisant le détour réflexif et facteur de développement personnel : « Ainsi il y a une expérience […] qui procède par accumulation (de compétences, d’habiletés, de savoirs). Et il y a une expérience […] qui consiste en l’imputation forte par un sujet de ses actes et de leur sens, en ceci qu’il les reconnaît pour siens.» (2011 : 232, je souligne).
Toutefois, ces savoirs d’expérience doivent être partagés, critiqués, analysés avec le collectif de travail afin de pouvoir contribuer, notamment sous la forme des « genres sociaux d’activités » déjà mentionnés (Clot, 1999 : 174), des « genres professionnels »46 (Clot, 2008 : 102), à l’élaboration d’une compétence collective. Cette dernière est indispensable à l’actuelle organisation diversifiée du travail. Elle est essentielle pour affronter la complexité du monde du travail, pour pouvoir créer, à partir de genres professionnels, des « règles de l’art ». Elle est capitale pour engendrer une communauté de pratiques47, une organisation apprenante48, capables de relever les défis incessants de la compétitivité et d’assumer la pérennité de l’entreprise.
I.2.5. Caractéristiques complémentaires de la compétence
Peuvent être ajoutés à cette description des caractéristiques de la compétence dans le monde du travail deux derniers éléments qui, pour nous didacticiens ne nous laissent pas indifférents, à savoir que la compétence se développe dans le temps : « L’expérience est une composante essentielle de la compétence […]. » (Vergnaud : 1999 : 196) et qu’elle est indissociable du plaisir : « le plaisir est un ressort profond, de l’activité, de la performance, de la collaboration avec autrui, de la séduction, de l’imagination et de l’innovation. » (Vergnaud, Idem : 200).
I.2.6. Conditions d’apparition de la compétence
Une telle description de la compétence dans sa version humaniste serait incomplète si n’étaient mentionnées les deux conditions nécessaires à l’émergence et à l’essor de cette dernière.
La première condition d’apparition de la compétence est le vouloir agir, qui est du ressort de l’individu. Il est en rapport avec la motivation et est un facteur essentiel de la mobilisation de la compétence ainsi que l’énonce lapidairement Lévy-Leboyer: « sans motivation, les aptitudes et les compétences les meilleures resteront lettre morte. », (2009 : 102). Et cette motivation est suscitée, entre autres, par le sens que revêt l’activité pour l’employé, un sens en accord avec ses valeurs, son éthique, son identité, son image de soi, son devenir professionnel : « Pour agir avec compétence, le professionnel a besoin de sens. A quoi servent ses compétences ? A quels enjeux contribuent-elles ? Ces enjeux sont-ils conformes à sa réflexion éthique ? […]. Ce qui est demandé est-il conforme à l’image de soi, à l’idée que le sujet se fait de son identité professionnelle, à ‟l’honneur ” du métier ? » (Le Boterf, 2002 – 1re éd. 1997 – 190). Le vouloir agir a donc largement partie liée avec « l’image de soi et […] l’estime de soi. » (Lévy-Leboyer, 2009 : 102)49. La motivation a à voir aussi avec la confiance accordée50 et la nécessaire reconnaissance sociale51, symbolique et matérielle, de l’implication du sujet par l’institution52.
D’autre part, la compétence est indissociable du pouvoir agir qui, lui, est de l’ordre de l’institutionnel. Il signifie la création d’un contexte favorable à l’apparition et à l’expression de la compétence individuelle et collective, c’est-à-dire l’établissement d’une organisation du travail qui suscite la gestion autonome de missions complexes, diversifiées, renouvelées, avec droit à l’erreur et temps alloué pour une analyse réflexive et collective des pratiques53, avec ressources matérielles, immatérielles et humaines mises à disposition, avec des objectifs clairement affichés54. Cette organisation du travail génératrice de compétence est donc à l’opposé des nouveaux modes de gestion par la polyvalence, la responsabilité, l’autonomie au seul service de l’accroissement continuel de la productivité, de la rentabilité, tous modes qui « ont démultiplié la pénibilité du travail » (Auber, 2008 : 19), accru le stress et la souffrance au travail.55
I.2.7. Conclusion intermédiaire
Le tableau suivant récapitule les traits de la compétence dans sa version humaniste :
Ainsi, le monde du travail a-t-il développé autour de l’action en situation (la compétence est une mise en action, mise en situation, de ressources56) une conception humaniste de la compétence :
- qui réintroduit fortement dans la compétence une dimension cognitive importante, d’une part avec le savoir-mobiliser57 qui occupe dans ce modèle de la compétence un rôle central puisqu’à l’interface entre les ressources du sujet agissant et l’activité à réaliser, et, d’autre part, avec la réflexivité ;
- qui accorde une large place au socio-psycho-affectif individuel58 et collectif (autonomie/ savoir coopérer / éthique, ainsi que le vouloir et pouvoir agir)59 ;
- qui est doublement dynamique, tant dans la mise en œuvre des ressources intervenant dans la compétence (savoirs/ savoir-faire/ savoir être, etc.) avec le savoir mobiliser, que dans l’analyse critique de cette mise en œuvre des ressources, avec la réflexivité qui impulse l’évolution de la compétence;
- qui s’ouvre au collectif avec la nécessaire extension de la compétence individuelle vers une compétence collective.
Enfin ce modèle humaniste de la compétence s’affranchit de toute inspiration behavioriste, puisque les stratégies impliquent obligatoirement, pour leur exercice, choix et créativité, puisqu’une qu’une même tâche peut être réalisée au moyen de différentes compétences, un fait sur lequel insistent tous les théoriciens de la compétence : « La correspondance entre tâche et compétence n’est pas simple, et cela pour plusieurs raisons : d’abord parce que de mêmes exigences de la tâche peuvent être satisfaites avec des compétences différentes. Ceci est d’autant plus vrai que la tâche est complexe. » (Leplat, 1991 : 271), puisque ces mêmes théoriciens rappellent qu’« un même individu peut posséder plusieurs types de compétences pour la réalisation d’une même tâche et que, selon la situation, il peut mettre l’un ou l’autre en jeu. » (Leplat, Idem : 271). Toutes ces caractéristiques de la compétence rendent impossible toute velléité de conditionnement de l’apprenant, et ouvrent nécessairement la porte à une formation des acteurs sociaux très ouverte, sous la forme d’une confrontation du sujet apprenant à des situations complexes et d’une observation des possibles pour résoudre ces situations.
II. Influences de la conception humaniste de la compétence issue du monde du travail sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001) ou la révélation60 d’un nouveau paradigme méthodologique
II.1. Économie et monde éducatif : des relations de longue date
Le monde du travail et plus largement l’idéologie dominante d’une époque ne sont pas sans influences sur le domaine éducatif. C’est une réalité sociologique :
- que Tardif et Lessart expriment ainsi : « on peut dire que l’école et l’enseignement ont été historiquement envahis et continuent toujours de l’être par des modèles de gestion et d’exécution du travail tirés directement de l’environnement industriel et des autres organisations économiques. » (1999.16)61 ;
- que Crahay et Forget formulent ainsi : « les changements curriculaires sont consécutifs de changements sociétaux de nature économique et politique principalement et […] l’évolution de la structure économique de la société va de pair avec la création d’un espace idéologique qui la légitime et, in fine, détermine les transformations curriculaires. » (2006 : 65) ;
- que Puren développe en ces termes : « Les conceptions managériales et les conceptions didactiques montrent de fortes similitudes dues à des enjeux en parties identiques et à des influences parallèles. » (2006f.7).
Plus concrètement, dans le domaine de l’enseignement en général, Tochon (1993) démontre qu’au taylorisme (c’est-à-dire la division du travail en tâches parcellaires afin d’accroître la productivité et d’employer une main d’œuvre non qualifiée), à la rationalité technique de l’après-guerre, correspond « l’enseignant(e) manager » (dont « l’aptitude pratique professionnelle est acquise par l’emploi de capacités techniques d’« ingénierie », fondées sur une connaissance systématique spécialisée, scientifique et standardisée » (1993 : 24). Et l’enseignant SGAV, dans le domaine des langues, en est le parfait représentant.62 Tochon poursuit sa démonstration en notant qu’au milieu des années 70, époque où le monde productif devient plus complexe, apparaît dans l’enseignement la conception de l’ « enseignant décideur » dont les capacités de base portent « sur le diagnostic […] associé à la résolution de problème en vue d’une prise de décision. » (1993 : 24). Comment ne pas reconnaître dans cette description l’enseignant communicatif élaborant sa formation après l’identification des besoins de ses apprenants ?63
Le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001)64, qui est, certes, un référentiel langagier, mais aussi, à travers ses chapitres Chapitre 2 Approche retenue, Chapitre 6 Les opérations d’enseignement et d’apprentissage des langues, Chapitre 7 Les tâches et leur rôle dans l’enseignement et l’apprentissage des langues, un ouvrage de méthodologie, n’échappe pas à cette loi sociologique de la porosité entre monde économique et monde éducatif.
II.2. Les marques d’une influence du monde du travail sur le Cadre européen
De fait, une grande partie des traits de la compétence développée dans le monde du travail selon une conception humaniste, et qui ont été longuement détaillés dans la première partie de cet article, se retrouve dans le Cadre comme l’a démontré Richer (2012), une démonstration que nous allons reprendre brièvement dans les lignes qui suivent.
II.2.1. Liens entre compétence et action
La compétence65 dans Le Cadre, tout comme dans le monde du travail, est indissociable de l’action (langagière, intellectuelle et physique) contextualisée, plus ou moins complexe, plus ou moins collective ainsi qu’il ressort de la définition lapidaire de la conception du langage et de l’enseignement apprentissage des langues avancée par le Cadre et présentement bien connue :
« Un Cadre de référence pour l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation des langues vivantes, transparent, cohérent et aussi exhaustif que possible, doit se situer par rapport à une représentation d’ensemble très générale de l’usage et de l’apprentissage des langues. La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui leur donnent leur pleine signification. Il y a tâche dans la mesure où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise(nt) stratégiquement les compétences dont il(s) dispose(nt) en vue de parvenir à un résultat déterminé.» (2001 : 15).
En effet, dans cette définition de « l’usage et l’apprentissage des langues », la référence à l’action se fait insistante (« usage/ type actionnel/ acteurs/ actions/ accomplir des tâches/ domaine d’action particulier/ actions en contexte social/ résultat déterminé »), une action non réduite au seul langage (« des tâches [qui ne sont pas seulement langagières] »), c’est-à-dire une action langagière pouvant être envisagée dans ses liens avec l’action physique66.
La compétence à communiquer, dans Le Cadre, comme toute compétence, est abstraite et, tout comme dans le monde professionnel où la compétence doit nécessairement s’actualiser dans l’activité réalisée, la compétence à communiquer langagièrement entretient un lien étroit avec la réalisation de tâches : « Les activités langagières impliquent l’exercice de la compétence à communiquer langagièrement, dans un domaine déterminé, pour traiter (recevoir et / ou produire) un ou des textes en vue de réaliser une tâche » (CECRL, 2001 : 15).
Outre la définition déjà mentionnée précédemment de la tâche, lorsque sont rassemblées les autres définitions fragmentaires éparses qui figurent dans le C.E.C.R.:
« Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe. » (CECRL, 2001 : 16, je souligne) ;
« Les tâches ou activités sont l’un des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines personnel, public, éducationnel et professionnel. L’exécution d’une tâche par un individu suppose la mise en œuvre stratégique de compétences données, afin de mener à bien un ensemble d’actions finalisées, dans un certain domaine avec un but défini et un produit particulier. La nature des tâches peut être extrêmement variée et exiger plus ou moins d’activités langagières ; (…) (CECRL, 2001 : 121, je souligne).
les tâches peuvent alors être spécifiées ainsi : les tâches sont des actions intentionnelles, individuelles ou collectives, inscrites dans un domaine social précis, finalisées par un/des objectif(s), débouchant sur des produits achevés67 ; elles peuvent combiner langage et action et, pour leur réalisation, nécessitent d’activer stratégiquement des compétences plurielles. Et, dans cette explicitation des tâches, outre une influence manifeste du courant anglo-saxon, variante du communicatif, appelé Task Based Learning68 qui définit la tâche ainsi : « A task is a workplan that requires learners to process language pragmatically in order to achieve an outcome that can be evaluated in terms of whether the correct or appropriate propositional content has been conveyed. To this end, it requires them to give primary attention to meaning and to make use of their own linguistic resources, although the design of the task may predispose them to choose particular forms. A task is intended to result in language use that bears a resemblance, direct or indirect, to the way language is used in the real world. »69, se retrouvent les caractéristiques, que nous avons détaillées, de l’activité dans le monde professionnel : action finalisée, individuelle ou collective, ancrée dans un contexte social spécifique, impliquant des compétences plurielles et mobilisant des stratégies.
II.2.2. Les stratégies
Les « stratégies communicatives » (CECRL, 2001 : 48) sont très présentes dans Le Cadre. Dans la lignée des propositions de Little (1996), les stratégies sont appréhendées dans le Cadre non plus seulement selon le mode de la compensation, non plus selon «un rôle essentiellement défensif » pour reprendre l’expression de Little (1996 : 15)70, mais positivement : « Les stratégies sont le moyen utilisé par l’usager d’une langue pour mobiliser et équilibrer ses ressources et pour mettre en œuvre des aptitudes et des opérations afin de répondre aux exigences de la communication en situation et d’exécuter la tâche avec succès et de la façon la plus complète et la plus économique possible – en fonction de son but précis. Les stratégies communicatives ne devraient pas, en conséquence, s’interpréter seulement selon un modèle d’incapacité, comme une façon de remédier à un déficit langagier ou à une erreur de communication. » (CECRL, 2001 : 48). Elles reçoivent dans le Cadre une définition très proche du « savoir-mobiliser », élément essentiel, ainsi que nous l’avons vu, de la compétence dans le monde du travail puisqu’il lui donne son aspect dynamique – la définition de Little, citée supra, en témoigne –. Et cette proximité définitoire est de fait particulièrement patente lorsque l’on juxtapose la définition du « savoir-mobiliser /savoir combinatoire » de Le Boterf :
« Pour faire face à un événement, pour réaliser une activité ou pour résoudre un problème, le professionnel doit savoir non seulement sélectionner les éléments pertinents dans un répertoire de ressources, mais aussi les organiser. Il doit construire une combinatoire particulière de multiples ingrédients qui auront été triés – consciemment ou non – à bon escient. » (2013 – 1re éd. 2000 –: 75/76).
à cette autre définition des stratégies issue du Cadre (certes de production, mais la définition vaut pour toutes les stratégies, en atteste sa proximité sémantique avec celle déjà mentionnée supra [CECRL : 48]) :
« Les stratégies de production supposent la mobilisation des ressources et la recherche de l’équilibre entre des compétences différentes – en exploitant les points forts et en minimisant les points faibles – afin d’assortir le potentiel disponible à la nature de la tâche. » (CECRL, 2001 . 53).
Toutefois, bien que revêtant un rôle charnière capital entre les compétences de l’apprenant et la tâche à réaliser : « ce sont les stratégies (générales et communicatives) qui créent un lien vital entre les différentes compétences de l’apprenant (innées ou acquises) et l’exécution réussie de la tâche. » (CECRL, 2001 : 122), les stratégies ne sont pas, dans le Cadre, associées étroitement à la compétence à communiquer et aux compétences générales. Elles ne sont pas mises en position de surplomb par rapport à ces deux catégories de compétences. Elles sont rattachées aux seules activités langagières, c’est-à-dire aux modalités d’exercice du langage, ce que met en évidence ce sommaire du chapitre 4 du Cadre :
4.4. ACTIVITÉS DE COMMUNICATION LANGAGIÈRE ET STRATÉGIES4.4.1 Activités de production et stratégies (p. 48 à 54) 4.4.1.1 Production orale (Parler) 4.4.1.2 Production écrite (Écrire) 4.4.1.3 Stratégies de production 4.4.2 Activités de réception et stratégies (p. 54 à 60) 4.4.2.1 Écoute ou compréhension de l’oral 4.4.2.2 Lecture ou compréhension de l’écrit 4.4.2.3 Réception audiovisuelle 4.4.2.4 Stratégies de réception (CECRL, 2001 : 39). |
Les stratégies sont ensuite spécifiées dans Le Cadre dans leur lien aux activités langagières qu’elles contrôlent, comme le montre ce (long, mais éclairant) passage portant sur les stratégies de production qui sont réparties, chronologiquement, en fonction du déroulement de l’activité langagière, en cadrage, recherche de ressources, stratégies d’évitement, de réalisation, de compensation, stratégie métacommunicative d’évaluation de l’efficacité communicative (« contrôle ») :
« Les ressources intérieures seront mises en œuvre, ce qui suppose vraisemblablement une préparation consciente (Préparation ou Répétition) qui prenne en compte l’effet de styles, de structures discursives ou de formulations différents (Prise en compte du destinataire) et la recherche de l’information ou de l’aide en cas de déficit langagier (Localisation des ressources). Si les ressources adéquates ne peuvent être mobilisées ou qu’on ne sache pas les localiser, l’utilisateur de la langue trouvera peut-être judicieux de se contenter d’une version simplifiée de la tâche comme, par exemple, écrire une carte postale au lieu d’une lettre ; d’un autre côté, après avoir localisé le support approprié, l’apprenant/utilisateur peut choisir de faire l’inverse et d’exécuter une tâche plus difficile (Adaptation de la tâche). De même, en l’absence de ressources suffisantes, l’utilisateur/ apprenant peut être conduit à modifier ce qu’il/elle voulait effectivement dire pour s’en tenir aux moyens linguistiques disponibles ; réciproquement, une aide linguistique supplémentaire, éventuellement disponible plus tard, au moment de la rédaction définitive, peut lui permettre d’être plus ambitieux dans l’élaboration ou l’expression de sa pensée (Adaptation du message).
Les façons de mettre en adéquation son ambition et ses moyens pour réussir dans un domaine plus limité ont été décrites comme Stratégies d’évitement ; élever le niveau de la tâche et trouver les moyens de se débrouiller ont été décrits comme Stratégies de réalisation. En utilisant ces stratégies, l’utilisateur de la langue adopte une attitude positive par rapport aux ressources dont il/elle dispose : approximations et généralisations sur un discours simplifié, paraphrases ou descriptions de ce que l’on veut dire, et même tentatives de « francisation » d’expressions de la L1 (Compensation) ; utilisation d’un discours préfabriqué d’éléments accessibles – des « îlots de sécurité » – à travers lesquels il/elle se fraie un chemin vers le concept nouveau qu’il/elle veut exprimer ou la situation nouvelle (Construction sur un savoir antérieur), ou simple tentative de faire avec ce que l’on a et dont on pense que cela pourrait marcher (Essai). Qu’il soit conscient ou pas de compenser, de naviguer à vue ou d’expérimenter, le feed-back que lui apportent les mimiques, les gestes ou la suite de la conversation le renseigne et lui donne la possibilité de vérifier que la communication est passée (Contrôle du succès). En outre, et notamment pour les activités non interactives (par exemple, faire un exposé ou écrire un rapport), l’utilisateur de la langue peut contrôler consciemment sa production, tant du point de vue linguistique que communicatif, relever les erreurs et les fautes habituelles et les corriger (Autocorrection). » (CECRL, 2001 : 53).
Toujours dans la lignée des propositions de Little (1996) qui considère que toute activité intentionnelle, et le langage en fait partie, « obéit à des processus de définition, de planification et d’évaluation » (1996 : 16), la multiplicité des stratégies liées aux activités langagières est par ailleurs condensée dans le Cadre en un processus (méta)cognitif en quatre temps où se lit l’influence du cognitivisme : « Pré-planification, Exécution, Contrôle et Remédiation des différentes formes de l’activité communicative : Réception, Interaction, Production et Médiation. » (CECRL, 2001 : 48).
II.2.3. Autres références, mais minorées, à certaines composantes de la compétence du monde du travail
Dans Le Cadre, la compétence à communiquer langagièrement est d’autre part adossée à des « compétences générales individuelles » : « L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par des gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment une compétence à communiquer langagièrement » (CECRL , 2001 : 15), et ce, sous le mode de l’inclusion de la compétence à communiquer langagièrement dans les compétences générales comme le donnait à voir le schéma ci-dessous figurant dans la version provisoire de 1996 du Cadre :
Dans les compétences générales, à côté de savoirs déclaratifs associant connaissances du monde, savoirs académiques ainsi que des savoirs socioculturels qui peuvent conduire à une « prise de conscience interculturelle » (CECRL., 2001 : 83), l’on retrouve :
- des savoir-faire procéduraux très transversaux et peu explicités ;
- et des savoir-être qui regroupent principalement des traits psychologiques influant sur l’apprentissage des langues et des cultures ;
- ainsi que des savoir-apprendre mêlant ouverture à la nouveauté, savoir-faire méthodologiques et stratégies d’apprentissage non propres à l’acquisition des langues. Cette notion de savoir apprendre fait écho à l’« apprendre à apprendre » de l’Approche communicative71 et plus largement à l’autonomie72. Mais, il est à remarquer que, paradoxalement, vu la place qu’elle occupe dans le monde contemporain du travail73 tant sous son aspect individuel que collectif, l’autonomie, dans Le Cadre, même si son apprentissage est recommandé74, ne donne pas lieu à développements. Il en va de même pour la réflexivité, activité métacognitive que l’on s’attendrait à voir figurer tout naturellement dans les compétences générales individuelles, et élément important, nous l’avons vu, de la compétence dans le monde du travail. Elle est bien présente dans Le Cadre, mais de manière très allusive, par exemple dans ce passage : « Le contrôle de ces activités (langagières, j’ajoute) par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences. » (CECRL, 2001 : 15), ou dans celui-ci : « Mais c’est au travers de la diversité des expériences d’apprentissage, dès lors que celles-ci ne sont ni cloisonnées entre elles ni strictement répétitives, qu’il (l’apprenant) enrichit ses capacités à apprendre. » (CECRL, 2001 : 17, je souligne).
II.3. Un nouveau paradigme méthodologique
Ainsi l’influence de la conception de la compétence élaborée par le monde du travail est manifeste dans la proposition méthodologique avancée par Le Cadre, et à un point tel qu’elle permet de voir dans Le Cadre non une reconduction du Communicatif, même amélioré, non « la possibilité de mettre en œuvre l’approche communicative dans sa version haute », à l’instar de Beacco, (2007 : 91), mais bien l’émergence d’un nouveau paradigme méthodologique.
De fait, en se donnant pour objectif social de référence non plus le touriste fugace aux besoins langagiers réduits à la survie, mais le cadre d’entreprise qui doit travailler et vivre à l’étranger sur une longue période, Le Cadre européen esquisse autour de l’action (intellectuelle, langagière et physique) un nouveau paradigme méthodologique, dénommé la Perspective actionnelle et articulé ainsi :
Les ressources75 constituées par la compétence à communiquer langagièrement et les compétences générales, s’actualisant dans telle ou telles activité(s) langagière(s), sont mobilisées à bon escient (avec plus ou moins d’autonomie de la part de l’apprenant) par les stratégies de l’énonciateur afin de réaliser des tâches76-77. De plus, la réflexion critique en cours d’action et après action sur ce processus par ce même énonciateur développe ses compétences.
Le schéma suivant récapitule les composantes du paradigme actionnel :
Ce nouveau paradigme méthodologique que permet de mettre au jour l’éclairage du Cadre par la notion humaniste de la compétence issue du monde du travail est bien « de type résolument actionnel. Il se trouve centré sur la relation entre, d’un côté, les stratégies de l’acteur elles-mêmes liées à ses compétences et à la perception / représentation qu’il a de la situation où il agit et, d’un autre côté, la ou les tâche(s) à réaliser dans un environnement et des conditions donnés. » (CECRL, 2001 : 19). Ce paradigme actionnel impose de ne pas considérer les savoirs comme des savoirs inertes et il les enracine encore plus fortement que ne le fait l’Approche communicative dans l’action afin de leur donner du sens. Il se signale d’autre part par le déplacement qu’il opère de la conception très socio-linguistique et dans une moindre mesure (inter)culturelle de l’enseignement/ apprentissage des langues véhiculée par l’approche communicative vers le (méta)cognitif avec la place centrale accordée aux stratégies et l’importance moindre attribuée à la réflexivité et vers le psychosocial avec l’autonomie (mentionnée fugitivement).
III. Où le modèle humaniste de la compétence pointe les lacunes à combler du paradigme actionnel
III.1.De nécessaires développements théoriques et méthodologiques
Il convient de rappeler que la Perspective actionnelle est encore largement à l’état embryonnaire (seuls les éditeurs s’y réfèrent comme si elle était pleinement constituée). Aussi, afin de renforcer sa cohérence méthodologique, est-il nécessaire de la doter d’une théorie du langage, et le développement de la linguistique actionnelle peut répondre à ce besoin. Elle doit de même être pourvue d’une théorie de l’enseignement/ apprentissage des langues, et le socioconstructivisme, revisité, de Vygostsky, de Bruner peut jouer ce rôle. Elle doit, de plus, être nantie d’une théorie de la culture renouvelée, allant au-delà de l’interculturel, certes utile pour désamorcer les chocs culturels passagers et revenir sur l’arbitraire de sa propre culture, mais insuffisant pour le vivre/ travailler ensemble sur la longue durée, et le « co-culturel » défendu par Puren78 semble pouvoir répondre à ces besoins culturels nouveaux. Parallèlement au développement de ses théories contributoires – qui ne doit toutefois pas faire oublier la nécessaire réflexion méthodologique afin de reconfigurer les activités d’enseignement/ apprentissage en cohérence avec ces soubassements théoriques, car une méthodologie se signale avant tout par les pratiques de classe qu’elle met en œuvre – , ce dont a besoin la Perspective actionnelle, et la référence à la compétence dans le monde du travail dont nous avons longuement développé les caractéristiques l’a mis en évidence, c’est de donner corps à la notion centrale d’acteur social ou plutôt acteurs sociaux mobilisée par Le Cadre. Cette dernière, en effet, impose de dépasser la notion de locuteur inscrit socialement et la présente dimension socio-psycho-affective restreinte de l’actuelle Perspective actionnelle. Pour ce faire, il faudrait à la fois accorder plus d’importance à certaines notions déjà présentes dans Le Cadre, renforcer leur consistance théorique, voire les élargir, et, de plus, en introduire d’autres. Nous allons donc procéder dans la section suivante de cet article à une brève revue de ces notions à retravailler ou à introduire, qui seront abordées selon leurs solidarités didactiques et non selon un ordre de priorité ou d’importance.
III.2. Notions à préciser, à revisiter ou à introduire
L’acteur social, pour faire face à des situations imprévues (et le langage est le lieu par excellence de l’imprévisible79, sauf cas, dans certaines professions, de scripts langagiers très contraints), doit mobiliser des stratégies afin de gérer ses ressources disponibles ou contourner ses manques.
La notion de stratégie, centrale, nous l’avons vu, dans le nouveau paradigme actionnel, comporte toutefois des zones d’imprécisions théoriques qu’il convient de réduire. Les stratégies sont-elles intégrées dans la compétence de communication (position de Rey 2014) ou hors compétence de communication (position de Perrenoud 1997 et des concepteurs du CECRL, qui, nous l’avons vu, ancrent les stratégies dans les activités langagières) ? D’autre part, la mobilisation des stratégies, dans son fonctionnement, reste largement à étudier, ce que note Rey : « Il ne suffit pas de faire apparaître l’exigence de mobilisation à bon escient au cœur d’un très grand nombre d’activités scolaires. Il faut encore éclaircir la manière dont les individus compétents mobilisent à bon escient leurs ressources pour répondre à des situations nouvelles. » (2014 : 31) et que confirme Perrenoud : « On a alors besoin d’un inventaire des ressources mobilisées et d’un modèle théorique de la mobilisation. » (2000 – 1re éd. 1997 – : 24). En effet, par exemple, les stratégies interviennent très vraisemblablement non linéairement, à l’inverse de ce que pourrait laisser supposer la présentation trop cognitiviste qu’en donne le Cadre et que nous avons rappelée ci-dessus (section II.2.2).
Se donner, d’autre part, pour objectif de former des apprenants de langue étrangère en tant qu’ « acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) […] » (CECRL, 2001 : 15) implique de revenir sur diverses notions.
Tout d’abord, la notion de motivation revient au premier plan. Elle doit être mise en relation avec le sens que les apprenants accordent aux activités proposées, avec l’image de soi80 qui se joue dans la possibilité ou non de réussir la tâche demandée, tous paramètres favorables au déclenchement du vouloir-agir de l’apprenant : « les deux prédicateurs directs les plus importants de la motivation à apprendre chez l’élève sont la valeur que celui-ci accorde à la tâche d’apprentissage (valeur perçue, value en anglais) et la perception qu’il a de ses chances de réussir la tâche (espérance de réussite, expectancy en anglais). En bref, un élève ne sera motivé à s’engager dans une tâche d’apprentissage que si celle-ci a du sens pour lui et qu’il croit en ses chances de la réussir. » (Bourgeois, 2006 : 235). Il faudrait ajouter à ces facteurs de motivation le plaisir dont Vergnaud rappelait l’importance pour le développement de la compétence (cf. section 1.2.5. de cet article). La motivation, la confiance en soi, l’image de soi ainsi que le plaisir signalent l’importance à octroyer aux facteurs affectifs dans l’apprentissage des langues : « Cognitive factors are thus not the only ones that matter in second language learning. As Stern (1983 : 386) points out, the affective component contributes at least as much as and often more to language learning than the cognitive skills represented by aptitude assessment. » (Kohonen, 1992 : 23).
Ensuite, l’autonomie doit être élargie à la notion d’apprenance introduite par Carré et qu’il définit ainsi : « Attitude d’ouverture, de réceptivité, mais aussi de recherche et de création des occasions d’apprendre, l’apprenance recouvre à la fois la posture mentale, la capacité et le désir de tirer de ses environnements les ressources nécessaires au développement des connaissances, habiletés, comportements nouveaux ou à la modification des anciens. » (2005 : 109). De plus, l’autonomie ne peut être limitée à sa conception individuelle, mais doit être appréhendée sous sa forme collective (cf. Puren, 2010), nécessaire en particulier à la réalisation des projets81 – l’une des formes de concrétisation méthodologique de la compétence à communiquer langagièrement, l’autre étant la tâche.
Former des « acteurs sociaux» (CECRL, 2001 : 15) nécessite par ailleurs d’introduire d’autres notions à l’ensemble conceptuel déjà établi.
Tout d’abord, le savoir-coopérer, dans le sens où le Boterf le conçoit (cf. point 1.2.2. de cet article), nécessaire à l’apprentissage des langues, à l’exécution des tâches et des projets, doit être conceptualisé dans le cadre de l’enseignement/ apprentissage d’une langue étrangère, adapté à ses spécificités et décliné dans ses modalités d’enseignement.
Puis, la réflexivité, c’est-à-dire le « savoir-analyser » (Altet, 1996) sa pratique, ses finalités, son déroulement, sa pertinence (« La pratique réflexive postule implicitement que l’action fait l’objet d’une représentation. L’acteur est supposé savoir ce qu’il fait, il peut donc s’interroger sur les mobiles, les modalités et les effets de son action. » [Perrenoud, 2001 : 131]), doit figurer dans l’enseignement/ apprentissage des langues puisqu’elle est nécessaire à l’évolution de la compétence, parce qu’elle permet à l’apprenant d’améliorer son apprentissage. Là encore, la réflexivité doit faire l’objet d’une réflexion attentive aux particularités de l’enseignement/ apprentissage des langues étrangères.
Ensuite, il convient de s’interroger sur l’importance à accorder à l’éthique dans l’enseignement/ apprentissage des langues étrangères, en relation en particulier avec le travail collectif, en lien aussi avec la question du plagiat, une pratique trop courante actuellement parce que facilitée par Internet, et une pratique perçue différemment selon les cultures d’appartenance des apprenants (et des enseignants).
De plus, à tous les savoirs/ savoir-faire/ savoir-être que nous avons énumérés dans cet article, peut en être ajouté un autre : le savoir s’opposer aux autres, nécessaire dans les moments collectifs d’apprentissage d’une langue et indispensable dans la vie professionnelle. Se demander comment concrétiser méthodologiquement ce savoir s’opposer n’est pas perte de temps, car le savoir s’opposer permet de confronter ses idées, de les faire évoluer et aussi de développer les moyens de résister à des injonctions contraires à ses buts, à ses valeurs éthiques, des moyens dont l’exercice ne se limite pas à la classe, mais qui trouvent aussi un champ d’application dans le milieu professionnel.82
Enfin, former des acteurs sociaux impose impérativement de réfléchir au pouvoir d’agir des apprenants (le pouvoir d’agir ne se limite pas aux enseignants). Cette question remet au premier plan la pédagogie humaniste (Dewey83, Rogers84, Freinet85…), centrée sur l’apprenant, sur le groupe, ses besoins, ses affects, contrôlée par une évaluation formative attentive aux développements des apprentissages.
Conclusion
La Perspective actionnelle enrichie des notions véhiculées par la version humaniste de la compétence développée par le monde du travail, enrichie des propositions apportées par certains des articles de ce numéro de la revue des Travaux de didactique du français de langue étrangère et par les apports des divers didacticiens qui œuvrent au développement de la Perspective actionnelle, pourra espérer échapper au reproche que l’on fait à l’approche par compétences (une méthodologie qui entretient un air de famille prononcé avec la Perspective actionnelle ) : « L’APC s’inspire d’une conception de l’apprentissage et de l’éducation qui vise avant tout la rentabilité et emprunte largement à l’idéologie du monde industriel. Elle recourt à la « modélisation » de la pensée et des comportements et néglige des visées plus larges sur les plans culturel et social ou encore, les réduit à des comportements observables. » (Boutin, Julien, 2000 : 70). S’opposant nettement à une conception néo-libérale de l’enseignement plus préoccupée des résultats à atteindre (restreints à ceux qu’elle juge pertinents pour les marchés du travail) que de la manière de les atteindre, la Perspective actionnelle, sans aucunement délaisser la maîtrise des savoirs/ savoir-faire/ être langagiers et culturels, affichera alors nettement son approche humaniste de l’enseignement/ apprentissage des langues et pourra ainsi s’attacher à concrétiser l’un des objectifs du Conseil de l’Europe qui est de : « Promouvoir des méthodes d’enseignement des langues vivantes qui renforcent l’indépendance de la pensée, du jugement et de l’action combinée à la responsabilité et aux savoir-faire sociaux. » (CECRL, 2001 : 11).
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Notes
1 « Une économie globale […] : c’est une économie capable de fonctionner comme unité en temps réel à l’échelle planétaire. » (Castells, 1998 : 121).
2 Zarifian souligne la montée en puissance de la logique de service dans le secteur économique : « Si l’on regarde maintenant la logique des innovations, on s’aperçoit qu’elles deviennent de plus en plus des innovations de services, dont la technologie n’est plus que le support. On n’attire plus le client avec de beaux produits et un bel étalage, pour l’achat d’un jour, comme sur un marché du dimanche. On les attire par des services nouveaux qui les captent et les retiennent dans les filets de la firme. » (2005 : 171).
3 Ce que Zarifian appelle l’« événement » : « On entend ici par événement ce qui se produit de manière partiellement imprévue, surprenante, venant perturber le déroulement du système normal de production. Ces événements […], ce sont les pannes, les dérives qualités, les matières manquantes, les changements imprévus de programme de fabrication, une demande impromptue d’un client, etc. Bref, tout ce qu’on appelle des aléas. » (2001 : 36).
4 « les systèmes techniques, en devenant hautement intégrés, deviennent vulnérables et […] les systèmes opérationnels, en étant plus décentralisés, accroissent les risques de fragilité ou d’incohérence. » (Le Boterf, 1994 : 28).
5 Le monde du travail s’est en effet tourné non vers le développement sociolinguistique qu’a donné, de la compétence, Hymes, mais vers le concept de compétence de Chomsky entendu comme capacité de création face à l’inattendu des situations langagières, ainsi que le confirme Parlier : « (Avec la compétence de Chomsky, j’ajoute) Il ne s’agit donc pas de reproduire des conduites apprises mais de créer en permanence de nouveaux « comportements linguistiques ». L’aspect remarquable de cette approche est précisément cette valeur adaptative de la compétence. Cette distinction nous paraît tout aussi pertinente en Gestion des ressources humaines qu’en linguistique et l’on peut la transposer sans hésitation : la performance est une expression de la compétence. » (1994 : 98, je souligne).
6 Chomsky dans Aspects de la théorie syntaxique (1965, trad. Fr. 1971) met l’accent sur l’« aspect créateur de l’acte linguistique » (1971 : 17) en introduisant le concept de compétence ou « système sous-jacent de règles qui a été intériorisé par le locuteur-auditeur et qu’il met en usage dans sa performance effective. » (1971 : 13). Ce système intériorisé permet d’expliquer le fait qu’avec un nombre fini d’éléments langagiers l’être humain peut engendrer un nombre infini de phrases et s’adapter à des situations d’interlocution toujours renouvelées : « C’est une propriété essentielle du langage que de nous fournir le moyen d’exprimer un nombre indéfini de pensées et de réagir de façon appropriée dans une série indéfinie de situations nouvelles [...]. » (1971 : 16).
7 « Leur objectif (des recherches américaines en psychologie différentielle dans les organisations industrielles, j’ajoute) était d’identifier chez les individus les paramètres influençant les performances dans le travail. » (Oiry, 2003 : 53).
8 « Cette vision (celle de la compétence professionnelle, j’ajoute) est essentiellement instrumentaliste ; en effet, l’entreprise voit dans l’acquisition de compétences un outil au service de sa productivité, de sa compétitivité et du développement de l’employabilité de son personnel. » Demeuse, Strauven, (2013 – 1re éd. 2006 − : 8).
9 Cette orientation humaniste est singulièrement oubliée des contempteurs de la compétence, tel Migeot qui écrit : « Ainsi, derrière des « besoins » (langagiers) qu’on veut présenter comme étant ceux de l’individu vont, en fait, très vite se profiler les besoins de l’économie et du marché. Ces « besoins » supposés satisfaire l’épanouissement des citoyens, sont en fait imposés par le marché et par la mobilité qu’il impose, au sein de l’Europe, à un individu sommé de s’y plier pour préserver ses chances de tenter d’y trouver un emploi et sommé simultanément de s’adapter et de se soumettre au conditionnement qui lui est imposé en douceur par les experts pour son « épanouissement », mais en fait pour sa meilleure adaptation aux valeurs de l’économie néo-libérale. » (ici même), tel Hirtt qui affirme que : « Dès que l’on gratte un peu le discours romantique de certains pédagogues, l’approche par compétences se dévoile pour ce qu’elle est : une conception de l’éducation entièrement vouée à faire de l’école un instrument docile au service de la rentabilité et du profit. » (2009 ; 36). Ces détracteurs de la compétence se contentent de poser l’équivalence : compétence = néo-libéralisme, pour condamner l’approche par compétences sans plus d’examen, sans tenir compte du fait que « ces caractéristiques (culture du résultat/ manifestation de l’exercice du pouvoir etc.) relèvent de la compétence telle qu’elle est apparue dans les référentiels et dans le monde de l’entreprise. Il n’est pas certain que la notion conserve ces traits négatifs dans d’autres champs de pratiques et, par exemple, lorsqu’on examine l’usage qui en est fait dans le champ de l’enseignement et de l’éducation. C’est là une distinction que refusent de faire beaucoup de commentateurs qui, ayant relevé que la notion de compétence a son origine dans le monde de l’entreprise privée et est un outil au service de l’économie libérale, considèrent qu’elle est définitivement frappée d’opprobre dans tous les domaines. » (Rey, 2014 : 24/25), et sans vraiment étudier les apports que cette notion pourrait représenter, notamment dans la didactique des langues.
10 Bronckart et Dolz, se positionnant dans le domaine éducatif, reprennent cette distinction entre les deux aspects de la compétence : « L’émergence de la logique des compétences peut sembler s’inscrire dans ce mouvement permanent d’adaptation, en ce qu’elle propose une appréhension des capacités des apprenants qui est moins liée à la maîtrise de savoirs formels ou scolarisés dont on sait qu’ils contribuent peu à la mobilité sociale. Mais elle semble aussi procéder d’un mouvement antagoniste, néo-libéral, indifférent aux objectifs de démocratisation-socialisation, et qui vise essentiellement à former des agents aptes à se montrer efficaces dans des situations de travail en constante mutation. » (2002 : 30).
11 Roegiers, en se situant dans le domaine éducatif, exprime parfaitement cette conception humaniste de la compétence : « la compétence est au service de l’individu. Elle se développe chez lui progressivement de manière à constituer un potentiel qu’il peut mobiliser lorsqu’il en a besoin. Elle existe donc indépendamment de la façon dont l’environnement exploite cette compétence. » (2010 : 243).
12 Leplat exprime ainsi cet aspect de la compétence : « La compétence est une notion abstraite et hypothétique. Elle est par nature inobservable : ce qu’on observe ce sont des manifestations de la compétence » (1991 : 266).
13 « On définira les compétences par tout ce qui est engagé dans l’action organisée et tout ce qui permet de rendre compte de l’organisation de l’action. » Terssac (2011 – 1re éd. 1996 - : 234).
14 « Dans tout acte de travail se trouve engagée une puissance de pensée et d’action qui est inhérente au sujet humain de par sa constitution physique et ses dispositions psychiques et intellectuelles. » Zarifian, (2009 : 1).
15 « En ce sens, ce qu’une compétence est capable de produire, c’est une action visant un but et donc intentionnelle et non pas seulement un comportement. Car un comportement, au sens que le behaviourisme a donné à ce terme, est une action qui n’est pas nécessairement accomplie en vue d’un but. » Rey, Carette, Defranc, Kahn, (2012 : 14/15).
16 « Une action peut être réussie par tâtonnements, par essais et erreurs, par hasard, et – à la limite – par « bidouillage » ; elle ne signifie pas que la personne qui l’a réalisée possède la compétence correspondante. » Le Boterf, (2013 – 1re éd. 2000 - : 106).
17 Ces deux caractéristiques de la compétence (action et action contextualisée) sont ainsi formulées par Oiry : « La compétence est contextualisée. Finalisée, la compétence ne peut être définie que dans une situation précise. Il n’existe pas de compétence détachée de l’action. » (2003 : 58).
18 D’où l’expression de « compétences pour » utilisée par Montmollin, (2011 – 1re éd. 1996: 193).
19 « That term (i.e. « situated action ») underscores the view that every course of action depends in essential ways upon its material and social circumstances. Rather than attempting to abstract action away from its circumstances and represent it as a rational plan, the approach is to study how people use their circumstances to achieve intelligent action. » (Suchman, 1987 : 50).
20 « Il ne s’agit pas ici de « savoir décrire » une procédure (de résolution d’une équation du second degré, de récupération d’accident, de dépannage électronique, d’élaboration d’un plan de formation…), mais d’en maîtriser la mise en œuvre. » Le Boterf. (2002 – 1re éd. 1997 -: 124).
21 Piaget définit le schème d’une action comme « la structure générale de cette action, se conservant au cours de ses répétitions, se consolidant par l’exercice et s’appliquant à des situations qui varient en fonction des modifications du milieu. » Problèmes de psychologie génétique, Dunod/Gonthier, 1972, cité par Le Boterf (2010 b − 1re éd. 2000 − : 82).
22 Et par cette introduction du psychologique avec les savoir-être, la compétence se démarque de la qualification limitée aux savoirs et savoir-faire : « la compétence couvre des savoir-faire mais aussi des ‟comportements”, des ‟attitudes” […]. » Oiry, (2003 : 64).
23 « quel que soit le secteur (donc y compris dans des secteurs industriels et agricoles), les situations sont de plus en plus orientées vers le service à offrir et à rendre à des destinataires. Ces destinataires peuvent être des clients, des usagers, des citoyens, des publics, voire des collègues. » Zarifian, (2009 : 160).
24 Le Boterf insiste sur le caractère central du savoir coopérer dans le collectif de travail : « Les gains de productivité ou de performance d’une équipe ou d’un collectif de travail se situent de plus en plus dans les interactions entre leurs membres, dans la qualité des relations qu’ils entretiennent entre eux. Les exigences d’efficacité collective font que les salariés doivent non seulement être capables de tenir un poste de travail mais également de coopérer entre eux. La performance collective d’une équipe est largement fonction de la qualité de la coopération entre les équipiers. » (2010 − 1re éd. 2008 − : 18).
25 Le Boterf revient sur l’importance du savoir-dire en affirmant : « Pour partager ses pratiques avec d’autres, il faut savoir et pouvoir les expliciter. » (2008 : 60).
26 Boutet, J., 2005 : 19.
27 « La compétence consiste à mobiliser des savoirs qu’elle a su sélectionner, intégrer et combiner. Elle puise dans un équipement pouvant être considéré comme un pôle de ressources. » (Le Boterf, 1994 : 73).
28 Montmollin classe ce savoir-faire intégrateur dans les métaconnaissances : aux « savoirs théoriques (connaissances déclaratives et procédurales, en général verbalisables) » (1996 : 193), et aux « savoirs d’action (savoir-faire, à la limite des routines en général difficilement verbalisables […]) », Montmollin ajoute « des métaconnaissances, indispensables pour agir réellement. On entend par ce terme des connaissances de l’opérateur sur ses propres connaissances, permettant leur gestion ici et maintenant, en fonction de l’évolution des situations. On pourrait les caractériser comme des savoirs de mise en œuvre des savoirs ; ce sont des savoirs d’action par excellence. » (1996, − 1re éd. 2011 − : 193/94).
29 Minet, dès 1995, soulignait l’importance de ce savoir-mobiliser : « Or ce qui caractérise une compétence, c’est moins la « quantité » ou la « qualité » des savoirs qu’elle recouvre mais essentiellement la dynamique de leur mise en œuvre dans un contexte donné. » (1995 : 28).
30 «Les connaissances conditionnelles (également connaissances stratégiques) se réfèrent aux conditions de l’action. Les connaissances conditionnelles concernent le quand et le pourquoi. » (Tardif, 1997 : 52).
31 Rey insiste de même sur le savoir mobiliser à bon escient : « C’est donc dans cette‟ mobilisation” à bon escient de ces savoirs et savoir-faire que repose le secret de la compétence et non dans leur seule détention. » (2014 : 61).
32 Perrenoud souligne ce point : « l’action peut échouer parce que le sujet n’a pas constitué les ressources nécessaires ou parce qu’il en dispose mais n’arrive pas à les mobiliser à temps. » (2002 : 56).
33 « Le savoir combinatoire est au cœur de toutes les compétences. » le Boterf, (2002 − 1re éd. 1997 − : 14).
34 Pastré affirme que « l’essentiel de la compétence est dans la capacité de diagnostic de situation » (2011 : 172). Rey, quant à lui, insiste aussi sur le cadrage de la situation, préliminaire à la mise en œuvre de la compétence : « Une phase essentielle dans le fonctionnement de la compétence [...] est l’interprétation de la situation à laquelle l’acteur est confronté. Par interprétation, nous entendons cette opération par laquelle, face à une situation et d’une manière qui peut être réfléchie ou non, on sélectionne certains aspects qu’on tient pour pertinents et on néglige les autres. » (2014 : 51).
35 « Savoir combiner, c’est aussi savoir ne pas utiliser toutes les ressources disponibles ; c’est savoir discerner celles qui sont les plus utiles dans un contexte donné. » (Le Boterf, 2013 − 1re éd. 2000 − : 112).
36 Masciotra, Morel, (2008 : 115).
37 Perrenoud détaille ainsi ce savoir-mobiliser : « Mobiliser, ce n’est pas seulement « utiliser » ou « appliquer », c’est aussi adapter, différencier, intégrer, généraliser ou spécifier, combiner, orchestrer, coordonner, bref conduire un ensemble d’opérations mentales complexes, qui, en les connectant aux situations, transforment les connaissances plutôt qu’elles ne les déplacent. » (2002 : 46).
38 Fait que signale Le Boterf : « Le schème est la trame qui permet de construire une combinaison dynamique de ressources (connaissance, savoir-faire, qualités, culture, ressources émotionnelles, savoirs formalisés, réseaux d’expertise…). » (2013 − 1re éd. 2000 − : 85).
39 Tardif met l’accent sur l’efficacité qui caractérise le savoir-mobiliser en écrivant qu’il constitue une: « mobilisation et […] combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (Tardif, 2006 : 22).
40 Witte faisait référence déjà à ces aspects de la compétence en écrivant que la compétence, dans l’emploi courant, non conceptualisé, désigne quelque chose « qui aurait à voir avec une certaine efficacité dans l’action, un grand « savoir-faire », une sorte d’élégance du geste, d’économie de moyens pour une grande efficacité, de « flair » pour repérer où est le cœur du problème et dans quelle direction il faut chercher la solution. Bref, ce qui ferait l’efficacité, le brio, la vélocité du professionnel : le ‟pro” ». (1994 : 24/5).
41 Pour Clot, le style est un « affranchissement des présupposés génériques de l’action […] » (2008 : 112), est « le retravail des genres en situation » (2008 : 109). Marque de l’appropriation en situation, par un individu, du genre professionnel, il peut être considéré « comme une métamorphose du genre en cours d’action. » (Idem : 110), lorsque ce dernier est impuissant à cadrer l’action : « Les styles ne cessent de métamorphoser les genres professionnels qu’ils prennent comme objet de travail sitôt que ces derniers se « fatiguent » comme moyen d’action. » (Ibid. : 109).
42 Conception que l’on retrouve dans la définition de la compétence que donne Allal : « un réseau intégré et fonctionnel constitué de composantes cognitives, affectives, sociales, sensorimotrices, susceptible d’être mobilisé en actions finalisées face à une famille de situations. » (2002 : 81).
43 Le Boterf insiste sur cette dimension réflexive de la compétence en écrivant que : « Pour traiter de la compétence d’un professionnel, il est insuffisant de raisonner en deux dimensions (les pratiques et les ressources) : il faut y inclure une troisième (la réflexivité). » (2010 − 1re éd. 2008 − : 60), ou que : « La capacité de prise de recul, de distanciation critique, ou en d’autres termes la capacité de réflexivité est une composante essentielle du professionnalisme. » (Idem, 2010 − 1re éd. 2008 − : 60).
44 Terssac rejoint ce point de vue : « Les compétences permettent d’autre part, de générer d’autres savoirs à partir d’un “retour sur l’action réalisée” visant la transformation des actions développées en savoirs, pour apprendre de l’action réalisée, c’est-à-dire pour transformer l’action en connaissances sur l’action […]. » (2011 − 1re éd. 21996 − : 238).
45 La réflexivité fait partie de ce que Carré appelle l’« apprenance » : « Attitude d’ouverture, de réceptivité, mais aussi de recherche et de création des occasions d’apprendre, l’apprenance recouvre à la fois la posture mentale, la capacité et le désir de tirer de ses environnements les ressources nécessaires au développement de connaissances, habiletés, comportements nouveaux ou à la modification des anciens. » (2005 : 109).
46 Les genres professionnels (autre désignation des « genres sociaux d’activité » mentionnés précédemment) « sont les antécédents ou les présupposés sociaux de l’activité en cours, une mémoire transpersonnelle et collective qui donne sa contenance à l’activité personnelle en situation : manières de se tenir, manières de s’adresser, manières de commencer une activité et de la finir, manières de la conduire efficacement à son objet. » Clot, (2008 :107).
47 Au sens de Wenger, pour qui une communauté de pratique se structure certes autour de : « 1/ mutual engagement ; 2/ a joint entreprise; » (1998 : 73), mais aussi de « 3/ a shared repertoire. », (Idem : 73) (1/ un engagement mutuel ; 2/ un commun esprit d’initiative ; 3/ un répertoire partagé. » (traduction personnelle).
48 Zarifian définit ainsi une organisation apprenante : « apprendre de l’instabilité et des mutations, et donc devenir actif face à cette instabilité, apprendre à s’affronter positivement au devenir (qui par définition est incertain). Et le faire ensemble, dans des démarches communicationnelles. » (2003 : 105).
49 «Une image de soi positive et évolutive constitue un pré-requis à la production des pratiques professionnelles adaptées aux problèmes à résoudre ou aux projets à réaliser. » (Le Boterf, 1994 : 72).
50 « C’est la confiance accordée à un individu par quelqu’un d’autre ou par un collectif qui crée la pression morale et la tension intérieure qui poussent à assumer une responsabilité. Une responsabilité se crée du fait qu’elle a été confiée à quelqu’un, et la capacité de l’assumer se crée parce qu’une confiance a été manifestée. » (Lichtenberger, 1999 : 84).
51 Tous ceux qui ont réfléchi sur la compétence soulignent cette dimension de reconnaissance sociale inhérente à la compétence, que ce soit par exemple :
- Zarifian, pour qui la compétence comporte « le fait d’être reconnu comme expert par le jugement des autres : est compétent celui qui a fait ses preuves et qui a montré dans la pratique qu’il possédait l’expertise nécessaire, qu’on pouvait lui faire confiance. » (1994 : 113) ;
- ou Hillau qui affirme que « La compétence comporte une dimension de reconnaissance sociale »: (1994 : 70) ;
- ou Le Boterf : « Recherchant la reconnaissance d’autrui, ne poussant s’en passer, le professionnel aime la complexité et l’incertitude. » (1994 : 18).
52 Dejours rappelle l’importance de la reconnaissance pour la mobilisation du sujet au travail : « La reconnaissance n’est pas une revendication marginale de ceux qui travaillent. Bien au contraire, elle apparaît comme décisive dans la dynamique de la mobilisation subjective de l’intelligence et de la personnalité dans le travail (ce que classiquement on désignait en psychologie par le terme « motivation au travail ») ». (1998 : 40).
53 Clot et Gollac insistent sur la place à allouer à l’analyse réflexive et collective des pratiques afin que les employés ne se retrouvent pas dans des situations de travail pathogènes en affirmant qu’un travail durable de qualité permettant de « faire son métier, au sens fort du terme, n’est pas possible sans pouvoir se ‟décoller” de soi-même à l’aide d’une organisation du travail qui encourage l’exercice en assumant ses propres battements. »
54 Lichtenberger rend compte du pouvoir agir, qu’il dénomme « pouvoir de faire » (1999 : 82), ainsi: « Le pouvoir de faire, c’est autre chose que les savoirs, cela renvoie à quelque chose d’un peu oublié dans la qualification qui sont les moyens que l’organisation donne au salarié pour faire. Les moyens, ce sont bien sûr des équipements et des outils de travail et leur disposition spatiale, ce sont aussi des modes d’encadrement et des formations, ce sont tout autant des ressources extérieures auxquelles le salarié peut avoir accès, le fait qu’il y ait des services maintenance ou qualité auxquels le salarié puisse faire appel quand il en a besoin ; mais dans les moyens il y a aussi […] la capacité de l’entreprise à être claire sur ses enjeux et sur la façon dont ses enjeux se déclinent ou se concrétisent jusqu’au niveau du travail de chaque exécutant. » (1999 : 82).
55 Lichtenberger rappelle que la compétence peut très facilement dériver vers « la traduction d’un surcroît d’exigence vis-à-vis du salarié, du technicien jusqu’à l’opérateur, celui d’avoir à s’organiser lui-même, à prendre sur lui pour répondre aux insuffisances du travail prescrit face aux fluctuations des demandes du client et à la variété des événements en production. » (1999 : 71).
56 Jonnaert, dans sa définition de la compétence, résume bien les traits saillants de cette notion : « Une compétence est une mise en œuvre, par une personne particulière ou par un groupe de personnes, de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire ou de savoir devenir dans une situation donnée. » (2009 : 38).
57 Perrenoud désigne implicitement la présence de ce savoir-mobiliser dans la compétence lorsqu’il écrit : « Mieux vaut, à mon avis, accepter le fait qu’il arrive, tôt ou tard, un moment où l’expert nanti de connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles les plus fiables et les plus étendues, doit juger de leur pertinence par rapport à la situation, les mobiliser à bon escient. Or, ce jugement dépasse la mise en œuvre d’une règle ou d’une connaissance. » (1997 : 9).
58 Ce qu’affirme Jonnaert à propose de la compétence en sciences de l’éducation vaut aussi pour la compétence dans le monde du travail : « En science de l’éducation, la compétence fait certes aussi référence à des ressources cognitives, certaines d’entre elles étant peut-être innées. Mais elle fait aussi référence à bon nombre d’autres ressources (sociales/ matérielles …, j’ajoute). La compétence en sciences de l’éducation se dégage de son enfermement cognitif pour prendre en considération une série d’éléments qui interviennent dans la réalisation d’une action en situation par un sujet. » (2009 : 32).
59 Jonnaert regroupe la dimension psycho-affective de la compétence sous le terme de Conation en citant Danvers : « Comportements et conduites humaines relevant de l’affectivité, de l’émotion, de la volonté et de la motivation. Le domaine conatif concerne les intérêts, les attitudes, les valeurs. Le terme conatif désigne le caractère, le tempérament, la personnalité par exemple, l’anxiété, l’image de soi, etc. » (Danvers, 1992 : 54), cité par Jonnaert, (2009 : 45).
60 Ne voir aucune connotation religieuse, aucun relent de mysticisme dans l’emploi de ce terme, qui est pris ici dans son acception photographique.
61 Roegiers va plus loin encore, puisqu’il étend cette influence de l’idéologie socio-économique jusqu’au niveau des chercheurs : « les chercheurs subissent plus qu’ils ne veulent le croire l’influence des courants socio-économiques ambiants. » (2010 : 114).
62 La référence au taylorisme apparaît nettement dans cette description de la classe audiovisuelle que fait Girard : « Dans les conditions normales de l’organisation scolaire annuelle – au niveau secondaire – le facteur temps semble primordial si on pense que le professeur ne dispose en moyenne que d’une centaine d’heures d’enseignement par groupe d’élèves et par année scolaire, ce qui normalement devrait le contraindre à une grande économie et à un dosage savant des différentes activités. La classe de langue doit, idéalement, être conçue comme un mécanisme de précision. » (1969 : 22, je souligne).
63 Ce qu’énonce clairement Un niveau-seuil : « Dans le système actuellement mis au point par le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe, trois principes fondamentaux sont à la base de la spécification des objectifs d’apprentissage, qui doivent être :
1. axés sur les besoins ;
2. centrés sur l’apprenant ;
3. fonctionnels. » (1976 : V).
64 Projet lancé en 1991, présenté dans une version provisoire en 1996, puis dans sa version définitive en 2001 (Didier).
65 La compétence, dans Le Cadre, est définie classiquement selon la tripartition savoir/ savoir-faire/ savoir être remontant « aux années 60, sous l’influence des psychosociologues et des animateurs socio-culturels » (Le Boterf, 1994 : 9) : « Les compétences sont l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d’agir. » (CECRL, 2001 : 15).
66 Dans cette définition de la conception du langage retenue par Le Cadre peut se lire une référence à la « pragmatique étendue », dépassement de la pragmatique austinienne, couplant activité langagière et action physique, telle que développée par Roulet (1999), Filliettaz (2002), Vernant (1997) et que ce dernier définit ainsi: «une pragmatique, conçue non plus seulement comme étude des usages effectifs du langage, mais définie comme véritable théorie générale de l’action, dans ses dimensions langagières et non langagières. » (1997 : 20)
67 Rey et alii définissent ainsi la tâche : « Une tâche a un sens et une fonction au sein des activités socialement reconnues d’une culture donnée. » (2012 : 15).
68 Cf. Nunan, D., 1989, Designing Tasks for the Communicative Classroom, Cambridge University Press; Willis, J, 1996, A Framework for Task-Based Learning, Longman; Ellis, R., 2003, Task-based Language Learning and Teaching, Oxford University Press, etc.
69 « Une tâche est un plan de travail qui demande aux apprenants de traiter pragmatiquement le langage dans le but de réaliser un résultat qui puisse être évalué en termes de savoir si le contenu propositionnel correct ou approprié a été communiqué. À cette fin, la tâche requiert des apprenants qu’ils accordent une attention fondamentale au sens et qu’ils utilisent leurs propres ressources linguistiques, même si la conception de la tâche peut les prédisposer à choisir des formes particulières. Une tâche est conçue pour aboutir à une utilisation du langage qui ait une ressemblance, directe ou indirecte, avec la façon dont le langage est utilisé dans le monde réel. » − traduction personnelle).
70 Rôle que tenaient les stratégies communicatives dans le modèle de la compétence de communication de Canale et Swain (1979) ainsi qu’il apparaît dans la définition suivante : « communication strategies that speakers employ to handle breakdowns in communication : for example, how to deal with false starts, hesitations, and other performance factors, how to avoid grammatical forms that have not been mastered fully, how to address strangers when unsure of their social status − in short, how to cope in an authentic communicative situation and how to keep the communicative channel open. » (1979 : 25).
71 « Apprendre à apprendre une langue étrangère, faire découvrir à l’apprenant ses propres stratégies d’apprentissage, le rendre capable de les développer et de les exploiter, lui apprendre à devenir autonome, tels sont quelques-uns des traits marquants de la pédagogie et de la didactique actuelles. » (Richterich, 1985 : 13).
72 L’autonomie a été définie par Holec comme « la capacité de prendre en charge son propre apprentissage. » (1979 : 3) dans toutes ses étapes, de la détermination des objectifs jusqu’à l’évaluation des apprentissages : « Prendre en charge son apprentissage, c’est avoir la responsabilité , et l’assumer, de toutes les décisions concernant tous les aspects de cet apprentissage, c’est-à-dire : la détermination des objectifs ; la définition des contenus et des progressions, la sélection des méthodes et techniques à mettre en œuvre, ; le contrôle du déroulement de l’activité proprement dite (rythme, moment, lieu, etc.) ; l’évaluation de l’acquisition réalisée. » (Holec, 1979 : 18).
73 Carré signale pour le début des années 90 que : « La montée en puissance des thèmes de la capacité à apprendre, des compétences d’autoformation, de l’autodirection accompagne l’ensemble des discours et des recommandations sur l’importance stratégique du développement permanent des compétences dans les pays concernés par l’économie du savoir. » (2005 : 37).
74 « La plupart (des apprenants, j’ajoute) apprennent de manière réactive en suivant les instructions et en réalisant les activités que leur proposent enseignants et manuels. Néanmoins, lorsque l’enseignement proprement dit s’arrête, l’apprentissage qui suit doit se faire en autonomie. L’apprentissage autonome peut être encouragé si l’on considère « qu’apprendre à apprendre » fait partie intégrante de l’apprentissage langagier, de telle sorte que les apprenants deviennent de plus en plus conscients de leur manière d’apprendre, des choix qui leur sont offerts et de ceux qui leur conviennent le mieux. » (CECRL : 110).
75 Terme très utilisé par les théoriciens de la compétence dans le monde du travail, nous l’avons vu, et très fréquent dans le Cadre (un indice supplémentaire du jeu d’influences entre les deux sphères de la production économique et de la didactique des langues) avec notamment le sens de compétences : « les ressources de l’apprenant (ses compétences) [….]. » (CECRL, 2001 : 29).
76 Cette conception de la compétence se retrouve chez les tous les promoteurs de la compétence dans les systèmes éducatifs : Perrenoud (2002), Scallon (2004), Miled (2005), Tardif, (2006), Roegiers (2010), etc.)
77 La mobilisation dans les tâches des savoirs, savoir-faire, savoir-être constitutifs de la compétence à communiquer langagièrement et des compétences générales individuelles signifie que ces différents types de savoirs/ faire/ être doivent être acquis ou disponibles préalablement. La mobilisation de la notion de compétence dans le Cadre ne tombe donc pas sous la critique faite à l’approche par compétences qui se voit reprocher par certains didacticiens de « relègue(r) au second plan et néglige(r) les contenus propres aux disciplines enseignées : le savoir et le savoir-faire » (Hirtt 2009 : 16, je modifie). La compétence dans le Cadre s’inscrit dans « une approche qui met les situations au cœur des apprentissages : c’est une approche situationnelle […]. » » (Roegiers, 2010 : 26) où les savoirs/ savoir-faire/ être, déjà acquis ou après acquisition, sont mis en situation, réinvestis dans des tâches, des projets. Cette conception didactique est particulièrement pertinente pour l’enseignement/ apprentissage des langues car une langue sert fondamentalement à inter-agir dans le monde réel et n’est pas prétexte à développer uniquement des savoirs sur elle.
78 Puren, C., juil. / août/ sept. 2002, « Perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique des langues-cultures : vers une perspective co-actionnelle et co-culturelle », in Les langues modernes, n°3.
80 Le Boterf, dès 1994, soulignait l’importance de l’image de soi dans la mobilisation de la compétence : « La confiance en soi ou l’appréciation de ses potentialités sont des facteurs tout aussi décisifs que les opérations d’inférence ou que les savoirs mémorisés ». (1994 : 44).
81 Pour la distinction « tache » vs « projet », c’est-à-dire activité contrainte vs activité créative, cf. Richer, 2012 : 153 et seq.
82 Clot et Gollac affirment en effet : « L’institution du conflit dialogique est encore le meilleur moyen qu’on connaisse pour ne pas tricher avec le réel. La santé et l’efficacité en dépendent sûrement. » (2009 : 165).
83 Dewey J., 1968, Expérience et éducation, Paris : A. Colin.
84 Rogers, C., 1976, Liberté pour apprendre ?, Paris : Dunod.
85 Freinet, C., 1969, Pour l’école du peuple, Paris : Maspéro.