N°72 / Les approches par compétences en didactique des langues : diversité et enjeux, apports et limites

L'approche par les compétences dans les classes de FLES en structures d'insertion par l'activité économique

Joséphine Makanga Mboumba

Résumé

Résumé :

Le présent article est un compte rendu d’observation sur l’utilisation de l’approche par compétences (APC) dans la classe de français langue étrangère et seconde (FLES) en contexte d’insertion par l’activité économique (IAE). Une part de demandeurs d’emploi ne maîtrise pas la langue française ; cette difficulté augmente l’éloignement à un emploi durable. À travers, une observation participative active dans des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) du Val de Marne et sous une approche sociodidactique, je mets en exergue l’emploi et l’intérêt de l’APC dans ce contexte d’un point de vue didactique et pédagogique. Il a été constaté différents types de classes de FLES puisque le développement de compétences en français ne s’effectue pas uniquement dans la classe de FLES traditionnelle, mais aussi dans d’autres types de groupement comme le cours d’informatique ou de développement de savoir-être. L’APC en français est une nécessité dans l’accompagnement à IAE pour les salariés en difficulté linguistique. Il serait donc pertinent de porter des réflexions sur l’enseignement-apprentissage pour une langue française socioprofessionnelle en contexte d’insertion particulièrement.

Mots-clés : Accompagnement IAE ― Approche par compétences ― Classe de FLES ― Observation participative ― Politiques éducatives ― Sociodidactique ― Savoirs de base.

Abstract :

In this article, the subject was to make a report about the use of the competence-based approach (APC) in the classroom of French as a foreign language (FLES) in insertion by economic activity (IAE). Sometimes the jobseeker does not speak French very well and this parameter is not advantageous for obtaining a stable job. Through mainly an active and participative observation in the insertion structure through economic activity (SIAE) of Val de Marne with a sociodidactic approach, I highlight the contribution and the interest of APC in this context from a didactic and pedagogical point of view. Some FLES classrooms were found where the development of the competences in the French language does not take place in the traditional FLES classroom, but in the other environment like I.T or skill development. APC in French becomes a necessity in the accompaniment to IAE for the employees with linguistic difficulty. It would therefore be relevant to reflect on teaching learning for a French socio-professional language in specific contexts of insertion.

Keywords : IAE – Competence Based Approach – FLES classroom – French language - Sociodidactic

 

Joséphine Makanga Mboumba - Reseauiae 94 (Ile de France)

josephinemakangamboumba@gmail.com

 

Mots-clés

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Introduction

Les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) accueillent, accompagnent et forment des personnes éloignées de l’emploi. Les bénéficiaires de l’insertion par l’activité économique (IAE) sont formés sur ce qui leur sera utile dans des situations de communication socioprofessionnelle au quotidien, de sorte qu’elle vise à développer des compétences que l’on soit dans une finalité professionnelle, sociale ou citoyenne. Ce parcours admet des personnes dont une part est dite en grande difficulté parce que l’éloignement du marché du travail est accentué par la non-maîtrise de la langue française. Pour cela, les structures du Val de Marne adhérentes au Réseau IAE 94 (RIAE 94) sollicitent des formations linguistiques collectives et personnalisées, celles-ci sont animées par des formateurs salariés et des animateurs bénévoles suivant les structures, à travers des référentiels, des méthodes de FLE ou propres aux formateurs, des programmes déterminés dans le cahier des charges (ou pas) par les décideurs. Toutefois, si cette problématique gagne du terrain en France, peu d’études sur la question de la formation linguistique en contexte d’insertion ont été menées, soit par des chercheurs – c’est le cas des travaux dirigés par Bretegnier Aude (2011), de l’étude de Adami Hervé (2012) ou du document réalisé par Duru Marie-Chantal avec la collaboration de Lenice Françoise (1999); soit par des spécialistes de la question de l’emploi, telle l’étude sur les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) d’Ile-de-France face aux situations d’illettrisme réalisée par Défi Métiers, le Carif-Oref francilien. Pourtant, même si des travaux sur les politiques éducatives à destination des migrants adultes se sont développés en France (et continue de l’être) comme le montre Hervé Adami dans son étude, la formation linguistique dans les SIAE va au-delà de ces politiques éducatives puisqu’elle rassemble plusieurs champs d’intervention autour d’un même objectif: «la maîtrise de la langue française comme dimension de l’insertion socioprofessionnelle» (Bretegnier 2011: XVI). Cet objectif ne concerne plus uniquement des migrants adultes pour qui le français serait une langue étrangère, mais également d’adultes (non migrants) en difficulté d’insertion professionnelle et pour qui le français constituerait un véritable frein sur la trajectoire de l’emploi pérenne ou de la formation qualifiante. Pour cette raison, je me suis interrogée d’un point de vue pédagogique et didactique sur la nécessité de l’approche par compétences (APC) dans un contexte d’insertion professionnelle. Pour conduire mon observation, j’ai choisi de cibler des salariés provenant de différentes structures d’insertion du Val de Marne adhérentes au Réseau IAE 94 (RIAE 94) qui ont été des terrains d’enquête facilement accessibles dans la mesure où je suis moi-même formatrice dans le RIAE. J’ai donc pu observer, échanger aussi bien avec les décideurs, les dirigeants, les encadrants, les formateurs, les animateurs et les salariés en insertion. La première partie de cette contribution est consacrée à la description du contexte qui permet de justifier le choix d’une approche sociodidactique. Ensuite, la seconde partie fait un compte rendu et une analyse des données observées sur le terrain. Pour finir, dans la troisième partie, je me permets de définir des pistes et des orientations relatives à l’enseignement-apprentissage du français dans un contexte d’insertion par l’activité économique.

 

1. Contextualisation sociodidactique de l’accompagnement IAE 

L’étude des pratiques didactiques ou pédagogiques sollicite une analyse du contexte parce que plusieurs facteurs peuvent exercer une influence sur l’enseignement et l’apprentissage d’une langue. Dans le cas de l’enseignement-apprentissage du français chez un public adulte, les principaux acteurs, notamment les formateurs (ou les animateurs) et les apprenants, portent un passé social, linguistique, pédagogique et didactique construit dans des contextes et des circonstances diversifiées et, qui ne devrait pas être ignoré. À ceci s’ajoute l’environnement sociolinguistique et socioculturel français (c’est-à-dire la France, sa langue et les variétés sociétales inhérentes) qui comporte aussi des influences majeures pouvant impacter tout projet d’enseignement-apprentissage. Cette dichotomie se traduit par une transmission et une acquisition des connaissances; et comme le souligne Fortin (2000: 139), « toute connaissance, bien sûr, s'inscrit à l'intérieur d'une société, d'une culture qu'elle peut difficilement dépasser et qui la polydétermine. Elle y puise sans cesse des concepts, des savoirs, des valeurs, croyances, coutumes qui la façonnent et la refaçonnent sans cesse. ». Ainsi, étudier l’usage de l’approche par compétences lors des formations linguistiques animées en milieu d’insertion par l’activité économique ne peut se faire sans comprendre son contexte socioprofessionnel et socioéducatif.

1.1. L’objectif de l’IAE

D’après le Ministère du travail :

« L’insertion par l’activité économique (IAE) permet aux personnes les plus éloignées de l’emploi, en raison de difficultés professionnelles particulières (âge, état de santé, précarité) de bénéficier d’un accompagnement renforcé qui doit faciliter leur insertion professionnelle. Des structures spécialisées, comme les entreprises d’insertion, les associations intermédiaires, les entreprises de travail temporaire d’insertion ou les ateliers et les chantiers d’insertion signent des conventions avec l’État qui leur permettrait d’accueillir et d’accompagner ces travailleurs. »

 

En d’autres mots, l’éligibilité à l’IAE (Insertion par l’activité économique) est conditionnée par le cumul de la recherche d’emploi associé aux difficultés sociales et professionnelles. Concrètement, un demandeur d’emploi qui connait des difficultés de logement, de langue française est freiné dans son accès à un emploi durable. Pour cela, il peut être positionné sur le dispositif IAE dans des structures agréées. Il peut s’agir: d’un atelier et chantier d’insertion (ACI), d’une Association intermédiaire (AI), d’une Entreprise d’insertion (EI), d’une Entreprise de travail temporaire d’insertion (ETTI) ou d’une Régie de quartier (RQ). Cette dernière est soutenue par le territoire sur lequel elle est implantée et peut être une entreprise d’insertion (EI) ou un atelier et chantier d’insertion (ACI). Selon le Conseil d’orientation pour l’emploi (2014: 45-46):

  • Les ateliers et chantiers d’insertion (ACI) interviennent principalement dans le secteur non marchand et visent les personnes les plus éloignées de l’emploi ;
  • Les associations intermédiaires (AI) sont des associations de type loi 1901 qui mettent des salariés à disposition de particuliers, d’associations, de collectivités locales et d’entreprises pour la réalisation de travaux occasionnels ;
  • Les entreprises d’insertion (EI) sont des entreprises ou des associations de production de biens et services destinés à être commercialisés. Elles s’adressent à des personnes plus proches de l’emploi et leur proposent des contrats à durée déterminée d’insertion (CDDI) ;
  • Les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI) mettent des salariés à disposition d’entreprises clientes dans le cadre de missions d’intérim et s’adressent à des personnes proches de l’emploi.

En général, c’est dans les ACI et AI que l’on devrait retrouver le plus de personnes dont l’éloignement de l’emploi est plus important, puisque la problématique de la langue accentue « la distance à l’emploi ». L’éloignement de l’emploi d’une part de leurs salariés est défini par le manque de qualification et de communication en langue française d’où l’appellation, dans certains cas, de chômeurs ‘très éloignés de l’emploi’. Ainsi, les personnes inscrites dans les SIAE sont à la fois des salariés et des demandeurs d’emploi qui, à un moment ou à un autre, font face à des situations de communication en langue française.

1.2. La langue française, un frein à l’autonomie

Comme je l’ai déjà souligné, l’objectif final de l’accompagnement socioprofessionnel dans les SIAE est de permettre aux personnes éloignées de l’emploi d’entrer dans un emploi durable ou une formation qualifiante. Pour ce faire, les salariés sont dans une dynamique formatrice : retrouver l’envie d’apprendre, se (re)qualifier et se former. L’estime de soi et la confiance en soi, en leviers initiaux à leur autonomie, sont construites (acquises ou développées) par une maîtrise du français, des compétences de bases ou des savoirs de base (tout dépendra de la terminologie et de la finalité visée par l’organisme chargé de la formation linguistique, des directives des décideurs et/ou des financeurs). En obstacle final, le volet professionnel du parcours IAE permet de (re)qualifier les personnes concernées à travers un développement de compétences professionnelles et/ou clés.

En pratique, un salarié en insertion, comme toute personne résidente en France, va devoir accomplir des tâches pour régulariser une situation administrative. Il va ainsi mobiliser des compétences à travers des activités de lecture et d’écriture. Le salarié peut aussi être amené à rédiger une lettre formelle, à remplir un questionnaire ou un formulaire, à comprendre un courrier administratif, une facture, etc. En contexte formel ou informel, il devra entrer en contact avec d’autres personnes à l’oral comme à l’écrit : faire un paiement par chèque, lire un SMS, consulter le cahier de liaison de son enfant, discuter avec son enseignant ou avec les autres parents devant l’école, effectuer un achat, prendre part à une conversation, etc. En milieu professionnel, il va devoir comprendre des consignes pour accomplir des tâches, effectuer des missions, discuter avec les responsables et les collègues, lire et comprendre son planning, son contrat de travail, son bulletin de paie, en bref, il sera en permanence en interaction verbale, en prise de la parole en continu, etc. Dans le cas d’un migrant, en plus de l’acquisition et l’apprentissage linguistique, il devra aussi s’approprier la culture française afin de comprendre la société dans laquelle il vit pour mieux s’intégrer et s’insérer. Pour tout salarié en insertion socioprofessionnelle, il y a aussi le développement ou la mobilisation des savoir-être dans des situations de communication diverses. La langue française ainsi associée à la vie sociale, professionnelle et citoyenne est une condition sine qua non d’intégration et d’insertion en France ; sa non-maîtrise devient alors un obstacle important.

Cette exigence donne aux SIAE la responsabilité d’ôter ce frein afin de permettre aux salariés en difficulté un accès ou un retour à l’emploi durable, mais aussi le développement d’une estime de soi. Même si le but est l’accès à l’emploi pérenne à la fin de son parcours IAE, un salarié qui aura réglé les problématiques périphériques en sus de l’autonomie en langue française peut être considéré en sortie positive. La maîtrise du français étant un point clé à l’intégration et à l’insertion, la formation linguistique devient donc nécessaire pour remédier à la difficulté et pouvoir faire face aux diverses situations de communication.

Entre parenthèses, il est important de préciser que l’accompagnement IAE n’est pas l’unique solution pour les personnes éloignées de l’emploi en France. Mais, dans le cadre de cet article, je me suis particulièrement intéressée à l’approche par compétences pour l’enseignement du français dans des SIAE adhérentes au Réseau IAE 94.

Depuis 2013, le Réseau IAE 94 (RIAE 94) est chargé d’animer, de coordonner et de construire avec les SIAE adhérentes des projets de développement qui permettraient la promotion de l’insertion par l’activité économique dans le Val de Marne. En 2015, il devient aussi organisme de formation et propose des formations linguistiques mutualisées à ses structures membres. Aujourd’hui, il compte 26 SIAE adhérentes. Un grand nombre de ses formations linguistiques, dont le but est l’acquisition des savoirs de base, est financièrement soutenu par le département du Val de Marne à travers un cofinancement du Fond Social Européen (FSE).

Le RIAE propose des formations mutualisées hébergées par certaines SIAE. Chaque site de formation accueille des salariés venant d’au moins trois SIAE différentes. Une session de formation dure 105 heures par salarié, organisées en 7 heures par semaine, en une journée ou en deux demi-journées.

Parallèlement, pour pallier les difficultés en français, certaines structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) du Val de marne (94), adhérentes au RIAE 94, telles qu’Approche Insertion à Saint-Maur-des-Fossés, Ateliers sans frontières à Bonneuil-sur-Marne, Confluences Chantier d’insertion à Champigny, Fresnes Services à Fresnes, AEF à l’Hays-les-Roses, pour ne citer que celles qui sont concernées par mon observation, proposent également des formations linguistiques individuelles ou collectives en interne.

1.3. Les politiques éducatives de formation linguistique des adultes

La formation linguistique en SIAE implique deux orientations différentes: «il s’agit d’un double champ, celui du français langue étrangère et/ou seconde (FLE/S) et celui des savoirs de base.» (Extramania dans Bretegnier 2011: XV). La mission n’est pas facile pour les formateurs ou les animateurs du fait de l’hétérogénéité linguistique des salariés et de la diversité des politiques linguistiques mises en place. Ces dernières sont organisées selon les publics et les besoins, d’où des mesures d’accompagnement et des dispositifs divers. Selon Claire Extramania (idem) : «si la didactique du FLE/S commence à s’intéresser au public des migrants, les savoirs de base sont traités depuis longtemps en sciences de l’éducation et concernent avant tout les personnes n’ayant pas acquis à l’école les compétences nécessaires à l’insertion socioprofessionnelle». C’est sur ces politiques éducatives destinées aux adultes que se construit une multitude de cadres et de référentiels destinés au développement des compétences, d’où de nombreuses dénominations : compétences clés, compétences de base, compétence à communiquer langagièrement, savoirs de base, compétences transférables. Face à cette diversité terminologique, une grande confusion notionnelle se crée autour de la notion de compétence.

La diversité terminologique dont il est question ici va au-delà de la compétence linguistique défendue par Chomsky (1971) et de la compétence de communication d’Hymes (1972). Selon Chomsky, la compétence linguistique est un moyen d’expression de la pensée, une capacité innée qui permet à un individu de produire et de comprendre une infinité de phrases; formaliste et abstraite, elle est liée au système de la langue. En réaction à cette conception chomskyenne, Hymes emploiera la notion de compétence de communication qui adjoindra à cette compétence linguistique la dimension sociale de la langue, c’est-à-dire une compétence sociolinguistique. C’est cet aspect social qui sera ensuite repris et élaboré en didactique des langues, sous diverses formes, par de nombreux autres chercheurs et didacticiens dont Canale & Swain (1980), Moirant (1982), Bautier-Castaing (1983), Bergeron & al. (1984), le CECRL (2001, Beacco (2007), etc.

Omniprésente dans les politiques linguistiques éducatives, la notion de compétence tire son origine de l’environnement professionnel parce que c’est « la mise en œuvre de capacités en situation professionnelle qui permettent d’exercer convenablement une fonction ou une activité. » (Ardouin, 2006: 110). Sur sa trajectoire vers l’emploi, un salarié en insertion va devoir mobiliser des compétences langagières lors du développement des compétences professionnelles à travers l’accomplissement des tâches et des missions qui lui seront confiées. Par exemple, il devra comprendre une consigne afin d’en exécuter la ou les tâches, il a donc l’obligation de communiquer en français. Pour cela, il ne s’agira pas seulement de produire un discours oral ou écrit, mais aussi de pouvoir activer des mécanismes d’interprétation « afin de se former une représentation correcte de la tâche et de mettre en œuvre une procédure de réalisation. » (CUQ 2003: 53). Pour mettre en œuvre cette compétence transversale, d’autres compétences vont devoir être mobilisées. Le salarié va devoir formaliser « une dynamique complexe d’un ensemble structuré de savoirs (savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir agir, savoirs sociaux et culturels, savoirs expérientiels) mobilisés de manière finalisée et opératoire dans un contexte particulier » (Ardouin 2006: 259).

Pour ma part, puisque l’insertion par l’activité économique est située dans un environnement professionnel, je considère de facto la compétence comme « la résultante reconnue de l’interaction entre l’individu et l’environnement. » Ainsi, la notion de compétence, même transférée dans un contexte de formation linguistique, gardera toujours cette logique qui consiste à mobiliser des aptitudes, des attitudes et des connaissances pour pouvoir ‘agir’.

En général, dans ce contexte les formateurs et les animateurs des formations linguistiques s’appuient essentiellement sur les politiques linguistiques véhiculées par le CECR et l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI). Il est donc pertinent de faire référence à la notion de compétence selon ces deux cadres.

D’après le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (CECR) « Les compétences sont l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d’agir. » Elles peuvent être « générales et ne sont pas propres à la langue, mais sont celles auxquelles on fait appel pour des activités de toutes sortes, y compris langagières. ». Celles-ci reposent notamment sur le développement d’une compétence à communiquer langagièrement qui est une utilisation concrète de la langue. Cette macro compétence privilégie la communication orale et une pédagogie par les tâches relatives au fonctionnement quotidien du locuteur.

Quant à l’ANLCI, elle prône une acquisition des compétences de base comme clef pour prétendre à l’autonomie dans la vie quotidienne. L’Agence définit ces compétences de base en 4 paliers: l’acquisition des deux premiers sort un individu de la situation d’illettrisme et les deux autres sont considérés comme des paliers de renforcement des compétences de base, donc de leur remise à niveau. Ce cadre de référence permet à l’apprenant (au salarié) de réaliser en autonomie des activités de la vie quotidienne et d’avoir ainsi la possibilité d’être autonome dans la société française. L’acquisition de ces compétences de base va développer: la ‘compétence communicative’ qui correspond à la maîtrise des compétences de « compréhension et d’expression écrites et orales; la ‘compétence mathématique’ qui vise la compétence en calcul et en numératie ; et, la ‘compétence cognitive’ qui développe le « raisonnement logique, résolution de problèmes, repérage dans l’espace et le temps ». Pour la continuité, l’ANLCI a mis en place un référentiel de compétences clé qui vont être développées à partir d’une mobilisation des compétences de base.

Par ailleurs, dans cette même finalité d’accès à l’autonomie, il convient de mentionner le syntagme savoirs de base sous forme de référentiel prôné par le Ministère de l’Emploi dont l’acquisition permettrait de fonctionner quotidiennement en langue française et en toute autonomie. C’est sur ce même syntagme que le RIAE 94 base son objectif de formation: l’Acquisition des savoirs de base dont les niveaux seront mentionnés dans la section « les besoins linguistiques des salariés (cf. 2.1.2). Dans tous les cas, ces cadres et référentiels, sous diverses appellations, mettent également en avant une méthodologie d’apprentissage du français par l’action, par l’accomplissement des tâches, par l’utilisation concrète des connaissances à travers une mise en œuvre des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire.

Au vu des propos ci-dessus, la notion de compétence implique toujours une mise en avant du rapport entre les aptitudes d’un individu et le contexte de leur mise en œuvre. Malgré cela, la notion de compétence reste un concept actuellement incontournable, mais difficile à définir et à cerner. Parfois synonyme de connaissance, savoir, aptitude, capacité, qualification, etc., parfois assimilée à la notion de performance lors de sa mise en œuvre, d’autres fois à la mobilisation des savoirs, elle reste difficile à clarifier.

Á cet effet, la notion de compétence dans l’APC peut être associée aux savoir-faire ou aux « skills » selon qu’on est dans la pédagogie de l’intégration véhiculée par Roegiers (2000) ou dans la perspective actionnelle de Beacco (2007). Ce dernier considère l’APC comme « une des formes possibles de concrétisation de l’approche dite communicative dans le domaine du français langue étrangère en France » (Beacco, 2007: 55). Pour cela, il distingue une version basse de cette approche communicative, l’approche ‘globaliste’ (ou globalisante), encore très présente dans les pratiques pédagogiques, d’une version dite haute qui est simplement assimilée à la perspective actionnelle; c’est pour lui une APC qui valorise le « genre de discours ».

Ces deux démarches didactiques présentent indéniablement des points communs: la « centration sur l’apprenant » parce qu’il est au cœur des apprentissages ; la mobilisation des ressources de l’apprenant dans des situations authentiques de la vie réelle et l’orientation des contenus au-delà des savoirs et des savoir-faire. La pédagogie de l’intégration définit un ensemble de situations auxquelles sont intégrées des compétences à travailler et à atteindre par discipline et, sur un temps donné ; l’élève sera dit ‘compétent’ s’il est capable de mobiliser ses ressources dans la résolution d’une famille de situations complexes. Comme la pédagogie par l’intégration, la perspective actionnelle amène l’apprenant à développer un savoir-agir lorsqu’il mobilise ses ressources (savoirs, savoir-faire, savoir-être) dans l’accomplissement des tâches. Même si dans les deux orientations didactiques, l’apprenant ou l’élève est un acteur social, pour être compétent, il va devoir résoudre individuellement des situations complexes et concrètes dans la démarche de Roegiers, tandis que celle de Beacco va privilégier l'enseignement de la compétence discursive dans une perspective communicative.

En me rattachant à cette perspective actionnelle défendue par les travaux de Jean-Claude Beacco (2007), je retiendrai particulièrement le caractère observable, transférable, évaluable (donc mesurable d’une certaine façon) et composite de la compétence.

En effet, la compétence est observable sous la forme d’un savoir-faire, l’aspect subjectif est ainsi réduit: un apprenant capable de lire les mots en français, sous des formes diverses, montre qu’il a acquis le décodage (en plus du déchiffrage, il y a aussi une prise de sens).

Elle est transférable d’un contexte à un autre, mais ne pas perdre de vue le degré d’acquisition de la compétence selon les situations: un apprenant dit compétent à l’oral parce qu’il est capable de parler en continu pour se présenter, parler de lui et de ses projets n’est pas automatiquement capable de parler en interaction avec un groupe de personnes où il devrait par exemple donner ou partager son opinion ; de même pour apprenant capable d’écrire une phrase qui ne serait pas capable de rédiger un texte, etc. Donc une compétence est toujours mise en œuvre dans un contexte, cela par des situations parfois variées.

Une compétence est évaluable en contexte, mais il est important de tenir compte de certains paramètres qui peuvent affecter son expression: l’actualisation des compétences pour arriver à leur mise en œuvre sans difficulté, la maîtrise du niveau de complexité des situations, la maitrise des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire à un moment donné. Par exemple, l’évaluation formative ne montre pas de façon exhaustive si la compétence est maîtrisée ou pas puisque l’apprenant est encore en formation. Mais elle peut attester un degré de maîtrise à partir des éléments qui la constituent (savoirs, savoir-être et savoir-faire). C’est sur ce point que le caractère composite (ou décomposable) d’une compétence est visible.

1.4. Une approche sociodidactique du contexte IAE

Terme assez récent, la socio-didactique ou sociodidactique allie les signifiés contexte et didactique. Aujourd’hui, un essaimage terminologique et conceptuel s’est construit à la suite de la description de Michel Dabène et Marielle Rispail (en hommage à Jean-François Halté) cités par Marielle Rispail et Philippe Blanchet (2007: 65), https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01436588/document:

 

« Ces recherches se caractérisaient par une double orientation : d’une part l’analyse de l’hétérogénéité des situations formelles et informelles d’enseignement apprentissage des langues, y compris de la langue dite à l’époque “langue maternelle” et, d’autre part, la description et la prise en compte des pratiques langagières individuelles et des représentations sociales de l’oral et de l’écrit, au sein de ces situations et dans leur environnement. ».

 

Pour ma part, je m’inscris dans l’orientation que lui accordent Rispail et Blanchet (2007 : 66):

 

« Toute recherche sociodidactique commence par étudier la spécificité du terrain où elle s’inscrit, avant de chercher à mettre au jour des corrélations parfois généralisables ou transférables entre les divers paramètres qui la composent. On arrive ainsi parfois à tenter une typologie des terrains didactiques, en tant qu’ils sont le théâtre de pratiques sociales et langagières qui peuvent se reproduire, avec des variations. La notion de variation, à la fois didactique, politique et linguistique, est ainsi promue au cœur de la sociodidactique, dont elle constitue un fondement sur lequel est construit tout l’édifice. »

 

J’ai choisi de conduire mes recherches sous l’approche sociodidactique qui est adaptée à l’étude des pratiques langagières (du côté de la dichotomie acquisition/apprentissage, c’est-à-dire de l’apprenant) et didactiques (du côté de l’enseignement, donc du formateur) dans un contexte donné (un environnement social et linguistique) à partir d’une observation participative et d’un questionnaire. En d’autres termes, étudier les pratiques langagières et didactiques sur un public sollicite obligatoirement une prise en compte du terrain, c’est-à-dire du contexte dans lequel se fait cette appropriation de la langue et la mise en œuvre des situations d’apprentissage.

De ce fait, dans le cas de mon étude, il était important de déterminer le contexte en faisant ressortir des éléments linguistiques et sociologiques associés aux objectifs didactiques : connaître d’abord le terrain de l’IAE et son public; ensuite sa finalité didactique et les objectifs à atteindre par la formation; puis avoir une vision claire de la notion de compétences à travers le CECR et l’ANLCI qui sont des références d’évaluation sur le terrain de la formation linguistique des adultes.

2. Compte rendu de l’enquête de terrain

Mon enquête a été menée en terrain connu, actrice de ce contexte, j’ai donc pu observer et interroger sans susciter de méfiance tant des dirigeants, des formateurs que des salariés-apprenants. En tant de qu’observatrice, j’ai pu observer les procédures et les pratiques; en qualité de formatrice, j’ai appliqué les recommandations des décideurs en animant des sessions de formation, en construisant des outils d’évaluation, des objets et des objectifs d’apprentissage pour répondre aux besoins des salariés.

Au départ, il s’agissait d’observer l’utilisation de l’APC dans la classe de FLES. Mais, au fur et à mesure de mes observations, j’ai constaté la mise en place d’autres types de classes pour lesquelles, sous une autre forme, la langue française est utilisée pour un développement de compétences différent de l’usage habituel ou de compétences spécifiquement liées à la communication orale ou à la compétence comportementale.

La décision d’aller sur le terrain s’est construite sur l’observation de 4 classes (au sens de cours de FLE) de 42 salariés-apprenants, prises en charge par 2 formateurs salariés. Ces derniers ont pour mission de faire acquérir des savoirs de base. L’observation des classes RIAE 94 a commencé en août 2017, au démarrage des tests de positionnement (évaluation diagnostique).  

Une difficulté s’est présentée lors de mon observation : ses salariés-apprenants recevaient aussi des formations parallèles : des formations linguistiques sous d’autres formes. Mais, il ne m’a pas été possible de planifier une observation des différentes classes de FLES. Je me suis donc limitée à interroger les différents animateurs salariés et bénévoles par questionnaire et par un entretien direct. Certains des questionnaires ne m’ont malheureusement pas été retournés.

Face à ces réalités du terrain, j’ai dû changer de stratégie de recherche en reprécisant la signification, que j’accordais à ma classe de FLES. Aujourd’hui, j’entends par classe de FLES, ce groupement d’acteurs de la formation liés par un même but. À l’instar de CUQ (2003 : 42), c’est « le groupe de travail qui associe des apprenants autour d’un enseignant pour réaliser des tâches communes en vue d’objectifs à atteindre. ». Plus concrètement, ma classe de FLES en SIAE est nourrie ici par un objectif, enseignement et apprentissage du français en tant que langue étrangère pour certains salariés-apprenants, langue première ou langue seconde pour d’autres, objet enseigné et moyen didactique pour le formateur. Pour cela, étudier l’APC dans la classe de FLES en SIAE m’amène aussi à l’analyser dans la classe de conversation ou la classe d’informatique par exemple.

2.1. La mise en situation d’apprentissage

Cette phase pédagogique sollicite 3 étapes : l’évaluation diagnostique qui va préparer la situation d’apprentissage (SA), la définition et la construction de l’objet ou des objets d’apprentissage et l’application des situations d’apprentissage.

2.1.1. La situation d’évaluation

Tout plan de formation passe par un diagnostic des besoins, il est donc pertinent, avant d’entrer dans la phase formative, de passer par une étape d’évaluation. En vue de démontrer la nécessité de l’approche par compétences en contexte d’insertion, il est d’abord important d’en comprendre les raisons ou les finalités du public. Autrement dit, dans cette partie, il s'agit de vérifier pour quelles raisons et à quels niveaux les salariés auraient besoin d’une APC.

Il ne s’agit plus ici de définir la finalité du RIAE 94 qui est de faire acquérir des savoirs de base, mais plutôt d’identifier en détail les objectifs linguistiques des salariés. S’ils ont un objectif commun, maîtriser la langue française, ils ont également chacun des besoins spécifiques et diversifiés. La maîtrise de la langue française leur apportera une autonomie au quotidien parce qu’ils vont pouvoir réaliser des tâches dans des situations de communication relatives à l’environnement social (vie citoyenne comprise) et professionnel, mais ils ont chacun un intellect construit par une expérience de vie et/ou des acquisitions linguistiques ou de raisonnement. Un salarié de français langue étrangère peut avoir acquis une faculté de raisonnement dans la langue première, donc serait capable d’accomplir certaines tâches si la communication se fait dans celle-ci.

Sur une heure (ou plus) et en individuel, la situation d’évaluation du RIAE 94 ne se fait pas comme un test de FLE traditionnel : plusieurs feuilles de test comportant des activités de compréhension orale, compréhension et de production écrite. Le salarié est mis dans une situation normale où il va devoir remplir un formulaire, ce qui suppose la mobilisation de savoirs distincts. Cette tâche, simple dans son principe parce qu’il l’aurait déjà réalisé dans d’autres situations de communication dans sa vie personnelle ou professionnelle, peut paraître compliqué. Il va devoir mobiliser ses acquis en français sur un laps temps.

Cette situation évalue le maximum des possibilités du salarié pour la mise en œuvre d’une macro-compétence : être capable de remplir correctement un formulaire ; pourtant le formateur va évaluer de nombreux autres savoirs :

  • La capacité à écrire des lettres et des mots et non à les dessiner,
  • La capacité à comprendre à l’écrit des questions sur son identité, ses coordonnées, sa scolarité, sa profession, son projet professionnel, ses centres d’intérêt, ses capacités en informatique, etc.,
  • La capacité à rédiger des phrases simples et syntaxiquement correctes (grammaire, orthographe, structure),
  • La capacité à demander une explication des questions et à poser de questions,
  • La capacité à parler de son projet professionnel.

 

Trois cas de figure sont souvent possibles : soit la compétence est entièrement développée, donc la tâche est complètement réalisée seule ; soit elle l’est partiellement ou pas réalisée.

Si la macro-compétence est entièrement ou partiellement développée, le formateur soumet une autre tâche au salarié : raconter à l’écrit une histoire transcrite par un dessin (ou des images). Le salarié va devoir non seulement remobiliser ses précédents savoirs, mais aussi d’autres ressources. La réalisation de cette tâche permettra au formateur de vérifier le développement de la compétence de production. Ensuite, d’autres tâches vont suivre au fur et à mesure permettant d’évaluer des habiletés comme la réalisation d’un problème lié à une situation de la vie quotidienne, l’évaluation de la compréhension des consignes écrites et orales, la connaissance des chiffres et des nombres, la compréhension d’un texte tiré d’une situation de vie quotidienne à travers des questions écrites et orales, la restitution globale du contenu d’un texte.

Dans le cas où le salarié n’a pas été capable de remplir le formulaire, le formateur suppose qu’il n’a pas encore développé de compétences à l’écrit, mais à quels niveaux ? Il va donc vérifier plus en détail ses acquis à travers des tâches de déchiffrage, de décodage et de lecture. Si ses besoins à l’écrit tendent à se préciser, le salarié sera aussi évalué sur la capacité à réaliser une écriture cursive, à utiliser la numération, à lire l’heure analogique ou digitale, à structurer et à réorganiser des phrases, etc.

Les salariés seront également évalués à l’oral sur ce temps-là qui n’est pas impératif et peut diminuer ou augmenter de 30 minutes maximum selon le besoin.

La particularité de ce procédé d’évaluation permet au salarié de ne pas être sous la pression d’une évaluation, de réaliser les tâches qu’il peut accomplir. C’est pourquoi le formateur peut procéder de façon régressive et progressive. Intuitivement, sans demander au salarié s’il sait lire et écrire, le formateur va déterminer le rythme de l’évaluation : elle sera régressive (sur le plan de la complexité des tâches) si le salarié ne peut pas remplir le formulaire et progressive s’il réalise la tâche partiellement ou entièrement. C’est donc par l’accomplissement d’une tâche que l’évaluation démarre ― la capacité à remplir un formulaire. Parfois, au vu du formulaire, le salarié confie lui-même ses difficultés en écriture et en lecture. Toutefois, le formateur va devoir adapter son évaluation au profil qui se dessine devant lui.

Au fil de l’évaluation, le salarié confirme ou infirme la nécessité d’un développement de macro-compétences qui le conduira à la mobilisation d’autres compétences dites micro-compétences parce qu’elles seront en interaction dans l’accomplissement d’une ou de plusieurs tâches selon leur complexité.

2.1.2. Les besoins linguistiques des salariés en SIAE

Évaluer en formation, c’est juger de la capacité d’un apprenant à mobiliser et à mettre en œuvre des savoirs en vue d’exécuter une tâche ou une action ; à certaines étapes de son apprentissage, l’évaluation permet aussi de révéler, ses acquis, ses atouts et ses faiblesses. Dans le cas où il éprouve des difficultés, à travers une régulation des apprentissages, l’évaluation permettra d’y remédier par une mise en place de stratégies d’apprentissage. Au-delà, évaluer c’est connaître le niveau de développement des compétences à la fin d’une session de formation.

Dans cette section, je m’intéresserai particulièrement à l’évaluation diagnostique des acquis et des besoins langagiers des salariés en insertion qui est une phase primordiale dans le développement des compétences en français, car elle permet de les identifier sous forme de capacités, de connaissances, d’attitudes. Pour le dire autrement, l’objectif est de montrer que l’identification des besoins met en lumière le degré de maitrise des micro-compétences observables et transférables dans les situations variées de la vie quotidienne. L’identification de ces besoins réels contribue aussi à la réalisation et à la planification des unités d’enseignement (ce qui doit être appris et les savoirs à développer en priorité) destinées à développer des compétences qui permettent l’accomplissement des tâches.

En SIAE, les besoins langagiers sont diagnostiqués, mais peuvent aussi bien être exprimés par les salariés en insertion eux-mêmes que par les accompagnateurs socioprofessionnels et les encadrants. C’est pourquoi, lors du diagnostic, il est également important de prendre en considération les besoins exprimés par les salariés, de jauger leur volonté et leur motivation dans la réalisation de tout projet de formation.

Avant d’orienter leurs salariés vers le RIAE (ou vers un autre organisme de formation), les accompagnateurs socioprofessionnels prédéfinissent les niveaux en fonction du cadre de CECR  : A1/A2 pour un utilisateur élémentaire ; B1/B2 pour un utilisateur indépendant ; A1.1 pour un utilisateur qualifié de grand débutant. Ces accompagnateurs sont non seulement confrontés à une grande hétérogénéité linguistique à l’intérieur des profils prédéfinis, mais aussi à la diversité des profils linguistiques qui relèvent des degrés de compétences du cadre de référence de l’ANLCI (le degré 1 pour des repères structurants ; le degré 2 correspond aux compétences fonctionnelles pour la vie courante ; le degré 3 à la compétence facilitant l’action dans des situations variées). Par ailleurs, certaines structures évaluent leurs salariés par des tests linguistiques et psychotechniques. C’est le cas du Groupe ARES qui a mis en place des tests de positionnement en interne dans lesquels sont diagnostiqués les acquis en syntaxe, en mathématiques et en logique.

À la suite d’une pré-identification des profils, les salariés orientés vers le RIAE 94 sont évalués avant la phase formative en elle-même. Le Réseau réalise une évaluation diagnostique à partir de tests de positionnement internes et, par principe, les besoins réels sont regroupés dans deux catégories de profils pédagogiques : en français langue étrangère et en savoirs de base (alphabétisation et illettrisme). Ces profils généralistes que je m’avancerais à qualifier de macro-besoins englobent une diversité de micro-besoins ; ce qui peut remettre en cause cette répartition des profils linguistiques qui découle des politiques de formation des migrants entamées dans les années 60. Si le FLE désignait, chez une personne scolarisée, le degré d’étrangeté du français, aujourd’hui, il peut s’amoindrir pour une personne qui vit depuis de nombreuses années en France, il serait dans ce cas une seconde langue. Aujourd’hui, la lecture ne se résume pas seulement à lire des textes, mais aussi à lire et interpréter des schémas (plan de métro, d’un espace, etc.), des documents tels que les horaires (de bus, de train, etc.) ou bien les plannings ; la connaissance du français demande aussi une connaissance pragmatique du fonctionnement administratif, etc. Pour ma part, la répartition actuelle, FLE, alphabétisation et illettrisme, ne suffit plus à décrire la réalité langagière et communicationnelle d’un individu.

Pour préciser, en alphabétisation les personnes seront dans une phase d’apprentissage des compétences de base, c’est-à-dire de l’écriture, de la lecture et du calcul ; en illettrisme, elles seront dans une phase de réapprentissage de ces compétences. Pour ces raisons, les salariés dans ces deux situations sont regroupés dans les besoins en savoirs de base ou compétences de base.

Les tableaux ci-dessous présentent 42 profils sur les 103 salariés évalués par le RIAE 94 pour la session de formation d’octobre 2017. Ces 42 salariés ont été répartis sur 4 sites de formation : Fresnes Services à Fresnes, Approche Insertion à Saint-Maur-des-Fossés, Ateliers sans Frontières à Bonneuil-sur-Marne, Actions Emplois Formations (AEF) à l’Hays-les-Roses. Ces salariés proviennent des structures d’insertion du Val de Marne : ARES (Association pour le Réinsertion économique et social), ASF (Ateliers sans Frontières), ANDES (Association Nationale de développement des Épiceries Solidaires), Fresnes Services, Approche Insertion, Confluences Chantiers d’Insertion, Val Bio les Bordes, Val Bio Choisy, OHE Services (à Fresnes). Ces tableaux présentent les macro-besoins sous la forme de compétences de compréhension (CE) et de production écrite (PE) ainsi que de production (PO) et compréhension orale (CO). Afin de respecter les exigences et les directives rédactionnelles, j’ai limité ma description à quelques besoins récurrents, mais les besoins sont plus nombreux et très diversifiés:

 

Tableaux récapitulatifs des profils pédagogiques

 

Salariés ayant des besoins en alphabétisation

Nombre de salariés

CE

PE

PO

CO

4

A1.1

D2

1

A1.1

A1

2

A1.1

A1

A2

1

A1.2

A1.1

A1

A2

1

A1.2

A1

A2

1

A1.2

D3

 

Ces salariés représentent 24% des 42 des diagnostiqués. Leurs niveaux sont basés sur le cadre du CECR et le cadre de référence de l’ANlCI parce que certains d’entre eux viennent des pays où le français est langue seconde.

 

Salariés ayant des besoins en illettrisme

Nombre de salariés

CE

PE

PO

CO

1

D2

D1

D3

4

D1

D2

1

D1

D1

D2

1

D1

D3

1

D1

D1

D4

1

D2

D3

1

D3

D2

1

D2

D1

D2

1

D2

D2

D3

1

D1

D2

D3

1

D2

D1

D3

D4

 

Ces salariés représentent 31% des 42 des diagnostiqués.

 

Salariés ayant des besoins en français langue étrangère

Nombre de salariés

CE

PE

PO

CO

4

A1

A2

4

A2

3

A1

1

A2

A1

A2

1

A2

A1

A2

1

A1

A1

A2

1

A2

A1

A2

B1

1

A2

A1

B1

1

A2

A1

A1

A2

1

B1

A2

A2

 

Ces salariés représentent 45% des 42 des diagnostiqués, leurs niveaux sont basés sur le cadre du CECR.

Les deux premiers tableaux regroupent des salariés dont les profils pédagogiques réfèrent aux compétences de base. Ces salariés maîtrisent le français parlé parce que l’appropriation s’est faite, soit en contexte monolingue (pour parler du statut institutionnel de la France, il s’agit de Guadeloupéens et de Mahorais), soit en contexte multilingue avant leurs arrivées en France (en ce qui concerne les pays francophones) ; dans le processus d’acquisition, le français parlé est majoritairement une langue seconde.

En dépit du développement de leur compétence orale, cette partie des salariés présente des besoins divers en alphabétisation et en illettrisme. Soit qu’une partie ne maîtrise pas du tout le code écrit ou qu’elle est dans la phase d’acquisition. À cet effet, l’apprentissage est encore en phase initiale, c’est-à-dire que des salariés ont déjà pu acquérir le principe alphabétique, le décodage séquentiel (lettre à lettre), ou encore la conscience phonologique sans toutefois développer la capacité de décodage, etc. Ils ont des besoins en alphabétisation et sont généralement classés dans le niveau A1.1 du CECR.

Une autre partie d’entre eux, scolarisés en français, a presque acquis ou développé la compétence orale parce qu’elle est capable d’échanger en continu ou en interaction pour donner des informations, décrire un problème ou une situation, etc. Pourtant, dans certaines situations de communication, elle n’est pas capable de mettre en œuvre ses savoir-faire. Par exemple, certains salariés n’ont pas la capacité à décrire leurs pensées parce qu’ils leur manquent des connaissances lexicales, argumentatives, etc. S’ils sont dits ‘fonctionnels’, c’est-à-dire autonomes à l’oral, la communication écrite est un réel frein puisque ces salariés sont sortis du système scolaire avant d’avoir acquis les compétences de base ; ils sont donc incapables de rédiger des textes courts de façon claire et de se faire comprendre. Toutefois, de l’incompétence en écriture découle aussi l’incapacité en lecture, donc à comprendre et à interpréter des textes divers. Par ailleurs, ces salariés sont également dans l’incapacité d’utiliser des nombres, de réaliser les opérations de base, de les analyser pour accomplir une tâche. Par exemple, résoudre un problème mathématique, comprendre une facture, etc. Par conséquent, ils sont dits en situation d’illettrisme et classés dans les différents degrés du cadre de référence de l’ANLCI.

Au sujet des besoins en français langue étrangère (troisième tableau), une autre part de salariés présentent, à l’oral, un niveau faible et à l’écrit un niveau intermédiaire. Bien que la compétence écrite soit aussi à développer, ils auront besoin de construire prioritairement la compétence orale parce que la communication orale est indispensable en vue d’établir la relation entre les individus. Certains d’entre eux auront besoin d’acquérir la capacité à communiquer en interaction, d’autres la prise de parole ou les connaissances lexicales, ou encore les connaissances syntaxiques permettant de structurer l’axe syntagmatique d’un discours, etc. Ces profils sont répartis suivant les différents niveaux du CECR. Par ailleurs, pour d’autres salariés présentent des profils pédagogiques homogènes parce qu’ils ont un très faible niveau à l’oral comme à l’écrit ; ils sont qualifiés de grands débutants ou débutants et sont ensuite, d’une certaine façon, ‘casés’ dans le niveau A1 du CECR.

L’utilisation concrète d’une connaissance réside dans l’action, dans la mobilisation des savoirs. Lors des tests de positionnement, certains salariés pré-identifiés, autonomes à l’oral, constatent qu’ils ne sont pas capables d’exprimer leurs idées parce qu’ils ont du mal à prendre la parole ou à échanger avec une personne étrangère. Ces incapacités peuvent être nourries par l’absence de savoirs spécifiques liés au système de la langue française : l’utilisation des verbes aux temps adaptés, des accords verbaux ou adjectivaux, la richesse lexicale, le choix d’une attitude ou la prise de parole en public. Il peut s’agir concrètement de la prise de parole lors d’un entretien d’embauche ou même dans un échange informel, de l’écoute active dans ses échanges, de la capacité à accepter l’opinion des autres dans des échanges en milieu professionnel, de la rédaction du CV et d’une lettre de motivation.

Parallèlement, les besoins explicites sont aussi ressentis par les salariés lors de l’accomplissement de démarches administratives dans la vie quotidienne, telles que préparer et envoyer un recommandé, utiliser un chéquier, remplir un formulaire de renseignements, poster un courrier à partir d’un automate, faire un western union, utiliser une tablette ou un ordinateur, attacher des pièces dans un courriel, utiliser la calculatrice de leur téléphone, etc., pour ne citer que ceux-là. Un certain nombre de salariés ne peut pas effectuer ces tâches parce qu’ils sont incapables de mobiliser des savoirs. Par exemple, un encadrant ou un chargé d’équipes va préciser des besoins qui sont liés à la compréhension des consignes parce qu’un salarié n’a pas développé ses compétences métacognitives ou a des besoins relatifs à la capacité d’adapter ses comportements et ses attitudes aux situations de travail. Il peut aussi simplement s’agir d’un salarié qui n’est pas capable d’interagir en équipe à cause d’une incapacité à communiquer à l’oral, donc de la maîtrise du français.

Adopter une démarche centrée sur les compétences, grâce à l’APC, dès l’étape de l’évaluation diagnostique permet non seulement d’observer la manifestation d’une compétence, mais aussi de détecter des incapacités non exprimées ou cachées. Du fait de son caractère composite et décomposable, il a été possible d’évaluer plusieurs compétences en même temps. Cela a été le cas au moment de l’évaluation de la compétence orale, certains salariés ont parfois exprimé des besoins contradictoires. C’est le cas de salariés qui ont dit savoir utiliser l’ordinateur alors que l’évaluation diagnostique a déterminé leur incapacité à lire et à écrire. Concrètement, leur usage se limite à aller sur la page du pôle emploi pour s’y actualiser, seulement si l’outil est déjà mis en route et sur la page souhaitée. Par une mise en œuvre de stratégies compensatoires, ils vont utiliser des indices de couleurs, de formes parfois linguistiques.

Afin de mieux conduire les formations, face à une grande hétérogénéité linguistique des profils et des besoins langagiers, le RIAE classe les salariés dans 3 niveaux de profils de façon à hiérarchiser les connaissances (ou les sous compétences) à construire: le niveau 1 sera axé en priorité sur l’apprentissage de l’écrit ; le niveau 2 sera destiné à l’amélioration des savoirs à l’oral comme à l’écrit ; le niveau 3 sera axé sur l’approfondissement des savoirs de base à l’oral et à l’écrit.

2.1.3. Construction et application des objectifs d’apprentissage

La précédente étape fournit les raisons qui conduisent à solliciter une approche par les compétences, ces deux étapes en précisent les objets d’apprentissage, les choix pédagogiques et la contextualisation des enseignements. Le chargé de formation va devoir préciser les connaissances à enseigner dans l’objectif de construire les sous-compétences (savoirs, savoir-faire et attitudes) qui seront mobilisées en contexte afin de développer une véritable compétence. En SIAE (pour les structures concernées par l’observation), les formateurs ou les animateurs bénévoles sont responsables de cette démarche.

Au vu des besoins, il est nécessaire de construire une centration sur les salariés-apprenants, le recours aux choix pédagogiques relatifs à l’APC devient nécessaire parce que le développement des compétences est au centre de leur quotidien. L’enquête auprès des formateurs et animateurs a permis de vérifier si l’APC est connue et utilisée. Pour vérifier ce fait, j’ai pu m’entretenir avec 3 formateurs salariés, 4 animateurs bénévoles et 2 chargés d’accompagnements qui sont aussi chargés d’animer des formations linguistiques (et destinées au développement de compétences en langue française). En outre, j’ai aussi observé les 42 salariés au-delà des classes du RIAE 94, c’est-à-dire dans d’autres classes destinées au développement de compétences dans le but de constater l’application d’une pédagogie par compétences.

Dans un premier temps, il y a une réelle méconnaissance de l’APC dans la mesure où je n’ai pas pu obtenir de nombreuses réponses sur la question : Connaissez-vous l’Approche par compétences ? Presque tous les formateurs et les animateurs ne la connaissent pas, d’autres ont essayé de la définir (une partie a souhaité rester anonyme). Deux d’entre eux ont pu apporter des réponses plus ou moins claires:

« L’approche par compétences fait-elle référence à l’aspect opérationnel des apprentissages de la langue ? Si c’est le cas, oui. Je pars toujours d’une situation de communication authentique pour finir avec un support écrit. » (Albane Auxenfants, Chargée d’insertion socioprofessionnelle et formatrice linguistique pour des besoins en alphabétisation et en illettrisme particulièrement, les besoins en FLE sont peu nombreux dans son public) ;

« l’approche par compétences c’est une manière d’utiliser les compétences dans l’enseignement des langues : c’est par exemple apprendre aux salariés à savoir utiliser un ordinateur, une recette de cuisine, un entretien d’embauche… des situations pratiques du quotidien. »(Formatrice de français langue étrangère, alphabétisation, Illettrisme et de remise à niveau.).

 

Ces deux explications partagent un point commun, le besoin de recourir aux situations de communication réelle de la langue. Pour cela, la première utilise le syntagme ‘communication authentique’ et la deuxième, plus précises, part d’exemples qui font référence aux situations de communication dans la vie quotidienne. Toutefois, elles montrent quand même une connaissance tâtonnante ou floue de l’approche de l’APC.

Dans un second temps, soit certains formateurs recourent à une pédagogie par objectifs qui demande un fractionnement des activités de formation, soit l’utilisation de l’APC n’est pas claire et consciente. Entre parenthèses, c’est malheureusement à l’aide d’une question concernant les référentiels et les cadres que j’ai pu obtenir quelques informations sur les pratiques des formateurs dans la classe. Pour le dire autrement, ma question sur les pratiques pédagogiques a été retirée du questionnaire parce que dès le début de mon enquête, certains formateurs ont eu l’impression d’être jugés. Pour faciliter la collaboration sur ce projet d’enquête, j’ai donc dû me contenter de la question suivante: Sur quels référentiels ou cadres travaillez-vous (construisez-vous vos programmes, contenus, activités linguistiques, évaluations, etc.) ?

 

« Aucune méthode ceci est impossible vu la non-scolarité des femmes présentes. Nous improvisons souvent afin qu’elles puissent s’exprimer librement. » (Animatrice bénévole 1, pour des salariés en Illettrisme et alphabétisation) ;

« Méthode d’alphabétisation pour adultes, méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour adulte + supports internet ». (Animatrice bénévole 2, pour des salariés  en FLE, en Illettrisme et alphabétisation) ;

« C’est du sur mesure en fonction des lacunes de chacun. Pas d’utilisation de référentiel, car si le français est une barrière pour certains, la personne va suivre prioritairement une formation spécifique de français. En dehors de l’Atelier. » (Michel Courpron, bénévole en numérique pour des publics en illettrisme et en FLE.).

 

Ce dernier, bénévole, anime un atelier d’informatique pour familiariser son public « aux usages d’un ordinateur, d’internet, du traitement de texte, du tableur. Mais aussi familiarisation aux smartphones et aux applications telles que Pôle Emploi, la CAF, Google Maps, le GPS … Dans ce cadre, la formation peut commencer par une aide à l’apprentissage de la langue française par le biais de TV5 Monde, le français facile… » ;

 

« Ma méthode est basée sur des exercices proposés sur les sites et aussi sur une pédagogie que j'ai acquise au fil des années. Comme je suis une créative, j'aime bien faire écrire des petits textes et surtout éveiller la curiosité. Mais je pense que le travail et la lecture doivent être encouragés... » (Catherine Coutin, bénévole pour des formations individualisées et personnalisées sur des salariés de FLE. Enseignant de technologie et d’EMT pendant 33 ans.) ;

« Je fais mes propres évaluations au départ, mais pas assez ensuite. Les objectifs sont tellement différents que j’ai du mal à poser un cadre vraiment strict en termes de progression. Sinon moi c’est le CECR qui est mon repère. » (Albane Auxenfants) ;

« Je n’ai pas de méthodes ou approches types, je m’appuie sur les besoins que j’ai constatés chez les apprenants et à partir de là, je construis mes contenus. Mais je veille à leur donner des activités qui ont un rapport avec leur quotidien comme faire un recommandé, remplir un chèque, etc. Cela leur sera plus utile plutôt que d’apprendre uniquement des règles de grammaire ou une liste de mots. Dans tous les cas, on arrive quand même à travailler les savoirs. » (Formatrice de françaislangue étrangère, alphabétisation, Illettrisme et de remise à niveau.) ;

« Je n’ai pas une approche particulière. J’utilise les livres qui travaillent mieux les compétences. Je peux aussi leur faire des simulations d’entretien, leur faire parler de leurs compétences, leurs qualités, leurs tâches, et du vocabulaire surtout pour les faibles niveaux. De toutes les façons, tout dépend de la motivation des apprenants, il faut qu’ils soient motivés » (Formateur en FLE, Alphabétisation et remise à niveau).

 

En généralisant, ces différents discours montrent une réelle méconnaissance de l’APC et de son objectif pédagogique. Une démarche par compétences permet à un formateur d’avoir une connaissance claire et pertinente des acquis du salarié-apprenant, de ses difficultés, de ce qui lui manque et de ce qu’il doit travailler pour construire des compétences ; il ne peut donc pas y avoir une grande place pour l’improvisation. L’APC permet aussi à salarié-apprenant d’être acteur de son apprentissage par la réalisation de tâches telles que ‘remplir un chèque’, ‘faire un recommandé’, etc. Même si certains formateurs (ou animateurs) semblent proposer une réalisation de tâches ou que d’autres font référence aux différents savoirs (connaissances, capacité, attitude) et à la dimension actionnelle de la compétence, leur méconnaissance de l’APC et de sa pédagogie, leurs choix pédagogiques et la place occupée par l’improvisation ne prouvent pas leur adhésion à l’APC.

En RIAE, les formateurs travaillent aussi sous forme d’ateliers des thématiques qui permettent de sortir des sentiers battus de la classe de français traditionnelle. Par exemple, Ma recherche d’emploi et de formation est une séquence d’apprentissage qui contextualise des connaissances relatives à la rédaction d’un CV et d’une lettre de motivation, à la lecture d’une fiche de poste, à au bassin de l’emploi (secteurs d’activités, métiers) à la connaissance des contrats de travail (classiques, en alternance) et du système éducatif français, etc. Mon entreprise et moi, permettra de parler de sa profession et de son poste de travail, de ses compétences et ses tâches, du travail en équipe, d’aborder les qualités, l’organigramme de son entreprise (le vocabulaire : chef d’équipe, encadrants, collègues, salariés, le nombre d’heures travaillées, etc.). Lire mon bulletin de paie cette séquence d’apprentissage très complète construit et mobilise un grand nombre de savoirs: connaissance des chiffres et des nombres, d’un lexique spécifique (salaires brut et net), le calcul des congés payés, des heures travaillées. Elle construit aussi des savoir-faire, la lecture d’un tableau à doubles entrées, le calcul des pourcentages, l’utilisation des techniques opératoires (les quatre opérations de base, les nombres entiers et les décimaux, etc.). Dans cette séquence, l’enseignant part d’une tâche complexe (savoir lire un bulletin de paie) qui sera décomposée en micro-compétences que l’apprenant va devoir acquérir.

Outre ces séquences pédagogiques, il y a aussi les tâches effectuées à l’aide d’un ordinateur pour les formations en alphabétisation. Par exemple, les salariés vont travailler différentes activités en plus de la prise en main de l’outil, la connaissance des phonèmes, les activités de repérage, d’assemblage, de discrimination phonique, d’association et de production écrite. La difficulté des activités ira du plus simple au plus complexe ; la complexité évolue en fonction de la construction des habiletés. L’enseignant est dans une approche où, pour développer une compétence (la prise en main d’un ordinateur), il passe par la contextualisation des différents savoirs et savoir-faire.

Parallèlement, ces séquences pédagogiques participeront aussi, en même temps, au développement des attitudes et à la motivation : des salariés se sont dits capables de plus dans la mesure où ils sont capables de prendre en main un ordinateur, le reste leur semble plus accessible. Je traduis ici les avis de certains salariés-apprenants. En effet, l’utilisation basique de l’ordinateur, même à des fins formatives, les conduit sur une trajectoire d’estime de soi et de confiance en soi.

À côté cela, il y a aussi des séquences qui sollicitent, au départ, une logique de fractionnement (pédagogie par objectifs), mais qui par la suite requiert une logique d’intégration des compétences ; on est ici dans la dimension composite de la compétence. Décrire une personne ou un fait, être capable de donner son opinion, lire et comprendre son contrat de travail viseront la structure de la langue, le vocabulaire, la compréhension de texte pourtant, elles développent aussi des savoir-faire et des savoir-être : la capacité à utiliser des documents, la capacité à comprendre un texte long, la capacité à écouter l’autre et à respecter son opinion, à parler en continu et en interaction, etc.

Par ailleurs, certains salariés ont des formations personnalisées dans leurs structures d’accueil, centrées sur des besoins qu’ils ont eux-mêmes exprimés. Elles sont centrées sur le développement des compétences dans des situations diverses : comprendre le lexique du code de la route, être capable de rédiger une lettre de motivation ou administrative. C’est le cas de certains salariés d’Approche insertion.

D’autres structures mettront en place des ateliers qui vont viser le développement des savoir-être, c’est le cas de Confluences Chantier d’insertion qui a soutenu un de leur chargé d’accompagnement socioprofessionnel dans le montage d’un atelier destiné à la définition des préjugés socioprofessionnels. « J’ai analysé les fiches de postes pour pouvoir travailler sur les savoir-être à l’intérieur de l’entreprise, mais aussi en dehors. » (Said Benhamou). Les salariés jouent entre eux des saynètes qui abordent ces préjugés et ensuite débattront sur les bonnes et les mauvaises postures au travail en établissant un pont avec la vie sociale.

Presque dans le même sens, Ateliers sans Frontières expérimente un atelier de conversation collective (une heure par semaine), avec une dimension en coaching (30 minutes par semaine), animé par une bénévole pour des salariés qui présentent des difficultés de prise de parole en public. En outre, les salariés travaillent la parole en interaction et en continu, le champ lexical d’un domaine, l’estime de soi, le respect de l’autre, l’écoute, la confiance en soi, etc.

En résumé, ces séquences d’enseignement ou pédagogiques mobilisent de nombreuses ressources, construisent des connaissances grammaticales et lexicales, des habiletés et des attitudes. Ils montrent ainsi la centration sur le salarié-apprenant et le besoin de recourir à un développement de compétences. Pour cela, le formateur ou l’animateur ne peut plus se limiter au rôle d’un formateur traditionnel de FLES parce qu’il s’agit ici d’un public de Français langue étrangère et seconde dont l’objectif est l’insertion socioprofessionnelle ; l’apprentissage de la langue française entre pleinement dans une visée socioprofessionnelle. Même si l’entretien avec les formateurs et les animateurs démontrent une méconnaissance théorique de l’APC, ils semblent avoir besoin dans leurs classes de français d’une démarche qui favoriserait la réalisation des tâches. D’un côté, l’enseignant met le salarié-apprenant dans une situation d’apprentissage où il part d’une approche qui contextualise des micro-compétences par des tâches simples pour arriver au développement de la compétence visée. D’un autre côté, l’apprenant est dans une situation d’apprentissage où il décompose une macro-compétence sous la forme de tâches complexes pour construire les micro-compétences. Les formateurs estiment que les salariés en IAE ont besoin de développer des compétences prioritaires et utiles, qu’ils soient ‘fonctionnels’, c’est-à-dire capables de mobiliser leurs apprentissages dans des situations de communication quotidienne variées.

3. Quelques pistes didactiques et pédagogiques

J’aimerais avant tout ouvrir une parenthèse sur la contribution des bénévoles qui sont d’une grande aide dans le milieu de l’IAE, que l’on soit dans une démarche formative ou fonctionnelle. Ce sont généralement des retraités qui ont déjà travaillé une grande partie de leur vie, mais qui continuent de donner de leur temps. Ils sont très nombreux dans les SIAE et font un travail remarquable en ce qui concerne la formation en français. Néanmoins, leur contribution déboucherait sur de meilleurs résultats si une aide didactique et pédagogique leur était apportée. Dans ce sens, ma première catégorie de pistes concernerait d’abord le formateur.

Pour tout projet de formation de français langue d’insertion socioprofessionnelle que je nommerais pour l’instant FLIS, le formateur devrait avoir au départ une phase de questionnement telle que : Quelle est la finalité de ce parcours ? Quelle est ma participation dans ce projet ? Comment vais-je y parvenir? L’étape de la situation d’évaluation devrait aussi susciter une autre série de questions: que souhaitent acquérir mes apprenants-salariés ? Á quels niveaux se situent leurs acquis ? De quoi ont-ils réellement besoin ? Que devraient-ils acquérir en priorité ? Quels sont mes objectifs pédagogiques ?

Il est évident que de nombreuses autres questions prendront la suite, mais l’ingénierie de formation en contexte d’insertion professionnelle devrait démarrer par ces étapes de questionnement qui apporteraient des réponses clairement définies avant d’entrer dans la phase pédagogique en elle-même. Ainsi, le formateur ou le chargé de formation évitera de placer automatiquement les salariés-apprenants dans des cases pédagogiques en fonction de leurs parcours scolaire ou de leur simple rapport avec l’écrit. Par exemple les personnes non scolarisées (ou peu) seront systématiquement classées dans le profil pédagogique alphabétisation, les scolarisées en langue étrangère dans la case FLE et les scolarisées en français dans la case illettrisme. Quelle serait dans ce cas la case des personnes peu scolarisées ou déscolarisées de français langue étrangère ?

Il est vrai que déterminer le profil pédagogique garde son importance parce qu’il faut des repères pédagogiques, des cadres de références, des orientations sur un groupe de niveau (dans le cas des formations collectives). Ainsi, un salarié de français langue étrangère et un salarié de français langue seconde, jamais scolarisés, n’ont pas a priori les mêmes besoins. Toutefois, ils seront tous les deux placés dans le niveau A.1.1 du CECR, alors que le premier devra en priorité développer certains savoirs en communication orale pour pouvoir aborder l’écrit. Le second salarié a déjà développé des aptitudes en français parlé, parfois il est dit autonome en communication orale, mais il a besoin d’acquérir une compétence écrite pour être réellement autonome en français. Ces quelques exemples montrent que le formateur (ou le chargé de formation) devrait pouvoir avoir des précisions plus détaillées sur les compétences à développer en plus du passé scolaire et du profil pédagogique de l’apprenant. Avec des profils aussi variés en macro qu’en micro-besoins, ces repères finissent par devenir des sortes de coffrage aussi bien pour l’apprenant que pour le formateur. Ce dernier se met, malgré lui dans une sorte d’enfermement pédagogique et place l’apprenant dans une bulle didactique. Il prend le risque de passer à côté de la créativité, de la personnalisation des enseignements, de ne pas pouvoir susciter l’intérêt des apprenants ; les tâches enseignantes pourraient devenir mécaniques et répétitives. Tout ceci revient à s’interroger sur la charge de travail du formateur de français langue d’insertion socioprofessionnelle (FLIS). Ne serait-il pas aussi un technicien de l’enseignement de la langue française dans un contexte donné ?

Ensuite, la piste de l’évaluation des compétences serait aussi à creuser ou à reconsidérer. Étant donné que la compétence se mesure en action, lorsque la tâche est réalisée entièrement, ne serait-il pas pédagogique d’évaluer aussi (dans le cadre de l’évaluation sommative voire même formative) les salariés-apprenants dans de situations de communication de la vie réelle ? Ou bien de considérer l’utilisation des différents documents de la sphère privée et de la sphère professionnelle comme une compétence à part entière ? Ou encore, en restant dans la même logique, les attitudes souvent repérées dans le travail en équipe ne pourraient-elles être groupées en une macro-compétence à développer, la compétence comportementale?

Cette piste permet aussi d’aborder les dimensions composite, observable et transférable de la compétence. Bien que la compétence grammaticale garde son intérêt et cet aspect incontournable – former les salariés en insertion – sous-entend la considération des principes d’andragogie. En d’autres termes, un apprenant adulte a une expérience de vie, des besoins urgents, des tâches à accomplir relatives à son quotidien, donc il a besoin d’être formé sur ce qui lui sera utile. Développer la compétence grammaticale n’aurait pas d’intérêt si elle n’est transférable dans une compétence à communiquer. De même, cette dernière ne peut se développer sans être décomposée en sous-compétences au moment de la situation d’apprentissage.

Pour finir, le formateur de FLIS travaille dans un contexte spécifique qui ne devrait pas être ignoré, avec un public aux profils hétérogènes dont les besoins sont indispensables à leur fonctionnement quotidien, c’est-à-dire avec des besoins spécifiques à leur vie personnelle, citoyenne ou professionnelle. Ces salariés-apprenant sont parfois besoin de comprendre des éléments spécifiques à leurs projets professionnels, etc. Il devrait donc être polyvalent et avoir la possibilité de se former en continu pour pouvoir s’adapter aux changements et aux environnements des salariés-apprenants. Face aux divers profils et besoins, il devrait être capable de pratiquer une pédagogie différenciée, une élaboration des tâches en intégrant des degrés de complexité. L’enseignement-apprentissage du français langue d’insertion socioprofessionnelle devrait ramener vers de nouvelles réflexions pédagogiques non seulement parce qu’il est destiné à un public varié, mais aussi parce qu’il devrait concerner des savoirs opérationnels et transférables dans l’environnement socioprofessionnel. 

Conclusion

Dans les structures d’insertion par l’activité économique, la part de salariés en grande difficulté à cause d’une non-maîtrise du français présente des besoins très diversifiés nécessitant des formations spécifiques. La phase d’évaluation diagnostique démontre un vif besoin de développer une compétence à communiquer pour s’adapter aux tâches de la vie quotidienne. J’ai pu vérifier la pertinence d’une approche par les compétences, d’abord dans la situation d’évaluation, ensuite à l’étape de la construction des contenus et de la mise en œuvre des situations d’enseignement. Les activités d’évaluation diagnostique mettent le salarié dans l’action et les besoins identifiés orientent l’enseignant vers une méthodologie par compétences. Néanmoins, même s’il y a une certaine centration de l’apprenant dans les formations linguistiques mutualisées proposées par le Réseau IAE 94 et les SIAE en interne, la connaissance de l’APC reste floue, voire méconnue et son utilisation n’est pas effective. Pourtant, elle est souvent présente dans la classe à travers les séquences et les choix pédagogiques. Cependant, certains formateurs et bénévoles sont dans l’improvisation et mettent, malgré tout, l’accent sur le fractionnement des objets d’apprentissage. Pour résumer, même si les données de l’enquête de terrain n’ont pas suffi à démontrer l’utilisation d’une APC, au regard des besoins des salariés-apprenants et des attentes communicationnelles de la société française actuelle, son apprentissage serait nécessaire pour les publics en parcours IAE. En outre son  application a besoin d’être clarifiée et enseignée chez le formateur et l’animateur en SIAE dans la mesure où la demande en formation s’oriente vers une langue française d’insertion socioprofessionnelle.

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L'enseignement et l'évaluation de la prononciation en classe de FLE et l'approche par compétences / l'approche actionnelle - opposition ou synergie ?

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