Didactique du Français Langue Maternelle pour adultes : comment améliorer les compétences à l’oral des personnes en situation d’insécurité langagière.
Valérie LANGBACH - Université de Lorraine - ATILF-CNRS
valerie.langbach@univ-lorraine.fr
Résumé :
Depuis les années soixante dix, des études montrent une incapacité pour les locuteurs faiblement scolarisés à mobiliser les moyens linguistiques nécessaires pour se faire comprendre sans ambiguïté à l’oral. Pourtant, aujourd’hui encore, les formations proposées à ces adultes dans le cadre de dispositifs de réinsertion sociale et professionnelle privilégient principalement de travailler à l’amélioration de leurs compétences à l’écrit. L’objectif de cette étude est de proposer une méthodologie qui permettrait la mise en œuvre d’activités remédiatrices à l’oral et qui pourrait répondre à un certain nombre de difficultés langagières rencontrées par ces locuteurs pour qu’ils puissent intervenir de manière efficiente dans l’ensemble des situations de communication rencontrées au niveau professionnel.
Mots-clés : illettrisme, oral, didactique, faiblement scolarisés, compétence
Abstract :
Since the seventies, studies have shown an inability for poorly educated speakers to mobilize the linguistic means necessary to make themselves understood unambiguously in the spoken word. However, even today, the training offered to these adults in the framework of social and professional reintegration schemes mainly focuses on improving their written skills. The objective of this study is to propose a methodology that would allow the implementation of remedial activities in oral communication and that could respond to a certain number of language difficulties encountered by these speakers so that they can intervene efficiently in all communication situations encountered at the professional level.
Keywords : illiteracy, oral, didactic, low schooling, proficiency
« Il y a une différence fondamentale entre ce qui n’est pas dit parce qu’il n’y a pas d’occasion de le dire et ce qui n’est pas dit parce qu’on n’a pas de moyen de le dire. »
Hymes (1984, p.33)
Introduction
Les multiples appellations proposées au fil des années pour qualifier le champ de la formation pour adultes rendent compte des tensions politiques (Dubar, 2008) : éducation populaire, éducation permanente, formation professionnelle continue, formation tout au long de la vie, etc. mais aussi des difficultés à définir ce que l’on souhaite comme prise en charge notamment pour les publics faiblement scolarisés (Leclercq, 2014). En effet, si les programmes de formation proposés à ces apprenants ont été élaborés à l’origine à partir d’objectifs éducatifs élémentaires (lire, écrire, compter) les formations dispensées aujourd’hui (Compétences clés, Cléa, etc.) se sont élargies à d’autres objectifs pédagogiques (utilisation du numérique, apprentissage d’une langue étrangère, etc.). L’objectif de cet article n’est pas de présenter un historique des dispositifs proposés aux publics faiblement scolarisés, ni même de caractériser les apprenants qui intègrent sur les formations d’adultes en insertion car les contributions d’autres auteures sont très riches sur ce thème (notamment Leclercq, 2017 ; Guernier, 2012, etc.). De même, nous ne ferons qu’évoquer la « révolution paradigmatique » (Vicher, 2009) qui a permis d’introduire la notion de compétences clés en complément de la notion d’illettrisme. Ce changement terminologique a certes des retombées politiques ou des incidences didactiques, mais nous souhaitons dans cet article vérifier plus spécifiquement la portée de cette évolution dans la pratique des formateurs œuvrant sur ce type de formation. Notre objectif est de nous interroger dans un premier temps sur la nécessaire redéfinition des difficultés rencontrées par les adultes natifs faiblement scolarisés. Car, si les institutions gouvernementales en France ont reconnu que les français pouvaient avoir un rapport difficile à la langue écrite[1], il est temps maintenant d’interroger cette croyance que tout individu natif francophone faiblement scolarisé peut avoir des difficultés à l’écrit certes, mais pas à l’oral. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux apports de la didactique du Français Langue Maternelle dans l’élaboration de formations plus adaptées pour ces publics. Enfin, à la suite de ces réflexions, nous proposerons une méthode expérimentale d’enseignement de l’oral illustrée par un exemple pratique d’utilisation.
- La nécessaire redéfinition des difficultés langagières rencontrées par les publics faiblement scolarisés
Pour comprendre le monde qui l’entoure, un individu doit comprendre ce qui est dit à l’oral comme à l’écrit, construire du sens en interprétant parfois des informations contradictoires, tout cela en tenant compte du contexte. Il faut donc, dans toutes les situations de communication rencontrées, qu’il sache utiliser des formes langagières pour informer, expliquer, argumenter, négocier, poser des questions, etc. Entretenir des interactions sociales satisfaisantes nécessite donc l’acquisition de compétences (linguistiques, interactionnelles et sociales) à l’écrit mais aussi à l’oral. Or, nous pouvons relever dans les interactions avec des locuteurs faiblement scolarisés, des interventions qui ne sont pas efficientes c’est-à-dire des interventions où ces locuteurs montrent des difficultés de maitrise de certaines compétences interactionnelles, ce qui ne permet pas une co-construction aboutie de l’échange : utilisation d’anaphores pronominales floues, indices spatio-temporels non adaptés à la situation d’énonciation, rupture et enchâssement de thématiques, prise d’indices hasardeuse, rupture de la règle de dépendance séquentielle, etc. (Langbach, 2014a).
Malgré ce constat, ces compétences interactionnelles sont rarement identifiées et travaillées lors de formations destinées aux personnes faiblement scolarisées qui pourtant se trouvent en insécurité langagière dans de nombreuses situations de communications à l’oral. Ces compétences restent plus souvent évoquées qu’abordées et lorsqu’il en est question, la méthode mise en œuvre pour améliorer les capacités langagières à l’oral des apprenants tient plus de la discussion que d’un réel travail sur la langue et des enjeux de sa maitrise. De fait, les programmes élaborés sont insuffisants, voire inexistants, pour permettre aux personnes faiblement scolarisées d’endosser les nouveaux rôles qui s’offrent à elles dans le cadre privé ou professionnel et encore moins de s’approprier les compétences langagières en lien avec ces rôles (Boutet, 1998). Pourtant, certains auteurs évoquent, depuis les années soixante-dix, les difficultés langagières à l’oral de ces publics (Bernstein, 1975 ; Bautier, 1995 ; Bentolila, 1996). Bentolila a présenté une étude, réalisée auprès de jeunes francophones en situation d’illettrisme, qui montrait les difficultés éprouvées par certains publics à la fois en lecture et en expression orale. Les résultats de cette recherche ont montré que la correspondance entre les performances réalisées en lecture et celles réalisées à l’oral est nette, et elle est d’autant plus significative que les performances en lecture sont faibles : les jeunes qui lisaient de façon satisfaisante avaient su adapter leur discours oral à une situation de communication imposée (relater un évènement à une personne inconnue) ; a contrario, les jeunes qui avaient échoué dans la lecture d’au moins deux textes présentés dans le cadre de cette recherche avaient, pour 85 % d’entre eux, démontré une incapacité à mobiliser les moyens linguistiques nécessaires pour se faire comprendre sans ambiguïté à l’oral d’un auditeur qui ne les connaissait pas. On peut citer pour exemple quelques difficultés rencontrées par ces jeunes : absence de contextualisation dans le temps et l’espace ou encore utilisation de références ambiguës. Précisons que c’est l’ensemble de ces facteurs associés qui rend les propos de ces locuteurs peu compréhensibles pour les autres interlocuteurs. Pour Bentolila (op.cit.), ces pratiques langagières reflètent une absence de conscience des fonctions du langage.
Cette expérience nous montre qu’il existe une interrelation entre l’apprentissage de l’oral et de l’écrit. En d’autres termes, améliorer les compétences à l’oral des publics faiblement scolarisés améliorerait l’acquisition du code écrit et inversement. L’illettrisme ne se caractériserait donc pas essentiellement par des difficultés d’apprentissage de l’écrit mais plus largement par un déficit global des compétences langagières. Aujourd’hui, d’autres études en psycholinguistique développementale confirment ces premières thèses et montrent que les difficultés des adultes en situation d’illettrisme ne se limitent pas au traitement du langage écrit mais qu’elles concernent aussi la langue à l’oral. Ces recherches (Eme, Reilly et Almecija, 2009 ; Eme, Lacroix et Almecija, 2010 ; Eme, Chaminaud, Bernicot et Laval, 2011 ; Eme, Nantes et Delliaux, 2011) proposent une analyse très fine du discours des personnes en situation d’illettrisme et montrent que celui-ci est élaboré à partir de particularités d’expression (par exemple des erreurs d’interprétations dans des structures syntaxiques complexes) qui rendent le discours de ces personnes difficile à suivre. Des différences avec les discours de lettrés sont aussi à noter dans la construction de la structure narrative et la cohésion de leur discours. Pour ces chercheurs (op.cit.), ces difficultés à l’oral se traduisent notamment par une focalisation sur les actions des personnages mais aussi par le manque de lien de causalité ou de conséquence, l’utilisation de marqueurs référentiels erronés ou ambigus, ou encore la difficulté à se détacher d’une situation connue ou vécue (Langbach, 2014a). Enfin, ces recherches font aussi état de problèmes de compréhension lorsque les personnes en situation d’illettrisme sont face à des formes de langage non littérales : par exemple lorsque ces locuteurs sont l’objet de sarcasmes mais aussi lorsqu’ils doivent répondre à des demandes indirectes ou interpréter des énoncés contenant des expressions idiomatiques.
Ces résultats sont évidemment en opposition avec une représentation de la personne en situation d’illettrisme qui ne sait ni lire ni écrire mais qui peut communiquer d’une manière efficiente à l’oral dans toutes les situations d’interaction rencontrées. Les études présentées dans cet article et nos travaux (Langbach, 2014b) montrent que les adultes en situation d’illettrisme parviennent difficilement à construire des discours élaborés à l’oral. En effet, si les difficultés énoncées en communication orale peuvent gêner l’entrée dans l’écrit, elles vont également affecter les capacités communicatives des locuteurs faiblement scolarisés dans les interactions sociales ou professionnelles qu’ils vont vivre en dehors des relations de connivence[2]. De plus, nous pouvons ajouter que la maitrise de l’ensemble des pratiques langagières à maîtriser pour entrer dans une interaction efficiente dépasse le cadre limité de l’illettrisme ou des compétences de base car la part langagière est transversale à l’ensemble des compétences qu’il faut maitriser pour être en capacité de comprendre et de participer au monde qui nous entoure ((Nassau, dans ce même numéro). C’est pourquoi les dispositifs de formation proposés pour améliorer les capacités langagières des personnes faiblement scolarisées ne peuvent et ne doivent plus se cantonner à un module « communiquer en français ». Il nous semble donc opportun aujourd’hui de remettre en question l’utilisation du terme illettrisme, car celui-ci cible plus spécifiquement les difficultés à l’écrit de ces personnes, en utilisant à la suite d’Adami et André (2014), le concept d’insécurité langagière plus à même de caractériser les difficultés linguistique, interactionnelle, pragmatique et sociale que peut rencontrer un locuteur faiblement scolarisé à l’oral comme à l’écrit. Le concept d’insécurité langagière, ou plutôt de sécurité langagière si l’on souhaite faire acquérir de nouvelles pratiques langagières à ce public, reflète bien la dimension transversale des compétences qu’il faut maitriser aujourd’hui pour s’insérer socialement et professionnellement. Ainsi, le choix de ce terme nous permet d’ouvrir d’autres champs de recherche en didactique du Français Langue Maternelle à l’oral pour les adultes natifs et pose notamment la question des moyens didactiques à développer pour améliorer les capacités orales en expression et en compréhension des publics en insécurité langagière.
- Le Français Langue Maternelle pour la formation des adultes natifs faiblement scolarisés.
Les didactiques du français Langue Maternelle (FLM) et du Français Langue Etrangère (FLE) sont des sources de réflexion pour les recherches sur l’enseignement/apprentissage du français pour les adultes natifs faiblement scolarisés. Cependant, si l’apport de ces courants didactiques pour une meilleure compréhension des difficultés rencontrées à l’écrit comme à l’oral par ces publics n’est pas discutable, il faut néanmoins souligner le désert didactique et le manque d’outils pédagogiques adaptés, pour aider notamment les locuteurs adultes à agir de manière efficiente lors d’interactions verbales à l’oral. Il n’est pas simple de construire des interactions génératrices d’apprentissages car, comme le rappelle Combettes (2013), nous ne pouvons apprendre en discutant qu’à certaines conditions. Cela suppose de travailler, à l’oral, les différents registres d’usages de la langue, mais aussi de présenter la langue comme un outil de pensée qui permet de dépasser le temps de l’émotion ou la simple expérience (Bautier, 2016). Mais pour ce faire, l’apprenant doit acquérir les outils linguistiques, pragmatiques et interactionnels qui l’amèneront à cette transformation, à cette nouvelle appréhension du monde. S’exprimer, c’est convoquer son expérience, ses opinions, les informations ordinaires, c’est utiliser le « déjà là » pour paraphraser Bautier (2016, p.117) mais c’est aussi construire quelque chose de nouveau, car comprendre et s’exprimer dans une interaction à l’oral c’est aussi avoir la possibilité de « mettre à distance, transformer l’expérience en objet de réflexion et d’analyse […] » (Ibid, p.117). Une telle approche des compétences à travailler avec ces publics possède un fort enjeu social car il s’agit d’adapter les prises en charge et les contenus de formation aux particularités du fonctionnement langagier de ces publics. L’enjeu didactique est d’apporter à ces apprenants l’ensemble des outils langagiers qui leur permettent cette mise à distance : il faut leur enseigner des pratiques langagières différentes des formes utilisées lors de conversations de connivence. Or, c’est précisément un rapport au langage plus spontané ou expressif que réflexif et cognitif qui est construit par ces locuteurs. Pour comprendre cet enjeu et avant de proposer une méthodologie, il nous semble nécessaire d’interroger les supports de formation et les documents qui servent d’outils de référence dans ces formations.
Parmi ces supports de référence, les référentiels occupent une place spécifique car ils constituent théoriquement des instruments de cadrage, de sélection et de hiérarchisation des savoirs retenus comme essentiels dans le parcours de l’apprenant (Leclercq et Vicher, 2012). En effet, le référentiel de formation est défini par ces auteurs (Ibid, p.96) comme « un support qui répertorie et formalise les compétences ou capacités attendues à la fin de séquences de formation, qui les situe sur une échelle ou les gradue selon les niveaux de maitrise et qui mentionne les critères d’évaluation ». Leclercq et Vicher rappellent également qu’au cours des dernières décennies, différents types de supports portant le nom de « référentiel » ont été diffusés et utilisés dans le domaine de la formation continue des adultes[3]. Ces outils utilisent des terminologies, occupent des fonctions spécifiques (référentiels de formation, d’évaluation, de certification, de compétences), et sont élaborés selon ou suivant des courants méthodologiques distincts. Les formations à destinations des publics en insécurité langagière n’ont évidemment pas échappé à la montée en puissance de cette tendance à la « réferentialisation » (Chauvigné et Lenoir, 2010 : 9, cités in Leclercq et Vicher, 2012).
Nous pouvons également évoquer les supports d’évaluation proposés aux apprenants lors d’une entrée en formation sur les dispositifs Compétences Clés par exemple. Pour évaluer ses compétences à l’oral, l’apprenant est bien souvent positionné sur une échelle de niveaux à partir d’un entretien informel succinct qui tient lieu d’évaluation de sa capacité à comprendre et à s’exprimer. Malheureusement, ce test ne renseigne en rien le formateur sur la nature et les causes des difficultés éventuellement rencontrées par l’adulte évalué. Pourtant, ce « positionnement » a, selon nous, pour objectif premier d’explorer l’ensemble des problématiques rencontrées par l’apprenant. Il doit être une grille d’analyse des difficultés mais aussi un recueil des stratégies mises en place par l’apprenant pour dépasser ou éviter celles-ci. Prenons un exemple pour illustrer notre propos. Le référentiel CléA est un des outils de référence utilisé dans les formations destinées aux publics en insécurité langagière. Ce référentiel de compétences à visée descriptive, annonce de façon générale ce qu’un individu doit être capable de dire, de faire, de réaliser pour être jugé compétent, c’est-à-dire de se comporter de manière adéquate et efficiente dans l’ensemble des situations de communication qu’il pourra rencontrer dans un cadre professionnel. Cependant, aucun outil linguistique n’est proposé ou spécifié pour atteindre cet objectif. Le formateur ne peut donc établir aucune articulation entre la construction de pratiques langagières adaptées à la situation de communication et les connaissances linguistiques et discursives nécessaires pour intervenir dans cette situation de façon efficiente. En réalité, les référentiels apportent des indices, des pistes sur les éléments à maitriser par les apprenants pour entrer dans des interactions personnelles, sociales ou professionnelles satisfaisantes (en fonction des degrés ou des niveaux travaillés) mais ils ne proposent aucune ressource, aucun outil pour améliorer les pratiques langagières du public qui suit la formation. Cela est sans doute dû à la difficulté de l’enseignement de l’oral, car pour Nonnon (2016, p.7) « il est partout mais comme transparent, cette présence n’amenant pas forcément une attention précise à sa réalité […] ». Pourtant pour Halté (1992), l’oral peut être l’objet d’un travail explicite à l’école ou en formation mais l’auteur ajoute : « est-ce à dire qu’il est enseignable ? ». Elaborer une didactique de l’oral adaptée aux besoins d’un public faiblement scolarisé est donc complexe. Si nous souhaitons faire de l’oral un objet d’enseignement à part entière, Maurer (2001, p.10) affirme qu’« il faut comme cela a été fait pour l’écrit passer par l’identification d’unités [langagières] pouvant constituer un programme mais aussi que ces unités soient susceptibles d’être mises en progression ». Nous partageons son point de vue, mais cela nécessite aussi de prendre en considération de nombreux autres éléments langagiers non perçus par ces locuteurs que nous pouvons qualifier de compétences masquées[4] (par exemple : s’adresser à un locuteur nécessite de comprendre l’enjeu spécifique de cette interaction pour proposer des pratiques langagières appropriées à cette situation particulière) car comme Filliettaz et Schubauer (2008, p.7) le précisent un locuteur « pour entrer dans une interaction satisfaisante agit sur, réagit à, se pose contre, se met en lien avec, etc. Bref, il interagit dans un environnement à la fois matériellement situé et historiquement déterminé ».
Pour s’incrire dans un enseignement adapté, nous devons donc proposer à ces publics des activités qui les aident à gérer les diverses normes qui sous-tendent les différentes situations de communication qu’ils pourront rencontrer dans leur vie personnelle ou professionnelle. La non-prise en compte des éléments linguistiques, pragmatiques ou socioculturels d’une situation spécifique ne peut qu’amener les formateurs à ne proposer que des activités décalées et sans intêret pour un travail sur la langue à l’oral. Nous devons aider ces locuteurs à acquerir un rapport au langage qui permette de travailler non seulement la compréhension et l’expression mais aussi à les amener à se questionner en termes d’enjeu, de statut, d’efficience, etc. sur les interactions qu’ils peuvent entretenir dans un cadre privé ou professionnel. Ainsi, il ne s’agit plus de travailler sur des exemples généralistes et décontextualisés mais de nous appuyer sur des situations de communication authentiques à l’oral qui permettront aux apprenants d’acquérir ces nouvelles compétences langagières. Pour ce faire, nous proposons une méthodologie qui pourrait permettre la mise en œuvre d’activités remédiatrices à l’oral mais aussi répondre à un certain nombre de difficultés rencontrées par les apprenants.
- L’exploitation de corpus oraux à des fins didactiques
Le travail d’expérimentation en cours que nous proposons dans cet article s’appuie sur l’exploitation d’un corpus recueilli dans le cadre d’une thèse (Langbach, 2014). Le terrain de recherche qui a retenu notre attention pour expérimenter notre méthodologie est une association de formation et d’insertion Lorraine qui dispense des formations de type « Compétences Clés ». Nous sommes intervenue auprès d’un groupe de trois personnes (deux hommes, une femme). Le formateur référent nous a confirmé que ce public possédait des caractéristiques identiques au public en insécurité langagière de notre corpus de thèse c’est-à-dire des locuteurs natifs francophones, faiblement scolarisés, en situation de recherche d’emploi.
Pour notre étude, nous avons choisi, avec l’accord du formateur, une situation de communication fréquente qui pose problème aux publics faiblement scolarisés lors de la préparation à un entretien d’embauche : il s’agit de la capacité à retracer son parcours professionnel. Nous précisons cependant que la méthodologie proposée ici semble pouvoir s’adapter à tous types d’interaction de la vie professionnelle (Voir Nassau, dans ce même numéro pour une proposition de la mise en œuvre de cette méthode en production écrite).
La méthodologie expérimentale proposée s’appuie sur l’exploitation de corpus oraux à des fins didactiques (André, 2019) et s’est déroulée en deux phases : la phase 1 (Ph1) que nous pouvons qualifier de phase de repérage de surface et la phase 2 (Ph2) qui est la phase d’exposition à des corpus oraux à des fins didactiques[5].
Phase 1. Phase de repérage des compétences de surface
Lors de la première phase de travail, nous avons proposé au groupe d’apprenants d’écouter un document audio, extrait de notre corpus de thèse, en lien avec une thématique de travail choisie avec le formateur.
Ce corpus est composé de trente-neuf interactions verbales réalisées avec des demandeurs d’emploi faiblement qualifiés dans le cadre de prestations d’accompagnement vers l’emploi. C’est à partir de ce corpus que nous avons décrit et analysé les insécurités langagières des publics faiblement scolarisés à l’oral. La durée totale de notre corpus est de 10h05mn58s.
Pour plus de clarté, nous allons contextualiser l’enregistrement proposé dans la phase 1 de cette expérimentation. Lors de la première phase de notre méthodologie (Ph1), le support audio retenu est un extrait d’une interaction orale, qui se déroule dans les locaux d’un organisme de formation prestataire de Pôle Emploi, entre un demandeur d’emploi convoqué pour un atelier recherche d’emploi et un conseiller emploi. L’objectif de ce rendez-vous est de permettre à ce conseiller (L1) de repérer les besoins du demandeur d’emploi (L2) en termes d’outils de recherche d’emploi (lettre de motivation, rédaction de CV, etc.) et/ou de lui proposer une aide plus personnalisée si besoin (prescription d’un accompagnement vers l’emploi, inscription sur d’autres ateliers pour améliorer les recherches d’emploi, etc.). Dans le cadre cette rencontre, le conseiller est donc amené à évoquer avec le demandeur d’emploi son parcours professionnel afin d’élaborer son CV par exemple.
Le support pédagogique présenté est l’enregistrement d’une situation d’interaction authentique non satisfaisante d’un point de vue linguistique, pragmatique et socioculturel. Lors d’une écoute guidée, les apprenants ont donc été confrontés à des difficultés langagières qu’ils pourraient eux-mêmes rencontrer dans une situation identique.
Enr 1. Retracer son parcours professionnel [6]
Niveau scolaire du demandeur d’emploi (L2) : 6ème
l.1 L1 parlez-moi un petit peu de votre parcours professionnel
l.2 L2 parcours parcours
l.3 L1 parcours professionnel c'est votre vie professionnelle c’est votre euh qu'est-ce que vous avez fait comme travail depuis euh
l.4 L2 oh j’ai fait pas hein mal j’ai fait des stages
l.5 L1 oui
l.6 L2 apprenti stage
l.7 L1 oui
l.8 L2 j'ai travaillé pas + j'ai travaillé des boites temporaires
l.9 L1 d'accord et pour quel emploi alors
l.10 L2 ben j'ai travaillé pour ECCO
l.11 L1 hum
l.12 L2 BIS
l.13 L1 oui et vous faisiez quoi pour ECCO et BIS
l.14 L2 manœuvre
l.15 L1 manœuvre d'accord dans quel secteur d'activité
l.16 L2 ben à *T* *anonymisation d'un nom de ville*
l.17 L1 ouais mais quel secteur d'activité qu'est-ce que vous faisiez comme travail
l.18 L2 ben j'étais euh + je faisais les tranchées tout ça
l.19 L1 les tranchées tout ça d'accord
Dans une analyse préalable à l’écoute de cet enregistrement par le groupe d’apprenants, nous avions relevé plusieurs types de difficultés rencontrées par le locuteur (L2).
- Le premier est d’ordre lexical. Le locuteur ne maitrise pas l’ensemble du lexique professionnel associé à cette situation de communication. On peut relever une méconnaissance de la colocation « parcours professionnel ». (l.2). L1 est obligé de préciser ce que signifie cette expression. (l.3).
- On remarque ensuite une prise d’indice hasardeuse centrée sur le terme secteur (l.15). La réponse apportée porte sur un « secteur » géographique en l’occurrence une ville (l.16) et non sur « secteur professionnel » (l.15) ce qui n’est donc pas une prise d’indice appropriée pour proposer une réponse satisfaisante.
- On peut aussi repérer la difficulté pour ce locuteur à présenter son secteur d’activité (l.16). (Bâtiment, travaux publics, etc.). En effet, celui-ci évoque plus facilement son parcours professionnel à partir des lieux où il a exercé (l.8 ; l.10) ou des tâches qu’il a réalisées (l.18).
- On peut également évoquer le fait que ce locuteur ne chronologise pas son parcours professionnel : on ne retrouve aucun indice de mise en date (début de contrat, durée des expériences professionnelles) ni indice linguistique (avant, après, ensuite, etc.)
- Enfin, en ce qui concerne la syntaxe, le locuteur L2, comme beaucoup de locuteurs faiblement scolarisés, utilise pour répondre au conseiller des énoncés très courts et très simples (l.10 ; l.12 ; l.14).
Lors de l’écoute de l’enregistrement, l’ensemble de ces difficultés n’a pas été abordé par les apprenants, et ceci, malgré une écoute guidée et accompagnée (Est-ce que vous pensez que nous avons tous les éléments pour comprendre le parcours professionnel de ce demandeur d’emploi ? ; quel est son métier ? Est-ce qu’il a des diplômes ?, etc.). Ainsi, de nombreux enjeux de cette interaction (nous reviendrons sur ce point) n’ont pas été relevés par les apprenants, ce qui conforte les résultats de notre première recherche. (Langbach, 2014a).
Cependant, lors de cette première phase d’expérimentation, les apprenants et nous même avons pu caractériser certaines difficultés linguistiques (lexicales, mise en chronologie minimale) rencontrées par le locuteur engagé dans cette interaction. Nous qualifions ces difficultés de difficultés de surface, car les différents points problématiques relevés (secteur d’activité absent, non maitrise du lexique professionnel, non chronologisation du parcours professionnel) car la résolution de ces difficultés ne nécessite pas un travail conséquent pour acquérir de nouvelles formes langagières : il ne s’agit bien souvent que de proposer des activités de mémorisation[7].
Avant d’entrée dans la phase 2. de notre méthodologie, nous avons souhaité aider les apprenants à approfondir leur connaissance de l’ensemble des compétences langagières liées à cette situation de communication. Nous avons donc décrit et analysé avec eux les mécanismes de gestion de ce genre d’interaction (Langbach, 2014a). Nous qualifions ces compétences de compétences masquées car ces éléments ne sont pas verbalisés. Elles sont pourtant indispensables à une gestion efficiente de l’interaction (comme par exemple la compréhension de l’enjeu de l’interaction). Entrer dans une interaction satisfaisante demande au locuteur de se positionner dans l’interaction : cela signifie que chacun des interactants a une place et un rôle dans l’échange. En fonction de ce positionnement, le locuteur doit se questionner sur le contenu qu’il doit produire (les éléments importants à verbaliser, les thématiques à aborder ou à ne pas aborder) mais aussi sur la façon de s’exprimer (par exemple : répondre d’une façon succincte ou au contraire très détaillée), sur la fréquence de sa prise de parole (qui dirige l’échange) dans cette situation de communication. Enfin, une réflexion doit porter sur les formes langagières utilisées : sont-elles efficaces ou non et si elles ne le sont pas, quels sont les outils linguistiques à maitriser pour verbaliser l’ensemble de ces informations ?
Pour la situation de travail choisie - un entretien d’embauche - un candidat doit apporter un maximum d’informations sur son parcours professionnel (les postes occupés, la durée des contrats, les tâches réalisées, les motifs de changement d’emploi, etc.) pour prouver qu’il est le plus qualifié pour le poste proposé. L’analyse et la description de l’interaction présentée en phase 1 montre que le locuteur demandeur d’emploi (L2) ne prend en compte ni l’enjeu ni le contexte pour gérer cette situation de communication. Dès lors, il ne parvient pas à conduire l’entretien à son avantage.
Ce travail introductif nous a permis d’entrer dans la phase 2 de notre méthode, la phase d’exposition.
Phase 2. La phase d’exposition
Dans la seconde phase de la méthodologie, la phase d’exposition (Ph2), les apprenants ont été exposés à d’autres extraits audio de notre corpus (deux enregistrements : Enr 2 et 3) Ces extraits présentaient des pratiques langagières plus efficaces et plus variées qui pourraient répondre d’une manière plus satisfaisante aux enjeux des interactions vécues. Nous précisons que les enregistrements proposés se déroulaient dans les mêmes conditions matérielles et psychosociales que le premier enregistrement : il s’agit d’une interaction entre un conseiller emploi et un demandeur d’emploi en situation d’accompagnement vers l’emploi.
Chaque enregistrement a été lui aussi finement analysé en amont de notre intervention auprès des apprenants. Nous avons choisi ces extraits en fonction des réponses qu’ils pouvaient apporter aux difficultés retenues pour le locuteur de l’enregistrement 1 mais aussi parce qu’ils contenaient des phénomènes interactionnels pertinents qui pourraient être réinvestis lors de cette phase d’exposition. Il s’agissait ainsi d’introduire des éléments langagiers complémentaires à ceux de l’enregistrement 1 et ainsi faire découvrir des pratiques langagières qui pourraient permettre aux apprenants d’intervenir d’une manière plus efficiente dans ce genre d’interaction.
Suite à la phase 1, nous avons écouté un à un les enregistrements de la phase 2. Après l’écoute de chaque enregistrement, nous avons posé quelques questions génériques à l’ensemble des apprenants : comment les autres locuteurs décrivent-ils leur parcours ? Quel est le rôle de chacun dans cette interaction ? Est-ce qu’il y a une personne qui prend ou qui doit plus prendre la parole ? Quel est l’objectif, le but de cette discussion ? Quels sont les thèmes à aborder dans le cadre de cette discussion ? etc.
Le focus sur ce genre spécifique d’interaction construit à partir de ces remarques, observations et questionnements, a été traité de manière très simple avec les apprenants. Puis, nous avons aidé les apprenants à relever les éléments qui nous semblaient importants à traiter au niveau didactique dans cette interaction.
Enr 2. Niveau scolaire du demandeur d’emploi : Brevet d’études Professionnelles.
l.1 L1 ok est-ce que vous pouvez me parler de votre parcours professionnel
l.2 L2 oui alors euh comme j’ai fait mon service dans la police après mon B.E.P après j’ai euh j’ai
l.3 fait euh j’ai travaillé euh dans le recyclage de palettes après j’ai travaillé en déplacement en
l.4 Allemagne après j’ai travaillé euh comme euh chez *S* comme eux pour de la mise en rayon
l.5 euh j’ai vendu un peu mais pas beaucoup et surtout pour de la mise en rayon pour la l’arrivage
l.6 de de marchandises tout ça après j’ai travaillé chez *S* dans les couettes comme cariste
l.7 L1 hum hum
l.8 L2 euh conducteur de Fenwick pendant deux fois neuf mois après euh je suis allé à *T* j’ai fait
l.9 agent de sécurité dans les magasins euh après euh agent de sécurité euh.
Dans ce premier enregistrement :
- le demandeur d’emploi (L2) entre rapidement et d’une manière satisfaisante dans l’interaction car il semble en comprendre les enjeux. En effet, tout d’abord, il précise son niveau de formation (après mon B.E.P ; l.2). Il évoque un diplôme même s’il ne précise pas dans quel domaine il l’a obtenu.
- ensuite, il reprend l’ensemble des métiers exercés : cariste (l.6) ; conducteur de Fenwick (l.8) ; agent de sécurité (l.9). Nous avions par ailleurs relevé des formes langagières intéressantes pour présenter ces métiers : j’ai travaillé dans (l.3) ; j’ai travaillé comme (l.6) ; j’ai fait (l.8).
- le locuteur propose également une description succincte des différentes tâches effectuées durant sa carrière : la vente (l.5) ; mise en rayon (l.5).
- il indique la durée d’un de ses contrats de travail : pendant deux fois neuf mois (l.8) et il s’essaye à une mise en chronologie, à l’élaboration d’une temporalité : il utilise la préposition « après » pour évoquer une idée de poursuite dans son parcours professionnel.
- enfin, au niveau syntaxique, le locuteur produit une phrase que l’on peut qualifier de complexe : On trouve une proposition causale introduite par « comme ».
l.2 L2 oui alors euh comme j’ai fait mon service dans la police après mon B.E.P après j’ai euh j’ai fait euh j’ai travaillé euh dans le recyclage de palettes
Cette construction grammaticale est intéressante mais elle n’est pas cohérente d’un point de vue sémantique car il n’y a aucune relation de cause à effet dans cet énoncé. Nous pouvons donc nous interroger sur le lien entre « avoir fait son service militaire dans la police » et « travailler dans le recyclage de palettes ». La structure langagière proposée par ce locuteur a été le point de départ d’une réflexion sur un énoncé plus complexe à produire pour les apprenants et ceci notamment sur l’expression des relations de causalité.
Nous avons ensuite écouté l’enregistrement 3, le second enregistrement du corpus d’exposition qui était également intéressant car il proposait des éléments langagiers supplémentaires aux apprenants.
Enr 3. Niveau scolaire du demandeur d’emploi : Brevet d’études Professionnelles en comptabilité
l.1 L1 vous pouvez me parler brièvement de votre parcours professionnel
l.2 L2 euh oui euh j’ai euh donc euh j’ai eu un diplôme en comptabilité et ensuite euh j’ai travaillé euh
l.3 essentiellement dans la grande distribution puisque je n’ai pas eu d’expérience en comptabilité
l.4 L1 d’accord
Dans cet extrait,
- le demandeur d’emploi (L2) répond, certes d’une manière partielle à la question posée, mais il montre qu’il a intégré lui aussi certains principes interactionnels qui régissent la situation de communication, notamment le fait de s’en tenir au thème du parcours professionnel.
- Il ne mentionne pas le niveau de son diplôme (l.2) mais il apporte une information complémentaire qui a pu être travaillée avec les apprenants : le locuteur (Enr 2.) évoque le domaine dans lequel il a obtenu son diplôme : la comptabilité (l.2).
- Il se définit également professionnellement par un secteur d’activité : dans la grande distribution (l.3). Enfin, ce locuteur propose lui aussi un énoncé plus complexe qui a été à l’origine d’une réflexion collective.
L2 […] j’ai travaillé euh essentiellement dans la grande distribution puisque je n’ai pas eu d’expérience en comptabilité
Cette construction demande au conseiller d’effectuer une inférence. Nous avons pu également travailler avec les apprenants à la reconstruction du sens de la proposition émise que nous pouvons résumer en ces termes :
J’ai obtenu mon diplôme / mais je n’ai pas trouvé de travail dans la comptabilité / j’ai donc cherché dans un autre secteur d’activité / j’ai trouvé dans le secteur de la grande distribution et finalement je suis restée dans ce secteur / donc je n’ai jamais eu d’expérience dans le domaine de la comptabilité.
Nous avons abordé chacun des éléments des enregistrements 2 et 3 que nous avions préalablement relevés. En guidant les apprenants, nous avons analysé plus finement la manière dont les deux locuteurs produisaient les informations émises (structures linguistiques et lexique utilisé, gestion de l’interaction, thématiques abordées, etc.).
Cette phase d’exposition a permis aux apprenants, non seulement de leur révéler les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer dans leurs propres productions verbales, de prendre conscience des différents niveaux de l’interaction mais aussi d’être confrontés aux formes langagières utilisées par d’autres locuteurs pour parler de leur parcours professionnel. Nous précisons que la liste des éléments langagiers à questionner aurait pu être démultipliée en fonction des indices que nous aurions pu trouver dans un corpus d’exposition plus conséquent. Nous avons souhaité dans cet article montrer comment, à partir de ces deux courts exemples d’interaction (Enr 2 et 3), nous avons pu travailler les compétences à l’oral de locuteurs faiblement scolarisés et ainsi les aider à acquérir de nouvelles pratiques langagières à l’oral. L’intérêt majeur de notre expérimentation était d’amener les locuteurs en difficulté à comprendre pourquoi la communication n’était pas efficiente dans la situation d’interaction proposée (Ph1) et de les conduire, en les exposant (Ph2) à des extraits de corpus oraux variés et plus conformes à ce que l’on peut attendre dans une situation de ce type. Ainsi, les apprenants ont pu vérifier nous semble-t-il, lors de cette activité guidée, l’intérêt de l’acquisition de certains savoirs ou de nouvelles formes langagières pour s’exprimer de manière plus appropriée mais aussi pour répondre à l’enjeu de la situation travaillée.
- Conclusion
L’objectif de cet article n’est pas de fournir une liste exhaustive des points à travailler avec ces locuteurs faiblement scolarisés mais de proposer une nouvelle piste pédagogique pour travailler leur rapport au langage et ainsi leur donner la capacité à communiquer d’une manière efficiente dans l’ensemble des situations de communication qu’ils pourraient être amenés à vivre au quotidien. Sur la base de ce travail, les premiers résultats positifs et notre objectif nous incitent à étendre cette expérimentation à d’autres situations de communication (professionnelle voire même quotidienne) qui pourraient nous permettre de travailler l’ensemble des difficultés rencontrées par ces publics à l’oral (Langbach, 2020 à paraître). Cependant cette nouvelle approche questionne aussi la formation des personnels qui accompagne les apprenants dans le cadre de ces dispositifs : les formateurs ne sont sans doute pas suffisamment armés pour relever, analyser, décrire l’ensemble des difficultés rencontrées à l’oral par ces publics. C’est pourquoi, les dispositifs actuels (notamment les Masters en didactique des langues) doivent proposer des formations à l’acquisition et à la maitrise de nouvelles pratiques pédagogiques pour les adultes francophones natifs. Ces constats établis et l’expérimentation proposée rendent compte du travail qui reste à mener au niveau de la didactique de l’oral mais aussi dans le champ de l’ingénierie de formation pour mettre en place des formations adaptées aux besoins des locuteurs natifs faiblement scolarisés. Une des pistes à retenir pour permettre à ces publics d’acquérir de manière pertinente de nouvelles pratiques langagières nous semble être l’exploitation de corpus oraux à des fins didactiques. Ce travail de constitution de corpus de repérage des compétences de surface et d’exposition sera certes conséquent mais il nous semble primordial si l’on souhaite une prise en charge adaptée des publics rencontrés sur ces dispositifs.
Cette première expérimentation est appelée à être élargie de façon à constituer les bases d’un travail de recherche ultérieur ainsi qu’une mise en application didactique.
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[1] Rapport remis au premier ministre (Espérandieu, Lion et Bénichou, 1984)
[2] Nous entendons par relation de connivence « Les relations entre pairs sociaux et professionnels, bâties sur des communautés de pratiques (Wenger, 1998) et des communautés épistémiques (Riley, 2002), fonctionnent sur le mode de la connivence, du « ça va de soi », c’est-à-dire de l’évidence des références sociales, pratiques et symbolique partagées ». Adami (2012)
[3] Notre article ne tiendra pas compte de la diversité des définitions de réferentiel. Pour davantage d’éléments sur ces différents types de réferentiel voir l’article de Leclercq et Vicher (2012).
[4] Nous reviendrons sur ce terme dans notre point 3.
[5] Nous reviendrons sur ces deux termes lors du déroulement de notre méthodologie.
[6] L’ensemble des extraits proposés sont tirés de notre corpus de recherche (Langbach, 2014a).
[7] Pour preuve, nous retrouvons très souvent des modules dédiés à ces difficultés dans les formations dispensées actuellement (par exemple « enrichissement du lexique professionnel » « comprendre un organigramme », etc.)