Introduction
Cet article porte sur le contexte particulier de l’enseignement de langues menacées de disparition. Il est basé sur des observations de terrain, en France, au Nicaragua et en Oregon, de langues en danger (LED), et plus particulièrement de langues très menacées. Dans les cas les plus favorables, il reste aujourd’hui quelques locuteurs âgés, mais le panel des situations sociolinguistiques prises en compte s’étend jusqu’aux cas de langues qui ne sont plus parlées, langues qualifiées de « dormantes » (dormant or sleeping languages dans la littérature en anglais). Sur chacun de ces terrains, des projets de revitalisation sont en cours, et ils intègrent un volet sur l’enseignement de ces langues.
Le propos de cet article est de montrer, à travers l’analyse contrastive de ces différents contextes sociolinguistiques, que l’enseignement de LED présente d’importantes spécificités par rapport aux situations d’enseignement de langue plus classiques, spécificités encore accrues pour les langues très menacées ou dormantes. L’analyse de ces situations interroge nécessairement la figure et le rôle du sujet, apprenant ou enseignant, acteurs engagés dans un projet collectif pour revitaliser la langue ancestrale, et attachés à elle par des liens affectifs et identitaires puissants et par un sentiment de responsabilité envers son avenir. Alors que l’usage quotidien de la langue a disparu, rendant quasiment impossible le recours à l’immersion pour l’apprentissage, l’observation des pratiques didactiques attestées localement amènent à questionner aussi la finalité de l’enseignement, les types de compétences à transmettre/apprendre ou le sens même de ce que signifie « parler » la langue pour les différents acteurs. Ces observations montrent que les hypothèses implicites sur lesquelles reposent les méthodes et les modèles didactiques dominants se révèlent peu appropriées pour ce type de contextes d’enseignement. Ces réflexions s’inscrivent dans la thématique générale des langues en danger, qui a pris une importance grandissante dans la sphère académique comme du point de vue sociétal, depuis plus de deux décennies (Hinton et Roche, 2018). La prise de conscience par la communauté scientifique de la menace pesant sur la diversité linguistique dans le monde s’est généralisé à partir des années 1990 (Craig, 1992; Hale, 1992; Tsunoda, 2006). Depuis, l’ampleur du phénomène de disparition des langues a pu être évalué, et il s’avère extrêmement important, puisqu’on considère que plus de la moitié des langues parlées aujourd’hui risque de s’éteindre au cours de ce siècle car ces langues ne sont plus apprises et parlées par les enfants de nos jours. Dans certaines régions du monde, c’est même jusqu’à 90% des langues qui semble vouées à disparaître, comme en Amérique du Nord par exemple (Delancey, 2010 ; Hinton, Huss, et Roche 2018; Krauss, 1992; Nettle et Romaine, 2000; UNESCO, 2003). Face à ce constat, un champ de la linguistique dédié à l’étude des Langues En Danger s’est peu à peu construit et institutionnalisé (Grinevald et Costa, 2010) . Il s’est constitué autour des domaines de la description de LED, de leur documentation et de l’archivage des corpus collectés, puis ensuite seulement, et après quelques réticences institutionnelles et académiques, il a pris en compte la question de la revitalisation de LED (Austin et Sallabank, 2011; Hinton et al. 2018). Parallèlement, de nombreux projets de revitalisation ont démarré durant ces décennies, des modèles et méthodes de transmission de LED ont été développés, et une réflexion plus critique sur la notion même de revitalisation a émergé (Cameron, 2007; Costa, 2010, 2013, 2016; Duchêne et Heller, 2008).
Le terme « revitalisation » sera employé dans cet article pour désigner les différents types de projets visant à favoriser le maintien ou le développement d’une langue perçue comme menacée par les membres de la communauté linguistique. Cet emploi du terme « revitalisation » dans un sens général englobe non seulement les projets destinés à favoriser l’augmentation de l’usage de cette langue et l’accroissement du nombre de ses locuteurs, mais aussi toutes les tentatives portant sur l’amélioration de son statut, de sa reconnaissance ou de sa visibilité. Nous ne restreignons pas la revitalisation à un processus linguistique mais nous la considérons comme un phénomène social (voir Costa, 2010; Pivot, 2014b). En France, le terme « revitalisation » était, jusqu’à récemment, rarement utilisé pour désigner les efforts en faveur de la reconnaissance et de l’enseignement des langues minoritaires, car ces mouvements de promotion des « langues régionales », débutés beaucoup plus tôt, relèvent d’une autre tradition de recherche et de militantisme que celle qui s’est développée plus récemment autour de la thématique des LED. En ce sens, la revitalisation de LED recouvre donc également les efforts conduits en faveur des langues régionales en France.
L’enseignement joue un rôle très important pour un grand nombre de projets de revitalisation. En effet, l’école est très souvent perçue comme le moyen de pallier l’abandon progressif de la transmission intergénérationnelle de la langue[1]. La littérature scientifique dans le domaine de l’enseignement de LED a déjà montré qu’il présentait des caractéristiques particulières (Costa, 2014; Hinton, 2008, 2011; Hornberger, 2010), mais il existe peu de publications portant spécifiquement sur les contextes de langues très menacées ou même « dormantes » (Baldwin et Costa, 2018; Hinton, 2001), sur leurs différences par rapport aux contextes d'apprentissage de langues secondes ou de langues d'origine, ou sur l’importance de la dimension identitaire et affective pour les acteurs (enseignants ou apprenants) de l’enseignement de LED.
Ces deux thèmes, étroitement liés, sont traités dans cet article selon une approche contrastive des situations de LED développée au laboratoire Dynamique Du Langage (DDL), puis poursuivie et approfondie au sein d’un réseau de recherche international nommé Language Revitalization Network (LRN)[2]. Cet article repose sur une approche interdisciplinaire entre linguiste (M. Bert), sociolinguiste (B. Pivot) et didacticienne de langue (K. Yerian). Il est le fruit des réflexions collectives entre les partenaires français et d’Oregon du réseau LRN, alimentées par les acteurs locaux avec lesquels nous sommes en dialogue en France, au Nicaragua et en Oregon[3].
Le texte qui suit propose d’abord 1) une présentation contrastive des trois situations sociolinguistiques de LED envisagées pour cette contribution, qui mettra en évidence les similarités qu’elles partagent malgré des contextes socio-historiques très différents. Sur cette base, il présente 2) les particularités de l’enseignement de langues très menacées, en soulignant en premier lieu l’importance de la dimension affective et identitaire pour les différents acteurs de l’enseignement. Il aborde ensuite la question des ressources pour l’enseignement de langues très menacées puis il décrit ensuite les pratiques et les contenus de l’enseignement de LED attestées sur les trois terrains d’étude. Enfin 3) la dernière partie pointe les limites des modèles d’enseignement de langues pour la revitalisation des langues très menacées. Nous concluons en proposant quelques pistes à envisager pour concevoir une didactique plus adaptée à ces contextes d’enseignement particuliers.
1. Présentation contrastive des terrains d’étude
Les réflexions conduites au sein de l’équipe LED TDR se basent sur des situations de LED nombreuses et très diversifiées. La présente discussion s’appuie principalement sur trois cas d’étude, le francoprovençal en France, le rama au Nicaragua et certaines des langues indigènes du Nord-ouest des États-Unis. Sur ces trois terrains, des chercheurs du réseau LRN décrivent et accompagnent depuis au moins deux décennies des projets de revitalisation engagés pour soutenir des langues très menacées.
Dans une perspective contrastive, nous présentons pour chacun des cas décrits ci-dessous, la localisation et l’extension des langues, les populations et leurs histoires, la vitalité et le statut des langues, les enjeux sociopolitiques à l’origine des projets de revitalisation, et nous terminons par de brèves indications sur le contact linguistique entre les langues menacées et la ou les langue(s) dominante(s).
1.1 Le francoprovençal
Le francoprovençal est l’une des langues régionales parlées en France métropolitaine. Découverte tardivement (Ascoli, 1873), maladroitement nommée puisque son nom évoque le mélange de deux langues, c’est une langue méconnue du grand public mais aussi de ses locuteurs eux-mêmes. En effet, parmi ces derniers, beaucoup ignorent le nom utilisé par les scientifiques pour désigner leur langue, et que leur parler local, qu’ils nomment patois, appartient à ce qui est considéré comme un même ensemble linguistique s’étendant en France, en Suisse et en Italie.
En France, situation que nous considérons ici, la vitalité du francoprovençal est très faible. La langue n’est plus parlée dans les villes depuis un siècle au moins. Les locuteurs pour qui le francoprovençal a été la langue de première socialisation sont aujourd’hui très peu nombreux, et ils sont très âgés. Les locuteurs ayant encore des connaissances dans la langue sont majoritairement des personnes âgées de plus de 60 ans, qui ont entendu la langue surtout durant leur enfance mais qui l’ont peu utilisée eux-mêmes. L’usage du francoprovençal en tant que langue du quotidien a pratiquement disparu (voir Bert et Costa, 2009, pour la situation au début de XXIe siècle). Si la honte liée à la langue est devenue moins fréquente, les souvenirs des punitions subies à l’école par les parents ou les grands-parents sont encore vivaces parmi les générations les plus âgées.
Le statut officiel du francoprovençal est ambigu. L’Etat français a lutté pour imposer le français sur l’ensemble de son territoire, en cherchant à reléguer les différentes langues régionales à la sphère du privé, et ces langues ont cessé peu à peu d’être transmises aux enfants. Aujourd’hui, la reconnaissance et l’enseignement des langues régionales restent très limités (Alen-Garabato et Cellier, 2009). Dans le cas du francoprovençal, la langue est reconnue comme une « langue de France[4] » par le Ministère de la Culture, mais celui de l’Éducation nationale refuse toujours son enseignement à l’école.
La Région Rhône-Alpes, dans laquelle se situe l’essentiel du domaine francoprovençal français, a officiellement reconnu la langue en 2009 (Conseil Régional Rhône-Alpes, 2009), et elle a lancé une politique linguistique en sa faveur (Bert et Martin, 2012. La motivation principale de la Région était la promotion du plurilinguisme, à travers les langues régionales, mais aussi les langues d’immigration. Mais en 2016 la Région a été étendue, englobant dorénavant l’Auvergne[5]. Le gouvernement régional a alors changé, et depuis, la politique linguistique régionale est beaucoup moins ambitieuse.
Au niveau local, il n’existe pas de tradition militante ancienne en faveur de la langue, contrairement à l’occitan ou au breton par exemple, faute de sentiment d’appartenance à un même ensemble linguistique et culturel. Les premiers chercheurs qui ont travaillé sur le francoprovençal étaient majoritairement des non-locuteurs, et ils travaillaient essentiellement en linguistique. Sur le terrain, les premiers mouvements organisés autour de la langue sont apparus en Savoie dans les années 1970. À cette époque l’État français a créé les différentes Régions, et certains savoyards, soutenant l’idée d’une Région Savoie, ont lutté pour que les deux départements savoyards ne soient pas englobés dans ce qui allait devenir la Région Rhône-Alpes (Auzias et al., 1983). Le francoprovençal de cette région, parfois appelé savoyard, a été mis en avant comme un particularisme culturel susceptible d’aider à la reconnaissance de cette région. Finalement, ils ne purent obtenir gain de cause, mais depuis, les groupes francoprovençaux locaux se sont multipliés, avoisinant aujourd’hui la cinquantaine sur l’ensemble du territoire francoprovençal français. Ces associations sont très actives au plan local mais souvent peu revendicatives (Bert et Pivot, 2015).
La langue est génétiquement et typologiquement proche du français, mais sa prosodie paroxytonique la rapproche des autres langues romanes. Contrairement à ce qui peut se passer dans la moitié nord de la France pour les différentes langues d’oïl, pratiquement aucun locuteur ne décrit le francoprovençal comme du français « déformé », « écorché » ou comme de l’« ancien français ». Même s’ils peuvent encore hésiter à considérer le francoprovençal comme une « vraie langue », les locuteurs ne pensent pas qu’il s’agisse d’une variété de français. Le francoprovençal est une langue à tradition orale, et s’il existe quelques écrits anciens dans cette langue, ils ne sont en général pas connus des locuteurs. Présentant une très grande diversité dialectale, le francoprovençal n’a jamais connu de graphie commune. Les propositions actuelles (graphie de Stich (Stich, 2001) ou de Conflan) sont ignorées des locuteurs et elles ne font pas consensus au sein des groupes locaux : chacun d’eux tend à utiliser un système se voulant le reflet de la prononciation locale (Bichurina et al., 2018; Pivot et Bert, 2016).
1.2 Le rama
Le rama est une langue parlée au Nicaragua. Il fait partie des langues indigènes qui ont réussi à perdurer dans la partie est du pays, sur la côte Atlantique. Parmi ces langues, le rama est celle qui est située la plus au sud. Le rama est la langue de l’ethnie du même nom qui vit sur le littoral ou dans la jungle à l’intérieur des terres. Le groupe ethnique des Rama a longtemps souffert d’une très forte discrimination, y compris de la part des autres groupes indigènes, et cela reste encore le cas aujourd’hui. Sous l’influence de missionnaires moraves arrivés à la fin du XIXe siècle, les Rama ont peu à peu abandonné leur langue au profit de la langue dominante de la région, le miskitu coast creol (MCC).
De nos jours, seules une douzaine de personnes, en général âgées, maitrisent encore le rama au sein de cette population de 3000 personnes environ. Si la langue officielle du Nicaragua est l’espagnol, la langue usuelle des Ramas est aujourd’hui le MCC, un créole à base anglaise parlé sur la côte atlantique. La population est encore peu alphabétisée, et si la langue d’enseignement est officiellement l’espagnol, c’est très souvent le MCC qui est employé en classe.
Constitutionnellement, les langues indigènes sont reconnues par l’État du Nicaragua. Au niveau régional, la Côte Atlantique bénéficie d’un statut d’autonomie qui prévoit que les langues et les langues indigènes soient enseignées, et fassent partie de programmes d’enseignement interculturel bilingue (EIB) (Freeland, 2003). Cependant, le rama n’étant pas la langue de première socialisation des enfants, ils ne bénéficient pas de ce programme (Grinevald et Pivot, 2013). Les cours de rama dispensés bénévolement et sporadiquement aux enfants au cours des trente dernières années sont le fait d’engagements individuels pour « sauver » la langue.
Depuis les années 1980, des efforts en faveur de la revitalisation de la langue ont été soutenus ou organisés par C. Grinevald, auteure de la première description linguistique de la langue, au sein du Rama Language Project (RLP) (Craig, 1992c, 1992b; Grinevald et al., 2009).
Quand la Région Atlantique a été créée, les communautés indigènes ont pu obtenir des droits sur leurs territoires ancestraux. Dans le cas des Rama, la langue rama a pris une soudaine importance, car avec le soutien du RLP, l’identification des toponymes ramas a permis la démarcation du domaine ancestral et sa reconnaissance comme territoire rama. Mais ce territoire subit actuellement différentes menaces, comme le projet du Canal Sec, censé doubler le Canal de Panama, ou l’invasion par des colons venus de l’Ouest qui défrichent la forêt pour implanter une agriculture intensive détruisant les terres et les rivières. Dans ce contexte, la langue est un argument pouvant être utilisé dans la lutte pour la protection du territoire (Grinevald et Kauffmann, 2006; Pivot, 2014a) Le rama est une langue dont l’inventaire phonologique n'est pas très éloigné de celui de l’espagnol ou du MCC (créole à bas anglaise). Même si la structure SOV du rama le distingue de l’anglais et de l’espagnol, ces trois langues ne présentent pas entre elles de différences typologiques aussi importantes que la plupart des langues d’Oregon avec l’anglais (voir ci-dessous). De tradition orale, le rama ne dispose pas d’écrits anciens. Une graphie a été créée par C. Grinevald. Elle sert de base pour l’enseignement de la langue, même si elle n’est pas toujours respectée par les enseignants qui ne maitrisent pas les principes graphiques de la langue.
1.3 Les langues amérindiennes d’Oregon et du Nord Ouest des États-Unis
L’Oregon est un État des États-Unis situé sur la côte Pacifique, entre celui de Washington au Nord et celui de Californie au Sud. Cette région du Nord Ouest des États-Unis était une des plus riches du monde du point de vue de la diversité linguistique (Delancey, 2010). Avant les premiers contacts avec les colons, de nombreux peuples amérindiens vivaient dans cette région, et ils parlaient des langues très diverses, appartenant à des familles linguistiques différentes (Berg, 2007).
La population amérindienne représente aujourd’hui environ 1% de la population générale d’Oregon. Il s’agit des descendants de peuples qui ont été décimés suite à l’arrivée des premiers colons, il y a moins de deux cents ans. Les épidémies ont été l’origine du décès d’une part très importante de la population, parfois jusqu’à 90%, et d’autres décès ont suivi suite aux guerres avec l’armée fédérale, aux tueries parfois organisées par certains colons ou à la malnutrition. Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, les populations amérindiennes de cette région des États-Unis ont été déportées vers des Réserves, le plus souvent hors de leurs territoires d’origine, réunies arbitrairement entre elles, sur des espaces souvent restreints. Aucun des Traités créant ces Réserves n’a ensuite été respecté[6], et les Réserves ont vu peu à peu leur taille diminuer, jusqu’à la politique conduite après la Seconde Guerre mondiale, appelée « Termination », très virulente en Oregon, durant laquelle des Réserves ont même été dissoutes[7]. L’existence des langues ancestrales est un argument important pour soutenir les diverses démarches de revendication de territoires ou de droits spécifiques. Elles sont un des éléments servant à prouver l’authenticité des groupes ethniques et la légitimité de leurs demandes.
Cette histoire violente d’expropriation et de déportation, considérée comme un génocide par certains Amérindiens ou par des chercheurs, a engendré un traumatisme qui perdure de nos jours : ce trauma, terme courant servant à le désigner, est considéré comme étant à l’origine des nombreux problèmes sociaux (addiction, délinquance, chômage…) ou du taux élevé de suicide que connaissent certaines communautés.
L’État fédéral est l’instance qui reconnait officiellement les Réserves amérindiennes, considérées comme des territoire autonomes, disposant chacune de leur propre gouvernement. Le Tribal governement, élu par les membres adultes de la Réserve, gère les domaines qui relèvent de ses prérogatives. Celles-ci diffèrent selon les Réserves, des réclamations auprès de la Cour Suprême ayant par exemple permis à certaines d’obtenir récemment des droits supplémentaires[8]. Les prérogatives habituelles portent entre autres sur les critères d’appartenance à la Réserve (avoir une ascendance venant de la tribu, selon un pourcentage d’ascendants qui diffèrent selon les cas), et elles concernent aussi la gestion du territoire, celle des casinos[9] ou les affaires culturelles.
L’enseignement dans les Réserves est organisé de la même manière que le reste du territoire américain, mais le gouvernement local peut décider de soutenir l’enseignement d’une ou plusieurs langues. En Oregon, une tribu peut parrainer une personne pour qu'elle reçoive une "licence d'enseignement des langues des Indiens d'Amérique" et, à condition que cette personne satisfasse à d'autres exigences légales, telles qu'un examen d’ethic, elle peut alors enseigner la langue en question sans avoir besoin d'obtenir la regular teaching license.
La vitalité des langues d’Oregon diffère selon les cas considérés, mais toutes ces langues sont actuellement très menacées. Ceci s’explique par l’histoire évoquée plus haut des populations qui parlaient ces langues, ainsi que par la politique fédérale des internats (boarding schools[10]). Parmi la douzaine de langues pour lesquelles il existe des collaborations avec NILI, seules quelques-unes ont encore des locuteurs natifs, et tous sont des personnes âgées (par ex. la langue Ichishkiín, Réserve de Warm Springs). Dans d’autres cas, la langue subsiste sous la forme de phrases figées et de mots restés dans la mémoire des plus anciens. Enfin, la langue a pu disparaître à date plus ou moins récente (cas des « sleeping languages »). La demande sociale de revitalisation est souvent soutenue par le gouvernement de la Réserve (exemple de la Réserve Confederated Tribes of Coos, Lower Umpqua and Siuslaw Indians, Oregon) ou par la tribu quand celle-ci ne dispose pas/plus de Réserve officielle. Dans certains cas, de nouveaux locuteurs, aux compétences plus ou moins étendues, ont pu apparaître.
Du point de vue linguistique, la distance entre les langues d’Oregon et l’anglais est en général très importante : l’inventaire phonologique de ces langues est beaucoup plus riche, et la morphosyntaxe très différente et très complexe[11]. Les langues des communautés indigènes sont des langues à tradition orale. Pour certaines d’entre elles, des analyses linguistiques et des dictionnaires ont été rédigés durant ces dernières décennies, mais pour d’autres, les descriptions sont très lacunaires. Les graphies standardisées, quand elles existent, sont très récentes. Les données anciennes (écrits de missionnaires ou d’anthropologues par exemple) et d’éventuels enregistrements anciens sont donc des sources très précieuses pour les communautés. Le programme Recovering Voices dirigé par G. Pérez Báez (voir la note 2 décrivant le réseau LRN) peut fournir une aide pour les localiser et les exploiter.
1.4 Similarités entre les trois cas d’étude
Les trois situations de LED envisagées ici s’inscrivent dans des contextes sociopolitiques très différents, mais elles partagent des traits communs, caractéristiques des situations de langues très menacées.
Le niveau de vitalité des langues est dans les trois cas très faible aujourd’hui (considéré au mieux comme « sérieusement en danger » par l’UNESCO[12]). S’il reste encore des locuteurs pour qui la LED était langue maternelle ou co-maternelle, ils sont très peu nombreux et âgés, et même parmi eux, très peu parlent encore la langue de manière quotidienne. Souvent, les dernières personnes connaissant la langue n’en ont qu’une connaissance partielle. Parfois, seuls quelques mots subsistent dans la mémoire de certains membres âgés de la communauté, et s’ils les emploient, c’est en les insérant dans la langue dominante.
Dans les trois cas, ces LED sont en contact avec une langue officielle, standardisée et d’usage international (français, espagnol ou anglais). Toutefois, le rama illustre le cas d’un double contact, puisque la langue d’usage de la communauté est un créole, l’espagnol étant réservé aux domaines les plus formels, comme l’école ou l’administration. La distance linguistique entre LED et langue(s) dominante(s) varie selon les cas, ce qui peut influer sur l’enseignement de la langue (voir ci-dessous).
Les langues représentées ici sont toujours des langues minorisées : même si elles sont plus ou moins reconnues officiellement, leur statut légal est systématiquement inférieur à la langue dominante. Au mieux, elles bénéficient d’une certaine reconnaissance au niveau régional ou local. Dans les trois cas, les populations, dont ces langues sont les langues ancestrales, sont des populations minorisées. Le niveau de minorisation dépend évidemment des contextes socio-politiques. La discrimination est très forte dans le cas de la communauté rama et pour la population amérindienne des États-Unis. Mais une certaine infériorisation existe aussi dans le cas du francoprovençal en France, où il existe une promotion très présente d’une forme de culture élitiste, apanage d’une population très scolarisée et plutôt urbaine. La population rurale de culture populaire est même parfois réputée « sans culture » ! Nombre de personnes appartenant aux groupes locaux francoprovençaux ressentent un sentiment de mépris de la part de ceux qu’ils identifient comme appartenant à une élite[13].
Dans les trois situations décrites ici, des efforts en faveur des LED ont été entrepris, car la conscience d’une disparition possible s’est généralisée et ces langues ont acquis une importance particulière comme soutien possible dans une lutte pour la reconnaissance et la valorisation de groupes minorisés. Là encore, les enjeux sont plus ou moins cruciaux selon les communautés : les revendications sont principalement d’ordre culturel en France, alors qu’elles concernent des droits politiques ou territoriaux vitaux dans les deux autres cas.
Des soutiens institutionnels, nationaux et/ou régionaux sont présents, mais ces soutiens restent toujours relativement timides, généralement limités dans le temps et sur le plan des moyens accordés. Les projets de revitalisation prennent des formes différentes selon les pays, mais dans les trois cas l’école est censée jouer un rôle important dans le maintien et la perpétuation des langues. Pourtant, l’enseignement de ces langues reste assez marginal et touche relativement peu d’enfants.
Parmi les spécificités de l’enseignement de langues très menacées par rapport aux enseignements de langues plus classiques, objet de la section suivante, la présentation des trois terrains d’études qui précède laisse déjà envisager l’importance de la dimension affective et identitaires pour les personnes impliquées.
2. Particularités de l’enseignement de langues très menacées
Les enjeux sociaux de la revitalisation de LED se situent dans le retour de la transmission des savoirs linguistiques et des pratiques langagières. Cette transmission, si elle est clairement identifiée comme la clé de la revitalisation dans les discours épilinguistiques des acteurs de la revitalisation, devient problématique au moment de sa concrétisation, de sa mise en actes. D’une part, la transmission est envisagée comme relevant essentiellement de l’enseignement et non d’autres pratiques de socialisation, d’autre part, les efforts poursuivis dans le cadre de la revitalisation sont pensés comme devant aboutir à la « création » de locuteurs fluants[14] Dans ces deux perspectives, les attentes et les représentations, calquées sur les modèles sociaux de ce que sont les langues, de leur enseignement et de l’évaluation de leur maitrise, conditionnent les projets et les discours de la revitalisation.
Dans le cas des langues très menacées, comme ceux que nous étudions ici, la situation est rendue encore plus complexe en raison d’un certain nombre d’éléments spécifiques, que nous développons ci-dessous.
2.1 L’importance de la dimension affective et identitaire
La démarche des enseignants et apprenants de langues très menacées s’inscrit dans un projet commun de sauvegarde qui n’est pas présent dans les autres situations d’enseignement de langue. En effet, il s’agit d’assurer une perpétuation à ces langues qui ne sont pas ou presque plus parlées.
Dans les situations étudiées ici, cet objectif est formulé différemment selon les cas :
- pour le francoprovençal, l’expression la plus souvent employée au sein des groupes locaux est « faire vivre la langue »,
- pour le rama, l’objectif est de « rescatar la lengua » (« sauver la langue »),
- et pour les langues d’Oregon, il s’agit de « revitalize the language » ou, dans le cas des langues dormantes, de « awaken the language » (« réveiller la langue »).
Les apprenants et les enseignants sont donc « acteurs » de la revitalisation : par leurs efforts, ils envisagent de devenir les futurs membres d’une communauté linguistique qu’il s’agit de renforcer ou parfois de recréer. Souvent militants ou activistes, au minimum membres engagés dans un projet social commun, ils endossent la responsabilité d’apprendre et de transmettre la langue pour lui assurer un avenir. Le texte ci-dessous, issu du site des Confederated Tribes of Coos – Lower Umpqua – Siuslaw est représentatif de cette démarche :
We are the living descendants of the Milluk, Hanis, Siuslaw and Lower Umpqua people. It is our duty to know, teach, promote and perpetuate our native languages to our children. For thousands of years we have spoken our own, unique language. It has only been in the last 150 years that the majority of us have lost it. Not of our choosing, though. Today we are still rebuilding what was lost. We are relearning our languages. We are fortunate to have tribal members who are dedicating so much of their time to teach themselves our languages that were lost to all of us. We are collectively bringing back our native languages that were taken from us not too long ago. Please join us in relearning the languages that belonged to your ancestors, and belong to you [15].
Le sentiment de responsabilité, de devoir parfois, accentue fortement les effets d’éventuels sentiments d’échec éprouvés lors de l’apprentissage ou de l’enseignement. Ce poids particulier se ressent très nettement dans la formule employée lors d’un cours auprès d’étudiants de l’Université d’Oregon, pour la plupart d’origine indigènes, par une enseignante d’une langue dormante. Pour résumer le défi qu’elle s’est donné dans la revitalisation, elle expliquait : « I have to learn, I have to teach, I have to speak » (mars 2019).
Les motivations des acteurs de la revitalisation s’expliquent parfois par un engagement politique, une lutte pour la reconnaissance de la langue et de la communauté ressenties comme stigmatisées. Cette lutte prend la forme d’une revendication de « décolonisation » dans le cas de l’Oregon et au-delà de l’ensemble des États-Unis, où certains membres des tribus indigènes ne se considèrent pas comme faisant partie d’une communauté minoritaire, comme celle des afro-américains par exemple, mais comme first Americans.
Quel que soit leur degré d’engagement politique, les acteurs de la revitalisation éprouvent tous un lien particulier à la langue, avec une dimension affective et identitaire très forte. Ceci s’accompagne souvent d’un désir de réparation du préjudice, lié à la minorisation, parfois la prohibition, de la langue, subi par leurs ascendants. Cette langue dont ils se sentent privés les relie à leurs ascendants, à leur territoire et à la culture ancestrale, traditionnelle. Elle sert à conforter leur appartenance à un lieu, à des savoir-faire et un mode de vie, et leur attachement à un groupe de pairs. Ce lien très puissant à la langue peut exister aussi chez les personnes impliquées dans l’enseignement des « langues d’origine », ou des « heritage languages », mais dans ces derniers cas, la langue reste bien vivante sur le territoire d’origine. Pour les membres des langues très menacées, le désir de langue se double d’une responsabilité, parfois vécue ou perçue comme un devoir, de « faire vivre » la langue, de la revitaliser, de la sauver. Dans ces contextes où la conscience de la disparition de la langue s’est généralisée, les vieux locuteurs natifs se sentent souvent les derniers d’une longue lignée d’usagers de la langue, et l’idée que la langue s’éteindra après eux, qu’elle ne sera plus jamais parlée, génère chez eux comme parmi certains de leurs descendants un sentiment de tristesse difficile à partager auprès des personnes non concernées[16].
Cette dimension affective et identitaire et le sentiment de responsabilité vis-à-vis de l’avenir de la langue expliquent l’engagement pour la revitalisation de la langue. Mais cet engagement se heurte au manque chronique de ressources, en particulier pour l’enseignement de la langue.
2.2 La question des ressources pour l’enseignement de langues très menacées
Les LED sont en général des langues minoritaires et minorisées sur leurs territoires d’origine. De ce fait, elles ne disposent pas des mêmes soutiens et moyens que les langues dominantes. Les langues très menacées ou dormantes sont de plus confrontées à des besoins spécifiques liées à leur fragilité encore plus importante. Cette section abordera les questions des matériaux didactiques disponibles, des systèmes graphiques et de la formation des enseignants.
2.2.1 Le manque de matériaux didactiques et didactisables
Les LED, qui sont presque systématiquement des langues à tradition orale, sont souvent peu décrites et peu documentées. Certaines des langues considérées ici pourraient sembler au premier abord être mieux dotées, comme le francoprovençal. Toutefois, bien qu’étudié depuis plus d’un siècle, et proche de langues très bien décrites, comme le français ou l’occitan, la majorité des travaux ont porté, à partir d’atlas linguistiques ou de monographies, sur le lexique et la phonologie, et souvent pour décrire la variation dialectale. Les écrits anciens sont beaucoup moins nombreux qu’en occitan par exemple, et ils ont été rédigés dans des graphies différentes selon les auteurs. Les enregistrements sont relativement peu nombreux, en particulier les enregistrements de conversations spontanées, lesquelles sont devenues très rares aujourd’hui. Il existe donc peu de ressources pouvant servir à développer des matériaux pédagogiques, matériaux qui aujourd’hui sont, pour le francoprovençal en France, presque inexistants. Certains groupes ont parfois produit des supports pour « enseigner » la langue dans les écoles lors d’ateliers de sensibilisation et il existe quelques initiatives portées par d’anciens instituteurs qui ont donné le jour à des activités d’enseignement formel, mais ces ressources sont isolées et inconnues de celles et ceux qui n’en sont pas les auteurs.
Les ressources sur le rama sont encore moins nombreuses. La langue a fait l’objet d’une grammaire, mais cet écrit scientifique n’est pas exploitable directement. Le RLP, programme de soutien à la revitalisation du rama, a développé quelques supports d’enseignement, dont des petits manuels d’apprentissage de la langue (voir « let’s speak rama » ou « Nuunik » sur le site turkulka[17]), mais les personnes souhaitant enseigner la langue ne les connaissent pas ou n’y ont pas accès par manque d’infrastructures (internet et ordinateurs). Les cours de langue qui sont sporadiquement donnés aux enfants depuis 30 ans, reposent essentiellement sur une liste de mots (couleurs, nombres, animaux du quotidien, lexique de l’environnement proche) établie au début du projet, et réutilisée depuis lors sans perspective de progression.
Certaines langues d’Oregon ont également fait l’objet récemment de descriptions dans le cadre de masters ou de thèses, mais comme pour le rama, ces publications sont pour la plupart des analyses linguistiques peu exploitables directement pour un usage didactique. D’autres langues d’Oregon sont peu ou ne sont pas encore décrites, et dans le cas des langues dormantes, les données sur lesquelles s’appuyer pour mener ces études sont très rares et parcellaires. Toutefois, quelques communautés ont réussi à développer du matériel d’apprentissage de leur langue et à dispenser un enseignement, limité, dans des écoles, mais aussi à l’université ou dans des contextes d'éducation communautaire. Le Northwest Indian Language Institute a également commencé à élaborer des curriculums pour certaines langues, en collaboration avec des tribus et des étudiants de l’Université d’Oregon, toutefois les soutiens institutionnels sont souvent de courtes durées et les moyens financiers restent limités.
2.2.2 Le problème de la norme graphique
L’écriture est un médium en général considéré comme incontournable pour l’enseignement. Dans le cas des langues très en danger, à tradition orale et comme on l’a dit plus haut souvent très peu documentées ou ayant peu de ressources écrites, l’établissement d’une norme graphique pose un problème de taille au moment de produire les ressources d’enseignement : quelle graphie choisir et par extension, quelle forme dialectale privilégier ? Quand il existe déjà une graphie plus ou moins standardisée, ici essentiellement le rama qui n’a été décrit et donc graphié que par une seule personne, faisant alors de cette graphie la forme de référence, la graphie est récente et très peu de personnes la maîtrisent véritablement. Pour le francoprovençal, les productions contemporaines des différents groupes locaux font apparaitre des variations importantes dans les graphies locales ou individuelles, qui sont bien souvent une transposition du système phonographique du français. Très peu de membres des groupes ont recours aux systèmes proposés par des linguistes, et en particulier à celui basé sur une approche pan dialectale (Stich, 2001).
De plus, comme souvent dans les situations de LED, on observe ce que N. Dorian a qualifié d’obsession de la variation géographique (Dorian 1982) : chacun souhaite écrire ce qu’il prononce, reflet de sa propre variante géographique, mais aussi souvent de l’état de langue qu’il emploie ou connaît (langue archaïque des derniers locuteurs natifs vs langue relativement « évoluée », plus ou moins influencée par la langue dominante, pour les locuteurs partiels).
La question de la graphie se pose donc au moment de produire des supports didactiques. Les acteurs de la revitalisation ne maitrisent pas toujours les principes linguistiques et sociolinguistiques sous-jacents au choix de la graphie, voire, ils ne maitrisent pas les graphies disponibles. De plus, les personnes maitrisant la langue ne sont parfois pas incluses dans les projets de production de matériel didactique. Si ce sont des locuteurs qui réalisent eux-mêmes ces supports, ils ne sont pas toujours formés aux approches pédagogiques.
2.2.3 L’absence de ressources humaines et d’usages
Ce qui caractérise les situations de langues très en danger c’est la rareté, si ce n’est l’absence totale de locuteurs fluants, ou ayant assez de connaissances de la langue pour avoir la capacité de produire des interactions dans des contextes très diversifiés, et pour pouvoir transmettre ce savoir. Ce manque de ressources humaines, ajouté à celui des ressources documentaires, conditionne les possibles en termes de transmission et d’enseignement. En effet, la mise en place d’activités et leur diversité se trouvent limitées, tout comme la formation des personnes susceptibles de les créer et de les animer. Il ne suffit pas de disposer de compétences linguistiques pour être en mesure de les transmettre, soit pour des raisons administratives (ne peut pas enseigner qui veut en France par exemple, donc un locuteur qui n’est pas lui-même enseignant aura du mal à franchir les murs d’une école et à transmettre son savoir aux enfants), soit pour des raisons pédagogiques, être locuteur ne garantissant pas le fait de savoir transmettre. Dans des contextes où les personnes ressources sont très rares et généralement pas en situation de pouvoir former et transmettre, l’enseignement devient une gageure. Les acteurs de la revitalisation, qui s’engagent dans la transmission, souvent sans être locuteur, se sentent généralement démunis. Ils ressentent à la fois une insécurité linguistique plus ou moins importante, et une insécurité pédagogique. En Oregon par exemple, le fait que certains enseignants, qui se qualifient d’ailleurs parfois de teacher-learners, éprouvent ces sentiments d’insécurité même s’ils enseignent leur langue ancestrale depuis plusieurs années.
L’absence d’usage de la langue au quotidien et par un nombre significatif de personnes fluantes a comme conséquence de ne pouvoir avoir recours à un enseignement immersif, comme cela peut être le cas pour les expériences de language nests ou de master-apprentice par exemple (voir ci-dessous pour plus de détails). Comment envisager cette immersion si les enseignants ne sont pas eux-mêmes locuteurs, ou à défaut compétents dans les domaines requis par le contexte scolaire, et si le contact avec des locuteurs n’est pas envisageable (Hinton, 2003) ? Les tentatives d’immersion, comme à Grande Ronde en Oregon ou dans le village de Bangkukuk Taik chez les Ramas, sont des exceptions qui en elles-mêmes soulignent les limites de ces initiatives. Dans le premier cas, l’immersion est en fait un temps de pratique linguistique limité à certaines interactions et activités en classe de maternelle avec quelques enseignants ou assistants, mais qui n’a pas de prolongement structurel dans les classes supérieures. Dans le deuxième cas, il s’agit d’une visite faite par les élèves de l’école au domicile de la locutrice native du village pour qu’elle leur parle en rama tout en effectuant ses tâches domestiques quotidiennes.
A ces difficultés s’ajoute une autre particularité de l’enseignement de ces langues : il s’agit d’enseigner une langue alors que l’ensemble des acteurs, enseignants, apprenants ou locuteurs partagent tous une même langue commune, la langue dominante, qu’ils maitrisent mieux que la langue menacée. Ces personnes ambitionnent donc de communiquer dans une langue dans laquelle ils se sentent souvent peu à l’aise, en essayant d’avoir recours le moins possible à la langue qu’ils partagent et connaissent le mieux.
L’ensemble des particularités de l’enseignement de langues très menacées conditionne les expériences d’enseignement décrites dans la section suivante.
2.3 Pratiques typiques et contenus de l’enseignement
Les expériences d’enseignement attestées sur les trois terrains d’études présentent de nombreuses similitudes.
2.3.1 Enseignement de la prononciation et pratiques de l’écrit
Dans tous les cas, la prononciation de la langue est une des premières étapes de l’apprentissage, en association avec l’acquisition de vocabulaire. Une attention particulière est en général portée à certains phones ou traits prosodiques (accentuation, système tonal…) qui n’existent pas dans la langue dominante et qui prennent alors une valeur symbolique et emblématique de la langue. Alors même que ce sont des langues à tradition orale et que l’écrit est problématique pour la majorité des locuteurs et des acteurs de la revitalisation, l’apprentissage de la prononciation de la langue est fréquemment associé à la pratique scripturale. Ce recours à l’écrit a lieu dans un contexte où, comme évoqué précédemment, il y a très souvent concurrence entre différentes propositions de graphie, ce qui est parfois vécu comme un problème car l’idéologie ambiante prône souvent la nécessité d’une graphie unique, standardisée, sur le modèle de la langue dominante. L’acceptation d’une possible variété de graphies, qui pourrait inclure la variation dialectale à laquelle beaucoup de personnes sont très sensibles, n’est pas toujours envisagée.
La transmission de la phonologie comme son apprentissage relève bien souvent d’une pratique reconstituée, quand elle n’est pas tout simplement réinventée par ceux qui enseignent la langue. En effet, en l’absence d’usage généralisé, de rencontre possible avec des locuteurs natifs qui produisent les phonèmes permettant ainsi à l’apprenant d’entendre ceux qui sont différents de son répertoire, la réalisation phonologique de la langue très menacée dépend généralement d’une interprétation de la part de l’enseignant, pouvant conduire à des évolutions notables.. Les Rama par exemple ont dans leur langue le phonème présent à la fin du mot parking. Mais ce phonème peut se situer en début de mot, contrairement à l’anglais. Les enseignants, qui ne sont pas formées à la linguistique et qui n’ont jamais entendu ce son en initial d’un mot, écrivent bien le mot ngaliis (alligator) mais ils le prononcent [naliis] (Pivot et Chevrier 2015). Dans le cas de l’Oregon, nombre de langues ont un système phonologique très complexe, dont certains sont totalement inconnus en anglais, comme les stops éjectifs ou les nombreuses variétés de fricatives[18]. Il est parfois difficile pour des teacher-learners de prononcer ces sons inconnus et de les distinguer à l’écrit. Dans le cas du francoprovençal, la prosodie paroxytonique peut également poser problème à des enseignants habitués à ce que l’accent soit toujours sur la syllabe finale.
2.3.2. Enseignement du vocabulaire et de la grammaire
L’acquisition de la phonétique de la langue repose sur l’apprentissage de mots. Le vocabulaire appris est souvent constitué de séries de mots de domaines sémantiques comme les parties du corps, les animaux, les couleurs, les chiffres, ou relevant d’actions spécifiques comme cuisiner. Le vocabulaire est en général en relation avec certaines pratiques culturelles, des savoir-faire traditionnels comme, selon les contextes, pêcher, construire un bateau, moissonner, battre le blé, récolter des plantes sauvages, tresser des paniers, etc…
L’enseignement de la « grammaire » tend lui-aussi à se focaliser sur certains aspects linguistiques particuliers considérés comme emblématiques, comme par exemple la conjugaison pour les groupes locaux francoprovençaux, ou la construction du verbe dans certaines langues d’Oregon. D’autres aspects du système linguistique tels que les caractéristiques du discours, la pragmatique interactionnelle ou les fonctions sociales de la prosodie sont peu, ou ne sont jamais abordées, ce qui n’assure pas une acquisition permettant de s’exprimer dans toutes les situations de communication. Comme rare contre-exemple, on peut toutefois citer le Chinuk Wawa mentionné ci-dessus, qui est bien documenté, et soutenu financièrement grâce à divers fonds et académiquement par NILI. Cette langue parfois décrite comme un créole, possédant une morphosyntaxe peu complexe, dispose de classes monolingues qui ont permis l’émergence d’une nouvelle génération de néo-locuteurs capables d’interagir dans la langue dans plusieurs domaines d’usage.
Dans presque tous les cas, les apprenants, enfants ou adultes, acquièrent un certain nombre de mots, de routines, de formules figées comme les salutations, qui sont utilisées dans les interactions en langue dominante pour marquer l’entre-soi, la connivence, les liens communautaires. Les chansons peuvent servir aussi aux mêmes fins, qu’elles soient profanes ou sacrées comme parfois en Oregon, où existent aussi un apprentissage de textes oraux religieux employés lors des cérémonies comme le PowWows.
2.3.3. Rapport à la langue et à la culture
Si dans la plupart des cas, l’enseignement ne permet pas aux apprenants de devenir des locuteurs totalement fluants, beaucoup considèrent malgré tout qu’ils savent parler la langue. En effet, leur définition de « parler » ne renvoie pas à des compétences d’interactions complètes, mais signifie qu’ils « connaissent » la langue (ainsi « to know it » relevé aux Etats-Unis), qu’ils peuvent parler « one-one word » (relevé chez les Rama).
En plus des connaissances linguistiques, l’enseignement de langue permet, sur les trois terrains, de transmettre des éléments culturels, identitaires, comme la littérature orale ou les traditions ancestrales, et d’aider à maintenir des savoir-faire et pratiques traditionnelles. Ces éléments sont considérés comme une part essentielle de l’enseignement. S’y ajoutent l’histoire de la langue, de son oppression. Ainsi par exemple, transmettre l’histoire de l’interdiction de la langue à l’école est un des buts revendiqués par certains groupes francoprovençaux, ou rappeler le traumatisme des boarding-schools est essentiel pour les Indiens. Au-delà, c’est l’histoire de la stigmatisation ou de l’oppression des communautés, la colonisation, les déportations, qui sont enseignées avec et par la langue.
3. Les limites des modèles d’enseignement de langues pour la revitalisation des langues très menacées
Au regard des caractéristiques des langues très en danger exposées précédemment, il apparait que la revitalisation pensée comme devant se faire au travers d’un enseignement de la langue fait émerger un certain nombre de questions quant à sa mise en pratique et à sa finalité. L’enseignement de ces langues, qu’il soit ou non organisé dans un cadre scolaire, repose toujours sur des modèles et des méthodes qui ont été développés soit pour l’enseignement des langues en général, en fonction de leur statut (langue maternelle, langue seconde, langue étrangère, langue de scolarisation, langue d’origine), soit pour des contextes de revitalisation de langues dont la vitalité permet encore certaines pratiques. Dans tous les cas, ces modèles visent avant toute chose un usage communicationnel et interactionnel de la langue en situation usuelle. Ces modèles et ces méthodes sont inadaptés aux situations de langues très en danger puisqu’ils ne prennent pas en compte leurs caractéristiques spécifiques qui font une place importante aux valeurs emblématiques et aux fonctions symboliques de ces langues. Pourtant, ils sont tellement prégnants qu’ils ont façonné les représentations des locuteurs et des acteurs, qui envisagent difficilement de pouvoir faire autrement.
3.1. Ce que « parler une langue » peut signifier en contexte de revitalisation
Un des points sur lesquels les méthodes et les modèles d’enseignement existants viennent achopper, c’est sur la notion de « parler » la langue, donc finalement sur leur finalité. La revitalisation des langues en danger est en général pensée comme une action visant à « reparler » la langue et pose l’enseignement comme le moyen d’y parvenir. Les modèles et les approches didactiques associent à la notion de parler une langue des compétences communicatives et pragmatiques qui s’acquièrent selon des logiques de progression et qui sont évaluées à l’aune de niveaux attestés dans la réalisation de tâches communicatives échelonnées en fonction du but à atteindre, c’est-à-dire les compétences d’un locuteur natif idéalisé. Dans le cas des langues très en danger, bien qu’il soit envisageable dans certains cas et pour certains apprenants de devenir un locuteur fluant, il s’agit plus généralement d’apprendre des « blocs » de connaissances linguistiques, qui, outre le fait qu’ils sont souvent le reflet de l’état des connaissances disponibles sur la langue, renvoient aux usages symboliques de cette langue, afin par exemple de pouvoir montrer que la langue est encore présente. Ce sont des éléments essentiels pour les apprenants, qui reposent sur le lien affectif qu’ils ont avec la langue, sur leur désir de sauver la langue.
Dans le cas de langues très menacées, l’objectif d’apprendre à « parler la langue » prend un sens différent. Les contextes d'utilisation de la langue sont souvent très limités et se résument parfois à des moments organisés et dédiés à cela. Ils ont parfois la forme assez traditionnelle de cours, avec plus ou moins d’heures hebdomadaires, mais plus généralement, les pratiques langagières dans la langue ou à propos de la langue s’effectuent lors de réunions sociales entre acteurs de la revitalisation, ou de manifestations publiques organisées par ces acteurs qui sont l’occasion de mettre en scène la langue, de la faire entendre (Bert et Pivot, 2015). Dans ces contextes, être locuteur (ou parler la langue) revêt une signification qui peut aller de connaitre quelques mots isolés à du lexique relevant de certaines thématiques, de connaître quelques formules figées à être capable de construire des phrases simples, voire bien entendu, posséder des compétences plus développées.
Contrairement aux cours de langues étrangères classiques, il n’existe pas de communauté langagière cible plus large qui motiverait les apprenants à s’investir dans l’apprentissage pour un but communicatif. Dans les cas des langues très menacées, il n’y a en effet aucun autre endroit où se rendre pour rencontrer quelqu’un avec qui parler, il n’y a aucun contexte naturel et spontané, aucune raison ordinaire pour parler la langue.
Par conséquent, le fait de « parler » ne prend pas le même sens que celui qui est donné dans le cadre de l’enseignement habituel des langues, où personne n’imagine en général, faute de modèle alternatif, qu’une langue pourrait être utilisée à d’autres fins que comme média de communication usuelle.
3.2. Les limites de l’immersion pour les langues très menacées
Dans cette optique de « parler » la langue, un certain nombre d’efforts de revitalisation à travers le monde se sont concentrés sur la création de contextes dans lesquels les participants sont exposés autant que possible à la langue cible. Ce sont par exemple les programmes d’immersion tels que ceux mis en place à Hawaï ou en Nouvelle-Zélande pour le Maoris, ou encore les programmes « master-apprentice » qui sont développés en Californie avec certaines tribus indiennes (Hinton, 2002, 2008, 2011; Hinton et Hale, 2001).
Les modèles immersifs, souvent présentés comme les plus adéquats pour relancer la transmission et former de nouveaux locuteurs, présupposent une exposition intensive à la langue. En France, ce sont les modèles prisés par les langues régionales telles que le breton avec les écoles Diwan ou l’occitan avec les écoles Calendretas. Ils reposent sur le principe que la langue est un moyen de communication usuel et langue de première socialisation d’une communauté linguistique significative, qui rend donc pertinent, désirable et utile l’apprentissage de cette langue. Ces modèles rencontrent leurs limites dans le cas des langues très en danger, pour les raisons déjà évoquées de manque de ressources, d’absence de communautés linguistique avec laquelle communiquer. Il est toutefois intéressant de noter que les discours qui défendent les programmes d’immersion s’articulent surtout beaucoup des bienfaits cognitifs d’une exposition intensive dans l’enfance à une langue autre que la langue maternelle. L’argument permet aux écoles immersives des langues régionales de France de pallier l’absence de pratiques langagières hors du cadre scolaire par celui d’une utilité de l’apprentissage de la langue en danger pour favoriser un meilleur apprentissage par la suite d’une autre langue, plus usitée. Cette désirabilité du polyglottisme renforce le côté utilitariste de l’apprentissage des langues et fait peu de place à la dimension affective qui lie les apprenants des LED à leur langue.
Les programmes de master-apprentice et language nest, sont tous les deux issus des actions de revitalisation de langues en danger. Le premier est basé sur une association entre deux personnes : un locuteur de la langue cible qui consacre un temps important à un apprenant, pour échanger avec lui dans la langue durant les diverses activités de la vie quotidienne. Pour le second, ce sont des individus, familles ou amis, qui dédient des domaines spécifiques de leur domicile et de leur vie quotidienne à une utilisation si possible exclusive de la langue cible (First Peoples’ Cultural Council, 2013; Johnston et Johnson, 2002; Reyhner et Lockard, 2009). Cependant, la faisabilité de ces différents programmes dépend dans une large mesure de la présence de locuteurs possédant un niveau suffisant de maîtrise de la langue pour pouvoir proposer aux apprenants des contributions pour différents domaines et types d’interactions, ce qui n’est pas le cas des situations de langues très en danger.
3.3. Le rapport au savoir
Les trois cas de situation sociolinguistiques de langues très menacées analysés dans cet article montrent que les motivations qui poussent les acteurs de la revitalisation à apprendre leur langue et à vouloir l’enseigner s’appuient sur un rapport au savoir particulier. Il s’agit avant tout de sauver le plus possible de savoirs qui subsistent, dont on a encore la trace, la mémoire. La langue est ici intrinsèquement liée aux savoirs traditionnels à la façon dont ils permettent d’identifier un groupe, de le distinguer des autres. Elle authentifie l’ensemble des savoirs mais aussi les membres de la communauté. Ce lien identitaire, ce rapport à la culture est au cœur du désir de langue de l’apprenant des langues très en danger et il conditionne ses pratiques langagières, sa relation particulière au souhait de « parler » la langue. La plupart des modèles d’enseignement des langues s’ils prennent en compte la compétence culturelle, ne sont pour autant pas conçus pour s’articuler autour de cette compétence en la plaçant au centre de leurs didactiques.
La charge émotionnelle qui accompagne le désir de parler la langue très en danger, le désir de l’apprendre, est associée à la prise de conscience de la perte, de la disparition de celle-ci et des savoirs traditionnels, ainsi qu’au sentiment de tristesse qui en découle. Mais elle est également liée à un sentiment de responsabilité, de devoir envers la langue, envers les anciens, envers sa communauté, envers les générations futures. La fierté, l’engagement, la revendication mais aussi le préjudice subi et le désir de réparation font partie de la subjectivité de l’apprenant et construisent son rapport aux savoirs.
Conclusion
Le tableau ci-dessous propose une synthèse des modèles et des approches sur lesquels s’appuient les actions en faveur de la revitalisation des langues très en danger lorsqu’il s’agit de leur transmission/enseignement, donc de viser à « reparler » la langue. Il en souligne les limites essentiellement techniques et matérielles pour les langues très menacées ce qui permet de questionner la pertinence, ou tout du moins l’adéquation de ces modèles aux situations évoquées.
Modèles et approches pour l’enseignement des langues (et cultures) |
Ce qu’ils présupposent de l’usage des langues |
Ce qui se passe dans le cas des LED ++ |
Immersif |
Une exposition active et intensive à la langue |
Pas ou peu de locuteurs, ni de contextes étendus et naturellement communicatifs |
Communicationnel |
Un besoin d’utilisation de la langue pour communiquer |
Pas de contextes naturels, spontanés de communication usuelle, pas de contextes où il y a besoin de communiquer dans la langue cible |
Task-based language learning (apprentissage des langues basé sur la réalisation de tâches ) |
Aptitude à utiliser la langue comme moyen / support pour accomplir des tâches dans la vie réelle |
La maîtrise de la langue est limitée de sorte que des tâches complexes sont difficiles, voire impossibles à réaliser, si on utilise uniquement la langue cible. |
Evaluation (type CECR) |
L’acquisition de compétences équivalentes à celles d’un natif selon une progression par niveaux de savoirs langagiers |
Pas de progression par niveau, mais par « blocs » disponibles dans des domaines spécifiques |
Standardisation |
Une graphie normalisée |
Attachement à une variante particulière ou pas d’usages/pratiques de l’écrit |
Notre propos dans cet article était de montrer en quoi et comment l’analyse contrastive de trois situations sociolinguistiques de langues très en danger permettait de discuter la place et le rôle de la subjectivité, de l’affect ou du désir de langue et du rapport aux savoirs qui sous-tendent la démarche d’apprentissage et d’enseignement de ces langues. Après avoir exposé les caractéristiques spécifiques de ces contextes particuliers des trois cas d’études, nous avons discuté les différents modèles qui sont convoqués lors des programmes de revitalisation.
À l’aune de cette analyse, se pose alors la question de ce qu’est ou peut être la revitalisation de langues très menacées, et par extension quelle forme peut prendre leur enseignement et/ou leur apprentissage, donc quelles compétences doivent être prises en compte et valorisées parce que relevant de la finalité de cette revitalisation.
Hinton, Huss et Roche mettent en avant la possibilité que les efforts de la revitalisation conduisent dans certains cas à produire des locuteurs fluants, toutefois, ils soulignent que créer une communauté entière est difficilement envisageable :
However, having an entire community become fluent in an endangered language is a more difficult matter… In most cases, a final outcome where everyone in a community will know and use the Indigenous language may not ever happen. It may well be that language revitalization will remain a minority effort within communities, with a relatively small number of people knowing and using and promulgating their language each generation. Become a fluent speaker may be a specialty like basket-making or singing might be (Hinton, Huss, et Roche, 2018 : 500).
Le problème se pose clairement autour des attentes individuelles et collectives de cette revitalisation, à savoir quelles spécificités aura la communauté issue des actions de revitalisation, quelle sera la définition du locuteur. Répondre à ces questions, c’est prendre en compte l’importance des valeurs emblématiques et la fonction symbolique qui priment dans ces langues (Lüpke, 2018) et construire une didactique qui s’appuierait sur l’affect tout en repositionnant les savoirs dans les cadres des pratiques effectives des groupes et individus engagés dans la sauvegarde de leur langue.
Une autre voie possible, abordée jusqu'à présent principalement dans le contexte des langues minoritaires qui ont encore une certaine vitalité, consiste à mettre davantage l'accent sur le soutien aux pratiques bilingues entre les langues minoritaires et dominantes, au lieu de défendre une attitude plus puriste d’un enseignement et d’un apprentissage monolingues qui sont au cœur de certains modèles d'immersion qui cherchent à exclure l'utilisation de la langue dominante (Jones, 2017). Une approche relativement récente de la compréhension des pratiques bilingues dans les communautés et les écoles est le translanguaging (Vogel et Garcia, 2017). Cette approche a des implications à la fois théoriques et pratiques. Théoriquement, il postule que les locuteurs utilisent toutes les ressources linguistiques qu’ils possèdent dans le cadre d’un système, plutôt que des systèmes additifs et discrets entre lesquels ils basculent. Le «code switching » est ainsi reconceptualisé en tant que pratique très subjective consistant à utiliser deux langues ou plus au sein d’un même répertoire. Concrètement, cette approche accueille et préconise même l’utilisation de toutes les ressources linguistiques pour la communication sans chercher ni à les séparer, ni à les hiérarchiser. Cette approche a été utilisée par exemple dans des contextes de langues d’origine minorisées pour les apprenants qui ont pendant longtemps eu l’interdiction de parler leurs langues à l’école. Mais ce qu’il est important de noter ici, c’est que cette approche peut également être utilisée pour plaider en faveur de l’utilisation de la langue dominante lorsque cela est nécessaire en même temps que la langue en danger lorsque cela est possible. Avec cette approche, les apprenants n'ont pas besoin d'essayer de reproduire un contexte d'immersion dans lequel l'utilisation exclusive de la langue cible est idéale et idéalisée. Cette approche n’est cependant pas sans critiques. En ce qui concerne les idées théoriques concernant le cerveau bilingue, certaines perspectives pourraient faire valoir que cette traduction favorise une approche de l’utilisation de la langue «où tout est permis», dans laquelle la langue cible risque de ne pas être pleinement respectée ou protégée…Toutefois, accepter les pratiques et les savoirs partiels dans une langue ouvre la voie à une conception pédagogique plus flexible qui ne rejetterait pas l’apprentissage de la langue cible comme objectif mais s’autoriserait des chemins respectant les pratiques effectives de l’apprentissage des langues.
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[1] Une vaste enquête internationale récente conduite par G. Pérez Báez, G., R. Vogel et al. confirme qu’une forte proportion de projets de revitalisation cible un public d’enfants ou d’adolescents. A partir de plus de 240 questionnaires décrivant des projets de revitalisation de LED partout dans le monde, cette étude montre que « over a quarter of the responses describe objectives centered around language teaching and the use of the language in the schools » (Pérez Báez, Vogel, et Okura Koller, 2018). L’enseignement de langue est le type de projets le plus souvent cité par les personnes ayant répondu à cette enquête.
[2] Le Language Revitalization Network est composé de deux équipes françaises associées à des partenaires de l’Université d’Oregon. Les participants de ce réseau sont décrits ci-dessous.
Au sein de DDL, l’enseignement de LED est progressivement devenu un thème de réflexion de l’équipe Langues En Danger : Terrain, Description/Documentation, Revitalisation (LED TDR). Crée en 2009 dans le prolongement d’un projet ANR qui portait déjà sur le thème des LED, ce groupe de travail assure une formation aux étudiants et jeunes chercheurs travaillant en description de langues à tradition orale, spécialité de recherche de DDL, et souvent confrontés à des situations de LED.
Les activités de recherche de LED TDR ont débuté par des questionnements de terrain (vitalité de la langue, profils de locuteurs et méthode de travail avec eux pour la description et la documentation de LED) (Grinevald et Bert, 2010), puis ils ont inclus des réflexions d’ordre plus sociolinguistique pour aborder la thématique de la revitalisation de LED (Costa, 2010; Pivot, 2014b, 2017), de l’analyse des discours et des idéologies (Bert, 2010; Grinevald et Bert, 2011, 2012, 2014), et des réseaux d’acteurs impliqués dans la revitalisation et la transmission de LED (Bert et al., 2012; Bert, Grinevald, et Amaro, 2011). Grace à la diversité des terrains de recherche des membres de l’équipe, et la connaissance précise de certaines situations par un travail avec la communauté concernée sur plusieurs décennies, l’équipe a développé une approche des thématiques de LED basée sur des analyses contrastives, permettant de mettre en évidence des récurrences au-delà des différences liées à des contextes sociopolitiques très différents. Formée auprès de cette équipe durant son doctorat, Bénédicte Pivot, maintenant chercheure au sein de l’équipe d’accueil DIPRALANG de l’université Paul-Valéry à Montpellier, poursuit sa collaboration avec l’équipe LED-TDR.
L’équipe française entretient des contacts de longue date avec l’Université d’Oregon, et plusieurs institutions de cette université sont devenues partenaires au sein du réseau international LRN.
Le Northwest Indian Language Institute (NILI, dirigé par J. Underriner), fondé en 1998, est un centre de recherche dédié à l’étude des langues d’Oregon et des Etats voisins (une des zones de plus grande diversité linguistique dans le monde), en même temps qu’un centre de service pour les communautés indigènes qui cherchent à promouvoir et transmettre leurs langues. Cet institut, sans équivalent aux Etats-Unis, développe en partenariat avec les communautés indigènes, du matériel didactique afin de permettre l’enseignement de leurs langues, et il participe à la formation des enseignants. Pour certaines langues, il existe encore quelques locuteurs qui ont appris ces langues en tant que langues maternelles mais dans d'autres situations, les langues sont réactivées par les apprenants. La revitalisation de ces langues considérées comme « dormantes » (sleeping languages) et que des acteurs locaux tente de « réveiller » (to rewake) représente alors un défi.
Le programme de master Language Teaching Studies (LTS), dont Keli Yerian, co-autrice de cet article, est la directrice, assure la formation de futurs enseignants de langues. Les étudiants de ce programme se destinent en général à l’enseignement de langues très parlées, standardisées, reconnues internationalement, comme le français, le japonais ou le chinois, mais d’autres se préparent à l’enseignement de langues relevant du champ des heritage languages, correspondant plus ou moins à la catégorie des « langues d’origine » en France, des langues parlées hors de leur territoire d’origine par des communautés immigrées, comme par exemple l’espagnol aux Etats Unis. Enfin, le programme LTS accueille dorénavant chaque année des étudiants se formant à l’enseignement de langues indigènes des Etats-Unis. Ces étudiants, souvent issus de communautés indigènes, sont confrontés à des besoins en formation très différents du reste du public de programme, ce qui a obligé LTS à s’interroger sur les spécificités de l’enseignement de langues très menacées et des acteurs de cet enseignement.
Enfin, le département de linguistique a créé récemment une structure nommée Language Revitalization Lab (RLR), dirigée par G. Pérez Báez. Cette chercheure de terrain travaillant sur LED au Mexique est également responsable du programme Breath of Life - Recovering Voices qui accompagne des acteurs locaux de communautés indigènes engagés dans la revitalisation de leurs langues, pour les guider dans l’exploration des fonds du Smithsonian Institute de Washington DC afin de retrouver d’éventuels matériaux écrits ou sonores sur leurs langues, et pour les former linguistiquement à leur exploitation scientifique et didactique.
[3] Nous tenons à remercier ici à la fois les différents membres du réseau LRN pour leurs contributions à nos réflexions grâce aux discussions collectives, ainsi que nos interlocuteurs sur les trois terrains d’études.
[4] Les « langues de France » sont les 75 langues listées par B. Cerquiglini en vue de la signature par la France de Charte européenne des langues régionales et minoritaires en 1999 (https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/994000719/index.shtml).
[5] Cette extension a bouleversé les équilibres : l’Auvergne est presque totalement occitane, alors que l’ex Région Rhône-Alpes était plus ou moins un quart occitane et trois quarts francoprovençale.
[6] Voir « « Broken Treaties », documentaire sur l’histoire des Réserves en Oregon : https://www.opb.org/television/programs/oregonexperience/segment/broken-treaties-oregon-native-americans/
[7] Depuis, certaines ont pu être rétablies, mais la liste des communautés amérindiennes réclamant au moins une parcelle de leur territoire ancestral demeure très élevée.
[8] Domaine de la délinquance juvénile par exemple, Réserve de Yakima, État de Washington.
[9] Depuis 1988, les Réserves indiennes ont obtenu le droit d’ouvrir des casinos. Les produits financiers issus des jeux et des hôtels liés aux casinos sont redistribués aux membres de la Réserve, directement ou le plus souvent à travers des investissements pour l’ensemble de la communautés (centres de santé, culturels, sportifs, écoles, industries locales…).
[10] Durant plusieurs générations, les enfants à partir de 3 ans ont été enlevés à leur famille et envoyés dans des boarding schools (pensionnats), souvent loin de chez eux. Cette politique visait à les « civiliser ». Ils devaient apprendre l’anglais et les langues autochtones étaient interdites. Parmi les nombreux sévices subis par les enfants, certains avaient pour origine l’usage de la langue ancestrale (Delancey 2010).
[11] Il existe toutefois une exception : le Chinuk Wawa, langue véhiculaire autrefois entre les différentes tribus du Nord-Ouest de l’Oregon et de la région voisine de Washington, est souvent décrit comme une créole, plus simple du point de vue phonologique et morphosyntaxique.
[12] http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/access-to-knowledge/linguistic-diversity-and-multilingualism-on-internet/atlas-of-languages-in-danger/
[13] En témoigne l’approbation par nombre de membres de groupes locaux au mouvement des « Gilets jaunes » de 2018-19 par exemple.
[14] Dans cet article, nous utiliserons l’adjectif « fluant » au sens de « fluent » en anglais, c’est-à-dire « capable de s’exprimer couramment, de façon fluide » (cf TLFi fluant: « Rem. S'emploie souvent en parlant d'une façon fluide de s'exprimer »)
[15] https://ctclusi.org/languagepublic
[16] Cette affirmation s’appuie sur nos observations de terrain, les échanges avec des membres de communautés, les témoignages entendus (par exemple sur la beauté d’un mot et la tristesse d’imaginer qu’il ne sera plus jamais prononcé, la perte esthétique qu’entraine la traduction dans la langue dominante…) et un des auteurs de cet article, personnellement impliqué, peut également en témoigner.
[17] L’ensemble de la documentation du rama est disponible sur le site Turkulka : http://www.turkulka.net/hablemos-rama
[18] Voir par exemple le travail de Joana Jansen, membre de NILI : https://slideplayer.com/slide/13845744/