N°84 / L’alpha dans tous ses états

État des lieux des formations universitaires en FLE proposées en France dans le domaine de l'alphabétisation en 2024

Laurent Puren, Bénédicte Pivot, Bruno Maurer

Résumé

Ce petit tour des formations universitaires en France sur la formation linguistique des migrants allophones, principalement proposées dans les parcours FLE, souligne les disparités géographiques de l'offre : le sud de la France est mieux couvert, alors que le nord, l'ouest et les territoires d’outre-mer sont largement déficitaires, malgré des besoins élevés, mais aussi le faible nombre de formations : seules 25 universités sur 75 intègrent la thématique de l'alphabétisation.  La terminologie employée dans les intitulés de cours varie selon les publics ciblés : "migrants adultes", "publics hétérogènes", ou "adultes peu scolarisés". Certains programmes abordent aussi des problématiques liées aux niveaux de littératie, mais d’autres aspects, comme l’interculturalité ou les compétences numériques, sont peu représentés, malgré leur importance. L'analyse met en lumière une offre de formation à l'alphabétisation des publics adultes-migrants finalement assez marginale et permet d'interroger la formation professionnelle des futurs enseignants aux besoins spécifiques d'un public migrant allophone.  

This brief survey of university courses in France on language training for allophone migrants, mainly offered as part of FLE courses, highlights the geographical disparities in provision: the south of France is better covered, while the north, west and overseas territories are largely deficient, despite high needs, but also the low number of courses: only 25 universities out of 75 include the theme of literacy.  The terminology used in course titles varies according to the target audience: “adult migrants”, “heterogeneous audiences”, or “adults with little schooling”. Some programs also address issues related to literacy levels, but other aspects, such as interculturality or digital skills, are poorly represented, despite their importance. This analysis highlights the fact that the provision of literacy training for adult migrants is, in the final analysis, rather marginal, and raises the question of how to train future teachers to meet the specific needs of allophone migrants.

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Plan de l'article

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L’objectif de cette présentation est de proposer une vue panoramique des enseignements universitaires consacrés à la question de la formation linguistique des adultes migrants allophones en France. Celle-ci étant principalement proposée dans les formations FLE, nous n’évoquerons pas les cours qui peuvent être proposés dans d’autres contextes, comme par exemple les Masters MEEF. La méthodologie utilisée pour réaliser cette étude a consisté à consulter les sites des formations FLE, à y lire les maquettes et à prendre connaissance des descriptifs des cours les composant. Ceux-ci n’étant pas toujours disponibles en ligne, nous avons parfois contacté directement les responsables pédagogiques des formations concernées (généralement des Masters) pour pouvoir être mis en relation avec les enseignants assurant ces cours. N'ayant pas toujours obtenu de réponses, le corpus analysé est donc incomplet : nous avons parfois dû nous contenter d’un simple intitulé, sans autres précisions. Signalons-là la difficulté à laquelle sont exposés des étudiants cherchant à obtenir des informations sur des offres de formation dont le descriptif proposé en ligne est parfois laconique, pour ne pas dire lacunaire…

Si l’on commence par considérer les formations en alphabétisation du point de vue de leur répartition sur la carte universitaire française, on peut remarquer que le sud (un triangle de Perpignan à Lyon et Nice incluant Clermont-Ferrand et St Etienne) est une région assez bien pourvue, dans une offre de formation, nous le verrons, assez faible en regard des besoins et du marché du FLE en France. On peut y suivre une UE (mais pas plus) en Master à Aix-Marseille, Avignon, Chambéry, Grenoble-Alpes, Lyon 2, Montpellier 3, Nice Côte d’Azur, Perpignan, Saint-Étienne. 

Le nord, Paris compris, compte quelques offres mais en nombre relativement faible au regard du nombre d’institutions et du bassin de population. Dans la capitale, trois établissements ont une offre (Université de Paris Cité (ex Paris Descartes) avec deux enseignements en M2, Sorbonne nouvelle et Vincennes Paris 8 (un enseignement en M1 et un en M2). À cela s’ajoute une offre à Cergy (Master MEEF Former et intégrer par la langue) sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici, faute d’avoir intégré des formations hors FLE dans notre recherche. Plus au nord, seule Lille offre deux UE en option dans son M2 qui présente deux parcours possibles dont l’un avec une orientation langues et migrations.

En allant vers l’est, l’Université de Lorraine offre un master avec une orientation très forte sur le volet langue d’intégration et d’insertion, ainsi qu’un diplôme universitaire à distance. Puis il faut aller à Strasbourg pour trouver un cours en M2. Mais on ne trouve rien à Reims, Amiens, Dijon, et pas d’offre explicite à Besançon avec des éléments peut-être présents cependant dans un enseignement sur les “publics et contextes spécifiques”. 

Le grand ouest, de Rouen à Toulouse, présente l’offre la moins dense. Un enseignement est offert à Rouen, à Poitiers, à Bordeaux (optionnel), un à l’Université catholique d’Angers dans un M1 comprenant langue d’intégration dans le titre et deux à Pau. Mais on ne trouve pas d’offre dans les villes de Brest, Caen, Le Mans, Nantes, Toulouse, Rennes. 

Les territoires et départements ultra-marins sont les moins bien lotis. Seules les Antilles (mais dans une UE assez généraliste, cf. ci-dessous) et la Réunion offre une UE, mais on ne trouve rien à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, ni en Guyane. Ces territoires sont pourtant concernés par des problématiques d’alphabétisation, que ce soit pour des populations originaires ou pour des migrants.

En tout, ce sont vingt-cinq universités, sur les soixante-quinze que compte la France, qui proposent une formation en FLE intégrant la problématique de la formation linguistique à des migrants adultes. La plupart, nous allons le voir, le font généralement à travers un cours unique proposé sur l’ensemble du parcours. D’autres, plus rares, ont fait de ce champ leur domaine de spécialité. C’est le cas de l’Université de Lorraine qui, en plus des cours spécialisés intégrés dans sa maquette de Master FLE, propose un diplôme universitaire de “Français Langue d’Intégration et d’Insertion” sur une modalité distancielle. On peut également citer l’université Grenoble Alpes qui propose un parcours de M2 FLE orienté “littératie” ainsi qu’un certificat universitaire de “formateur en français et littératie”. Mentionnons enfin l’université de Lille qui propose une spécialisation “Langues et migrations” dans son M2 FLE ou, dans une autre mesure, l’université de Pau qui offre un DU de “Formation à l’enseignement du français langue d’intégration”.

Comment ce public est-il appréhendé dans les UE et EC qui lui sont consacrés ?

Un premier angle d’analyse peut porter sur la catégorisation du public telle qu’elle est opérée dans les intitulés ou descriptifs de formation. C’est d’abord la question de la migration qui est mise en avant à travers le recours aux termes d’“adultes migrants” (“Accompagnement linguistique des adultes migrants”, Savoie Mont-Blanc ; “Public migrants”, Saint-Étienne ; “Alphabétisation des publics migrants”, La Réunion ; “Enseigner à des adultes migrant”, Lorraine) ou “nouvellement arrivés” (“Enseignement aux adultes et aux enfants nouvellement arrivés”, Côte d’Azur). Parfois le curseur est placé sur la spécificité didactique (“Enseignement à des publics spécifiques”, Paris 8 ; “Contextes d’enseignement spécifiques”, Franche-Comté), d’un public caractérisé par son hétérogénéité (“publics hétérogènes”, descriptif de cours à Lille). Le public alpha, sans doute parce qu’il est difficile à classer et qu’il se distingue des apprenants classiques auxquels le FLE s’intéresse traditionnellement (public scolaire, étudiants, adultes sans problème de littératie), peut parfois être identifié comme relevant de publics “variés” (“Enseigner le français à des publics variés” - Université de Lorraine ; “S’initier à la variété des publics en formation d’adultes”, Université Grenoble Alpes). L’accent peut également être mis sur le faible niveau de scolarisation de ces adultes, c’est ce qui ressort en premier dans certains intitulés ou descriptifs (“Publics pas ou peu scolarisés et interculturel”, Paris Cité ; “adultes peu ou pas scolarisés antérieurement”, descriptif de cours à Lille). Sont notamment mises en exergue les difficultés littéraciques de ces apprenants (“Enseigner à des adultes en situation d’illettrisme”, Nancy ; “apprenants faibles lecteurs-scripteurs”, descriptif de cours à Paris Cité ; “publics en situation d'illettrisme et d’analphabétisation”, descriptif de cours à Avignon ; “public adulte peu ou pas alphabétisé”, descriptif de cours à Montpellier 3). L’université de Lorraine se distingue en proposant une entrée originale sur un public (pas uniquement allophone d’ailleurs, puisqu’il concerne également des francophones natifs, non migrants) envisagé cette fois sous l’angle professionnel (“Enseigner à des adultes en situation professionnelle”).

Une autre distinction peut être opérée entre les formations proposant des cours dédiés exclusivement à ces publics adultes (environ la moitié) et celles (l’autre moitié donc) dans lesquelles les problématiques de “l’alpha” sont traitées plus globalement au sein d’UE ou d’EC où il est question à la fois des élèves pris en charge dans des dispositifs scolaires et des adultes relevant de la sphère de l’informel. Ainsi, dans l’UE “Didactique, langues et migrations” (Antilles), il est par exemple question à la fois de la “didactique du français langue d’intégration, FLI” et de la “didactique du français langue de scolarisation”. Cette manière d’aborder de front les thématiques relevant de l’allophonie et de la littératie pour ces deux publics se retrouve par exemple à

  • Poitiers (“FLSco/FLI”) ;
  • Lille (“Le français langue de scolarisation et français langue d’intégration”) ;
  • Avignon (“Littératies et didactique de la culture écrite”) ;
  • Nice (“Enseignement aux adultes et aux enfants nouvellement arrivés”) ; 
  • Saint-Etienne (“ Publics migrants”) ;
  • Grenoble-Alpes (“S’initier à la variété des publics en formation d’adultes”). 

Ailleurs, la problématique “alpha” peut apparaître encore plus diluée au sein de cours consacrés à un ensemble de publics relevant de français spécialisés, comme dans cet EC proposé à l’université de Franche-Comté : “Ingénieries et outils pour publics spécifiques (FOS, FOU, FLP, FLI)”.

Un autre élément à prendre en considération pour prendre la pleine mesure de l’impact de ces formations sur la professionnalisation des étudiants en FLE est le caractère optionnel ou non des contenus dédiés à cette problématique. Sur l’ensemble des formations FLE s’y intéressant, nous en avons identifié au moins quatre qui ne les proposent qu’à titre optionnel. Ces cours peuvent par exemple apparaître dans des parcours de Master distincts, comme à Lille où en Master 2 les étudiants ont le choix entre deux options : ”ingénierie professionnelle” et “langues et migrations”. À Aix-Marseille, les étudiants du M1 “Didactique du FLE et Seconde : approches critiques et innovations pédagogiques” doivent choisir deux UE parmi les trois suivantes : 

  • Enseigner les langues aux enfants ;
  • Concevoir et tutorer des cours de langue en ligne ;
  • Enseigner le(s) français aux adultes migrants.

Ailleurs, des UE sont composées d’un ensemble d’EC, traitant pour certaines de la problématique qui nous occupe, qui doivent faire l’objet d’un choix. À Paris 8, dans l’UE de M2 “Enseignement à des publics spécifiques”, les étudiants sont par exemple invités à choisir deux EC dans la liste suivante : 

  • Enseignement, apprentissage et insertion des personnes à besoins spécifiques ;
  • L’entrée dans l’écrit à l'âge adulte ;
  • Français sur objectifs spécifiques ;
  • Enseignement précoce des langues ; 
  • Enseigner le français aux élèves allophones ;
  • Langues des signes et annotation (EC noté sur le site de l’université comme “suspendu en 2023/24).

Sur le même principe, à l’Université de Strasbourg, les étudiants doivent choisir deux EC parmi les cinq suivants composant l’UE “Contextes sociodidactiques et culturels” : 

  • Français sur objectifs spécifiques ;
  • Politiques linguistiques ;
  • Alphabétisation ;
  • Francophonie, programmes et acteurs ;
  • FLI : civisme, institutions, droit français.

En ce qui concerne les contenus abordés, ils sont variés, même si de grandes tendances se dessinent. Un essai de typologie à partir des maquettes que nous avons pu consulter nous conduit à distinguer les entrées récurrentes suivantes :

  • Définition/nomenclature des publics et réflexions théoriques autour des concepts d'illettrisme, d’analphabétisme, de post-alphabétisation, de remise à niveau, de remédiation, de compétences-clé, etc. ;
  • Contextes institutionnel et politique de la formation linguistique pour les publics migrants allophones en France. Enjeux de cette formation en lien avec les politiques migratoires et linguistiques ;
  • Démarches andra/pédagogiques : courants méthodologiques, méthodes, approches, techniques d’animation, pratiques de formation, postures de formateur/trice, gestion de l’hétérogénéité, etc. ;
  • Présentation et analyse des outils et supports conçus pour ces publics : manuels, référentiels de compétences, tests de positionnement, etc. ;
  • Réflexion sur les processus d’apprentissage à l’œuvre en lecture-écriture pour des adultes allophones en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme : articulation oral/écrit, approches de lecture syllabiques/globales/mixtes, geste graphique, type de graphie devant être privilégié, analyse d’erreurs dans les productions écrite, etc. ;
  • Conception d’outils, de supports, construction de séances/séquences/projets, réflexion sur la didactisation de supports authentiques ;
  • Évaluations et certifications en alpha.

Lorsque l’alpha ne fait l’objet que d’une seule UE dans l’ensemble du parcours de formation, ce qui est la majorité des cas, le cours puise le plus souvent dans quelques-unes des entrées ci-dessus, sous la forme d’un savant panachage. Il y aurait bien sûr lieu de regarder plus précisément comment chacune est traitée par les enseignants, ce qu’un descriptif laconique permet difficilement de savoir. Les “contextes institutionnel et politique…” peuvent ainsi faire l’objet d’une présentation factuelle s’en tenant à l’essentiel ou être traités en évoquant les polémiques qui traversent ou ont traversé le champ de cette didactique. Nous pensons en particulier au débat autour du FLI (Français Langue d'Intégration) qui a agité la sphère des didacticiens des langues et sociolinguistes en 2011 et qui nous rappelle que les questions liées à la formation des adultes migrants sont profondément politiques et que les termes et concepts utilisés, loin d’être neutres, peuvent constituer “un révélateur et un “politiseur” de débat” (Lefranc, 2015). À ce titre, la présence ou non de l’acronyme “FLI” dans les intitulés ou descriptifs des cours pourrait être interprétée comme le signe de l’adhésion ou du rejet d’une approche associée étroitement à des choix de politique migratoire ne faisant pas l’unanimité. Mais il peut bien sûr s’agir également de recourir à une appellation rendant compte de dispositifs existants, auxquels on peut ou non adhérer, mais qui sont de toutes façons incontournables pour les publics visés. Si on s’en tient uniquement aux intitulés de cours ou de formations, il est question de “FLI” à Poitiers (“FLSco / FLI), à Besançon (“Ingénieries et outils pour publics spécifiques (FOS, FOU, FLP, FLI)”, à Lille (“Le français langue de scolarisation et français langue d'intégration”, à Strasbourg (“FLI : civisme, institutions, droit français”), à l’UCO d’Angers (“Langue étrangère, langue seconde, langue d’intégration et langue de scolarisation”, à Pau (Du “Enseignement du Français langue d’Intégration) ou encore à Nancy ("Le français langue d’intégration”, cours proposé dans le “Diplôme Universitaire Français Langue d’Intégration et d’Insertion”). Ailleurs (mais également parfois dans ces mêmes formations qui peuvent bien sûr recourir de manière non exclusive à un ensemble de dénominations), il sera plutôt question "d’alphabétisation” ou de “formation linguistique”, appellations considérées peut-être comme plus neutres qui permettent d’éviter ce qui pourrait être considéré comme une prise de position politique trop marquée. Le concept potentiellement clivant d’“intégration”, présent dans l’acronyme FLI comme dans celui de CIR (“contrat d'intégration républicain”) peut être pleinement assumé, comme ici dans la plaquette de présentation du DU “Français Langue d'Intégration et d'Insertion” (Nancy) : 

“L’intégration des migrants est une priorité nationale, réaffirmée régulièrement par les différents gouvernements. Cette intégration passe prioritairement par la maîtrise de la langue française.”

À l’université Savoie Mont-Blanc, le parti-pris annoncé dans le descriptif de l’UE “Accompagnement linguistique des adultes migrants” a été de rappeler les enjeux du débat autour de cette question de l’intégration pour permettre aux étudiants de “se forger une opinion personnelle sur le sujet à la lumière des résultats de différentes études.” La même prise de recul s’observe à Aix-Marseille, dans l’UE de M1 “Enseigner le(s) français aux adultes migrants”, où les formatrices invitent à “questionner les notions” et interroger le rapport entre “intégration” et “obligation de cours/compétences linguistiques en langue du pays d'accueil”. Il s’agit ici aussi de permettre aux étudiants d’élaborer leur propre opinion. 

Parfois, les UE/CE proposés sont davantage ciblés sur une thématique précise, annoncée dans l’intitulé. Celle-ci est généralement centrée sur les questions didactiques en lien avec l’entrée dans l’écrit et l’accès à la littératie : 

  • “(Ré)apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte” (Paris Cité)
  • “Alphabétisation, aspects didactiques et pratiques de classe” (idem)
  • “Littératies et didactique de la culture écrite” (Avignon)
  • “Littératies et alphabétisation” (Lyon 2)
  • “Entrée en littératie” (Nancy)

Citons enfin, dans notre panel, quelques approches plus rares proposées souvent en exemplaire unique. À l’université de La Réunion, l’UE “Alphabétisation des publics migrants” comporte ainsi une dominante historique à travers une présentation des politiques d’alphabétisation mises en oeuvre depuis le XXe siècle et une réflexion sur les liens entre péda/andra-gogie et idéologies dans un contexte colonial et post-colonial. Cette UE est également la seule, à notre connaissance, à s’intéresser aux spécificités sociodidactiques de l'alpha dans des contextes francophones plurilingues ultramarins, en l'occurrence Mayotte et La Réunion. 

La question du numérique en lien avec le public alpha est une question qui se pose d’une manière de plus en plus pressante dans une société où il devient difficile d’envisager une pleine intégration sociale et professionnelle (en termes de communication, d’accès à l’information, de gestion des démarches administratives) sans un minimum de compétences numériques. Cette problématique tournant autour de l’illectronisme des adultes allophones et des moyens à mettre en œuvre pour l’amoindrir, n’est pourtant curieusement presque jamais mentionnée dans les descriptifs. Nous n’avons trouvé qu’un seul cours, proposé dans le DU “Français Langue d'Intégration et d'Insertion” de l’université de Lorraine, qui intègre de manière explicite ces questions : “La gestion de l’hétérogénéité et le recours au numérique dans l’enseignement/ apprentissage du FL2I”. De la même manière, tout ce qui a trait à l’interculturel semble absent des maquettes étudiées. Seul le parcours de M2 “Langues et migrations” proposé à Lille mentionne cette orientation dans son descriptif : “Les dimensions sociolinguistiques et interculturelles seront particulièrement étudiées [...]” Nous n’avons par ailleurs trouvé aucune mention à des approches alternatives tournées vers la créativité (démarches/projets artistiques) ou le ludique. Ces impasses sur des sujets importants peuvent bien sûr se comprendre par les choix qui doivent être faits par des enseignants disposant d’un volume horaire limité au sein duquel il faut parvenir à “caser” un ensemble de thématiques qui apparaissent sans doute comme plus prioritaires. Cela peut également s’expliquer par un déficit de recherche dans des domaines jusqu’à présent peu explorés en didactique de l’alpha. La formation de formateur se nourrissant de la recherche, ces “angles morts”, se manifestant sous la forme d’une absence de publications de référence dans certains domaines, nuit sans doute à la diversification des pratiques de formation chez des étudiants conduits à travailler dans ce secteur. 

Terminons en évoquant rapidement un dernier indicateur important lorsqu’il est question de formations professionnalisantes : l’intervention dans celles-ci de “professionnels de la profession”, pour reprendre le pléonasme de Jean-Luc Godart. L’analyse des maquettes ne permet pas toujours de connaître clairement le statut des enseignants en charge des formations en question. Une partie d’entre eux sont des enseignants-chercheurs titulaires qui donnent ces cours dans le cadre de leur service mais une sous-traitance est parfois opérée, notamment auprès de formateurs d’adultes recrutés pour leur expertise et leur connaissance du terrain. On fait notamment appel à leurs services à Pau, Nancy, Perpignan, Aix-Marseille, Grenoble Alpes ou Angers. Leur présence dans la formation est mise en avant dans les descriptifs de maquette comme une plue-value. À l’UCO d’Angers, les responsables du Master FLE mentionnent ainsi parmi “les + de la formation” la participation d’intervenants professionnels pour “faire découvrir leur métier et partager leur expérience.” 

Pour conclure cette présentation, nous retiendrons que l’offre de formation relative à ce que, pour des raisons de facilité, nous avons souvent appelé ici “l’alpha”, est contrastée. Une analyse géographique révèle des “trous dans la raquette” pour ce qui est du maillage de cette offre dans les universités françaises, avec des aires géographiques peu couvertes. C’est particulièrement flagrant pour les territoires ultramarins, les plus faiblement pourvus en la matière tout en étant les plus exposés aux inégalités langagières (maîtrise du français et compétences littéraciques). Pour ce qui est de l’offre envisagée d’un point de vue quantitatif, elle se réduit le plus souvent à un cours d’une vingtaine d’heures proposé sur l’ensemble du cursus des étudiants en FLE. Il s’agit donc essentiellement d’une initiation ou d’une sensibilisation à ce champ, d’autant plus que, comme nous l’avons vu précédemment, dans la moitié des cas, ces cours portent également sur les publics scolaires allophones. Si nous ajoutons à cela que ces enseignements sont proposés parfois à titre optionnel, on pourra s’interroger sur la proportion des étudiants diplômés chaque année d’un Master FLE d’une université française possédant des connaissances et des compétences suffisantes pour aborder ce public dans la carrière de formateur à laquelle une bonne partie d’entre eux se destine. Car ce n’est pas là le moindre des paradoxes que de constater que les offres de stages (hors étranger) et les débouchés professionnels proposés à ces étudiants sont très souvent en lien avec la formation linguistique des adultes migrants. Cet aspect est d’ailleurs régulièrement mis en avant dans les descriptifs de maquette, y compris pour les Masters ne proposant aucun contenu de formation relatif à ces publics… À croire que l’on peut s’improviser formateur d’adultes ou que des connaissances générales en FLE/didactique des langues suffisent à pouvoir appréhender toute situation d’enseignement-apprentissage, formelle ou informelle, avec des publics variés. Lorsqu’on a eu l’occasion de faire soi-même un peu d’alpha, on sait pourtant toute la difficulté que représente ce public. On prend également la pleine mesure de l’étendue des connaissances/compétences que son accompagnement exige chez les formateurs, ce dans un champ bien moins outillé que celui du FLE où le système D et le bricolage suppléent souvent aux carences de formation initiale et aux déficits en matériel pédagogique adapté.

Références :

Lefranc, Y. (2015). Le Français Langue d’Intégration et le droit à la langue du pays d’accueil. Remarques sur un révélateur et un « politiseur » de débat. Cahiers du plurilinguisme européen, 7. [En ligne] https://www.ouvroir.fr/cpe/index.php?id=721


 

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