N°69 / Varia

L'enseignement-apprentissage du FLE en Grèce en période de crise : l'exemple de Kavala

Nikoleta Migdalias

Résumé

Résumé :

Dans un pays submergé par une crise systémique, tous les secteurs de la société subissent des impacts choquants, y compris l'éducation et, par conséquent, le domaine de la langue française comme langue étrangère. La Grèce, comme tous les pays européens, promeut officiellement le plurilinguisme.Pourtant, face aux contraintes économiques provoquées par la situation actuelle, cette diversité linguistique dans le milieu scolaire peut-elle continuer à exister ? Si nous supposons que la réponse à cette question est non, quelles sont les conséquences dans le domaine du FLE dans ce pays, et surtout celles qui ont un impact sur les acteurs de ce domaine, comme les enseignants et les apprenants de la langue française? Confronté à la menace d'un monolinguisme centré sur l'anglais, est-il possible de sauver le statut de la langue française dans le système éducatif grec ?

Mots-clés : crise économique, FLE, Grèce

Abstract :

In a country overwhelmed by a systemic crisis, all sectors of the society are suffering shocking impacts, including education and, consequently, the domain of French as a foreign language (FLE). Greece, like all European countries, officially promotes plurilingualism. Yet, faced with economic constraints brought about by the current situation, can this linguistic diversity in the school setting continue to exist? If we assume that the answer to this question is no, what are the consequences in the field of FLE in this country, and especially those having an impact on the actors of this domain, such as the teachers and the learners of the French language? Confronted with the threat of an English-centered monolingualism, is it possible to save the status of the French language in the Greek educational system1?

Keywords : economic crisis, FLE, Greece

Σε μια χώρα η οποία μαστίζεται από μια συστημική κρίση, ολη η κοινωνία υφίσταται τις συγκλονιστικές επιπτώσεις της, συμπεριλαμβανομένης της εκπαίδευσης και, κατά συνέπεια, η διδασκαλία και η εκμάθηση της γαλλικής ως ξένης γλώσσας (FLE). Η Ελλάδα, όπως και όλες οι ευρωπαϊκές χώρες, προωθεί επίσημα την πολυγλωσσία. Ωστόσο, αντιμέτωπη με οικονομικούς περιορισμούς που προκύπτουν από την τρέχουσα κατάσταση, αυτή η γλωσσική πολυμορφία στα σχολεία θα μπορέσει να συνεχίσει να υπάρχει; Αν υποθέσουμε ότι η απάντηση στο ερώτημα αυτό είναι αρνητική, ποιες θα είναι οι συνέπειες στον τομέα της FLE σε αυτή τη χώρα, ειδικά για τους καθηγητές και τους μαθητές της γαλλικής γλώσσας; Αντιμέτωπη με την απειλή της Αγγλικής μονογλωσσίας, είναι δυνατόν να διασωθεί η γαλλική γλώσσα ως διδασκόμενη γλώσσα στην Δημόσια Εκπαίδευση ;

Nikoleta Migdalias

 

Mots-clés

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Introduction

Nul n’ignore que la Grèce est confrontée à une crise durable. En récession depuis 2008, la Grèce subit actuellement des réformes structurelles importantes, suite à l’adoption du premier mémorandum de mai 2010. Ces réformes sont issues des mesures d’austérité imposées par l’entité tripartite dénommée la « Troïka » (Fonds monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne), qui exerce aujourd’hui une influence déterminante sur la gestion de l’État grec. Pour pouvoir accéder à de nouveaux prêts, dans le cadre d’un plan dit de « sauvetage », le gouvernement hellénique applique des coupes budgétaires draconiennes, conduisant à un bouleversement des systèmes sanitaire et éducatif, et à la désintégration du système social. Tout ceci a transformé, en l’espace de moins de quatre ans, ce qu’on appelait au départ une crise de la dette souveraine en une véritable crise systémique - voire même humanitaire - qui n’épargne pas le domaine de l’enseignement-apprentissage de langues étrangères, dont le français.

Américaine d’origine grecque et ancienne professeur de français dans l’enseignement public des États-Unis, j’ai déjà vécu une expérience en Grèce en tant qu’enseignante de cette même langue, en 2009-2010, au tout début de la période de difficultés actuelles. À mes yeux qui portent une vision à la fois objective et subjective, et qui observent la réalité grecque à la fois depuis l’extérieur et de première main, les répercussions de cette crise sont évidentes. Pourtant, je m’intéressais à ce qu’en diraient les enseignants, les élèves et les autres acteurs du FLE qui sont confrontés quotidiennement à une détérioration du climat général. Je souhaitais alors utiliser mes études de pratique professionnelle en français langue étrangère (FLE) pour explorer les conséquences de cette crise, trois ans après mon expérience initiale, sur un échantillon représentatif d’une partie spécifique de la population. Tenant compte de ces aspirations, j’ai décidé de procéder à une enquête par entretien auprès des divers acteurs du FLE en Grèce, avec la ville de Kavala, dans le nord du pays, comme point focal.

En étudiant la didactique du français sous l’angle de la crise, j’ai également pu être éclairée sur le statut de cette langue en Grèce aujourd’hui. L’hypothèse que j’ai formulée avant mon retour sur le terrain concordait avec la raison qui m’a amenée à me tourner vers des journaux indépendants, à la recherche d’un regard humain concernant les conséquences de la crise. Les articles des grands journaux semblaient motivés par l’impératif économique et ignoraient, en substance, le côté humain. J’ai supposé alors que c’était le même mobile qui déterminait les élèves dans leur choix de langue : l’intérêt qui oriente l’économie, le marché de travail, le profit monétaire. Ainsi, le français en Grèce, de même que d’autres langues qui réussissent moins bien sur un marché linguistique de plus en plus monopolistique, serait en perte de vitesse. Certes, l’augmentation des impôts, la baisse des salaires, les licenciements, la précarité et le chômage, éléments qui riment avec crise grecque, affectent durement les ménages, et les obligent à reconsidérer leurs priorités, à limiter certaines dépenses, et à restreindre leur possibilité de choix de langues dans un pays historiquement favorable à l’apprentissage d’une pluralité de langues étrangères.

Enfin, étant donné que l’anglais est considéré comme la langue de l’économie, j’ai supposé que la diversité linguistique diminuait petit à petit parce que toutes les sociétés étaient happées par l’unique voie du progrès économique, laquelle est représentée par la prééminence de l’anglo-américain. Si cette diversité linguistique, et a fortiori le français, est en déclin face aux urgences et aux contraintes instaurées en Grèce par l’impératif marchand, les autres valeurs, celles qui ne correspondent pas immédiatement à l’économie, mais qui touchent la dignité humaine, seraient-elles stigmatisées comme inutiles ? Comment résoudre la présente crise humanitaire ? Sachant que cette crise résulte de causes strictement économiques, comment peut-on croire qu’il suffit de combattre l’économie par l’économie ? N’est-il pas dorénavant urgent de changer de perspective et d’envisager avant tout la dimension fondamentalement humaine des problèmes ?

La Grèce, système scolaire et politiques linguistiques

Il est important de présenter sommairement le système scolaire grec, ainsi que la politique linguistique officielle du pays, vis-à-vis des langues étrangères, et de fournir un aperçu de la politique linguistique de la France en Grèce. Ces exposés permettront d’apprécier le contexte scolaire et linguistique dans lequel s’inscrit cette étude de cas, dont les résultats apparaissent dans les parties empiriques et analytiques du présent article.

Le système scolaire grec

La structure du système scolaire grec

La structure du système scolaire en Grèce est centralisée : les établissements scolaires des nomes2 du pays répondent directement aux instances du Ministère de l’Éducation et des Cultes, basé dans la capitale, Athènes. Les niveaux du système éducatif sont au nombre de trois :

  1. Le premier degré : l’école primaire (dimotiko scholeio) ;
  2. Le deuxième degré : l’école secondaire : le collège (gymnasio) et le lycée (lykeio) ;
  3. Le troisième degré : l’enseignement supérieur : Les instituts éducatifs supérieurs (AEI), qui sont les universités (panepistimia) et les instituts polytechniques, et les instituts supérieurs de technologie (TEI).

Les acteurs du système scolaire grec

Les divers acteurs dont ce système est composé sont tenus d’assurer le bon fonctionnement du processus d’enseignement-apprentissage dans les établissements scolaires sur le territoire grec. L’organisation hiérarchique de ces acteurs suit cet ordre :

  1. Le ministère d’éducation et des cultes ;
  2. Le directeur éducatif de la périphérie ;
  3. Le directeur éducatif du nome ; 
  4. les directeurs des établissements scolaires ;
  5. Les conseillers pédagogiques ;
  6. les professeurs.

Quelques précisions à l’égard des acteurs du système scolaire grec permettront d’éclairer cette étude de cas. D’abord, les conseillers pédagogiques sont des enseignants maîtres formateurs ayant pour mission de veiller à la mise en œuvre de la politique éducative de leur discipline de spécialisation, dans leur périphérie d’affectation. En outre, les professeurs sont soutenus par les syndicats nationaux et par des associations auto-gérées. Les grands syndicats d’enseignants en Grèce sont : ΔΟΕ (DOE) (Fédération des enseignants de la Grèce), rassemblant des instituteurs, et ΟΛΜΕ (OLME) (Fédération des enseignants des écoles secondaires). Les professeurs de français en Grèce sont soutenus dans leurs missions par deux associations : l’APF (L’association des professeurs de français de formation universitaire), basée à Athènes, et l’APLF (L’association des professeurs de langue et littérature françaises diplomés de l’Université), déployant surtout son action en Grèce du Nord, dont le siège est à Thessalonique. Celles-ci sont rattachées au syndicat ΟΛΜΕ, et font partie du réseau public.

Les langues étrangères dans le système scolaire grec

Étant donné l’instabilité actuelle de la politique éducative en Grèce, une description succinte et synchronique du dispositif de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères dans le système public ne saurait refléter les combats menés ces dernières années par les associations des professeurs et par les syndicats des enseignants. Le projet du ministère de l’éducation d’instaurer un « nouveau lycée » (neo lykeio) en est exemplaire. D’après un communiqué de presse de l’APLF datant d’avril 2011, l’enseignement des langues étrangères dans ce « nouveau lycée » aurait été, citant le secrétaire du ministère de l’éducation à l’époque Basilis Koulaidis, « essentiellement éliminé, [...] dans un effort pour alléger le programme des cours superflus3 » [c’est moi qui souligne]. Bien que cette menace ait été dissipée pour l’année scolaire 2012-2013, le projet du « nouveau lycée » a été effectivement mené à terme pour l’année scolaire 2013-2014. Cette année, on ne propose qu’une langue étrangère (anglais, allemand, français), à raison de 2 heures par semaine. La deuxième langue en option ne sera donc plus proposée. Les langues italienne et espagnole offertes depuis 2008 et 2009 par les Décisions Ministérielles respectivement no 111800/Γ2-2/9/20084et no 105957/Γ2/03/09/20095 ne sont plus proposées au niveau du lycée.

Je propose ci-dessous un schéma du parcours d’apprentissage des langues étrangères de l’enseignement public, tel qu’il s’est présenté l’année scolaire 2012-2013, l’année scolaire relative à cette étude :

 

Tableau 1 – Parcours d’apprentissage des langues étrangères de l’enseignement public

Niveau/année Première langue Deuxième langue
 dimotiko –    
 3  anglais (3h)  –
 4  anglais (3h)  –
 5  anglais (3h)  français / allemand (2h)
 6  anglais (3h)  français / allemand (2h)
 gymnasio –    
 1  anglais (3h)  français / allemand / italien / espagnol (2h)
 2  anglais (2h)  français / allemand / italien / espagnol (2h)
 3  anglais (2h)  français / allemand / italien / espagnol (2h)
  lykeio –    
 1  langue 1 (3h)  –
 2  langue 1 (2h)  langue 2 en option (2h)
 3  langue 1 (1h)  langue 2 en option (2h)

 

Sont également présents ci-dessous les changements à ce système effectués pour l’année scolaire 2013-2014. Bien que l’anglais ait perdu une heure en première année de collège, il existe aussi, depuis trois ans, dans certaines écoles pilotes, des « programmes communs réformés d’éducation » (Ενιαίο Αναμορφωμένο Εκπαιδευτικό Πρόγραμμα - EAEΠ ou EAEP) qui offrent un enseignement précoce de l’anglais dès la première année de primaire. Selon Effi Mavromatti, conseillère pédagogique de la périphérie de Macédoine-Orientale-et-Thrace, on comptait 960 établissements de ce type dans la Grèce entière durant l’année scolaire 2012-2013, un nombre qui s’est élevé à 1300 pour l’année scolaire 2013-2014.

 

Tableau 2 - Changements dans le parcours de langues pour l’année scolaire 2013-2014

Niveau/année Première langue Deuxième langue
 gymnasio –    
 1  anglais (2h)  français / allemand / italien / espagnol (2h)
  neo lykeio –    
 1  langue 1 (3h) anglais / allemand / français (2h)
 2  langue 1 (2h) anglais / allemand / français (2h)
 3  langue 1 (1h) anglais / allemand / français (2h)

 

Note sur les manuels scolaires du système public

En ce qui concerne le français, les manuels de l’école primaire et du lycée proviennent du marché libre. Chaque enseignant en choisit un pour ses classes à partir d’une liste de propositions mise à sa disposition à la rentrée par un comité de sélection nommé par l’État. Ces manuels sont distribués gratuitement aux élèves du primaire. Il appartient, cependant, à chaque lycéen de se procurer en librairie le livre recommandé. En revanche, au niveau du collège, pour les élèves de français, il existe un manuel provenant du marché non-concurrentiel, commissionné et agréé par l’État, le manuel « Action.fr-gr6 ». Celui-ci est fortement critiqué dans la mesure où il n’existe pas un deuxième volume. Les enseignants sont ainsi obligés de passer du premier tome au troisième, ce qui constitue un manque de progression problématique pour les élèves. Les enseignants doivent alors combler les carences lexicales et grammaticales, ce qui ajoute du poids à une profession déjà chargée de tâches préparatoires, pédagogiques, administratives et extrascolaires.

Le « frontistirio » et l’enseignement parallèle

Le concept du frontistirio mérite une explication particulière, dans la mesure où ce type de centre de soutien scolaire est devenu officieusement une institution du système éducatif dans ce pays. Il s’agit d’un centre privé de soutien scolaire très fréquenté par les élèves grecs. On peut estimer que ce succès est la cause directe de la défaillance de la scolarisation officielle. Mais c’est aussi un effet de la culture scolaire qui attache une grande importance à l’obtention de certificats et de diplômes. Les écoliers et collégiens suivent le plus souvent des cours de langues avec l’espoir de décrocher un certificat officiel (comme le DELF, le Michigan, ou le Goethe-Zertifikat). Ceux-ci sont fortement convoités dans ce pays du sud-est de l’Europe, parce qu’ils sont souvent nécessaires pour obtenir un emploi, que ce soit dans le tourisme, en tant que fonctionnaire, dans une entreprise, ou ailleurs.

Un autre phénomène très répandu en Grèce : les cours particuliers à domicile. Selon un rapport du réseau Nesse7 (réseau européen d’experts en sciences sociales de l’éducation et de la formation) sur l’enseignement parallèle en Europe, on estime qu’en Grèce, 952,6 millions d’euros ont été dépensés par les ménages en 2008 pour rétribuer des cours particuliers, montant correspondant à 20% des dépenses nationales affectées à l’enseignement primaire et secondaire. Celui-ci place la Grèce au premier rang dans ce domaine au sein de l’Union européenne.

La Politique linguistique en Grèce

Tout linguiste averti ne peut ignorer les nombreuses polémiques qui ont jalonné l’histoire de la politique linguistique en Grèce. Qu’il s’agisse de la représentation inégale des langues minoritaires depuis la création de l’État grec moderne vers 1830 jusqu’à aujourd’hui en faveur d’un fort ethnocentrisme, ou de la diglossie « psicharienne » (terme désignant ici la concurrence idéologique, voire la rivalité, au XIXe et XXe siècles, entre la katharévousa, variété savante et puriste de la langue grecque, et la démotiki, langue du peuple), la question de l’atmosphère sociolinguistique et celle des politiques mises en œuvre pour gérer ces problèmes provoquent en effet d’intenses débats parmi les décideurs politiques, les universitaires et les philhellènes. Néanmoins, les faits relatifs à l’aménagement linguistique des langues parlées à l’intérieur de l’État ne seront pas commentés ici. En revanche, un regard global sur la politique linguistique de la Grèce relative aux langues étrangères, qui, jusqu’à présent, avait déterminé une situation de diversité langagière plutôt optimiste, semble essentiel.

La Politique linguistique officielle de la Grèce et de l’Europe : le plurilinguisme

En devenant membre de l’Union européenne, ce vaste ensemble géographique multilingue, la Grèce intègre une organisation politique et sociale plus large, et s’engage dès lors à promouvoir un certain nombre de politiques émanant de cette entité transnationale. D’après le « Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe », publié par le Conseil de l’Europe en 2003 et puis en 2007, « les réponses politiques à la question du multilinguisme se situent entre les deux extrémités d’une suite continue de positions et d’orientations : d’un côté, les politiques de réduction de la diversité et, de l’autre, le maintien et le développement de la diversité8 ». Bien que les deux politiques prétendent, l’une et l’autre, contribuer à « l’amélioration potentielle de la mobilité internationale, de l’intercompréhension et du développement économique9 », le Conseil de l’Europe et ses États membres ont opté pour le deuxième cas de figure. Selon la Commission Européenne, « le but est de parvenir à une Europe où chacun apprend au moins deux langues, en plus de sa langue maternelle, dès le plus jeune âge10 ». Ces politiques de maintien et de développement de la diversité et cet objectif d’une Europe « où chacun apprend au moins deux langues » reflètent la notion de plurilinguisme. Pour mieux cerner ce concept, le C.E.C.R. (« Cadre européen commun de référence pour les langues ») propose la définition suivante :

On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures. On considérera qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l’utilisateur peut puiser11.

Dans ses intentions les plus nobles, le plurilinguisme se traduit par une acceptation et une intégration, au sein de chaque citoyen européen, d’au moins une partie de la complexité linguistique et culturelle du continent. Une fois cette complexité intériorisée, l’individu plurilingue/pluriculturel devrait voir naître, en lui-même, une meilleure compréhension des autres, et, par voie de conséquence, de sa propre personne. Ceci renvoie à la notion d’altérité, à savoir la découverte et la compréhension de soi à travers celles de l’autre, et ce afin qu’une juste valorisation réciproque de tous les acteurs de l’humanité devienne réalité et qu’un mouvement vers une société plus juste et plus solidaire soit possible. Cette ambition nécessite donc l’enseignement d’une pluralité de langues-cultures au sein de chaque État membre de l’Union européenne. Il faudrait, pourtant, être vigilant sur la transparence des choix de langues, pour s’assurer qu’il s’agit d’une véritable diversité linguistique, et non d’une imposition des langues des plus grands pouvoirs européens.

La politique linguistique de la France en Grèce

Il est vrai que le français a profité d’un statut privilégié à travers le monde tout au long des XVIIe, XVIIIe et même XIXe siècles, et ce en raison, d’une part, de son utilisation dans les cours monarchiques et, d’autre part, en tant que langue de la diplomatie internationale, deux faits qui contribueraient à justifier l’idée de « l’universalité » de la langue française12. C’est ainsi que, en vertu de l’édit du 31 décembre 1836, le français devint « la seule langue étrangère obligatoirement enseignée au collège grec13 ». Outre ce lien linguistique historique, la France et la Grèce entretiennent, de nos jours encore, de nombreux liens politiques, économiques et culturels qui concourent à préserver un socle de relations « traditionnellement étroites14 » entre ces deux pays.

En ce qui concerne la coopération culturelle, le site internet du ministère des Affaires étrangères, France Diplomatie, invoque quatre instances qui structurent cette coopération, à savoir : « – l’École Française d’Athènes, fondée en 1846 et dédiée à l’archéologie ; – l’Institut Français d’Athènes et ses annexes en province ; – l’Institut Français de Thessalonique ; – le Lycée franco-hellénique d’Athènes, Eugène Delacroix15 ». Ce n’est pas un hasard si trois de ces quatre structures portent sur la langue. D’après l’idée communément reçue de l’interdépendance entre langues et cultures, la langue constitue le transmetteur par excellence des valeurs culturelles. De plus, l’adhésion de la Grèce à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), en 2004, est apparue comme une sorte de reviviscence de l’atmosphère francophone qui régnait autrefois en Grèce, phénomène tout à fait encourageant, que l’on peut juger nécessaire pour limiter l’influence croissante de la langue anglaise.

Mais, l’appartenance officielle à l’OIF n’est qu’une action symbolique. C’est en fait à travers deux des institutions précédemment mentionnées, à savoir les Instituts français (sous la tutelle du Service de Coopération et d’Action Culturelle, SCAC), que le Ministère des Affaires étrangères met en application l’action culturelle extérieure de la France au sein de la République hellénique. L’Institut Français de Grèce (IFG), fondé en 1907, est l’un des plus anciens du monde. Selon le site internet de sa filiale d’Athènes, celui-ci « promeut, organise, soutient tous les échanges institutionnels de coopération entre [les] deux pays » et « offre à ses étudiants un environnement francophone unique en Grèce riche en événements culturels16 ». Les trois grands thèmes sur lesquels s’appuie la politique de coopération et d’action culturelle française en Grèce sont les suivants : 1. Le concours annuel de la francophonie ; 2. Les cours et formations ; 3. L’accompagnement à la mobilité étudiante (à travers la plateforme « Campus France » et grâce au programme de bourses pour des étudiants souhaitant s’inscrire en Master 2 en France, VRικα!).

S’agissant de la planification linguistique de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères dans les écoles publiques grecques, Madame Émmanuelle Boillon, attachée de coopération pour le français à l’Institut Français d’Athènes, affirme, dans une communication personnelle, que « le Service de Coopération éducative de l’ambassade de France a comme mission d’accompagner la formation des enseignants et de faire la promotion de la langue française » et que « la France continue et continuera à apporter son soutien », face à la crise actuelle.

L’avis de Madame Boillon semble être partagé par le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui, lors d’un entretien avec son homologue grec en février 2013, affirma un soutien indéfectible de la France envers la Grèce, et assura en particulier le « plein appui [de la France] au courageux programme de réformes engagé par le gouvernement grec17», une référence euphémique aux mesures d’austérité. La Grèce et la France ont beau avoir une amitié « traditionnellement étroite », il n’en demeure pas moins que « la crise a néanmoins réduit les contacts et les échanges18 » entre ces deux pays, comme le reconnaît le Ministère français sur son site internet.

La formule « plein appui » évoque-t-elle un simple appui symbolique ? Dans quelle mesure alors cette réduction de contacts et d’échanges affecterait-elle le champ de l’enseignement-apprentissage du français langue étrangère ? Cet aperçu du système scolaire et de la politique linguistique en Grèce étant achevé, considérons à présent la position des acteurs du FLE en Grèce sur ce sujet, tant sur la situation globale de leurs expériences dans ce domaine, qu’en tant qu’individus vivant dans un pays plongé dans une crise apparemment interminable.

Travail personnel de terrain : Le FLE à Kavala

Afin d’effectuer mon travail de recherche, qui sous-tend une imprégnation de l’atmosphère de la crise, j’ai passé six mois en Grèce, de mars à août 2013, dans la ville de Kavala, au nord du pays. Ma curiosité initiale comportait deux dimensions clés : 1) isoler, parmi un ensemble de représentations, les opinions des acteurs du FLE relatives aux difficultés économiques et sociales actuelles, offrant une perspective sur l’enseignement des langues étrangères ; 2) mettre au jour les répercussions de la crise sur le statut de la langue française. Pour parvenir à ces fins, j’ai choisi le mode de collecte de données qui est l’entretien direct parce que souvent la parole d’un interlocuteur présente des éléments personnels et des traits de perspicacité qui n’apparaissent pas dans les simples questionnaires écrits. Avec l’aide de mon professeur référent sur le terrain, Maria Papanikolaou, enseignante de français à Kavala depuis 26 ans, j’ai établi une liste d’informateurs sur le monde du FLE en Grèce. Sur celle-ci figuraient : – 4 enseignants (deux du secteur public, deux du secteur privé : frontistiria) ; – 3 apprenants (deux issus d’une école professionnelle et un d’un collège public) ; – un parent (mère de l’apprenant collégien) ; – la conseillère pédagogique de Macédoine-Orientale-et-Thrace, Effi Mavromatti ; – la vice-présidente de l’APLF, Chrysanthi Inachoglou ; – et l’attachée de coopération pour le français de l’Institut français d’Athènes, Émmanuelle Boillon.

Une fois les entretiens effectués, traduits et transcrits, j’ai rassemblé les divers commentaires des personnes interrogées dans des schémas synthétiques et d’autres plus détaillés. On trouvera ci-dessous les premiers. Ces mosaïques de témoignages donnent une image de la situation des acteurs de l’enseignement-apprentissage du français aujourd’hui, en Grèce. À l’image de la situation de la crise générale, que l’on pourra juger surréaliste, celle du FLE peut sembler pour certains dépourvue de logique. C’est la raison pour laquelle les faits que je mets en évidence doivent être interprétés. Il m’appartiendra, dans la partie analytique de cet article, de chercher à établir un lien logique entre les données et les divers faits que nous avons explorés jusqu’ici. À ce stade, le lecteur pourra simplement découvrir ces opinions dans leur ensemble.

Schémas synthétiques sur le FLE en Grèce – données tirées des entretiens effectués en Grèce, printemps 2013

Schéma 1 – Motivations pour apprendre une langue étrangère aujourd’hui

 

Schéma 2 – Ces motivations ont-elles changé depuis la crise ?

Schéma 3 – Les langues les plus utiles/recherchées aujourd’hui

Schémas 4 et 5 – L’expérience d’enseignement/apprentissage aujourd’hui et son évolution

Schéma 6 – Opinions sur la langue française

Schéma 7 – Les représentations associées à la langue allemande

 

J’ai trouvé intéressant de rassembler également, dans un schéma, tous les commentaires se rapportant à la langue allemande, langue en concurrence avec le français pour le statut de deuxième langue étrangère enseignée en Grèce19.

Interprétation et analyse des données

Il entre dans mon propos, dans cette quatrième partie, de démontrer que les faits, opinions et idées mis en évidence jusqu’ici se rassemblent harmonieusement pour former progressivement un tableau unique, et ce afin d’aboutir à une compréhension globale de l’état actuel du FLE en Grèce, face à la crise. J’y présenterai également quelques informations théoriques et historiques afin de soutenir mon interprétation des résultats de cette étude. L’analyse sera structurée autour de sept points : 1. la représentation dominante du français ; 2. la motivation dominante dans le choix de langue ; 3. l’apparent abandon devant l’anglais ; 4. la passivité de la France en matière de politique linguistique ; 5. l’acharnement de l’Allemagne ; 6. les conséquences sociales des enjeux de la crise ; 7. certaines réponses à ces conséquences de la part des acteurs éducatifs qui peuvent donner de l’espoir.

Le français, langue de beauté et d’érudition ?

En soumettant les témoignages collectés à une référence croisée, on remarque la récurrence de plusieurs thèmes. Concernant les représentations relatives au français que possèdent nos informateurs, il s’avère que la valeur perçue de la langue dite « de Molière » se fonde justement sur sa richesse littéraire et esthétique et sur la vigueur intellectuelle qu’on lui associe. On relève aisément, dans le schéma 6 (ci-dessus), la reprise de ces notions stéréotypées de beauté et d’érudition. D’après les individus interrogés, le français est une langue de « passion », pleine de « richesse », véhiculant une « culture exceptionnelle ». On souligne « les valeurs qu’elle transmet » (des « valeurs humanistes »), le fait que c’est « la langue des salons », une langue « charmante », « poétique », « romantique », douée d’une sonorité ni « dure », ni « barbare » (à la différence de l’allemand), et on affirme que, bien que son apprentissage soit « plus difficile que l’anglais », par exemple, l’expérience en « vaut la peine ». D’ailleurs, « les plus belles choses ont été écrites en grec ou en français ».

Ces formules sont, pour la plus grande part, bien connues, et renvoient à des stéréotypes historiques concernant la langue française, internationalement répandus. D’après ces éléments récurrents, on peut conclure que les représentations dominantes relatives à la « beauté » et au « génie » de la langue française se sont propagées dans le temps, à tout le moins auprès de ceux qui ont eu un rapport direct avec la langue. Néanmoins, il importe de noter les idées contraires exprimées par deux de nos informatrices, des élèves de l’école professionnelle (les apprenants dénommés apprenants 1 et 2 dans mon étude). Ces individus ont affirmé la conviction que le français est une langue « moche », moins « belle » que d’autres langues, et ont donné en référence l’espagnol. Ces mêmes informatrices considéraient « injuste » l’obligation de suivre des cours de français (langue qui leur semblait inutile). De tels commentaires ont soulevé une question : ces occurrences constituent-elles des exceptions isolées, ou des faits annonciateurs d’une nouvelle forme de pensée, déjà, apparemment, en voie de réalisation ?

On peut supposer que cette dévalorisation de la beauté de la langue, contraire aux valeurs normalement associées à la langue française, peut très bien résulter de circonstances particulières de vie : par exemple, un milieu social ayant moins de contact avec des produits culturels qui vantent le prestige du français, ou bien un milieu social en rapport avec d’autres langues, aboutissant à une indifférence envers le français (en fait, l’apprenant 1 fait partie d’une famille d’anciens émigrés d’Allemagne). Cependant, il convient d’insister sur la deuxième partie de la question posée ci-dessus : est-il possible que ces remarques, qui ignorent les jugements traditionnellement attachés au français (commentaires pris d’emblée comme des exceptions isolées), soient l’annonce d’une opinion nouvelle abandonnant complètement l’importance accordée aux valeurs nobles de sensibilité et d’intelligence, par exemple, qui ont toujours été considérées comme les sources du développement de l’âme et de l’esprit des acteurs de l’humanité ?

Nous savons qu’il existe aujourd’hui, dans le monde occidental, une menace à laquelle sont confrontées les disciplines scolaires réunies sous le terme générique d’humanités, telles la littérature, l’histoire, l’art et la rhétorique, toutes susceptibles de développer l’esprit citoyen, et qui trouvaient auparavant toute leur place dans l’apprentissage des langues-cultures. Le français est traditionnellement perçu comme une langue dont la littérature, l’histoire, et d’autres produits culturels, transmettent des valeurs dignes de développer des individus épanouis. La langue française serait ainsi à l’origine d’une société plus saine parce que composée de citoyens prêts à pratiquer une pensée critique fondée sur des valeurs nobles transmises à travers de multiples œuvres culturelles. De plus, le français n’est-il pas une langue qui prévaut dans le champ de la diversité ? La francophonie n’est-elle pas présente sur les cinq continents ? Aussi, ces valeurs nobles n’y prendront-elles pas des couleurs culturelles différentes, donnant autant de définitions variables à des notions comme beauté et sagesse qu’il existe de cultures francophones ? Il me semble en effet que la représentation du français en tant que langue de beauté et d’érudition est importante à maintenir, parce que c’est justement ces valeurs, parmi d’autres, que nous devons défendre et promouvoir dans le monde.

Bien sûr, je suis consciente du fait que les représentations attachées à une langue ne sont que des idées. Mais d’après ce que le sociolinguiste Henri Boyer appelle « l'imaginaire ethnosocioculturel collectif » du monde, le français est apprécié pour son érudition et sa beauté, et, le plus souvent, à force de croire à une chose, celle-ci tend à devenir une réalité. Il serait donc non seulement dommageable, mais dévastateur pour notre société mondiale que l’on perde de vue ces références morales, sociales et esthétiques.

La motivation dominante dans la DDLES en Grèce : logique marchande, logique de survie

Néanmoins, on constate aujourd’hui que la réalité travaille à l’effacement de toutes les références qui favorisent autant le développement éthique et esthétique que la cohésion sociale, en faveur de l’implantation exclusive d’une valeur unique contraire, « omnipotente ». Privilégiant le profit, le développement des marchés et l’enrichissement individuel au mépris du bien collectif, et se diffusant dans quasiment tous les secteurs de la société, cette valeur peut être dénommée « logique marchande ». Dominante et largement incontestée, elle correspond au système qui organise toutes les sociétés, à savoir le capitalisme global, système qui légitime le néolibéralisme.

Il s’agit là d’idéologies, de systèmes de croyances « organisés et mobilisés à des fins plus ou moins ouvertement politiques, [...] et/ou [des systèmes] de contrôle, de manipulation des esprits 20». L’époque où l’on imaginait que l’enseignement-apprentissage d’une langue allait de pair avec un idéal d’érudition et de beauté est désormais révolue. Ayant envahie les esprits des individus aux quatres coins de la planète, par le moyen de politiques tacites (publiques et éducatives) et par l’influence de dispositifs médiatiques, la logique marchande s’impose petit à petit en tant que paradigme commun par excellence à l’échelle mondiale. Ce fait résulte du monopole que détient cette valeur sur le plan intellectuel (du moins dans l’ordre des idées les plus facilement accessibles à la plus grand partie de la population), et, par conséquent, au niveau pratique. La preuve la plus évidente de l’influence de cette logique dans la vie quotidienne se manifeste à travers l’abondance de marchandises qu’accumulent les individus, convaincus de leur utilité et nécessité.

Effectivement, face à cette logique souveraine, tout se marchandise, se réifie au service du marché, et le monde scolaire ne résiste pas à une telle emprise. Les élèves se rendent à l’école non pas dans l’idée de s’instruire, de développer leur culture en vue de leur édification personnelle, mais dans l’intention d’acquérir des compétences utiles qui leur permettront d’intégrer le marché du travail. Cette marchandisation des disciplines scolaires et de l’élève semble déjà à l’œuvre en didactique des langues étrangères et secondes (DDLES) en Grèce.

D’après la plupart de nos informateurs, la motivation extrinsèque, orientée par un projet d’emploi, arrive en première position dans la liste des motivations qui poussent, aujourd’hui, en Grèce, les élèves à entreprendre l’étude d’une langue étrangère. On déclare que sa « première motivation » est « le travail » ou « la situation professionnelle ». On reconnaît qu’en étudiant une langue étrangère, « il est plus facile de trouver un emploi plus tard », mais on considère que les élèves surestiment « [l]’importance [du] papier » (le certificat), au détriment de « la connaissance de la langue », sous prétexte que « le certificat [...] permet de trouver du travail ». Quand je l’ai interrogé sur l’évolution de ces motivations depuis la crise, l’enseignant dénommé ici enseignant 2, qui a initialement retenu les études comme première motivation, répond ainsi : « Je mettrais peut-être le travail d’abord, et après les études, mais en général ça n’a pas changé ».

Il convient de souligner, en effet, que le motif professionnel n’est pas né des circonstances de la crise, mais a toujours fonctionné comme un mobile puissant pour apprendre une langue étrangère en Grèce. L’importance accordée à l’obtention de certificats officiels de langues étrangères a déjà été évoquée en tant qu’atout indispensable lorsque l’on cherche un emploi dans le pays. Il se peut, pourtant, que la motivation professionnelle soit d’autant plus valorisée en temps de crise que la connaissance d’une langue « utile » est considérée comme la seule issue. À l’instar de Madame Chrysanthi Inachoglou, vice-présidente de l’association des professeurs de français diplomés de l'Université (l’APLF) (en substance) :

Les parents sont angoissés par la crise, ils veulent que leurs enfants choisissent la langue qu’ils considèrent comme la plus utile, celle qui leur servira d’outil pour gagner de l’argent, pour survivre ; ils ne pensent plus à la culture et au développement de l’esprit de leurs enfants.

On peut en conclure que la suite d’événements provoquée par l’actuelle conjoncture économique a logiquement créé un climat d’angoisse, tout en plongeant les citoyens grecs dans une situation de « survie ». Madame Inachoglou n’est pas la seule à évoquer cette notion, c’est un concept formulé explicitement ou implicitement par plusieurs personnes interrogées.

Cette motivation instrumentale à des fins professionnelles prend place ainsi dans un continuum d’évolution des motifs qui poussent à apprendre une langue étrangère, et, même si sa récurrence est amplifiée par la crise, on ne peut pas affirmer qu’il s’agit de ses conséquences directes. Cependant, on peut noter qu’un mobile, cité très souvent dans les entretiens, semble de plus en plus déterminant à mesure que le pays s’enfonce dans les difficultés : la volonté de partir à l’étranger. D’après nos informateurs, les jeunes Grecs « veulent apprendre une langue pour partir à l'étranger », pour s’installer « là où ils peuvent trouver du travail ». Beaucoup d’entre eux « espèrent aller en Allemagne pour travailler ». « Tous [les] élèves » de l’enseignant 3 « sont partis à Londres, ou en Allemagne, [ou bien] en Écosse » (où les frais d’inscriptions à l’université sont relativement faibles). Notre informateur-parent résume simplement la situation ainsi : « C’est une question vitale de quitter la Grèce, parce qu’en Grèce, il n’y a plus de boulot. Malheureusement. On n’a pas envie de faire ça. Mais il faut le faire, pour la survie de chacun. »

Les statistiques officielles de l’Union européenne concernant les taux de chômage du continent permettent de mesurer la pression que subit actuellement la jeunesse. Selon l’Eurostat, le taux de chômage total en Grèce est passé de 21,4% à 26,4% entre décembre 2011 et décembre 2012, et a atteint 62,5%, chez les moins de 25 ans en février 2013. C’est donc le pays d’Europe le plus touché par ce fléau. Il est logique que les jeunes soient poussés à partir à l’étranger pour travailler, seule issue qui s’offre à eux.

Pourtant, pour pouvoir émigrer et trouver du travail à l’étranger, il faut parler la langue du pays, ou du moins une lingua franca. Paradoxalement, nombreux sont ceux qui se trouvent dans l’incapacité d’assumer les frais nécessaires pour suivre plusieurs cours privés de langues, comme l’ont constaté certaines des personnes interrogées, qui se voient contraints de se limiter à un seul choix de langue : celui qui semble pouvoir satisfaire le plus efficacement un besoin professionnel. Pour les élèves les plus fragilisés économiquement, les cours privés sont exclus. Ils doivent « se contenter d’aller à l’école publique ». Mais, on considère généralement que l’enseignement public ne permet pas d’atteindre un niveau en langue satisfaisant ni d’assurer l’obtention d’un diplôme et c’est d’autant plus vrai maintenant que l’atmosphère du système scolaire public grec se dégrade rapidement.

Lorsque l’on est véritablement acculé au pied du mur, n’est-il pas naturel de faire tout ce qui est en son pouvoir pour survivre ? Aussi, on peut comprendre que nombre de gens succombent aux pressions du monde et aux idéologies dominantes, aussi limitatives et opprimantes soient-elles. Si ceux qui embrassent sans réfléchir l’idéologie néolibérale et ses valeurs marchandes sont légion, n’est-ce pas dans l’ignorance des autres possibles ? Même si on est animé par d’autres idéaux dans l’étude d’une langue étrangère, la plupart s’abandonnent à cette force implacable et à la langue qui y est associée.

Vers la résignation devant le tout anglais

L’examen des données des entretiens effectués m’a conduit à noter ce que j’interprète comme une résignation devant l’hégémonie de la langue anglaise dans l’enseignement-apprentissage des langues étrangères en Grèce. La plupart des acteurs interrogés ont exprimé des préoccupations à l’égard de la promotion officielle dont fait l’objet la langue allemande, mais très peu de commentaires ont été formulés à l’encontre de la prééminence de l’anglais (un seul de ce type a été relevé), ce qui démontre, semble-t-il, un abandon aux valeurs dominantes, mises en avant ci-dessus. Quand on demande quelles sont les langues les plus recherchées aujourd’hui en Grèce, et quelle est la raison de cette préférence, tous les acteurs ont placé l’anglais au premier rang, sans fournir d’autres justifications que des lieux communs, avancés comme des évidences.

Parmi les réponses collectées auprès de nos témoins, au sujet de la place de l’anglais en Grèce, nous retrouvons les commentaires suivants : – D’après l’enseignant 1 : « L’anglais est la première, sans aucun doute, parce que le système scolaire est construit ainsi ». – D’après l’enseignant 3 : « Désormais, les élèves ont tendance à n’apprendre qu’une seule langue. Ils ne font que de l’anglais ». – D’après l’enseignant 4 : « L’anglais c’est la langue numéro un parce qu’on estime que c’est une langue internationale ». – D’après l’apprenant 1 : « L’anglais [est la langue la plus utile], parce que la plupart des gens la parlent, à l’étranger et ici ». – D’après l’apprenant 3 : « [L’] anglais [...] [est utile], bien sûr, pour les touristes ». –Et, d’après le parent interrogé : « Je crois [que] l’anglais [est la plus utile], parce que ça fait des années que l’anglais est utilisé comme langue internationale [...]. Donc tout le monde sait parler l’anglais et les touristes aussi. [...] C’est le plus utile pour rester en communication avec tous nos amis internationaux ».

Il est vrai que l’influence de l’anglais n’est pas un fait nouveau. C’est un phénomène qui s’amplifie dans le monde, y compris en Grèce, depuis « des années ». Pour être plus précis, la propagation de la langue anglaise est liée à la politique expansionniste de l’Empire britannique, au XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles. Pourtant, ce n’est pas le Royaume Uni qui constitue la force motrice de la diffusion de la langue dite « de Shakespeare » aujourd’hui. Comme le constate le linguiste et anthropologue Rudolphe C. Troike, cité par Robert Phillipson dans son ouvrage Impérialisme Linguistique, ce phénomène :

[...] a été considérablement amplifié par l'émergence des États-Unis en tant que grande puissance militaire mondiale et principal innovateur technologique depuis la Seconde Guerre Mondiale. Le processus a également été largement encouragé par d’importants financements gouvernementaux et l’arrivée de fonds émanant d’organismes privés, durant la période 1950-1970, probablement la plus grande somme d’argent jamais dépensée dans l'histoire, en faveur de la propagation d'une langue21.

Le British Council, organisme britannique chargé de l’enseignement de la langue anglaise, présent en Grèce depuis 1939, « coopère avec les Américains depuis le milieu des années 195022 ». Dans le même ouvrage, R. Phillipson rapporte les propos d’un ancien haut responsable du British Council qui constate qu’en 1960, « les Américains étaient en train de planifier une vaste offensive pour faire en sorte que l'anglais devienne une langue mondiale, une campagne de promotion de la langue anglaise à l'échelle mondiale, une échelle jusqu'alors inédite23 ». Phillipson se réfère de nouveau aux remarques de ce témoin, qui compare l’unilinguisme mondial à « une extension de la tâche à laquelle l'Amérique a été confrontée au moment de l'établissement de l'anglais en tant que langue nationale commune parmi ses populations immigrées24 ». Une sorte de « global melting pot », comme l’explique Phillipson, un creuset de langues et de cultures au niveau global, unifié par une seule langue.

Cette idée d’un rapport entre l’uniformisation linguistique à l’échelle planétaire et l’unification linguistique interne aux États-Unis rejoint des notions clés de la sociolinguistique, à savoir l’idéal de l’État-nation et l’idéologie de l’unilinguisme25 (terme souvent utilisé interchangeablement avec monolinguisme). Il semble que ces dispositifs de restriction de la diversité culturelle et linguistique, normalement limités à l’échelle d’un seul pays, soient en train de s’étendre progressivement, et ce depuis quelque temps déjà, au niveau mondial. Si l’idéal de l’État-nation implique l’identification des peuples d’un espace géographique donné à une nationalité une et indivisible, afin que la classe dominante de cet « État » puisse assurer sa mainmise sur l’ensemble de la population, l’idée d’une unification linguistique à l’échelle mondiale ne procéderait-elle pas à une telle logique ?

La langue est un outil unificateur très efficace. En effet, elle rapproche ceux qui partagent la même capacité langagière. Elle est le premier outil de communication (au sens propre) entre les êtres humains, par nature sociaux. Aussi, ceux qui apprennent la langue anglaise auront tendance à s’identifier, même à leur insu, aux dérivés culturels dominants véhiculés par cette langue (sachant encore une fois que la langue et la culture ne font qu’un). Ces dérivés, de manière plus ou moins implicite, sont « imbibés » de toutes les valeurs transmises par la culture dominante, à savoir les valeurs marchandes.

Si le néolibéralisme26 n’est pas né aux États-Unis, les principes qui le sous-tendent ont été largement développés sur le sol américain, la théorie y a pris une extension inconnue jusqu’alors, a investi l’ensemble des politiques publiques et économiques du pays, puis s’est imposée comme une nécessité à l’échelle internationale. Nous pouvons supposer que les décideurs américains et anglais se sont donnés comme objectif, lors de la planification de « la campagne de langue anglaise à l'échelle mondiale », l’adhésion de la population de chaque pays à ces valeurs. Le sociologue Abram De Swaan estime que « la loyauté linguistique est un cas extrême de la loyauté de consommateur27 ». Cette hégémonie linguistique se traduit donc par une hégémonie culturelle et économique, et puisque la logique marchande est celle qui « gouverne » aujourd’hui, il s’agit aussi d’une véritable hégémonie américaine sur la politique mondiale.

L’explication du processus en cours nous permet de mesurer la gravité des menaces qui pèsent sur chaque démocratie. Malheureusement, comme le révèlent certains témoignages recueillis, ces atteintes à la liberté individuelle et à son expression politique sont acceptées comme un fait établi : l’anglais est la langue dominante parce que « le système scolaire [voire le système en général] est construit ainsi », aussi il est inutile de se poser des questions, ou d’essayer de changer quoi que ce soit. La fabrication du consentement est un processus lent, régulier et très efficace. Le système hégémonique anglo-américain semble donc avoir atteint ses objectifs de domination, du moins auprès de nos informateurs en Grèce, lesquels peuvent être considérés comme représentatifs de tout le pays.

Heureusement, il existe encore certaines personnes, même si ce n’est qu’une minorité, qui se sentent fortement préoccupés par cette sombre réalité. Dans ses prévisions au sujet de l’avenir de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères en Grèce, Madame Chrysanthi Inachoglou anticipe, à contre-cœur, une évolution rapide vers l’unilinguisme, à savoir l’enseignement d’une seule langue étrangère en Grèce : l’anglais28. D’après Madame Inachoglou, « la politique du monolinguisme est un impérialisme affreux ».

La passivité de la France en matière de politique linguistique

À en juger par les propos critiques relatifs au manque de soutien de l’État français, exprimés par certains témoins, la France n’a pas su contrer l’impérialisme anglo-américain : de fait, la langue française bat en retraite devant la puissance de l’anglais. Les insuffisances de la planification linguistique du français en Grèce révèlent de façon flagrante cette reddition. D’après nos informateurs, le français « ne bénéficie pas du soutien qu’il mérite ». Madame Effi Mavromatti, conseillère pédagogique de Macédoine-Orientale-et-Thrace, n’est pas la seule à le regretter.

Rappelons que la politique linguistique de la France s’effectue à travers le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) du Ministère des Affaires étrangères, par l’entremise de l’Institut français d’Athènes et de son relais, pour le nord de la Grèce, l’Institut français de Thessalonique. Plusieurs critiques ont été formulées quant à l’efficacité de cette institution, qui devrait jouer un rôle fondamental dans la diffusion de la langue française, et quant à son enveloppe budgétaire, entre autres. Il faut souligner la dimension polémique des commentaires formulés au sujet de l’absence de soutien dont bénéficie l’enseignement du français. Madame Inachoglou nous apprend que « la seule aide venant de l’Institut français ce sont des crayons ». Madame Mavromatti fait le même constat. À une demande de clarification sur la nature exacte de cette carence de l’administration française auprès des conseillers pédagogiques (alors qu’il a été question du besoin de nouvelles ressources pédagogiques et de nouveaux matériaux), cette dernière renchérit avec exaspération : « Non ! des crayons. On nous envoie des centaines de crayons. Ce n’est pas du soutien ça. » La charge émotionnelle de ces critiques traduit l’état de frustration dans lequel se trouvent les acteurs du FLE en Grèce, lesquels se sentent littéralement abandonnés à eux-mêmes, contraints de se battre seuls, avec des moyens dérisoires.

L’enseignante 3, au sein des frontistiria, en Grèce du Nord, déplore la cherté des services de l’Institut français. Ses arguments mettent en lumière le désengagement de la France. Selon elle, le français coûte cher, comparativement à l’allemand. Les frais des photocopies des fascicules pédagogiques de l’Institut français ne sont pas remboursés. Leur montant s’élève à 500 € par an pour chaque classe et de nombreuses écoles sont dans l’impossibilité d’engager de tels frais. « Les livres coûtent plus cher », déclare cette enseignante. Ainsi, tout a un prix à l’Institut français, « même les séminaires ». Le seul réel soutien apporté par l’Institut serait l’aide à l’organisation des examens. Néanmoins, « très peu d’élèves y participent », et, d’ailleurs, les examens ne sont pas gratuits non plus. Elle compare le coût de l’apprentissage du français, mesuré en temps d’étude, à celui de l’anglais et de l’allemand : « C’est long, cela implique de nombreuses années d’études. Pour l’allemand, il faut 3 à 4 ans pour obtenir le premier certificat. Pour l’anglais et pour le français, il faut 7 à 8 ans. »

L’enseignement de l’anglais peut se permettre un relatif manque d’efficacité. C’est en effet la langue la plus recherchée (pour les différentes raisons déjà relevées), elle occupe donc la position d’un quasi-monopole dans le domaine. Quant à la langue française, nous savons que ce n’est pas le cas. Aussi, à quoi serait due cette passivité ? Serait-ce que la France pèche par manque d’esprit concurrentiel ? Ou bien proviendrait-elle du fait que les français refusent de renoncer à leurs valeurs les plus profondes, alors que pour être compétitif, il faut savoir jouer avec les règles du marché (c’est-à-dire réduire la qualité de ses services pour pouvoir baisser ses prix) ? Madame Inachoglou suggère que la solution pourrait être plus simple : « Ιl paraît que les Français ne veulent pas prendre part au jeu avec les Allemands [...] ; ils ont sûrement leurs propres problèmes et ne s’intéressent pas à l’état de la langue française à l’étranger ». Mais, n’est-il pas dans l’intérêt des Français de promouvoir leur langue dans le monde pour favoriser la diversité linguistico-culturelle, laquelle peut être source de nombreux avantages économiques ? Abram de Swann a rapproché la loyauté linguistique à la loyauté économique. Si les problèmes de la France sont de cet ordre, il est dès lors dans leur intérêt de mieux promouvoir leur langue.

Je me suis entretenue avec Madame Émmanuelle Boillon, Attachée de coopération pour le français (Pôle jeunesse) de l’Institut français d’Athènes, afin de débrouiller ces questions. Cet échange m’a permis d’envisager sous une autre perspective l’intervention de la France dans l’enseignement-apprentissage du français en Grèce aujourd’hui. Madame Boillon affirme que l’Institut a subi des coupes « budgétaires comme tout le monde » et que ses membres sont « obligés de faire plus de choses avec moins d’argent ». Mais, bien qu’ « il n’y [ait] pas d’aide financière [accordée] aux enseignants », le Service de Coopération éducative « essaie d’accompagner au maximum les professeurs ». D’après Madame Boillon, cette aide est concentrée sur la promotion de la langue française et sur la formation des enseignants. Elle cite à titre d’exemple la promotion linguistique auprès des élèves de 4e année d’école primaire, pendant le mois de mai. « Cette promotion consiste à faire des animations dans les écoles, des jeux, à expliquer que le français n’est pas difficile, à distribuer des argumentaires aux parents. » À cette fin, l’Institut collabore avec l’APF, qui fournit le matériel pédagogique, tandis que l’Institut français se charge du matériel promotionnel. En matière de formation des professeurs, l’Institut propose « un dispositif de formation continue [...], au niveau national, gratuit, et des ressources gratuites ». Ces dernières consistent de « ressources audio-visuelles » adaptées « en fonction des évolutions technologiques », ce qui se traduit réellement par « davantage de ressources en ligne ». La raison que Madame Boillon avance pour justifier ce recours aux ressources en ligne est qu’elles sont « plus économique[s] et plus accessible[s] » aux acteurs du FLE.

On voit donc que le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) du Ministère des Affaires étrangères, à travers l’Institut français, cherche à trouver des moyens de promouvoir la langue et de soutenir les professeurs, sans octroyer de subsides importants. Par exemple, depuis la crise, il y a « moins de bourses de formation de professeurs en France », ce qui amène l’Institut à proposer des formations en Grèce. Madame Boillon note « une forte mobilisation [en faveur de ces] formations » de la part d’enseignants de toute la Grèce, même ces deux dernières années, lesquelles ont été pourtant les plus difficiles.

En guise de conclusion, Madame Boillon dresse le cadre des relations franco-helléniques : « La France affiche une relation très amicale avec la Grèce depuis très longtemps. La France continue et continuera à apporter son soutien. La Grèce est un pays très francophile et francophone depuis des années, et la France se donnera les moyens d’apporter du soutien à la Grèce, et la Grèce attend ce geste de la France. Une ambiance solidaire et fraternelle demeure inchangée entre nos deux pays. »

Cependant, cette « ambiance solidaire et fraternelle » ne reste qu’une idée. En effet, d’après les témoignages de nos informateurs, l’impact des efforts de l’État français dans la diffusion de sa langue est minime. Selon Madame Mavromatti, « les raisons d’apprendre le français existent, mais il faut des stratégies et un réel soutien économique. Il faut de l’argent pour la promotion d’une langue. Et bien sûr, la Grèce ne va pas donner cet argent. Elle n’a aucune raison de donner cet argent. Celui qui veut promouvoir sa langue et sa culture doit aussi prendre en charge les dépenses nécessaires. »

L’acharnement de l’Allemagne

Tout en déplorant le manque de soutien de l’État français, les acteurs du FLE interrogés lors de cette étude ont exprimé de vives inquiétudes en ce qui concerne la position de l’Allemagne en Grèce du Nord, comme nous pouvons le constater à travers les nombreux commentaires relatifs à l’allemand dans la septième section de la partie précédente de cet article. Certaines opinions radicales n’hésitent pas à recourir aux termes de « manœuvres » et de « propagande » pour caractériser le mode de promotion de la langue allemande. Même les informateurs les plus réservés ont leur mot à dire sur le sujet. On évoque une concurrence entre les enseignants d’allemand et ceux de français, qui serait à l’origine d’une atmosphère générale assez tendue dans les établissements scolaires.

On pourra citer quelques exemples donnés par nos témoins pour illustrer cet activisme débordant de l’Allemagne en matière de politique linguistique, en Grèce. D’abord, concernant les interventions liées à la promotion de la langue, non seulement l’Allemagne ne recule devant aucun moyen, parfois des agents se comportent « comme s’ils vendaient des Tupperwares », mais de plus, les professeurs d’allemand donnent l’impression de se battre « comme des croisés ». Madame Chrysanthi Inachoglou précise ces commentaires allégoriques en donnant l’exemple de la promotion via le Deutschmobil, appelé en Grèce le Glossomobil. Dans le cadre du programme « L’allemand en route » financé par l’entreprise Mercedes-Benz et par la fondation Robert Bosch, un van Mercedes-Benz circule dans le pays pour visiter les écoles inscrites. Des intervenants distribuent des produits divers (livres, tee-shirts, etc.) et animent des activités afin de donner une image positive de la langue et de la culture allemandes.

En ce qui concerne la diffusion de la langue, des exemples de pratiques douteuses ont été observées dans des frontistiria et dans des écoles primaires. Madame Inachoglou atteste l’existence de frontistiria au nord de la Grèce qui offriraient des cours d’allemand gratuits à des élèves qui sont inscrits à des cours d’anglais, en utilisant l’argument commercial : « un acheté, un offert ». La première enseignante interrogée prétend, comme précédemment évoqué, qu’« il y a des manœuvres, une certaine propagande ». L’exemple qu’elle avance à l’appui de cette idée est le fait que « les directeurs des écoles primaires convainquent les enfants d’apprendre l’allemand » et ne tiennent pas compte de leurs opinions, ce qui crée « des problèmes ». L’excuse donnée aux élèves par les directeurs serait l’impossibilité « de faire venir un professeur de français ». Cette malheureuse circonstance, tout à fait regrettable pour les professeurs de français qui ont pourtant du mal à compléter leur emploi du temps, et qui pénalise les enfants souhaitant apprendre le français à l’école primaire, est plus vraisemblablement liée à des questions de bureaucratie de l’état grec qu’à des tactiques mises en œuvre par l’état allemand. Le décret ministériel no Φ.52/283/56200/Γ1 du 23/04/201329 fixe un nombre minimal de 12 élèves nécessaire à la constitution d’une classe en Grèce. De nombreux établissements du nord de la Grèce ne parviennent pas à rassembler ce quota. Les élèves qui ont fait le choix du français sont alors obligés de s’intégrer au cours d’allemand.

À consulter le Décret ministériel no Φ. 22.1/3024α du 10/7/201330, nous pouvons comparer le nombre d’élèves en primaire du nome de Kavala ayant opté pour le français, et le nombre effectif de cours qui ont été formés pour l’année scolaire 2013-2014. Dans les 42 écoles primaires de Kavala, seulement 7 classes de français ont été formées en 5e année, ce qui constitue un effectif de 90 élèves seulement parmi les 219 qui ont choisi le français sur un total de 728 élèves dans le nome. En 6e année, 13 classes ont été formées, soit un effectif de 176 élèves parmi les 234 qui ont souhaité apprendre cette langue, sur un total de 837 élèves. Le reste des élèves suivra l’allemand, soit 638 élèves (sur un total de 728 élèves) en 5e année, et 661 élèves (sur un total de 837 élèves) en 6e année. La différence entre les deux langues est énorme, et la préférence pour l’allemand à Kavala est claire.

Je voudrais également souligner que ce statut plus important n’est pas conforme uniquement aux statistiques pour la ville de Kavala. D’après les statistiques officielles du Ministère grec de l’éducation31 pour l’année scolaire 2012-2013, 24.557 étudiants dans le pays entier étaient inscrits aux cours d’allemand dans des centres de langues (frontistiria) contre 16.739 aux cours de français. L’anglais rassemblait le plus d’étudiants, à savoir 421.220. L’italien, l’espagnol et la catégorie « autre langue » ne regroupaient respectivement que 5.076, 3.001 et 1.830 étudiants. De plus, d’après l’étude menée par la Commission Européenne en 2012, Eurobaromètre 386, « Les européens et leurs langues32 », 20% des Grecs interrogés classent l’allemand parmi les deux langues les plus importantes pour leur développement personnel contre 13% pour le français (l’anglais est en premier, bien sûr, avec 74%).

Il s’avère donc que l’allemand est la deuxième langue la plus appréciée en Grèce, surtout dans le nord. Les raisons de ce succès ne sont pas simplement le résultat d’une promotion linguistique acharnée de la part de l’Allemagne. En fait, il se peut que cette idée d’un volontarisme opiniâtre sur le plan de la politique linguistique ne soit qu’une représentation biaisée. J’ai en effet été témoin de plaintes de la part de professeurs d’allemand au sujet du manque de soutien de l’état allemand. Mais, que les professeurs d’allemand reçoivent ou non une aide directe de leur pays, il me semble peu vraisemblable que, en matière de promotion de la langue, l’Allemagne n’y soit pour rien.

L’importance de l’immigration depuis le nord de la Grèce vers l’Allemagne est un facteur prépondérant. J’ai pu observer, durant mon séjour et à travers mes recherches, que les liens historiques entre l’Allemagne et la Grèce du Nord continuaient de se développer. Jadis, des Grecs s’installaient en Allemagne en tant que « Gastarbeiter » (travailleurs immigrés qui ont constitué une main d’œuvre bon marché au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, lors de la reconstruction), mais de nos jours, c’est le pays même des Grecs qui est « détruit » par ce que l’on pourrait assimiler à une guerre non pas militaire mais économique. Actuellement, hors de tout accord bilatéral entre les gouvernements, les Grecs sont contraints d’accepter des emplois mal payés à l’étranger. La première destination, comme l’ont constaté nos témoins, est l’Allemagne, et les Grecs deviendraient dès lors des « Gastarbeiter » modernes.

Après la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux départs de Grecs sont liés aux accords de recrutement de travailleurs, comme celui, par exemple, signé le 30 mars 196033 entre les gouvernements grec et allemand. Cette collaboration est toujours actuelle, mais se manifeste moins ouvertement. Le 9 juillet 2013, la Grèce a annoncé la suppression d’une cinquantaine des 110 spécialisations proposées par ses lycées et écoles professionnels. À peine quelques semaines avant l’annonce du démantèlement de la formation professionnelle grecque, le Ministère fédéral allemand du Travail et des Affaires sociales (Bundesministerium für Arbeit und Soziales – BMAS) et l'Agence fédérale allemande pour l'Emploi (Bundesagentur für Arbeit – BA) annoncent la création d’un nouveau programme, thejobofmylife.de, au sein du programme plus large « Mobipro-EU », proposant aux jeunes de l’Europe du sud une formation professionnelle et un placement professionnel en Allemagne34. Le gouvernement allemand justifie cette initiative par une actuelle pénurie de main d’œuvre en Allemagne pourtant contestée par des critiques35. Parmi les 18 secteurs concernés par ce programme, on retrouve des professions telles que celles supprimées en Grèce, comme dans le secteur de la santé, par exemple. Bien sûr, pour aller se former et travailler en Allemagne, il faut déjà avoir quelques rudiments de langue. Ce programme tient compte de ce besoin et a mis en place des fonds spéciaux destinés à subventionner des cours de langue allemande en Grèce, avant le départ imminent en Allemagne. La concomitance de ces deux décisions, à savoir le démantèlement de la formation professionnelle en Grèce et le développement en Allemagne d’une formation professionnelle s’adressant spécifiquement aux ressortissants de l’Europe du sud, n’est probablement pas le fait du hasard.

De plus, les liens helléno-germaniques au sein même de l’état grec seront fortifiés dans un avenir proche : – des bourses d’études en Grèce, au niveau Master, financées par l’entreprise Siemens36 ; – l’annonce faite par l’Allemagne d’investir en Grèce dans l’énergie, en particulier, et dans d’autres domaines tels que le marché alimentaire, l’éclairage public et la gestion des déchets37 ; – la création d'un fonds d'investissement avec l’assistance du KfW (une banque de développement public allemand), se proposant de soutenir les entreprises allemandes qui investissent en Grèce38 ; – et, enfin, la création probable de filiales de la banque publique allemande Sparkasse en Grèce ayant pour objet de financer des prêts auprès des investisseurs allemands dans le pays. Ainsi se résument ces dépendances économiques envers l’Allemagne sur lesquelles se reconstruit la Grèce d’après-crise.

Toutes ces circonstances prédisent une plus grande présence commerciale de l’Allemagne en Grèce et constituent des arguments pouvant inciter à apprendre la langue. De telles dépendances économiques ne sont pas à proprement parler des politiques linguistiques. Elles jouent néanmoins un rôle critique dans la motivation des jeunes sélectionnant une langue étrangère et sont sûrement beaucoup plus efficaces que des politiques linguistiques qui organisent le voyage d’un minibus promotionnel à travers le pays ou la distribution de tee-shirts tamponnés du sigle du Bundesschild ainsi que de stylos marqués du logotype de l’Institut français.

Ces liens de dépendances sont beaucoup plus efficaces, non seulement pour la promotion et la diffusion de la langue, mais également pour la transmission et la propagation d’une culture et d’une idéologie que véhicule cette langue. L’idée que la diffusion d’une idéologie implique un projet de domination a été évoquée précédemment. Les États-Unis, et a fortiori la langue anglaise, comme nous l’avons vu, exercent une véritable hégémonie en Grèce. Cependant, il s’avère que l’Allemagne voudrait aussi sa part du butin, et n’hésite pas à mener une véritable guerre, là où la France semble céder du terrain.

Les conséquences humaines de la crise

Abordons à présent la question des conséquences humaines de cette crise qui a été provoquée par la logique marchande effrénée, liée aujourd’hui au néolibéralisme. Cette logique semble s’instaurer petit à petit comme valeur unique à l’échelle globale, de sorte qu’elle exerce une domination intellectuelle incontestée. Malgré des plans de sauvetage censés sortir la Grèce de la crise, le pays s’enfonce chaque jour plus profondément dans une misère sociale. L’échantillon représentatif des acteurs du monde du FLE à Kavala offre, à travers les témoignages collectés, une représentation des épreuves auxquelles sont confrontés tous ceux qui interviennent dans le domaine de l’éducation, et plus largement les Grecs en cette période de crise.

Quant aux acteurs éducatifs, et en particulier les enseignants, leurs conditions de travail se dégradent et la reconnaissance qu’on leur témoigne est quasiment nulle. D’après les enseignantes interrogées, des coupes salariales, des mutations forcées, des heures supplémentaires, des classes de plus en plus surchargées, des affectations dans plusieurs établissements et des menaces de licenciements sont quelques-uns des facteurs qui s’accumulent pour former « une ambiance d’inquiétude », donnant lieu aux sentiments de « pessimisme », de « déception » et de « peur ». « Le gouvernement, le Fonds Monétaire International, l’un ou l’autre, ou bien les deux » ont « gâché [la] passion » qui les animait dans leur travail, malgré la joie que leur apportent toujours les élèves. Cette passion « se perd petit à petit, parce que physiquement, [ils] ne peuvent pas tenir le coup ». Les enseignants ont l’impression que « l’insécurité [est] constante », comme s’ils vivaient désormais dans « un cauchemar ». L’extrait suivant, tiré de l’entretien avec l’enseignant 1, illustre bien la pression que subissent, en ce temps de crise, les enseignants en Grèce :

Nous disons tous la même chose. Ils ne nous permettent pas de travailler comme nous le souhaiterions. Nous vivons un cauchemar. Ils ont réduit notre salaire à trois reprises. Je gagne à présent 1 000 €39 par mois. Mais ce n’est pas les réductions de salaire qui nous dérangent le plus. Ce qui nous dérange, c'est l'insécurité dans laquelle nous vivons. Tous les jours nous entendons quelque chose de nouveau du gouvernement. On veut aller travailler, mais comment peut-on travailler avec un tel stress et une telle angoisse sur le dos ? C’est pesant. Et les choses vont empirer avec les licenciements annoncés. C'est comme une menace qui pend au-dessus de la tête tous les jours. Ça ne te ruine pas, mais ça fait mal. Tu te dis, j'ai tellement donné et j’ai tellement encore à donner, comment puis-je vivre dans cette crainte ?

L’angoisse dans laquelle vivent les professeurs en Grèce ne peut qu’avoir des conséquences négatives sur les apprenants. En effet, une des tâches principales du professeur est de motiver ses élèves à vouloir apprendre, mais peut-on y parvenir efficacement lorsqu’on est soi-même en souffrance ? Cet impératif de motiver est d’autant plus important, du point de vue du professeur de langue, que la discipline fait l’objet d’un choix de la part de l’élève. Madame Inachoglou affirme que « le choix de langue dépend beaucoup du professeur. C’est lui qui est le transmetteur, avec son charme, sa manière de présenter la langue aux élèves et aux parents. C’est le protagoniste, l’acteur le plus important. Et c’est lui qui doit se battre contre les instituteurs, contre la communauté, contre l’ensemble des difficultés actuelles ». Aussi, quand l’énergie et la passion des enseignants se perdent, la motivation des élèves se dissipe.

Certes, tous les acteurs du monde éducatif sont touchés par la crise, comme quasiment tous les habitants de la Grèce, mais ses effets sur le travail des enseignants ont de très lourdes conséquences. En effet, les professeurs entretiennent des relations quotidiennes directes avec le jeune public, pour qui ils constituent souvent des modèles. Comme les enfants ne peuvent mesurer l’étendue du marasme dans lequel a sombré le pays, ils ont besoin de se référer à leurs professeurs pour savoir comment réagir. Avec un taux de chômage à plus de 60%, les élèves ne peuvent envisager le futur que sous de sombres auspices, ce qui peut reléguer dans l’ombre les raisons de continuer à s’investir dans ses études. Il est donc important que les professeurs les accompagnent dans leurs parcours scolaires et qu’ils les aident à retrouver le chemin de l’espoir. « L’espoir meurt en dernier » dit l’adage grec et « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » dit son homologue français.

Étant donné l’importance extrême de la profession d’enseignant, il est malheureux de noter le déficit de reconnaissance que leur témoigne l’État, indifférence qui se manifeste par des coupes budgétaires incessantes et des menaces de licenciement. Madame Inachoglou fait référence à cette absence de considération à l’égard des acteurs éducatifs. D’après elle, l’administration « [les] considèrent comme des nombres ». Elle prévoit un avenir incertain pour les enseignants de français, à savoir la suppression graduelle de leurs postes : « Ils vont commencer à consolider des départements, des écoles, à donner d’autres tâches aux professeurs de français [les faire sortir de la salle de classe]. La plupart prendront leur retraite. Les postes laissés vacants ne seront pas affectés. »

En juillet 2013, soit deux mois après cet entretien, un nouveau projet de loi (décret ministériel no 4172/2013, ΦΕΚ Α΄ 16/7/2013)40, voté le 17 juillet et publié le 23 juillet 2013, a mis en place des mesures qui auront des conséquences graves pour les enseignants du pays et qui justifient les craintes de nos témoins. Ce projet de loi résulte d’une stratégie budgétaire à moyen terme, couvrant les années 2013 à 201641, exigée par la « Troïka » en échange du versement d’une nouvelle tranche d’aide42. Dans le cadre de ce nouveau budget, on prévoitl’assainissement des finances publiques, ce qui se traduit par des mises en « disponibilité » et la « mobilité » des fonctionnaires, à savoir la mise en « disponibilité » de 12 500 personnes avant fin septembre 2013, et l’éventuelle suppression de 15 000 postes au cours de l’année 2013-201443. Parmi les conséquences de ces mesures, celles qui touchent l’Éducation nationale sont les suivantes :

  • l’augmentation des heures d’enseignement de deux heures ;
  • la fermeture de 118 écoles maternelles et primaires (31 écoles primaires et 87 maternelles) ;
  • la fusion de 17 écoles primaires et 12 écoles maternelles ;
  • la suppression d’une cinquantaine de départements dans les lycées techniques ;
  • la fermeture et la fusion de lycées techniques ;
  • près de 2 500 enseignants des lycées techniques placés en « disponibilité » pendant 8 mois, durée pendant laquelle ils seront payés 75 % de leur salaire, ce qui aboutira à une mutation dans une autre administration, à temps partiel, mais plus vraisemblablement au licenciement si un poste ne leur est pas trouvé dans l’année ;
  • la mutation de 4 933 enseignants jugés « surnuméraires » du niveau secondaire vers le primaire (dont 200 enseignants de français).

Les craintes de nos professeurs ne reposent pas sur de simples menaces, elles décrivent une réalité authentique. Nous constatons que, à partir de l’année scolaire 2013-2014, un grand nombre de personnels éducatifs seront placés en « disponibilité »44, ou licenciés. Maints autres qui seront mutés devront bientôt se déplacer sur de longues distances ou déménager dans une autre ville, et ce à leurs frais, s’ils ne veulent pas être licenciés. Nul doute que les effets immédiats de ce projet de loi sont graves pour les Grecs et que les répercussions à long terme seront encore plus désastreuses. La diminution du nombre d’enseignants dans les établissements scolaires se traduira par un gonflement de la taille des classes, ce qui entraînera une charge de travail accrue pour les professeurs et une plus grande difficulté à gérer les élèves. Il en résultera une grave dégradation du système scolaire grec et, en fin de compte, l’effondrement du niveau scolaire des générations actuelles et futures.

Initiatives autogestionnaires

Face à l’impuissance de l’État grec à aider sa population, celle-ci a décidé, dans la mesure de ses moyens, de prendre les choses en main. Cette prise de conscience s’est traduite par de nombreuses initiatives populaires, apparues là où le système social étatique, soumis à la logique néolibérale, faisait défaut. Un exemple de ces initiatives se rattache à notre domaine : pour augmenter le nombre d’élèves en français, les enseignants de Kavala coordonnent, à titre bénévole, un atelier de promotion de la langue française. Les matériaux pédagogiques dont ils disposent sont financés par la Maison d’Antoinette (Association indépendante de l’amitié Franco-Hellénique d’Alexandroupolis, ville voisine de Kavala). Cet atelier a lieu dans une salle du PEK de Kavala, le Centre régional de formation des professeurs, à raison d’une fois par mois, au deuxième semestre. Il est organisé par la conseillère-pédagogique de la région et par les enseignants de divers établissements scolaires de Kavala. Les professeurs y animent auprès des enfants des activités ludiques dans les quatres premières années de l’école primaire, afin de les orienter dans leur choix éventuel de deuxième langue étrangère en cinquième et sixième années du primaire. Bien qu’il y ait des implications directes uniquement pour les enseignants du niveau primaire (puisque la continuité du parcours de langues n’est pas assurée entre les établissements scolaires), les professeurs de collège et de lycée se portent également volontaire à cette initiative d’éveil à la langue française.

Une autre initiative qui contribue grandement à donner une bonne image de cette langue est le spectacle de fin d’année, événement organisé, dans un théâtre de Kavala, par les professeurs de français. Tout au long de l’année scolaire, les élèves de chaque classe de français préparent une chanson, un poème ou un extrait d’une pièce de théâtre destinés à être présentés sur scène. Ce n’est pas simplement l’occasion d’évaluer les capacités d’expression des élèves. Cette manifestation est bien plus que cela. Le temps d’une soirée, elle crée une véritable communauté : les familles et les amis des élèves sont invités à venir apprécier les talents linguistiques et artistiques des élèves de français de la ville. Effectivement, l’événement attire un public conséquent.

Du point de vue pédagogique, l’autogestion qui semble se mettre en place aujourd’hui en Grèce est également évidente dans les établissements scolaires et les salles de classe. Le manque d’aide financière et l’absence de considération individuelle et collective de la part de l’État envers les acteurs du domaine éducatif amènent les enseignants à se doter d’une autonomie de plus en plus importante. Celle-ci se met en place non seulement au plan de la promotion de la langue, comme dans les exemples cités ci-dessus, mais également dans la planification et l’animation des cours, ainsi que dans le domaine administratif. Ce dernier exemple résulte du fait que dans beaucoup d’écoles, le personnel de bureau fait défaut. Les professeurs sont alors obligés de remplir des fonctions autres que celle qui leur est dévolue, afin d’assurer le bon déroulement de l’expérience scolaire des élèves. En ce qui concerne la planification pédagogique, l’autonomie à ce niveau se manifeste à travers l’ingéniosité dont les professeurs doivent désormais faire preuve dans l’animation de leurs cours, et ce du fait de l’insuffisance des ressources pédagogiques disponibles, comme le constatent les informateurs de cette étude, ou à cause des carences de l’administration, telle l’inexistence du deuxième tome du manuel de français au collège.

En dernier lieu, l’impératif de motiver et d’attirer plus d’élèves fait que les professeurs eux-mêmes se mobilisent davantage afin de dynamiser leurs méthodes pédagogiques. On assiste donc à un renouvellement des pratiques et à un rejet des méthodes traditionnelles. C’est là une conséquence tout à fait positive de l’autonomie aiguë qui se développe à l’heure actuelle. Un autre résultat remarquable est une solidarité accrue entre les individus, et la création de liens communautaires plus forts. Par exemple, j’ai rencontré à Larissa, dans la périphérie de Thessalie, Maria Tsaprali, un professeur de français qui se porte volontaire depuis quelques années pour des cours particuliers bénévoles pour des personnes qui n’ont plus les moyens de s’instruire. Les cours ont lieu à l’espace « Paratodas », un des nombreux centres sociaux autogérés apparus en Grèce depuis l’avènement de la crise, afin de combattre les effets nocifs de l’austérité45. La plupart de ses élèves sont des jeunes gens faisant partie des 62,5% de chômeurs en dessous de 25 ans. Si ces derniers pensent n'être plus rien sans argent, Maria les aide à prendre conscience de leurs ressources intérieures en leur ouvrant l'esprit. Il est important d’apprécier à sa juste valeur ce redoublement d’efforts de la part des professeurs et leur indéniable courage, surtout face au stress, à l’angoisse et à la fatigue provenant de difficultés croissantes issues de la crise.

Quelques conclusions

Mon intention initiale était d’identifier les conséquences de la crise grecque dans le domaine du Français Langue Étrangère et l’hypothèse que j’avais formulée était que la crise avait provoqué une diminution de la diversité linguistique dans le milieu scolaire. L’ensemble des entretiens collectés pour cette étude de cas et l’examen des divers documents réunis m’ont permis de la confirmer. Là où les Grecs apprenaient historiquement au moins deux langues secondes (en parfaite conformité avec la politique linguistique éducative de plurilinguisme), la possibilité de ce choix se restreint de plus en plus, et paraît tendre lentement vers un monolinguisme centré sur l’anglais et une diminution de l’intérêt accordé au français.

La plupart des personnes interrogées considèrent cette langue comme associée à une certaine érudition, comme donnant l’image de la beauté. Nombreux sont ceux qui la jugent importante pour son aspect littéraire et intellectuel. Pourtant, ce ne sont pas là les valeurs que l’on embrasse aujourd’hui. La popularité du français en Grèce ne peut donc guère se comparer à celle de l’anglais, langue « internationale », dont le succès est lié à la domination économique et culturelle des idéaux néolibéraux, à l’extension de l’État-nation américain au plan global. Cette domination dure depuis plusieurs décennies (et se poursuit malgré l’émergence de nouvelles puissances), la perte d’influence du français n’est donc pas un phénomène nouveau. Cependant, d’après les données collectées lors de cette étude, il semble que ce déclin du français en Grèce s’accélère sous l’effet de la crise. Face aux conjonctures fâcheuses de la situation actuelle, les ménages grecs doivent faire des concessions afin de subvenir à leurs besoins, et il en est de même dans le domaine des langues étrangères.

Par ailleurs, le statut du français cède également du terrain face à la montée de l’allemand. Ce fait est directement lié à l’influence croissante du commerce allemand en Grèce et à la « domination » qu’exerce ce pays sur le continent européen. La popularité de l’allemand est surtout sensible en Grèce du Nord, du fait d’une longue tradition migratoire vers ce pays. Le mouvement de travailleurs grecs est de nouveau très actif.

Que doivent faire, dans ce contexte, les enseignants, les apprenants et les autres acteurs du monde du FLE en Grèce, eux dont la langue ne correspond pas aux valeurs soi-disant nécessaires pour la survie de chacun ? Cette question implique également les Français, en tant qu’individus et en tant que société. Il est, en effet, dans leur intérêt de diffuser leur langue. Comment pourrait-on fermer les yeux en espérant que les problèmes se règleront tout seuls, comme si l’on pouvait s’abandonner au laisser-faire sociétal et linguistique ?

Il est vrai que l’argument économique peut sembler toujours légitime puisque, selon l’adage bien connu, « l’argent fait tourner le monde ». Partant donc de l’idée que cette logique marchande est inéluctable, la France, pour reconquérir une position favorable sur le marché grec, devrait mettre en place une stratégie active de promotion de sa langue et de sa culture à travers des dispositifs économiques. À l’instar de l’Allemagne, dont l’acharnement lui vaut d’occuper à présent une place dominante dans le marché grec, malgré l’hégémonie évidente des États-Unis, la France a tout à gagner à faire appel à son industrie pour développer une politique linguistique performante en Grèce. Cependant, il ne suffit pas d’accorder davantage de fonds pour la promotion de la langue (c’est par exemple la stratégie de Bosch et de Mercedes-Benz qui financent le programme de promotion linguistique, le Deutschmobil), il est aussi indispensable de mieux soutenir les acteurs éducatifs en Grèce, lesquels jouent le rôle de transmetteur de la langue et de la culture. Un appui financier plus important destiné aux ressources pédagogiques et à des programmes divers profitera aux apprenants grecs, futurs « consommateurs » de la société globale, dans l’hypothèse, bien sûr, où cette crise arrivera à son terme, où la « croissance » et la consommation seront rétablies.

Mais, en essayant de stopper le déclin de la langue française grâce à des stratégies de commerçant, ne risque-t-on pas d’embrouiller davantage les problèmes économiques et sociétaux que traversent les acteurs du FLE ? Ce ne serait donc qu’une solution provisoire. La limitation programmée de la diversité étant à la base des problèmes actuels, la reproduction du même modèle sous un autre nom serait néfaste. Il semble préférable de faire fleurir des attitudes favorables à la diversité, que ce soit de nouveaux courants de pensée ou de nouveaux modes de vie, et d’assurer pour chaque individu un véritable choix démocratique, des possibilités d’action. La discipline des langues étrangères constitue une opportunité intéressante de promouvoir ces valeurs universelles, lesquelles présentent des couleurs diverses selon la langue et la culture.

Si, par conséquent, nous tenons à une éducation qui encourage le développement égalitaire de tous les citoyens du monde, et non pas une éducation qui ne vise que le profit économique, nous promouvrons justement les valeurs qui sont associées à la langue française, à savoir celles d’érudition et de beauté, d’humanisme, parce que ce sont ces valeurs, bien qu’elles soient aujourd’hui jugées peu utiles, qui nous aideront à changer de logique. C’est là un postulat essentiel pour sortir de la crise.

Ce changement d’attitude, aboutissant à un changement de logique dominante, nécessite un travail de démantèlement des stéréotypes, des représentations trompeuses, et des paralogismes qui servent les intérêts du marché, afin de pouvoir ensuite libérer des modes de pensée plus sains. Bien sûr, tout cela implique un travail immense et exige des individus capables, c’est-à-dire des éducateurs qui ne sont pas eux-mêmes assujettis à des schémas de pensée bornés, qui savent transmettre des valeurs plus égalitaires. Il faut donc revaloriser le statut de l’enseignant, prévoir une formation adéquate, une rénumération juste, une reconnaissance générale de l’importance de la profession, afin d’attirer les individus les plus compétents. Cependant, pour que tout cela soit possible, il faudra un réseau de soutien, voire de solidarité, un système sociétal et politique, qui n’existent malheureusement pas aujourd’hui.

Beaucoup reste donc à faire pour surmonter les difficultés que traverse actuellement le FLE en Grèce : la fragilité du statut de la langue française et la menace que cette langue devienne une matière scolaire désuète. Le projet autogestionnaire mis en place par les professeurs de français pourrait permettre d’assurer, dans une certaine mesure, non seulement la perpétuité de la langue et des valeurs que l’on y attache, mais encore de sauver les emplois des acteurs du FLE en Grèce, et donc leur dignité.

Je conclurai en disant que la situation du FLE en Grèce, avec ses peines et ses joies, peut être considérée comme un miroir de la situation générale du pays. Une situation déplorable, une vraie tragédie, de laquelle néanmoins émerge un chemin vers une autre réalité. Il ne s’agit nullement d’une réalité unique, elle se manifestera au contraire comme aussi diverse qu’il y a de variations culturelles et de langues, qu’il y a de communautés solidaires, peut-être même que l’on peut compter d’individus dans la nouvelle société globale.


Notes

1 Cet article est tiré de mon mémoire de Master 2 proFLE, 2012-2013. J’adresse des remerciements à Maria Papanikolaou, mon professeur référent en Grèce, pour son soutien et ses précieux conseils durant les six mois de mon séjour à Kavala ; à mon professeur référent à l’université de Paul-Valéry, Madame Ksenija Djordjević Léonard, sociolinguiste et spécialiste des Balkans ; à Monsieur Jean-Marie Prieur, chercheur et professeur, pour ses cours passionnants d’anthropologie du langage ; et finalement, à tous les acteurs du FLE en Grèce qui ont eu l’amabilité de me faire part de leurs réflexions personnelles, de leurs angoisses et de leurs espérances, dans le cadre des entretiens destinés à ma recherche.

2 Nome = division administrative en Grèce équivalente au département en France, de niveau inférieur à la périphérie. 51 nomes sont organisées en 13 périphéries, ou « régions ».

3 APLF, février-mars-avril 2011, « Communiqué de presse du 25/04/2011 sur le thème du nouveau lycée », dans Communicationn°110, pp. 10-11.

4 République Hellénique, Décret ministériel n°111800/Γ2-2/9/2008, Thème : l’enseignement de l’italien dans le système scolaire public.

5 République Hellénique, Décret ministériel n°105957/Γ2/03/09/2009, Thème : l’enseignement de l’espagnol dans le système scolaire publichttp://dide.lef.sch.gr/docs/2009/ypepth/EG/EG.2009.09.03.105957-G2.pdf.

6 Les manuels de français, comme la plupart des manuels de l’éducation nationale grecque, sont maintenant accessibles en ligne. Cependant, en consultant la page réservée au manuel de deuxième année de collège, on découvre le message suivant : « pas disponible sous forme numérique ». Pour accéder à ces livres, il suffit de suivre les liens ci-dessous : – manuel de première année : http://ebooks.edu.gr/modules/ebook/show.php/DSGYM-A108/314/2130,7695/unit=504 ; – manuel fantôme de deuxième année : http://ebooks.edu.gr/2013/tautotita.php?course=DSGYM-B119 ; – manuel de troisième année : http://ebooks.edu.gr/modules/ebook/show.php/DSGYM-C110/328/2228,8305/.

7 Nesse, 2011, The Challenge of Shadow Education: Private tutoring and its implications for policy makers in the European Union, European Commission, p.13.

8 Jean-Claude Beacco, Michael Byram, 2007, [2003], Guide pour l’élaboration de politiques éducatives en Europe : de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue, Strasbourg, Conseil de l’Europe, Division des Politiques linguistiques, p.7.

9 Idem.

10 Commission Européenne, Langues, http://ec.europa.eu/languages/index_fr.htm. Site consulté en juin 2013.

11 Conseil de l’Europe, 2001, Cadre européen commun de référence pour les langues, apprendre, enseigner, évaluer, Division des Politiques Linguistiques de Strasbourg, Paris, Didier, p.129.

12 Antoine de Rivarol, 3 juin 1784, Discours sur l’Universalité de la langue française, texte écrit pour le concours de l’Académie de Berlin, http://pourlhistoire.com/docu/discours.pdf.

13 Chrysanthi Inachoglou, Politiques linguistiques dans le système éducatif grechttp://dide-v.thess.sch.gr/portal/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=506. Site consulté en juin 2013.

14 France Diplomatie, 4 janvier 2013, La France et la Grèce (dossier pays), http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/grece/la-france-et-la-grece/. Site consulté en juin 2013.

15 France Diplomatie, 4 janvier 2013, La France et la Grèce (dossier pays), http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/grece/la-france-et-la-grece/. Site consulté en juin 2013.

16 Institut Français de Grèce, Qui sommes-nous ?http://www.ifa.gr/index.php/fr/qui-sommes-nous/lifg-presentation. Site consulté en juin 2013.

17 France Diplomatie, 3 février, 2013, Entretien de Laurent Fabius avec Dimitris Avramopoulos, ministre des Affaires étrangères de la République helléniquehttp://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/grece/la-france-et-la-grece/visites-8579/article/entretien-de-laurent-fabius-avec-105048. Site consulté en juin 2013.

18 France Diplomatie, 4 janvier 2013, op. cit.

19 N.B. Cette colonne de gauche figure les remarques d’un seul professeur, la colonne de droite rassemble les commentaires de divers acteurs interrogés.

20 Henri Boyer, 2001, Introduction à la sociolinguistique, Paris, Dunod, p.43.

21 Rudolph C. Troike, 1977 : 2, cité dans Robert Phillipson, 1992, Linguistic Imperialism, Oxford University Press, p.7 (traduction personnelle).

22 Robert Phillipson, 1992, Linguistic Imperialism, Oxford University Press, p.133 (traduction personnelle).

23 King, 1961 : 22, cité dans idem.

24 King, 1961 : 16, cité dans op. cit.

25 Cf. Henri Boyer, 2001, Introduction à la sociolinguistique, Paris, Dunod. p.43.

26 Le primat accordé au marché, l’exigence de déréglementation, la non-intervention de l’État. Cette philosophie politique permet de légitimer le « capitalisme de marché effréné qui a fait des ravages à la fois sur les pays en développement à travers les politiques d'ajustement structurel du Consensus de Washington et, plus récemment, en provoquant la crise financière qui a mis l'économie mondiale à genoux en 2008 ». voir : Daniel Stedman Jones, 18 mars 2013, « The American Roots of Neoliberalism » (« Les racines américaines du Néolibéralisme »), The History News Network, George Mason University, http://hnn.us/articles/american-roots-neoliberalism. Site consulté en juin 2013.

27 Abram De Swaan, 2001 : 51 cité dans Henri Boyer, « Gestion des plurilinguismes », Module interactive en ligne, http://uoh.univ-montp3.fr/politiques_linguistiques/co/module_Po%20Ling_7.html. Site consulté en juin 2013.

28 En 2001, déjà, et plus tard en 2008, Anna Diamantopoulou, ancien commissaire européen, responsable de l’emploi et des affaires sociales, puis ministre de l’éducation (2009-2012), proposa l'institutionnalisation de l’anglais comme deuxième langue officielle de la Grèce, projet qui déclencha de vives polémiques. Aujourd’hui, elle nie ce fait et maintient que sa proposition portait plutôt sur le renforcement des connaissances de la langue anglaise en tant que langue étrangère que sur son établissement en tant que langue officielle.

29 République Hellénique, Décret ministériel n°Φ.52/283/56200/Γ1 du 23/04/2013, thème : l’enseignement de langues étrangères à l’école primaire (année scolaire 2013-2014),http://edu.klimaka.gr/leitoyrgia-sxoleivn/dimotiko/706-leitoyrgia-dhmotika-didaskalia-devterhs-xenhs-glwssas.html.

30 République Hellénique, Décret ministériel n°Φ. 22.1/3024α du 10/7/2013, Thème : l’enseignement de la deuxième langue étrangère dans les écoles primaires de la périphérie de Macédoine-Orientale-et-Thrace, l’année scolaire 2013-2014http://static.diavgeia.gov.gr/doc/%CE%92%CE%9B419-3%CE%A30.

31 République Hellénique, Ministère de l’Éducation grec, Statistiques pour les frontistiria de secondaires et de l’enseignement supérieur et pour les centres de langues étrangères de l’année scolaire 2012-2013, http://www.minedu.gov.gr/idiwtikh-ekpaideysh/2012-2013.html.

32 Commission Européenne, 2012, Eurobaromètre 386, Europeans and their languages : Greecehttp://ec.europa.eu/languages/documents/eurobarometer/e386-factsheets-el_en.pdf.

33 Evanthia Kairi, 2011, Ξενιτεμός, Μετανάστευση, Γυρισμός – Η πρώτη και η δεύτερη πατρίδα (L'émigration, l'immigration, le retour – La première et la deuxième patrie)http://www.goethe.de/ins/gr/lp/kul/dug/gid/el7906827.htm.

34 DW.de, 26 juin 2013, « Formation professionnelle pour des jeunes de la Grèce », http://www.dw.de/επαγγελματική-εκπαίδευση-νέων-από-την-ελλάδα/a-16908775.

35 L’Essentiel Online, 23 juillet 2013, « L’Allemagne est en manque de main d’œuvre », http://www.lessentiel.lu/fr/economie/story/27768128.

36 IKY-Ίδυμα Κρατικών Υποτροφιών, 30 juillet 2013, Bourse d’études de l’IKY (l’institut de bourses de l’État grec) - programme de Siemens, http://www.iky.gr/upotrofies-aristias-siemens.

37 Imerisia.gr, 26 juillet 2013, « Intérêt allemand à l’investissement dans l’énergie », http://www.imerisia.gr/article.asp?catid=26500&subid=2&pubid=113084191.

38 Euro2day.gr, 19 juillet 2013, « Expertise allemande avec... capitaux grecs », http://www.euro2day.gr/news/economy/article/1118401/germanikh-technognosia-me-ellhnika-kefalaia.html.

39 Voir : graphique sur l’évolution du salaire de 2009 à 2013, en annexe.

40 République Hellénique, Décret ministériel n°4172/2013, ΦΕΚ Α΄ 16/7/2013, Thème : loi multiple pour l’assainissement des finances publiqueshttp://nomoi.info/%CE%A6%CE%95%CE%9A-%CE%91-167-2013.html.

41 République Hellénique, Ministère de l’économie et des finances, octobre 2012, « Stratégie budgétaire à moyen terme pour les années 2013 à 2016 », http://www.minfin.gr/content-api/f/binaryChannel/minfin/datastore/a7/91/b0/a791b0bf4bc73a9679bac65792933157d4cf7b27/application/pdf/%CE%9C%CE%95%CE%A3%CE%9F%CEA0%CE%A1%CE%9F%CE%98%CE%95%CE%A3%CE%9C%CE%9F_2013.pdf

42 Conseil de l’Union européenne, 27 novembre 2011, L’Eurogroupe approuve le prochain prêt à la Grèce, http://www.consilium.europa.eu/homepage/showfocus?focusName=eurogroup-approves-next-disbursement-to-greece&lang=fr. Site consulté en juillet 2013.

43 République Hellénique, Ministère de la Réforme administrative, 9 juillet 2013, « Communiqué de presse : Programme de "mobilité" », http://pekp.gr/?p=46403. Site consulté en juillet 2013.

44 En été 2014, un dispositif électronique de réorientation professionnelle entrera en vigueur. Ce dispositif en ligne, entretenu par l’autorité grecque chargée du recrutement du personnel dans le secteur public (le Conseil suprême de sélection du personnel ou ASEP), facilitera le processus d’embauche/licenciement/mutation et mettra fin au mécanisme de « mise en disponibilité ». Aujourd’hui en Grèce, il suffit d’appuyer sur une touche pour que toute une masse de gens perde son emploi.

45 Malheureusement, ces espaces autogérés sont de plus en plus victimes de contrôles et de fermetures administratives.


Citer cet article

MIGDALIAS Nikoleta. L'enseignement-apprentissage du FLE en Grèce en période de crise : l'exemple de Kavala, Revue TDFLE, n°69 [en ligne], 2017.

 

Nikoleta MIGDALIAS
Université de Paul-Valéry
Montpellier III

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