Mohammed Saïd Berkaine - Université de Tizi-Ouzou, DIPRALANG EA-739 Université de Montpellier 3 F-34000
Des voix s’élèvent régulièrement dans les institutions internationales pour une réforme des systèmes éducatifs afin de favoriser le transfert des connaissances qui ne se produit que rarement en milieu scolaire (Tardif, Meirieu, 1996). Un changement qui pourrait se traduire par le passage d’une société de la connaissance aux sociétés du savoir (Unesco, 2005). En Afrique, en Europe, en Asie comme en Amérique latine et en Amérique du nord la décennie passée et celle en cours ont été et sont celles de réformes curriculaires des systèmes éducatifs. Les réécritures de programmes, avec des enjeux épistémologiques, axiologiques et praxéologiques, ont vu l’émergence de référents axiologiques relevant de cadres supranationaux, OCDE, UNESCO, OIF, Agences de développement (Roegiers, 2011) car « […] l’école est amenée à réinventer constamment son mode de fonctionnement et ses contenus afin de produire des êtres de leur temps, adaptés aux situations et contextes actuels » (Masiala Ma Solo, 2008 : 307).
De nouvelles orientations et valeurs se font jour relevant du niveau méta-méthodologique ou didactologique qui ne sont pas sans conséquences sur le domaine la didactique des langues étrangères. Un domaine longtemps traversé par des tensions, des crises et des débats contradictoires, résultats de son « déséquilibre apparemment constitutif » (Bronckart, Bulea, Pouliot (éds), 2005 : 9). Ces orientations sont à l’origine de nouvelles « situations sociales de référence » et de la diversification « d’objectifs et situations d’usage de référence » dont la conséquence est forcément la multiplication des modèles de « construction méthodologique » (Puren, 2012 : 27).
L’avènement ces dernières années de plusieurs approches curriculaires (approche(s) par compétences, pédagogie de l’intégration, approche située, approche par les tâches, perspective actionnelle) s’inscrit dans cette tentative d’adaptation et de rénovation de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères. Mais en épousant ce nouvel air du temps (les nouvelles orientations en sciences de l’éducation, en psychologie cognitive, en ergonomie, etc.) ces approches imposent en DLE un retour « aux grandes orientations de la pédagogie générale » (Puren, 2012 : 26). C’est pourquoi, elles suscitent dans ce domaine tantôt de l’intérêt et de l’adhésion tantôt de la méfiance et du rejet.
De l’adhésion car l’approche par compétences a remis à l’ordre du jour des questions cruciales en didactique générale et en didactique des langues étrangères. Et son principal intérêt est son insistance sur la contextualisation des savoirs, l’autonomisation et la responsabilisation des apprenants et le transfert des apprentissages− à travers notamment la métaphore de la mobilisation ou de l’intégration des acquis en situation (Perrenoud, 2000).
Du rejet et de la méfiance que pourraient justifier des choix théoriques et épistémologiques et un métalangage sources de confusion et d’amalgame, entre autres : la difficulté de définir et d’opérationnaliser la notion de compétence (Crahay, 2006), la confusion entre les notions de programme et de curriculum (Jonnaert, 2011a), l’amalgame de paradigmes (béhavioriste et constructiviste) (Boutin, 2000), etc.
L’implication des organisations supranationales dans le processus d’implémentation de ces approches, amène à s’interroger sur les idéologies qu’elles peuvent véhiculer, néolibérale notamment, et demande à s’interroger sur le fait que ces approches seraient « l’otage de l’affrontement [idéologique] entre réformistes et anti-réformistes » (Opertti, 2008 : 84).
Un relatif déficit démocratique, marqué par l’absence de concertation et d’implication des différents partenaires éducatifs, le choix de réformes de type vertical, conduit fréquemment à un nouveau type d’applicationnisme, méthodologique (Puren, 2002 : 7), ce qui nourrit et renforce des attitudes de rejet chez les enseignants et les autres partenaires pédagogiques (Tehio, (2010), Jonnaert (2011b), Roegiers, 2011)).
Aujourd’hui, les approches par compétences tanguent entre d’un côté un rejet catégorique de ses détracteurs au nom des valeurs qu’elles véhiculent et/ou de leurs exigences théoriques et méthodologiques. Et de l’autre côté d’une adoption sans conditions par ses partisans, au nom de l’adaptation aux nouvelles exigences qu’impose actuellement le paradigme dominant.
Ces deux attitudes ne sont pas sans conséquences sur les systèmes éducatifs qui ont adopté ces approches. Les études et les rapports internationaux s’accordent actuellement sur le constat que les approches par compétences n’ont pas bénéficié des conditions idoines et de l’accompagnement nécessaires par la formation notamment des différents acteurs impliqués dans leur mise en œuvre. Ceci est peut-être à l’origine des échecs constatés dans un certain nombre de systèmes éducatifs aux quatre coins de la planète. On assiste d’ailleurs à partir de 2010 (Roegiers, 2011 ; Joannert, 2011b, etc.) à des recadrages importants voire l’abandon même de l’approche par compétences dans un certain nombre de pays. L’heure est actuellement au retour à l’enseignement des fondamentaux et aux recentrages disciplinaires. Cela semble se justifier par les choix méthodologiques des récentes approches curriculaires, qui se sont orientées pour la plupart sur le développement de compétences transversales. En effet, la focalisation sur la question de l’intégration interdisciplinaire et la construction de compétences transversales a éclipsé une autre question tout aussi cruciale, celle de l’intégration didactique et disciplinaire. Ainsi la problématique de l’articulation de l’APC à la didactique, et à la didactique des disciplines, a été négligée lors des récentes réformes curriculaires (Altet et Fomba 2009).
Le numéro 72 de la Revue TDFLE − qui se veut un espace de réflexions et d’échanges sans exclure les différents points de vue et expériences sur les derniers développements des approches par compétences dans le champ − questionne les fondements théoriques, épistémologiques et praxéologiques (méthodologiques) de celles-ci. Cet intérêt à privilégier la dimension épistémologique, praxéologique et méthodologique se justifie par le fait que l’essentiel du débat a porté ces dernières années sur la dimension axiologique. Il s’est agi donc d’une tentative de déconstruction de ces approches en cherchant des réponses à la question de l’intitulé du présent numéro, l’objectif étant de cerner leur(s) véritable(s) apport(s) et limite(s) mais aussi et surtout leur(s) véritable(s) enjeux dans le champ de la didactique des langues.
Les différentes contributions des auteurs de ce numéro s’inscrivent donc pour la plupart dans le domaine méthodologique et didactique, et elles portent essentiellement sur les pratiques curriculaires. Les auteurs, issus et travaillant dans des pays africains et européens, ont cherché à cerner les caractéristiques de l’APC, telle qu’elle est mise en œuvre quotidiennement, dans leurs classes. Ils reviennent sur les apports et les limites des démarches et des dispositifs proposés pour l’enseignement apprentissage des langues, le français en l’occurrence.
Les auteurs de ces contributions esquissent des propositions didactiques intéressantes, qui pourraient susciter l’intérêt des chercheurs et des praticiens de l’enseignement-apprentissages des langues étrangères et du français langue étrangère, parce qu’elles mettent le doigt sur un certain nombre de questions complexes et gagneraient ainsi à faire l’objet d’un débat contradictoire entre les différents partenaires pédagogiques. Car elles interpellent les chercheurs et praticiens spécialistes de la didactique des langues et de la didactique des langues étrangères sur la nécessité d’une « reconquête » du terrain méthodologique, et ce par des propositions concrètes de dispositifs, de démarches et d’outils didactiques éprouvés. Et pourquoi pas donc ne pas commencer par le partage de bonnes pratiques didactiques et pédagogiques dans l’enseignement apprentissage des langues étrangères ? Ceci loin de la doxa actuelle qui postule la standardisation d’un certain nombre de pratiques qu’imposent des cadre supranationaux, dont l’objectif est la formation d’un profil standard mondial d’apprenant (Roegiers, 2011)− selon une seule et unique logique, celle actuellement dominante : la logique du marché.
Christian PUREN, Professeur émérite de l'Université de Saint-Etienne Consultant en Algérie pour la réforme de l'enseignement des langues maternelles et étrangères, n’a de cesse de regretter l’envahissement de la didactique des langues étrangères par des concepts qui viennent pour la plupart des sciences de l’éducation et de la didactique des mathématiques. Il décrit et analyse la situation didactique actuelle dans un certain nombre d’articles récents (2016, 2018), où il souligne cet interventionnisme d’ « experts » et de spécialistes des sciences de l’éducation. Il est vrai qu’on n’a pas beaucoup entendu la voix des didacticiens lors des récentes réformes curriculaires. En outre, il faut relever que les résultats de ces réformes curriculaires n’ont pas apporté satisfaction aux experts eux-mêmes, ceux qui ont accompagné l’implémentation de ces réformes. Ceci apporte, une fois de plus, la preuve que l’applicationnisme méthodologique (Puren, 2002) n’est pas la solution aux questions épineuses que soulève la didactique des langues, et des langues étrangères notamment. C’est pourquoi Puren insiste sur la question importante de l’intégration interdisciplinaire et de l’intégration didactique. Dans sa contribution intitulée « Pédagogie de l’intégration et intégration didactique dans l’enseignement des langues vivantes : un exemple d’incompatibilité interdisciplinaire », le didacticien démontre, par une étude de cas de l’enseignement de la langue française dans l’enseignement secondaire algérien, que la pédagogie de l’intégration, une innovation pédagogique qui nous vient des sciences de l’éducation, n’a pas réussi à remettre en cause les traditions didactiques en vigueur dans ce cycle, depuis plusieurs décennies, bien qu’obsolètes, en particulier celle du français langue étrangère. Il postule que l’intégration pédagogique est venue affaiblir le dispositif d'intégration didactique en allongeant beaucoup trop le délai entre l'apprentissage des contenus langagiers et leur usage. Il plaide pour une articulation nécessaire entre les situations didactiques et la situation d’intégration, et développe un certain nombre de propositions didactiques. Des propositions qui s’inscrivent dans une perspective actionnelle que Christian Puren estime la mieux adaptée que la pédagogie de l'intégration pour la mise en œuvre, dans cette discipline le français langue étrangère, d'une pédagogie de projet adaptée aux contraintes du manuel scolaire, outil, estime-t-il, qui reste indispensable sur le terrain.
Toujours dans l’enseignement du FLE dans le cycle secondaire, Clémentine ABEL, du PH Freiburg imBreisgau, en Allemagne, se penche dans sa contribution − intitulée « L’enseignement et l’évaluation de la prononciation en classe de FLE et l’approche par compétences– opposition ou synergie ? » − sur la question de l’enseignement et de l’évaluation de la prononciation en cours de FLE. L’auteure estime que l’avènement de l’APC aurait fortement contribué à mettre la prononciation au ban des cours de langue. Elle juge les propositions méthodologiques du CECRL insuffisant sur ce point. Les descripteurs proposés pour l’enseignement et l’évaluation des compétences langagières sont, selon l’auteure, peu fiable, peu explicite et peu pertinent sur le plan de la prononciation. Clémentine ABEL avance une critique, une remise en question des descripteurs phonétiques, sur plusieurs plans, et sur celui notamment de la progression : la question notamment du passage d’un « accent étranger » (B1) à « une prononciation et une intonation claires et naturelles » (B2).
L’auteure soulève aussi une question tout aussi importante, celle de la formation des formateurs. Elle relève qu’en ce domaine les professeurs de FLE, ceux qui souhaiteraient travailler dans une approche par compétences sont livrés à eux-mêmes. Ainsi, la négligence du fait phonétique par le CECRL n’a pas épargné les institutions de formations des maîtres et les concepteurs de méthodes et de manuels scolaires. Et les conséquences de cette négligence sont visibles et se mesurent dans les pratiques professionnelles des enseignants, en matière d’enseignement de la prononciation. Un enseignement toujours dispensé suivant une logique structurale, négligeant la question de l’intégration des tâches− chère à perspective actionnelle.
C’est pourquoi, Clémentine ABEL avance un certain nombre de propositions méthodologiques, sous forme de méthodes d’enseignement et d’évaluation de la prononciation, qui se placeraient dans une approche par compétences. L’auteure vise par là à surmonter, un tant soit peu, le gouffre actuel entre les exercices structuraux et l’enseignement « intégré » du FLE.
Dans la contribution suivante qui s’inscrit comme la précédente dans la didactique de l’oral − intitulée « Contextualisation de l’approche par compétences en milieu rural ivoirien : cas de la discipline « français » à l’école primaire », Bénédicte Larissa Hervée TECHTI, du laboratoire L3DLCI de l’Université Félix Houphouët Boigny, Côte d’Ivoire, revient sur la contextalisation de l’APC dans l’enseignement primaire ivoirien. Cette contribution est d’autant plus importante qu’elle interroge principalement l’organisation de l’action d’enseignement-apprentissage de l’oral en français dans ce cycle. L’auteure se propose de cerner les modalités d’enseignement-apprentissage de cette compétence en français, à partir du dispositif prescriptif de l’approche par compétences « inclusive » et « par intégration des acquis » adopté en contexte ivoirien. Pour ce faire, elle opte pour l’analyse de contenu, selon une approche qualitative, de deux documents prescripteur, « le socle commun de référence » et « programmes éducatifs et guides d’exécution » en expression orale (CP2 ; CM 2).
Bénédicte TECHTI interroge la pertinence des prescrits curriculaires, et celle de l’idéologie ou de la « philosophie » qui les sous-tendent. Elle interroge aussi la cohérence, sinon l’efficacité du dispositif et des modalités d’enseignement-apprentissage de l’oral au début et à la fin des acquisitions scolaires du cycle primaire.
L’auteure énonce un certain nombre de propositions didactiques− pour un enseignement-apprentissage de l’oral par les compétences, plus efficient en français − dans la perspective d’améliorer les dispositifs existants, et ce après une analyse critique de l’état actuel des pratiques édictées.
Dans son article, qui a pour titre « L’approche par compétences et les pratiques d’enseignement de la grammaire en classe de FLE : le cas de la deuxième année moyenne du système éducatif algérien », Camélia Nabila BECHIRI, de l’Université de Skikda 20 août 1955, Algérie, interroge la place et les enjeux de l’enseignement, et des pratiques enseignantes de la grammaire en français langue étrangère, dans le deuxième cycle du système éducatif algérien (collège) − caractérisé par la généralisation d’une approche par compétences. L’auteure vise dans à mieux cerner les pratiques adoptées réellement par les enseignants lors du déroulement d’une leçon de grammaire. Elle y analyse les dispositifs mis en œuvre ainsi que les obstacles que les enseignants et que les élèves rencontrent au cours de la construction de l’objet enseigné. Elle cherche à voir ainsi comment les objets grammaticaux sont reconfigurés en situation d’enseignement. Afin de décrire et de comprendre la tâche effective réalisée par l’enseignant et comparer celle-ci à la tâche prescrite, l’auteure s’appuie sur des observations de classe filmée. Et elle se focalise sur l’action didactique visible dans la classe− l’action est observée au cœur de l’interaction didactique lieu de rencontre entre l’enseignant, l’élève et l’objet d’enseignement. Camélia Nabila BECHIRI termine par une série de propositions pour le développement des compétences grammaticales par les apprenants du cycle et du niveau concernés.
Autre pays, autre contexte, Gilbert DAOUAGA SAMARI, du laboratoire LADYRUS, de l’Université de Ngaoundéré (Cameroun), aborde la question de la contextualisation de l’APC dans l’enseignement secondaire camerounais, où elle est en phase de généralisation− dans sa contribution, intitulée « L’approche par compétences en classe de français au Cameroun : analyse des pratiques d’enseignement et des représentations à partir de l’expérience d’un lycée de Ngaoundéré ».
L’auteur revient sur la question délicate de l’enseignement du français en milieu plurilingue, où coexistent plusieurs langues nationales, officielles, régionales et locales. Il interroge les pratiques d’enseignement selon l’APC, et s’intéresse notamment aux représentations de cette approche, de deux enseignantes camerounaises du cycle secondaire. Il soulève et discute des questions liées à l’ « application » et à la faisabilité de l’APC au Cameroun. Il démontre, en s’appuyant sur les résultats d’une enquête qualitative faite d’entretiens, d’observations de leçons et d’analyse des programmes d’études, que les pratiques actuelles des enseignants en secondaire camerounais ne permettent pas de rentabiliser l’un des principes directeurs de l’APC, à savoir la centration sur l’apprenant, en raison de la difficulté des enseignants, faute de formation, à élaborer des familles de situation et à gérer le temps scolaire.
L’APC postule le développement d’un savoir-agir social (Springer, 2012). Plusieurs courants qui se réclament de cette approche accordent une importance grande à la notion de l’intégration des acquis en situation, sans pour autant que ce soit fait de réelles propositions didactiques pour développer ce savoir-agir en classe de langue. En effet, de quelle manière est-il possible pour l’enseignant de travailler la compétence du savoir-agir en classe de français langue étrangère en intégrant la composante linguistique et professionnelle ? Une question pertinente et complexe qui mérite que l’on s’y attarde. C’est pourquoi, la contribution de Sabrina ROYER de l’Université d’Artois, intitulée « Travailler la compétence du savoir-agir en français langue professionnelle : de l’analyse linguistique à la proposition didactique », prend tout sens et toute sa place dans le numéro 72 de la Revue TDFLE. Car l’auteure se propose de questionner la manière dont il est possible pour l’enseignant de travailler la compétence du savoir-agir en classe de français sur objectif spécifique, dans un lycée professionnel. Un savoir-agir qui peut-être difficilement normé, puisqu’il suggère que l’apprenant soit en mesure d’aller au-delà du prescrit− comme le rappel à juste titre l’auteure.
Sabrina ROYER part donc d’une analyse du discours de l’enseignant afin de tenter de comprendre les enjeux de la compétence du savoir-agir, qui passe par la langue. Elle le fait à partir d’une grille de travail et d’un corpus de vidéos en langue française collecté au sein d’un lycée professionnel, dans un contexte d’apprentissage et de formation au métier d’agent en hygiène et propreté. L’auteure essaie d’analyser les correspondances entre la tâche langagière et la tâche professionnelle. Elle tente de faire ressortir les caractéristiques de l’imbrication entre la tâche langagière et la tâche professionnelle. Sabrina ROYER esquisse quelques propositions didactiques afin d’aider l’enseignant à développer la compétence du savoir-agir dans la classe de français langue étrangère.
La contribution de Joséphine MAKANGA MBOUMBA, responsable de formation des formateurs, conseillère en insertion professionnelle et formatrice de français, Réseau Iae 94 (Ile de France), est d’autant plus intéressante qu’elle revient sur une question qui a secoué ces dernières années le débat épistémologique et méthodologique, à l’occasion des récentes réformes curriculaires. Il faut rappeler que deux orientations, deux courants de l’APC, se sont imposés dans le débat théorique, et sur le terrain. En effet, pour les uns, postuler la notion de compétence ou de situation comme un carde organisateur curriculaire impose nécessairement une rupture paradigmatique, et une approche par compétences se référant exclusivement à des principes et des démarches socioconstructivistes (Jonnaert, 2007). Une posture qui exclut le recours à la conception antérieure de l’enseignement, les approches transmissives et la pédagogie par objectifs, entre autres, dont le cadre de référence est le paradigme comportementaliste (béhavioriste). Pour d’autres, transposer à l’heure actuelle en milieu scolaire tels quels, des principes et des pratiques socioconstructivistes constituerait un bouleversement aux effets néfastes. C’est pourquoi, en attendant que les systèmes éducatifs qui se sont lancés dans les réformes curriculaires mettent en place les dispositifs indispensables (outils didactiques, formation) à l’intégration d’une innovation comme l’APC (Roegiers, 2008 ; 2010), Xavier Roegiers et les chercheurs qui se réclament de la pédagogie de l’intégration postulent une approche par compétences inclusive qui s’appuierait sur « l’existant », c’est-à-dire les pratiques curriculaires et les démarches utilisées jusque-là par les enseignants. En résumé, là où les uns postulent la nécessité d’une « approche inclusive » (Roegiers, 2008) d’autres y voient celle d’une rupture de cadre (Jonnaert, 2007).
La contribution donc de Joséphine MAKANGA MBOUMBA− intitulée « La pédagogie par objectifs et l’approche par compétence dans la classe de FLES : éclectisme méthodologique ou complémentarité pour les publics des SIAE ?− participe de ce débat. Cette contribution est d’autant plus pertinente que l’auteure tente d’éclairer ce débat à travers l’analyse des caractéristiques de la PPO et de l’APC− à partir de l’analyse d’un cas, celui d’adultes en situation d’apprentissage de la langue d’un pays d’accueil et de travail, et dont l’objectif est l’intégration de ces adultes dans leur environnement socioprofessionnel. L’auteure cherche à confirmer ou à infirmer l’hypothèse, en s’appuyant sur l’analyse des profils et des besoins concrets des publics en structures d’insertion, selon laquelle des composantes de ces deux approches pourraient être empruntées ou se compléteraient dans des contenus disciplinaires, afin de favoriser les apprentissages. Elle termine sa contribution par des orientations et des propositions pédagogiques, destinées aux publics (en structures d’insertion), qui présentent des besoins linguistiques très diversifiés, nécessitant une formation en français langue étrangère ou en français langue seconde.
Le numéro 72 de la Revue TDFLE publie à titre de Varia deux articles qui abordent deux problématiques majeures celle du rapport au savoir et celle de l’évaluation− ces deux contributions s’inscrivent dans un contexte universitaire. Ceci n’empêche pas que des connexions pourraient être établies avec le contexte scolaire, où l’avènement de l’approche par compétences a remis à l’ordre du jour ces deux questions cruciales. En effet, l’APC a suscité la crainte et le rejet car elle postule un autre rapport au savoir et à l’école. Un certain nombre de chercheurs et de spécialistes ont vu en cette approche une énième tentative de remise en cause du statut du savoir à l’école : « Avec l’approche par compétences (APC), nouvelle évolution du statut des savoirs, ce qui est au cœur de l’école, ce ne sont plus des savoirs, mais des compétences dont il est possible de se demander si elles ne viennent pas gommer l’idée même de savoirs » (Develay, 2010 : 40).
De même que la question de l’évaluation et celle en l’occurrence de l’évaluation des compétences en situation complexe, et notamment en milieu scolaire, est tout aussi complexe− sinon problématique (Gerard, 2007).
Yuanjing LI, du laboratoire Dipralang – EA 739 de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, revient dans sa contribution, intitulée « La production discursive de la normativité dans l’enseignement-apprentissage universitaire et ses incidences subjectives sur le rapport au savoir », sur la question de la production discursive de la normativité et la modélisation du rapport au savoir chez les étudiants, à la suite des récentes réformes éducatives basées sur le développement de l’approche par compétences et sur la professionnalisation des disciplines universitaires.
L’auteure tente, par des analyses de la mise en forme du discours normatif, de démontrer le lien entre la normativité et le rapport au savoir, ainsi que les conséquences que provoquent les discours normatifs sur un sujet apprenant dans son rapport au savoir au plan individuel.
Imane TERRAS, de l’Université de Saïda, Algérie, présente dans sa contribution intitulée « Réflexions à propos des pratiques évaluatives de l’écrit en contexte universitaire en FLE. Cas d’étudiants de deuxième année master de français» les résultats d’une recherche qualitative. Elle a cherché à démontrer, à travers cette recherche, la pertinence du feedback entre pairs lors des tâches d’écriture produites par des étudiants en seconde année de master au département de français de l’université de Saïda.
Références bibliographiques
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Gerard, F.-M. (2007). La complexité d'une évaluation des compétences à travers des situations complexes : nécessités théoriques et exigences du terrain, conférence donnée à Montréal, au colloque international de l’ORE, le 26 avril 2007. Repéré à http://www.fmgerard.be/textes/complexeval.html
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Tardif, J. et Meirieu, P. (1996). Stratégie pour favoriser le transfert des connaissances, Vie pédagogique, n° 98, mars-avril, pp. 7.
Téhio, V. éds. (2010). Avec la contribution de Françoise Cros, Politiques publiques en éducation : l’exemple des réformes curriculaires, Actes du séminaire final de l’étude sur les réformes curriculaires par l’approche par compétences en Afrique 10-12 juin 2009, juin 2010. Repéré à http://www.ciep.fr/sites/default/files/migration/publi_educ/docs/actes-reformescurriculaires.pdfcurriculaires.pdf
UNESCO. (2005). Vers les sociétés du savoir. Rapport mondial. Editions UNESCO. Repéré à http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001419/141907f.pdf.
Sommaire
Mohammed Saïd BERKAINE, Introduction
Chapitre 1 : L’APC en contexte scolaire, fondements, enjeux et perspectives épistémologiques et praxéologiques : modèle(s), dispositifs, curricula, pratiques didactiques en classe de langue étrangère
PUREN Christian, Pédagogie de l'intégration et intégration didactique dans l'enseignement des langues vivantes : un exemple d'incompatibilité interdisciplinaire
ABEL Clémentine, L’enseignement et l’évaluation de la prononciation en classe de FLE et l’approche par compétences– opposition ou synergie ?
TECHTI Bénédicte, L’approche par compétences en « français » au cycle primaire ivoirien : Analyse de documents prescripteurs en expression orale
BECHIRI Camélia Nabila, L’approche par compétences et les pratiques d’enseignement de la grammaire en classe de FLE : le cas de la deuxième année moyenne du système éducatif algérien
DAOUAGA SAMARI Gilbert, L’approche par compétences en classe de français au Cameroun : analyse des pratiques d’enseignement et des représentations à partir de l’expérience d’un lycée de Ngaoundéré
Chapitre 2 : L’APC en classe de français en contexte extrascolaire : modèle(s), dispositifs, pratiques didactiques en classe de FLES et de français langue professionnelle
ROYER Sabrina, Travailler la compétence du savoir-agir en français langue professionnelle : de l’analyse linguistique à la proposition didactique
MAKANGA MBOUMBA Joséphine, L’approche par compétences dans les classes de FLES en structures d’insertion par l’activité économique