Quelle grammaire des écrits professionnels ?
Jean-Pierre Sautot, ICAR, Université de Lyon
Marie-Cécile Guernier, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
Marie-Hélène Lachaud, LIDILEM, Université Grenoble Alpes
« Toute grammaire est explicative. Mais il y a plusieurs façons d’expliquer. »
Patrick Charaudeau
Résumé :
La didactique du français comme langue maternelle est fortement influencée par l’emprise de l’école et de ses programmes officiels. Cela est vrai dans les divers pays francophones. Ce phénomène se justifie par le besoin de réponses à apporter aux enseignants qui ont à mettre en oeuvre les programmes. Il en résulte que des habitus professionnels et des méthodes scolaires sont aussi à l’oeuvre dans des dispositifs de formation qui ne dépendent pas de l’institution scolaire nationale et de ses programmes.
En France, l’observation de bénévoles et de formateurs professionnels en action auprès de publics en difficultés avec la langue française montre l’emprise des méthodes scolaires sur l’enseignement. Cela est particulièrement vrai pour l’enseignement de la grammaire.
La didactique de la grammaire est essentiellement orientée vers l’orthographe grammaticale. Chervel a montré l’enracinement historique de telles pratiques. Les soubresauts récurrents des programmes officiels en France, environ à chaque alternance politique, font osciller la grammaire vers l’orthographe ou vers le discours. Notre ambition à terme est de faire sortir la pédagogie de la grammaire du tout orthographique ou presque.
Notre option première est de développer une grammaire orientée vers le discours. Cette option s’appuie sur le postulat que pour réceptionner et produire de manière satisfaisante un discours dans une langue donnée il faut en maitriser les codes.
Notre deuxième option est de promouvoir une grammaire des écrits professionnels car la formation des personnes illettrées est fréquemment prise en charge dans le cadre de l’entreprise et donc de la formation professionnelle.
Nous ne prétendons pas proposer une méthode totale et globale d’une didactique de la langue. Notre ambition se limite à proposer une description des textes professionnels, orientée vers une grammaire du sens et du discours (en référence à Charaudeau). Cela suppose, théoriquement, de distinguer des notions comme le genre, le discours et le texte, et d’envisager ces distinctions dans les deux ordres écrits et oraux. Pour cela nous expliciterons les notions de texte écrit et de texte oral.
Ce que nous nommons « grammaire des textes professionnels » est donc une description analytique d’un corpus de plus de 400 « textes » recueillis dans un organisme de formation. La mise en œuvre d’une didactique du texte passe par trois pistes :
- des caractéristiques textuelles de l’ordre scriptural se manifestent aussi dans l’ordre oral et, dans certains cas, c’est l’absence de ces caractéristiques qui constitue un élément didactique intéressant à l’oral ; connaitre et reconnaitre ces éléments, identifier ou compenser leur absence est un objectif d’apprentissage ;
- certains textes professionnels ne contiennent que des éléments linguistiques mettant en œuvre des textes qui relèvent du seul ordre scriptural, leurs caractéristiques nécessitant alors une approche spécifique ;
- des textes prévus pour les salariés en difficulté avec l’écrit sont conçus avec des mécanismes iconographiques ou scripturaux de compensation et/ou des dispositifs oraux d’accompagnement ; parfois le mécanisme de compensation est aussi opaque que le message lui-même.
L’objet de ce travail est donc de fournir une taxonomie des formes rencontrées dans les textes du corpus recueilli, indépendamment de leur insertion dans un écrit. L’article s’attachera à décrire l’organisation de la présentation analytique et les obstacles rencontrés pour proposer une mise à disposition des formateurs afin d’en faire un point d’appui pour la construction des activités pédagogiques.
Abstract :
For a grammar of professional texts?
Jean-Pierre Sautot - Claude Bernard University of Lyon - ICAR
Marie-Hélène Lachaud - Freelance trainer - LIDILEM - contact@mhlachaud.fr
The didactics of French as a mother tongue is strongly influenced by the influence of the school and its official programs. This is true in the various French-speaking countries. This phenomenon is justified by the need to respond to the teachers who have to implement the programs. As a result, professional habits and school methods are also at work in training arrangements that do not depend on the national school institution and its programmes.
In France, the observation of volunteers and professional trainers in action with people with difficulties with the French language shows the influence of school methods on teaching. This is particularly true for the teaching of grammar.
The didactics of grammar is essentially oriented towards grammatical spelling. Chervel has shown the historical roots of such practices. The recurrent jolts in the official curricula in France, about every political alternation, make grammar oscillate towards spelling or discourse. Our long-term ambition is to move pedagogy away from grammar that is almost entirely orthographic.
Our first option is to develop a discourse-oriented grammar. This option is based on the premise that in order to receive and satisfactorily produce a speech in a given language it is necessary to master its codes.
Our second option is to promote a grammar of professional writing because the training of illiterate people is frequently taken care of within the framework of the company and therefore of professional training.
We do not claim to offer a total and global method of language didactics. Our ambition is limited to proposing a description of professional texts, oriented towards a grammar of meaning and discourse (with reference to Charaudeau). This implies, theoretically, to distinguish notions such as gender, discourse and text, and to consider these distinctions in both written and oral orders. To this end, we will explain the notions of written text and oral text.
What we call "grammar of professional texts" is therefore an analytical description of a corpus of more than 400 "texts" collected in a training organization. The implementation of a didactic approach to the text is based on three approaches:
- textual characteristics of the scriptural order also manifest themselves in the oral order and, in some cases, it is the absence of these characteristics that constitutes an interesting didactic element in the oral order; knowing and recognising these elements, identifying or compensating for their absence is a learning objective ;
- some professional texts contain only linguistic elements that implement texts that are of a scriptural nature only, and their characteristics therefore require a specific approach;
- Texts intended for employees who have difficulty with the written word are designed with iconographic or scriptural compensation mechanisms and/or accompanying oral devices; sometimes the compensation mechanism is as opaque as the message itself.
The purpose of this work is therefore to provide a taxonomy of the forms encountered in the texts of the collected corpus, independently of their insertion in a written document. The article will focus on describing the organization of the analytical presentation and the obstacles encountered in order to propose that it be made available to trainers as a basis for the construction of pedagogical activities.
L’observation de bénévoles et de formateurs professionnels en action auprès de publics en difficultés avec la langue française montre l’emprise, non exclusive, des méthodes scolaires sur ce type d’enseignement. La didactique du français elle-même est fortement influencée par l’emprise de l’école et de ses programmes officiels et cela est vrai dans les divers pays francophones. Il en résulte que des habitus professionnels et des méthodes issus du monde scolaire sont à l’œuvre aussi dans des dispositifs de formation qui ne dépendent pas de l’institution scolaire et de ses programmes. Cela est particulièrement vrai pour l’enseignement de la grammaire. La question est alors de savoir si les contenus et les méthodes de l’école sont pertinentes pour la formation des adultes. La didactique scolaire de la grammaire est fortement orientée vers l’orthographe grammaticale. Chervel (2011) a montré l’enracinement historique de telles pratiques. Les soubresauts récurrents des programmes scolaires officiels en France, environ à chaque alternance politique, font osciller, plus ou moins fortement, la grammaire scolaire vers l’orthographe ou vers le discours.
Notre option première est de développer une grammaire orientée vers le discours. Notre seconde option est de promouvoir une grammaire des écrits professionnels, car la formation des personnes illettrées est fréquemment prise en charge dans le cadre de l’entreprise ou de l’insertion professionnelle. Nous ne prétendons pas proposer une méthode totale et globale d’une didactique de la langue. Notre ambition se limite à proposer une description des textes professionnels, orientée vers une « grammaire du sens et de l’expression » (en référence à Charaudeau, 1992). L’objet de ce travail grammatical est de fournir une taxonomie des formes rencontrées dans les textes du corpus recueilli. La présente contribution s’attache à décrire l’organisation de la présentation analytique et les obstacles rencontrés pour la construire. Il s’agit à terme de mettre cette présentation à disposition des formateurs afin d’en faire un point d’appui pour la construction des activités pédagogiques. Ce que nous nommons « grammaire des écrits professionnels » est donc une description analytique d’un corpus de plus de 400 « textes » recueillis dans un organisme de formation[1]. L’intérêt de ce corpus d’écrits, qu’on peut qualifier d’écologique, est qu’il a été recueilli par des formateurs et non par des chercheurs et qu’une part importante a permis de concevoir des supports d’apprentissage dans des formations linguistiques. Le corpus revêt donc un intérêt pédagogique et didactique autant que sémiotique.
Dans un premier temps, nous aborderons ce que peut être une activité de « grammaire », dans un second temps, nous aborderons le contenu de la grammaire descriptive que nous bâtissons et les obstacles rencontrés lors de cette construction.
1. Quelle grammaire peut-on pratiquer ?
Deux questions se posent à propos de la pratique de la grammaire en formation d’adultes. Faut-il en faire et comment la faire ? Concernant l’utilité, voire la nécessité, de pratiquer une activité grammaticale en formation, Adami (2018) répond à l’interrogation sur l’obligation : nul n’est obligé de pratiquer la chose. Concernant son utilité, il avance trois arguments :
a) Une mise à distance métalinguistique est nécessaire pour accéder à l’écrit, notamment pour les apprenants les moins scolarisés.
b) Une approche distanciée et réflexive est également nécessaire pour passer d’une forme d’apprentissage empirique et spontanée, avançant au coup par coup selon les nécessités de la communication au quotidien, à une approche conscientisée qui repose sur l’analyse des régularités de la langue.
c) Une approche métalinguistique est nécessaire pour apporter les instruments pratiques et conceptuels utiles pour consulter des dictionnaires, apprendre par soi-même, etc.
Ces arguments insistent sur la nécessité, en termes d’apprentissages, d’une activité métalinguistique. Or « activité métalinguistique » ne signifie pas « cours de grammaire ». La question est alors de savoir si la pratique de la grammaire est une activité pédagogique efficace en formation d’adultes et, si la réponse est positive, comment elle peut être transférée ou adaptée à la formation d’adultes, ou pas.
Solar et al. (2006) montrent que peu de recherches spécifiques s’intéressent à la grammaire en formation d’adultes ; ils ne proposent pas de conclusion quant à son efficacité. Concernant les cursus scolaires, plusieurs études plus ou moins récentes argumentent la pertinence d’une activité grammaticale. Goigoux (2016) montre que « le temps passé à l’étude de la langue exerce un effet moyen positif et significatif sur la progression des élèves au cours [de la première année d’école élémentaire] [...]. [Cet] effet diffère en fonction du niveau initial des élèves ». L’étude de la langue est donc bénéfique pour l’apprentissage du code écrit. Plus généralement, cela signifie aussi qu’un enseignement explicite est plus bénéfique aux apprenants en difficulté (Gauthier et al., 2007), catégorie dans laquelle nombre d’adultes illettrés peuvent être placés. Il est cependant difficile, en France, et plus généralement dans le monde francophone, de questionner la grammaire « scolaire » en termes de contenus pédagogiques. La visée d’une maitrise de l’orthographe et la cohorte de représentations sociales qui y sont liées faussent le débat. De fait, l’institution scolaire n’est pas toujours très précise quant aux motivations de l’activité grammaticale. Il convient donc de recentrer le débat et d’assigner à la grammaire des objectifs précis : « Tout enseignement vise en dernière instance toujours des savoir-faire, ou plus précisément vise à transformer la capacité d’agir dans des situations grâce à des savoirs utiles » (Schneuwly, 1998). Ainsi, les concepts construits dans le cadre d’un enseignement grammatical doivent constituer « des instruments généralisables aux activités de production et de réception » (Bronckart, 2004). Il n’est donc pas nécessaire d’assigner à la formation d’adultes un programme exhaustif de grammaire. Il appartient à la définition des formations, et aux formateurs, de cibler les savoirs utiles aux apprenants qui fréquentent les formations, donc de pratiquer une grammaire utile. De ce point de vue, la grammaire scolaire ne peut être importée en l’état en formation d’adultes, qu’il s’agisse des contenus ou des méthodes. D’où l’utilité de décrire les écrits utilisés en formation d’adultes afin de définir des contenus pertinents visant la construction de savoirs et savoir-faire.
Concernant les contenus, une des caractéristiques de la grammaire scolaire, comme description linguistique, est d’être hétérogène scientifiquement. Des auteurs (pour deux exemples : Bastuji, 1977 ; Van Raemdoncket et alii., 2011) militent pour une homogénéité scientifique de la grammaire de référence. L’observation des pratiques grammaticales en formation d’adultes montre un bricolage épistémologique que justifient à la fois des contextes pédagogiques souvent difficiles et des connaissances pas toujours fermement installées chez les formateurs. Pour le dire autrement, on fait avec ce qu’on a et l’épistémologie linguistique attendra … Un des enjeux d’une grammaire des écrits professionnels est donc d’assurer, autant que faire se peut, une cohérence épistémologique.
Concernant les méthodes, une facilité pédagogique est d’importer en formation d’adultes des types d’activités scolaires : énoncés à trous, tables de conjugaison, etc[2]. Mais une importation hâtive peut être faussement efficace en ne répondant qu’à une classe de problèmes. La démarche d’étude des codes[3] par résolution de problèmes permet de partir de questions relatives à des pratiques langagières pour, après les avoir résolus par une approche métalinguistique, revenir à de nouvelles pratiques. Ce schéma repose sur un postulat de Minder (1991) pour qui le fait de vivre une expérience (on peut dire un apprentissage) laisse dans l’organisation psychique une trace, (ici, l’acquisition d’une capacité métalinguistique), qui se manifeste par un changement de comportement ultérieur, à savoir un nouveau comportement langagier (Sautot & Lepoire-Duc, 2010). Trois classes de problèmes se distinguent :
- Les problèmes spontanés : un problème de langue, ou de code, peut surgir de manière inattendue, et provoquer, par exemple, un moment d’incompréhension ou de mauvaise compréhension dans le groupe d’apprenants.
- Les problèmes suscités : le formateur provoque le questionnement par une intervention qui vise à provoquer un doute générant un besoin de réfléchir sur le code utilisé pour mieux répondre à une consigne, comprendre des paroles énoncées, interpréter un document lu.
- Les problèmes construits : le formateur présente un problème construit tout exprès pour les besoins de la cause, c’est-à-dire de l’objectif à atteindre lors d’une activité d’étude des codes. Il sait sur quel point précis il veut faire réfléchir les apprenants.
Les problèmes qui émergent dans la pratique pédagogique relèvent de deux niveaux (Sautot & Lepoire-Duc, 2010) :
- Les problèmes qui prennent pour objet la communication et le sens. Ils ont une entrée pragmatique, une question concernant la signification d’un énoncé que l’on cherche à produire ou interpréter. On peut les paraphraser sous la forme : comment réaliser un énoncé qui permette d’être au plus près de son intention de communication ? comment se servir de la langue ou d’un autre code pour produire l’effet souhaité sur l’interlocuteur ?
- Les problèmes qui prennent le (ou les) code(s) pour objet donc la manière dont le sens est mis en signes. Ils ont une entrée de type grammatical, une question concernant la forme des énoncés. On recourt à une terminologie spécialisée, ou à des paraphrases, pour formuler ces problèmes.
Les deux niveaux s’articulent et se complètent. Les questions portant sur les codes découlent de celles qui portent sur la communication, et réciproquement ; cela n’a toutefois rien d’évident et il est important, si on ne veut pas enfermer les apprenants dans une terminologie opaque, qu’ils sachent formuler des questions du premier niveau pour mieux comprendre le sens de celles du second niveau. Donc des questions qui portent d’abord sur le sens avant celles qui portent sur les formes. Les pratiques grammaticales scolaires privilégient largement les problèmes construits au niveau des codes, donc sur les formes. Dans le milieu scolaire ou ailleurs, une bonne information grammaticale préalable du formateur est d’autant plus nécessaire que la situation du problème est inattendue. Et la construction de problèmes est d’autant plus efficiente que le formateur qui les conçoit possède l’information adéquate sur le fonctionnement du discours étudié, au niveau du sens comme au niveau des codes. C’est dans cette mesure que l’importation de contenus et/ou de méthodes issus des pratiques scolaires peut avoir, ou ne pas avoir, quelque pertinence, peut être productive ou totalement contre-productive. Un des enjeux d’une grammaire des écrits professionnels est donc d’assurer l’information préalable du formateur voire sa formation. Quitte à faire de la grammaire autant que cela soit une grammaire adaptée et pertinente ! Ainsi, Courtillon (2001) indique que la « mise en œuvre d’une “grammaire du sens” se fait selon une démarche qui consiste à définir les objectifs en termes notionnels et fonctionnels et à se donner les moyens de les réaliser. Cette conception des objectifs revient à privilégier l’intention du locuteur dans les activités de production ». À quoi nous ajoutons qu’on peut aussi viser à encoder les intentions du producteur du discours. La description analytique que nous tentons ne saurait être réalisée en dehors de ces visées didactiques.
2. Quelle grammaire peut-on proposer ?
La première tâche que nous assignons à une grammaire est donc de décrire le fonctionnement du discours. Selon la précision qu’on veut donner à cette description la grammaire sera plus ou moins complexe. Cette description oblige à la création d’un vocabulaire spécialisé, destiné à nommer les objets et concepts. Cela signifie qu’il faut installer, en même temps qu’une pratique métalinguistique, un discours descriptif des outils de communication. Il n’existe pas de grammaire sans une terminologie adaptée.
La seconde tâche d’une grammaire est une activité de prescription. On aborde là le rapport entre éléments de bas niveau, les codes, et production du discours. Il s’agit de savoir quand se servir d’un outil plutôt que d’un autre, de savoir si une forme utilisée est efficace ou non. Le second aspect d’une grammaire est donc de prescrire des usages non pas en termes de correction du langage mais en termes d’efficacité.
La troisième tâche relève de la proscription. Le débat se déplace vers l’acceptabilité. Bien ou mal s’exprimer est à la fois affaire de contexte et affaire de contenus. Il est des situations où on peut tout se permettre, d’autres où on ne peut pas.
Les domaines de la prescription et de la proscription semblent faciles à cerner. Il n’en est rien. Les normes paraissent définies avec beaucoup de netteté. La réalité est plus floue et les limites entre juste et faux, correct et incorrect, acceptable et inacceptable ne sont pas aussi précises que le laissent croire les traditions. Le but de la grammaire n’est pas de dire comment il faut se comporter en société mais bien de dire quelles sont les formes efficaces pour bien communiquer dans les diverses situations d’usage. Ce qui appelle un modèle plurinormaliste (Vargas, 1996) dont l’objet est, d’une part, le langage considéré comme un ensemble de normes socialement diversifiées et articulées sur des codes communs, et, d’autre part, des encodages discursifs dans leur fonctionnalité pragmatique, qu’on préférera au modèle normatif sur lequel l’école a traditionnellement fonctionné. Ce qui revient à privilégier une fonctionnalité pragmatique au détriment relatif d’un modèle très formel, certes plus rassurant, mais moins productif.
2.1. Questions de finalités et d’intentions
Il convient donc de changer de formalisme. Le discours peut être décrit « du point de vue de catégories qui correspondent à des intentions de communication (le sens), en mettant en regard de chacune d’elles les moyens (les formes) qui permettent de l’exprimer. Ainsi est-on amené à décrire la langue à partir des opérations conceptuelles que fait le sujet parlant quand il communique, et non à partir des catégories morphologiques » (Charaudeau, 2001). Les pures approches morphosyntaxiques sont disqualifiées au profit d’une grammaire « opérationnelle ». Pour tenter cette mutation, il faut tenter de décrire les écrits professionnels en termes cognitifs, psycho-sociaux et sémiotiques.
Sur le plan cognitif, nous importons ici les trois niveaux de la description de l’action de Leontiev (1978) – intentions, actions, opérations – qui visent à renseigner l’apprenant sur la manière de penser l’acte discursif. En cela, faire de la grammaire n’est plus réciter une règle, mais s’impliquer dans la fabrication ou la compréhension des discours. L’exemple du discours descriptif, très présent dans le corpus d’écrits, permet d’exemplifier la démarche.
L’activité descriptive consiste à faire exister par le discours des êtres, des objets ou des actions, donc d’évoquer les sensations que ces êtres, objets… procurent : vision, audition, toucher… Cette évocation sémiotique se fait avec un but communicatif, une intention : je veux, je dois, je peux … recenser, classer, renseigner, inciter, définir, expliquer ces objets, êtres ou actions à quelqu’un. Ou inversement quelqu’un veut assumer ces finalités pour agir sur moi. Pour que ces êtres existent, soient recensés, définis… dans le message, des opérations sémiotiques sont mobilisées : nommer, qualifier, situer dans le temps et/ou dans l’espace. Il se dessine ainsi une trilogie : activité discursive, finalité, opérations sémiotiques qui forment l’architecture de la grammaire.
2.2. Questions de genres et de types
L’adoption de la trilogie activité-finalité-opérations induit de telles contraintes pour produire les discours oraux ou écrits qu’il se dessine des genres ou des types de textes ou de discours… Le questionnement entre type et genre ne sera pas épuisé ici. Abordons la question par les contraintes descriptives et analytiques à résoudre.
Première contrainte, pédagogique : textes écrits, textes oraux
Un présupposé didactique nous incite à favoriser des discours qui se réaliseraient potentiellement dans les deux ordres langagiers. La langue se réalise, selon Peytard (1970), dans deux ordres. L’oral et le scriptural constituent « deux ordres de situation et de descriptions linguistiques » selon une opposition d’« ordre de réalisation » des messages : l’ordre oral est « celui dans lequel est situé tout message réalisé par articulation et susceptible d’audition » ; l’ordre scriptural est « celui dans lequel est situé tout message réalisé par la graphie et susceptible de lecture ». Toutefois, Dabène (1987) remarque que certaines caractéristiques de la scripturalité se manifestent dans certaines réalisations orales, comme les échanges oraux à distance. Il y a donc une forme de continuum entre les deux ordres prototypiques : des caractéristiques textuelles de l’ordre scriptural se manifestent aussi dans l’ordre oral et, dans certains cas, c’est l’absence de ces caractéristiques qui constitue un élément didactique intéressant à l’oral. Connaitre et reconnaitre ces éléments, identifier ou compenser leur absence est un objectif d’apprentissage. La définition que Schaeffer (Ducrot & Schaeffer, 1972) propose du texte rend valide la notion de texte oral et permet de considérer que le texte oral est une « chaine linguistique », qu’il possède « une unité communicationnelle » et « une unité globale de thème (topic) » et qu’il peut être le composant d’un discours. De plus, dans la mesure où elle concerne le texte parlé ou écrit, cette définition établit des analogies entre les formats oraux des textes et les formats écrits. Elle fonde ainsi l’idée que la maitrise des formats textuels oraux est une composante de la maitrise des formats textuels écrits. L’enseignement-apprentissage du texte, en tant que format linguistique, permet d’appréhender les différentes activités discursives au travers de grand types discursifs : descriptif, argumentatif … Le corpus d’écrits professionnels présente une variété de types discursifs et donc de textes qui mettent en œuvre ces types. La grammaire des écrits professionnels est structurée en première instance sur ces types.
Après analyse du corpus, nous avons retenu les types suivants : décrire, expliquer, prescrire, demander, adhérer, rendre-compte.
Seconde contrainte, pragmatique : définir des genres ou pas
Sur le plan normatif, l’intérêt d’une grammaire des écrits professionnels est de fixer une norme qui sert de base aux apprentissages langagiers. Un passage du texte écrit au texte oral, un changement de situation de communication, etc, permettent de faire varier des critères d’acceptabilité ou d’efficacité communicative et donc de générer un modèle plurinormaliste. Mais ce travail de variation des formes et donc de production de jugements d’acceptabilité et/ou de correction relève d’une accommodation pédagogique et pas nécessairement d’une description grammaticale. Sauf à imaginer, non plus une grammaire des écrits professionnels mais une grammaire de la variation des discours en milieu professionnel, ce que nous n’avons pas fait.
Bernié (2001), à la suite de Bronckart (1994), met en évidence l’interdépendance entre la normalisation textuelle et la normalisation sociale. Les genres sont des artefacts sociaux qui organisent les rapports des hommes entre eux et qui disent comment agir, mener les transactions en situation, ce qui est impossible, admissible et déplacé, alors l’analyse des normes qui régissent les textes et les écrits professionnels sont un des moyens de mettre en lumière les normes sociales à l’œuvre dans le cadre de l’activité professionnelle. Il est donc possible de définir des genres d’écrits en fonction des rapports sociaux sous-jacents : définition du poste de travail par l’employeur, prescription de sécurité, demande de congé produite par l’employé… Les genres actualisent donc les types discursifs dans des réalisations contraintes par les rapports sociaux.
Quelques exemples de genres rencontrés dans le corpus : la fiche de poste, la fiche méthode, la demande de congé, le bon de livraison …
2.3. Hétérogénéité des marques
Dès lors que sont posés type, genre et finalité(s) du texte, on peut s’intéresser aux divers signes présents dans les écrits. La principale difficulté vient de leur hétérogénéité constitutive. Une grammaire qui ne traite que des marques linguistiques se simplifie relativement la tâche tout en la complexifiant en visant l’exhaustivité de la description. Concevoir une grammaire en partant d’un corpus étendu mais fini réduit l’obstacle de l’exhaustivité, car les écrits professionnels ne contiennent pas tous les types discursifs et n’activent donc pas toutes les marques linguistiques. À l’inverse l’hétérogénéité des marques complexifie leur présentation. Plusieurs théories sémiotiques (Eco, 1988 ; Peirce, 1978 ; Klinkenberg, 2000) permettraient sans doute de rendre compte de la variété sémiotique du corpus. Nous avons choisi de conserver l’entrée par les finalités sémantiques proposées par Charaudeau (1992). Elle présente l’avantage de composer une pragmatique applicable à l’ensemble des catégories de signes présents dans le corpus. Elle présente l’inconvénient de ne pas unifier totalement la syntaxe à l’œuvre dans les écrits recueillis en créant objectivement une discontinuité entre éléments visuels et éléments linguistiques.
Une entrée par les finalités
Nous privilégions une entrée téléologique, qui repose sur l'idée de finalité discursive. La fabrication des problèmes langagiers impose donc d’être en possession d’un corpus d'énoncés et à en tirer, par segmentation et substitution, des classes ou des listes d'éléments ou encore des règles qui permettent de rendre compte d’un maximum d’éléments constitutifs du discours. L’entrée par les finalités constitue donc un élément méthodologique dans la construction de la grammaire comme de la progression pédagogique.
Cette approche téléologique vise donc à traiter le texte et ses composants d’abord en regard de sa principale finalité. Une approche analytique peut ensuite décomposer le texte selon les différentes finalités secondaires. On peut ainsi définir des objectifs pédagogiques selon les diverses finalités identifiées et repérer les divers outils communicatifs qui servent ces finalités. Le projet de sommaire du tableau n°1 montre les différentes finalités identifiées dans les textes prescriptifs, quand un individu demande à un autre de réaliser une action. Les exemples de documents de ce type de discours sont les consignes de sécurité (voir l’exemple n°1), les règlements intérieurs, les demandes d’absence.
Tableau n°1 : Projet de sommaire du chapitre « Prescrire et demander »
Prescrire et demander |
Dire comment travailler en sécurité Faire et ne pas faire Rendre obligatoire en expliquant Bien faire Réagir au signal Dire les règles Demander et autoriser |
Exemple n°1 : Livret de sécurité [4]
L’exemple présenté ici est extrait d’un livret de consignes de sécurité. La principale finalité est de dire comment travailler en sécurité, donc de prescrire des règles de comportement sur le lieu de travail. Cette prescription se décompose en trois modalités (au moins) : des assertions descriptives, des interdictions, des obligations. Décoder ces différentes modalités, les reformuler à l’oral ou à l’écrit, s’approprier les moyens divers de leur expression (voir plus loin) constituent autant d’objectifs pédagogiques à atteindre, plus ou moins rapidement, selon les compétences scripturales des apprenants.
Cette manière d’aborder le texte permet aussi de répondre aux injonctions d’acquisition de compétences fréquemment formulées de manière décontextualisée. Ainsi « Connaitre et expliciter les consignes et pictogrammes de sécurité »[5] ne peut être acquise que de deux manières : en fréquentant les lieux où les pictogrammes et les consignes apparaissent en compagnie d’une personne compétente, ou en analysant des documents qui contextualisent consignes ou pictogrammes. C’est le cas, par exemple, de l’apprentissage des pictogrammes du code de la route qui sont appris dans ces deux situations. Les écrits permettant de répondre à l’objectif d’acquisition sont complexes et fréquemment multicodiques. La multiplication des codes complexifie la grammaire nécessaire pour les décrire. Ainsi, l’usage de signes de différents types simplifie, peut-être, le décodage du message[6], mais ne simplifie pas la description ou l’analyse de ce message. L’entrée par les finalités facilite donc le décodage en mettant en exergue le sens global véhiculé par les signes.[7]
Une entrée par les genres
D’un point de vue didactique, l’entrée téléologique présente cependant des limites. Ainsi le besoin de « Comprendre la structure du document »[8] ou de « Lire et comprendre un planning de travail »[9] montre le besoin d’une entrée générique. La locution « planning de travail » renvoie à un genre de documents. Une entrée générique dans la fabrication des problèmes langagiers est plus analytique. Une hiérarchisation par les genres textuels au sein d’un type discursif permet de proposer une approche progressive des finalités communicatives et des formes au service de ces finalités. Le document papier ou numérique est un objet. Identifier la nature et la fonction de cet objet constitue une entrée pragmatique et culturelle dans le décodage du document. Sur le plan didactique, la difficulté de formalisation réside dans le seuil de bascule entre finalité et forme. On ne peut en effet décliner et subdiviser des finalités à l’infini. Une subdivision trop importante atomise le niveau des opérations (voir ci-dessus au 2.1). Un niveau de réglage de la description doit donc être trouvé. Notre approche propose donc les écrits dans leur globalité puis analyse les différents composants de ces écrits en tentant de les regrouper par sous-finalité. Mais la partie « Éléments de construction » (voir le tableau n°2) propose deux entrées morphologiques : iconographie et codes écrits. La troisième subdivision apparait être une asymptote pragmatique à partir de laquelle la nécessité de faire apparaitre les formes (formulaire, liste, tableau…) se fait fortement sentir. On observe donc ici une limite de l’approche par finalité et donc le besoin de passer, dans la description grammaticale, par des entrées morphologiques. Toute la difficulté à pratiquer une pédagogie de la grammaire est là : quelle est la fonction de cette forme et comment s’en servir pour produire du sens ?
Tableau n°2 : Projet de sommaire du chapitre « Décrire et expliquer »
Décrire et expliquer |
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Genres d’écrits
La fiche produit La liste d’outils (Exemple n°2) La fiche de poste (Exemple n°3) La fiche méthode (Exemple n°4) |
Éléments de construction des écrits Iconographie Donner à voir les objets (Exemple n°2) Expliquer en donnant à voir (Exemple n°4) Codes écrits Décrire les objets Définir un objet Renseigner une livraison : le formulaire-tableau Renseigner le salarié : la liste Décrire les processus Définir les tâches Dire où et quand agir Situer l’action : le tableau à double entrée (Exemple n°3) Asserter |
Les exemples qui suivent montrent la diversité des documents classés dans le type de discours décrire-expliquer. Cette diversité peut justifier qu’on procède à des activités de tri de textes[10] pour les apprenants les plus en difficulté avec la lecture. Ces activités de tris de plus en plus fins permettent de caractériser et différencier les documents et les textes qu’ils transmettent. Les documents descriptifs du corpus d’étude usent beaucoup du principe de la liste, généralement organisée en thèmes (voir Exemple n°2). Quand il s’agit de croiser les informations de deux listes, on a recours à un tableau (voir Exemple n°3). Dès lors qu’il s’agit d’une liste d’action, qui plus est, organisée dans le temps, apparaissent fréquemment des séquences d’images et de textes combinés. Les fonctions pragmatiques de ces écrits varient aussi. Quand l’exemple 2 est objectivement un document de formation, les exemples 3 et 4 visent à organiser le travail. Les salariés en formation ont le plus souvent l’expérience de ces situations de travail. Ces écrits renvoient à des situations vécues, et l’organisation de ces écrits renvoie en partie à des logiques d’organisation des postes de travail. Cette connaissance des postes de travail génère des stratégies d’évitement de l’écrit. Or les textes que les apprenants peuvent produire sur la description des postes de travail se retrouvent dans les documents qui accompagnent les situations de travail. La difficulté est donc de les amener à retrouver dans l’organisation scripturale, l’organisation des situations réelles. Difficulté supplémentaire pour un même genre (la fiche de poste par exemple), chaque entreprise développe son propre modèle. Facilité corrélative, ce sont à peu près les mêmes types d’informations qui sont portées sur les diverses variantes. C’est donc dans la séparation en genres puis dans l’observation des variations au sein d’un même genre qu’émergent les formes pertinentes. Le recensement des formes utiles à l’intérieur d’un genre, combiné à la finalité du type de discours permet de définir des actions langagières en réception ou en production des textes écrits ou oraux.
Exemple n°3 : Les outils du nettoyage
Exemple n°4 : La fiche de poste
Exemple n°5 : Mode d’emploi
Une entrée morphosémiotique
Bien que revendiquant une approche sémantique, il nous est apparu nécessaire de conserver une taxonomie morphologique qui recense les divers objets sémiotiques, éléments d’une syntaxe entre éléments de même nature ou non. Cette manière de décrire le corpus a deux fonctions. L’une est méthodologique ; elle permet le classement des différentes formes dans des catégories qui se retrouvent plus ou moins exhaustivement d’un type discursif à un autre. L’autre est didactique. L’entrée morphologique permet de concevoir des problèmes qui prennent les codes pour objet donc la manière dont le sens est mis en signes. Ceux-ci ne devraient pas être mis en œuvre avant les problèmes dont l’entrée est discursive. Proposer cette taxonomie expose donc au risque de faire se reproduire certains errements de la grammaire à l’école, à savoir enseigner les formes en oubliant peu ou prou le sens qu’elles transmettent.
Tableau n°6 : Formes sémiotiques présentes
Icônes Photographie Dessins Symboles |
Formes scripturales Liste Tableau à entrée simple Tableau à entrée double |
Signaux Couleurs Pictogrammes |
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Idéogrammes Flèche de monstration Flèche de mouvement Flèche d’implication ou d’obligation |
Formes linguistiques Paragraphe Modalités Formes de phrases Phrases verbales Structures infinitives Structures nominales Lexique spécialisé |
Typographie Tapuscrit – manuscrit |
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Combinaisons icono-scripturales Légende |
Dans le cas du discours prescriptif (voir les exemples n°3 à 5), les opérations discursives à mettre en œuvre sont au nombre de trois (voir Charaudeau, ibid.) : nommer, qualifier et situer. Ces opérations peuvent se concentrer en un seul signe iconique (voir les images de l’exemple n°5) ou en une portion de texte écrit et verbalisé (voir les légendes des images de l’exemple n°5). La variation présente dans le corpus de documents fait qu’on trouve des images avec verbalisation, des images sans verbalisation et des verbalisations sans images… Un des objectifs d’apprentissage est de faire en sorte que les apprenants parviennent à décoder tous ces textes. Cette variation est un atout didactique à exploiter. Les images concentrent les opérations discursives. Faire verbaliser aux apprenants ce qui est contenu dans les images, c’est les contraindre à utiliser les outils linguistiques des opérations contenues dans les images, donc à transposer de l’iconique vers le linguistique. Ces outils linguistiques se trouvent aussi dans les verbalisations écrites de certains documents.
Les formes linguistiques utilisées les plus fréquemment dans les écrits descriptifs et explicatifs sont au nombre de deux :
- des structures nominales, c’est-à-dire construites autour du nom d’un objet ou d’un processus,
- des structures infinitives, c’est-à-dire construites autour d’un verbe à l’infinitif.
S’agissant de la désignation des objets et des personnes, seul le nom est efficace. S’agissant de la désignation des processus il y a concurrence entre nom et verbe : balayage et balayer désignent pratiquement la même « chose ». Certaines classes de mots, comme le nom et le verbe donc, renvoient à des catégories d’objets, de notions, ou de faits réels. D’autres classes, comme l’article ou l’adverbe, apportent des compléments ou des suppléments d’information sur ce que désignent les noms et les verbes. Il y a donc des mots qui sont des supports d’information et d’autres qui apportent des informations supplémentaires à ces supports. Collecter les différentes formes, les observer, conduit à des formalisations empiriques qui sont l’essence de la grammaire. L’usage de la terminologie linguistique (nom, verbe …) permet de nommer les concepts utilisés mais n’est pas un objectif pédagogique premier. Les tableaux n°7 à 9, présentent des exemples linguistiques. Ces tableaux sont des formalisations. Trier les exemples, les ranger selon leur ressemblance sont des activités difficiles pour des apprenants n’ayant pas pratiqué la grammaire à l’école. Elle leur permet de construire un cadre conceptuel pour des structures dont ils usent : cela rend le fonctionnement de la langue intelligible. Ce sont aussi des activités productives pour des apprenants ayant pratiqué la grammaire à l’école dans une autre langue, car elle leur permet de placer les structures du français dans des structures conceptuelles déjà installées.
Tableau n°7 : Désigner des objets | Structures nominales
Le |
balai |
espagnol |
|
|
Cale |
|
en contreplaqué |
Le |
chariot |
|
|
Tableau n°8 : Désigner des processus | Structures nominales
Finitions |
hautes |
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|
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Essuyage |
humide |
de la main courante |
|
|
Lavage |
|
des sols |
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|
Enlèvement |
|
des traces |
de doigts |
sur les portes |
Tableau n°9 : Désigner des processus | Structures infinitives
Préparer |
le chariot |
|
Positionner |
les vérins |
sur les cales en bois |
insérer |
les pièces |
dans les alvéoles du plateau |
frotter |
le sol |
vigoureusement |
Le fonctionnement en tableau existe aussi dans certains écrits professionnels qui décrivent, par exemple (n°10), des chargements de véhicules ou des contenus de colis. Dans ce cas, les en-têtes de colonnes sont thématiques. Une solution pour le formateur est donc de chercher des en-têtes thématiques pour faire entrer les apprenants dans l’analyse et de remettre l’introduction éventuelle d’une terminologie grammaticale à des moments ultérieurs.
Exemple n°10
On voit ainsi que faire remplir un bon de livraison, ou une fiche de poste au moyen d’un tableau pré-établi se révèle être une activité grammaticale de bon niveau. Dans ce cas, c’est la nature de la contrainte contenue dans le tableau qui va activer les catégories grammaticales et donc expliquer le fonctionnement linguistique. Le seul écueil pédagogique est alors que le formateur veuille à tout prix obtenir un résultat juste, quand la pertinence explicative réside dans l’exploration de possibles erreurs de réalisation par les apprenants.
3. Conclusion
« Toute grammaire est explicative. Mais il y a plusieurs façons d’expliquer » nous dit Patrick Charaudeau (2001). La grammaire que nous bâtissons est traversée par cette question explicative. Faut-il privilégier la pureté descriptive, qui appelle une logique explicative cohérente sur le plan pédagogique, comme le promeut Van Raemdonck (2011) ? Ou peut-on envisager la piste d’une hétérogénéité épistémologique relative ? L’autocritique du produit de notre exploration penche clairement vers la seconde tendance. Notre grammaire sera quelque peu hétérogène. Cela nous semble défendable dans la mesure où, la grammaire expliquant, elle peut fort bien le faire de plusieurs manières, si elle prend le temps d’expliquer ses diverses manières d’expliquer. Au final, il semble bien que faire une grammaire au service d’une didactique influe la nature de la grammaire elle-même. La transposition didactique ne serait donc pas à sens unique ?
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Annexe
Tableau n°11 : Exemples d’activités
Produire du langage |
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Trier (créer les catégories) Classer (placer dans des catégories) Comparer (dire les différences) Apparier (repérer les ressemblances) |
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Remettre en ordre |
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Utiliser une terminologie descriptive |
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