Pratiques d’écriture en ateliers : quels bénéfices en formation initiale de Master FLE ?
Laurence VIGNES
Dylis EA 7474
laurence.vignes@univ-rouen.fr
Introduction
Dans une enquête de 2010 sur les Pratiques d’écriture littéraire à l’université[1], V. Houdard-Merot et C. Mongenot, enseignantes chercheures en littérature à l’université de Cergy-Pontoise, observaient une émergence de l'écriture artistique dans les cursus de lettres des universités françaises. Cette apparition tardive, si l’on excepte l’université d’Aix-Marseille où Anne Roche a initié, dès 1968, les premiers ateliers universitaires, s’explique d’abord par le primat de la lecture comme mode de rencontre du texte littéraire. Le « verrouillage » des concours d’accès à l’enseignement, une certaine méfiance à l’endroit du « creative writing » américain, ainsi que les difficultés de pénétration des apports de la recherche en didactique à l’université constituent d’autres pistes explicatives. Qu’en est-il en dehors des cursus littéraires ? Les auteures de l’ouvrage sus-cité, tout en mentionnant les pratiques d’écriture qui peuvent exister dans les Unités de Formation et de Recherche de langues, de sciences ou dans l’apprentissage du Français Langue Étrangère (FLE), expliquent centrer leur recherche sur les départements de Lettres (2013 : 12). Notre travail s’inscrit dans ce courant encore assez peu étudié, d’introduction des ateliers d’écriture dans un cursus de FLE. Le présent article s’appuie en effet sur une pratique dans laquelle nous avons cheminé de pair avec nos étudiants, et qui s’est progressivement installée dans le cours de didactique de l’écrit que nous animons depuis la création du master FLE en 2016 à l’université de Rouen Normandie. Cette recherche de type ethnographique, fortement appuyée sur le terrain, a pour objectif d’interroger les apports de la pratique d'ateliers d'écriture pour un public hétérogène d'étudiants en formation initiale de master FLE, à l'université. Le questionnement initial portait sur la capacité de l’écriture en atelier de « réconcilier » les étudiants avec une entrée en écriture par le genre, dont l’intérêt est bien attesté en FLE depuis les années 1990 (Hidden, 2013 : 86), même si la mise en œuvre reste complexe, en particulier à cause de « l’approche massive en termes de types de textes » (Allouche, Maurer, 2010 : 30). Nous avons en effet souvent constaté que les étudiants francophones L1 ne mettaient que rarement en œuvre ces notions, alors qu’elles sont connues d’eux sur le plan déclaratif. Du point de vue des étudiants allophones, il s’agissait de les initier par la pratique à des genres parfois culturellement inconnus d’eux. Nous avons donc organisé une enquête afin de recueillir les retours réflexifs des étudiants impliqués dans le cours. Il est alors apparu que les objectifs visés, principalement axés sur la pratique de l'écriture créative en contrepoint aux genres universitaires académiques, ne constituaient pas les seuls apports des ateliers. Conformément aux observations de la sociologie compréhensive, qui affirme qu’il ne s’agit pas tant de chercher la réponse aux questions du chercheur que de travailler sur celles que se posent les acteurs sociaux ordinaires enquêtés (Kaufmann, 2016), nous avons vu émerger d’autres besoins, ouvrant de nouveaux questionnements. Le travail qui suit rend compte de cette évolution, en quelque sorte fruit d’une affordance[2], et intègre à l’étude des objectifs initiaux, une réflexion sur les gains des ateliers, en termes d'amélioration des relations au sein du groupe de Master, en particulier du point de vue de l'intégration des étudiants allophones.
1 Présentation contextuelle
Avant de détailler les modalités de cette enquête, arrêtons-nous sur les visées du cours «didactique de l’écrit » en master 1 FLE.
1 1 Dispositif pédagogique
Elles tiennent d’une part aux orientations théoriques de la discipline et d’autre part à la nature du groupe d’étudiants en formation. Il s’agit, classiquement, de lier les compétences de lecture et d’écriture, qui confluent dans le terme « écrit », en insistant sur la nécessité de placer en situation, la production comme la compréhension écrites (Moirand, 1979). Un second objectif vise la promotion d’une entrée dans l’écrit par les genres textuels, puisque le genre est à présent la catégorie à travers laquelle le texte est toujours interprété (Allouche et Maurer, 2010 : 36). Enfin, nous proposons aux futurs enseignants de FLE de se placer en position d’animer une séance de cours, puis d’analyser leur expérience dans une posture réflexive rétrospective par le biais d’un compte rendu écrit. Ces animations se font en petits groupes, de manière à inciter les étudiants de différents profils à travailler ensemble. En effet, la promotion d’étudiants de première année de Master FLE, réunit des étudiants francophones L1 en formation initiale essentiellement (plus rarement en formation continue) et des étudiants francophones L2 arrivant à l’université de Rouen après des études en langue française dans leur pays. Ces étudiants que nous appellerons allophones, en soulignant leur altérité linguistique (Dompmartin Normand et Le Croignec, 2015) et culturelle, représentent une ouverture d’une grande richesse sur la discipline elle-même tout autant qu’un défi d’organisation sur le plan didactique, du fait de l’hétérogénéité des compétences et des parcours antérieurs. Dans le but de confronter ces objectifs aux points de vue des étudiants, nous considérons que le discours formé par l’ensemble des réponses écrites au questionnaire ouvert que nous avons proposé, ainsi que les propos tenus en entretien semi-directif représentent un matériau susceptible de fournir des réponses.
1 2 Dispositif de recherche
Nous avons organisé notre enquête en deux temps. Un questionnaire écrit a été proposé à l’ensemble des étudiants de la promotion à l’issue des ateliers, en juin 2019. Nous avons ensuite réalisé une série d’entretiens compréhensifs (durée moyenne 1h10) avec 8 étudiants du même groupe : 4 étudiantes françaises (dont deux en reprise d’études), deux étudiantes chinoises, une étudiante camerounaise et un étudiant iranien. La posture de l’enquêtrice, est à l’évidence participante puisqu’il s’agit de nos propres étudiants, et nous sommes consciente des biais induits par cette position endogène lors des entretiens (Blanchet 1985, Lahire 2005, Legavre 1996). Nous présentons dans le présent article, les résultats d’analyse du questionnaire informé par les participants aux ateliers. Celui-ci, uniquement constitué de questions ouvertes s’est révélé d’une grande richesse grâce aux explications auxquelles invitait chaque question. Malgré le petit nombre de participants (23 étudiants) il a été possible de préciser en les chiffrant des tendances dominantes et d’autres plus discrètes, ainsi que des lignes de faille séparant différents profils. Nous avons mené une analyse de chacune des 11 questions ouvertes[3], en nous appuyant certes sur le contenu, mais en portant une attention particulière, dans une optique discursive, aux mots et aux formulations employés par les étudiants, que nous citerons fréquemment. Les entretiens nous ont ensuite servi à approfondir (et valider) les propos tenus par ces mêmes étudiants dans les questionnaires. Nous ne les utiliserons qu’avec parcimonie, du fait de la richesse des réponses au questionnaire, laquelle nous semble témoigner de l’engagement des étudiants dans l’expérience. Pour ce faire, nous avons sélectionné des fragments correspondant aux thèmes dégagés par les réponses du questionnaire dans les différents entretiens (Blanchet et Gotman, 2015), et les avons travaillés dans une perspective d’analyse du discours, puisque la richesse et la complexité du matériau incite à compléter la traditionnelle analyse de contenu par un examen des indices énonciatifs et interactionnels à même de révéler implicites, ambiguïtés et divergences au sein du discours des enquêtés.
1 3 Présentation du questionnaire
Le questionnaire a été distribué en fin de semestre et rempli hors classe. Le propos liminaire indiquait le souhait de « recueillir [leurs] impressions et avis au sujet des séances d’ateliers auxquelles [ils ont] participé, afin d’approfondir la réflexion didactique sur cette pratique ». Nous avons opté pour un questionnaire nominatif, mais sans indications personnelles, données dont nous disposions déjà. Les deux premières questions portaient sur les ateliers « préférés » et « moins appréciés ». Nous voulions en particulier savoir comment avaient été reçus les ateliers dans lesquels les contraintes formelles étaient plus fortes. Les questions suivantes s’adressaient aux étudiants dans leur rôle de participant, au moment de l’écriture elle-même, du point de vue de la difficulté de la pratique (est-ce qu’écrire était facile ou difficile, pourquoi ?), puis des modalités (avez-vous préféré écrire seul ou en groupe ? quel type de groupe ?), et enfin au moment de l’oralisation des productions. Les questions 10 et 11, à l’inverse, les incitaient à adopter la posture de l’animateur, en les invitant à réfléchir à l’intérêt de cette pratique en didactique du FLE, dans la mesure où, sur les 23 étudiants enquêtés, 21 ont animé un atelier. Les trois dernières questions (8, 9 et 13) avaient pour objectif de valider par croisement les réponses, ou de faire émerger des thèmes propres aux enquêtés. En demandant « y a-t-il des choses que vous avez trouvées agréables, désagréables, pourquoi ? » et « pensez-vous que cette activité vous a apporté quelque chose, et quoi ? », nous souhaitions que les propositions des répondants s’orientent vers ce qui leur semble important, sans se soumettre à une pré-catégorisation trop précise.
L’analyse qui suit s’organise selon deux directions. La première, orientée par nos objectifs initiaux, rend compte des points de vue des enquêtés sur les questions reliées aux genres textuels, ainsi qu’à l’intérêt d’animer un atelier en prenant le rôle de l’enseignant. La seconde traite des bénéfices des ateliers découverts par affordance, et mis en avant de façon insistante par les étudiants enquêtés.
1 4 Enquêtés et ateliers
Les 23 étudiants de M1 FLE qui ont répondu au questionnaire représentaient la partie assidue des inscrits[4], puisque la moyenne de présence aux 6 séances d’ateliers d’écriture était d’un peu moins de 5[5]. Les étudiants enquêtés, que nous désignerons par leur numéro de questionnaire (attribué de manière aléatoire, de Q1 à Q23) constituent un groupe d’une moyenne d’âge de 26 ans (de 22 à 46 ans). Cette moyenne, un peu élevée pour une formation initiale, s’explique par le fait que certains étudiants ont suivi des formations antérieures, tandis que trois d’entre eux se trouvent en reprise d’études. Le français est la langue première de 14 étudiants, et seconde pour 9 autres. On compte 5 étudiantes sinophones, 2 étudiantes algériennes arabophones, un étudiant iranien dont le persan est la L1, et une étudiante camerounaise dont la première langue est le fe'efe'e, une langue orale de l’ouest du Cameroun. Sur les 14 étudiants francophones L1, 6 ont suivi le cursus SDL à Rouen depuis la L1, tandis que 5 autres sont arrivés en L3 SDL / FLE après des études de lettres ou langues. Les 3 dernières étudiantes françaises sont entrées en master 1 dans le cadre d’une reprise d’études. Sur les 9 étudiants allophones, 4 intègrent cette année la formation de master (parcours Études en France), tandis que les 5 étudiantes chinoises, arrivées l’année précédente, ont validé leur 3ème année de licence à Rouen. Le groupe se caractérise donc par une hétérogénéité linguistique, culturelle et curriculaire relativement importante, habituelle dans les formations de FLE.
Les ateliers d’écriture occupent la seconde moitié d’un cours de second semestre intitulé « didactique de l’écrit ». Chaque année, les étudiants sont invités à animer un atelier, en petits groupes de deux à quatre personnes. Il leur revient de choisir le thème d’écriture, d’organiser puis d’animer l’atelier, et enfin de réaliser un compte rendu au titre de l’évaluation de la matière. Le fait de ne pas donner, ni même proposer de thèmes pour les ateliers, oblige les participants à les trouver par eux-mêmes, et présente l’intérêt, nous l’avons constaté, d’une grande variété, et souvent d’originalité. Pour la présente année, les six thèmes suivants ont été choisis : haïkus, les 10 mots de la francophonie, le jeu du dictionnaire, les cinq sens, écrire en musique, à la manière de Perec. Nous les décrivons rapidement pour une meilleure intelligibilité de l’analyse qui suit. Tous les ateliers adoptent un canevas de phases allant de la présentation de l’activité par des exercices progressifs d’écriture, jusqu’à la réalisation d’un texte rédigé individuellement ou en groupe, ensuite lu oralement. Ces trois phases respectent le schéma « communément admis : temps de présentation de la consigne, temps d’écriture, temps de lecture » (Bellatorre et al., 2014 : 16). Au sein de ces six ateliers animés par les étudiants, deux types se dégagent, en fonction des déclencheurs et des textes produits. Le premier se caractérise par la rédaction de textes à partir d’une contrainte formelle assez prégnante, c’est le cas de « Essayons les Haïkus », « À la manière de Perec », et du « Jeu du dictionnaire ». L’atelier appuyé sur les 10 mots de la francophonie comprenait également une contrainte forte, celle de devoir intégrer ces mots à un texte d’un genre variable. Les deux derniers ateliers, « Écrire en musique » et « Les cinq sens » ont mis en œuvre des déclencheurs plus originaux, et moins linguistiques. Il fallait choisir une musique inspirante pour le premier (en circulant à travers quatre ilots de tables diffusant des musiques différentes) pour « écrire un souvenir en musique ». Dans le second, un jeu d’identification d’odeurs, de sons et de matières en aveugle servait de déclencheur, avec pour consigne « l’écriture d’un poème sur un événement vécu, ou une émotion ressentie, en fonction des sons, des odeurs et des objets découverts ». Les outils linguistiques d’aide à l’écriture, pour ces deux derniers ateliers, intervenaient dans un second temps, et seulement en cas de nécessité.
2 Écrire en ateliers, caractéristiques et objectifs
2 1 Appréciation sensible : les ateliers « moins appréciés »
Tandis que les ateliers « préférés » font l’objet de 41 citations (moyenne de 1,78 par étudiant), les ateliers indiqués comme « moins appréciés » sont moins nombreux, avec 17 citations (moyenne de 0,73). Il se dégage une certaine homogénéité au sujet du choix des ateliers les moins appréciés, et surtout des raisons justifiant ces choix pour les enquêtés. En effet, sur les 15 avis exprimés[6], « les 10 mots de la francophonie » et le « Jeu du dictionnaire » ont été cités chacun six fois comme « moins appréciés ». Six étudiants (3 francophones L1 et 3 allophones) désapprouvent le choix des 10 mots de la francophonie, jugés comme « trop / très difficiles », « difficiles à comprendre même s’il y a des explications » pour cinq enquêtées, tandis que la sixième précise : « trop savants, trop rares, trop peu francophonie ». Ainsi, c’est le choix par les « différents partenaires francophone[7] » des mots sensés représenter la francophonie en 2019 qui est critiqué : « arabesque, composer, coquille, cursif/-ive, gribouillis, logogramme, phylactère, rébus, signe, tracé ». Les étudiants leur reprochent d’inciter à la production d’un texte « artificiel » ou dont on « ne voit pas l’intérêt ». Un commentaire souligne l’aspect « trop contraignant », le manque de « liberté », tandis que deux autres étudiantes précisent que les animatrices sont hors de cause, car l’atelier a été jugé « bien animé ». Il est toutefois intéressant de constater que 8 autres étudiants ont inscrit ce même atelier comme étant un de leurs « préférés », en avançant comme explication le fait d’avoir écrit en groupe. Pour cette séance, en effet, les tables ont été installées en ilots, sur lesquels les participants étaient répartis par tirage au sort à leur arrivée dans la salle. La consigne indiquait que le texte était à produire collectivement. Ce type d’organisation proxémique a été tellement apprécié qu’il a ensuite été adopté par les quatre ateliers suivants. Nous reviendrons sur l’écriture en groupe au sujet des modalités d’écriture.
Le second atelier moins apprécié, le « Jeu du dictionnaire » prévoyait de former des groupes de cinq participants, au sein desquels un « monsieur Robert » muni d’un dictionnaire proposait un mot inconnu. Les participants devaient alors inventer chacun une définition, ensuite lue par l’animateur qui y glissait bien entendu celle du dictionnaire. Le jeu consistait à voter pour la définition supposée être la bonne. Un compte de points assurait le côté compétitif du jeu. Les commentaires négatifs, émanant de six étudiantes francophones L1, se sont révélés assez homogènes pour qualifier l’activité de « répétitive », « ennuyeuse », « pas ludique ». Plus précisément, il semble que le support dictionnaire ait une image « trop scolaire », « rébarbative », « pas assez attrayant ». Les reproches portent également sur la tâche de rédaction de définitions, qualifiée de « travail sur la langue assez pauvre ». Une quatrième étudiante indique « je n’ai pas jugé cela comme un travail d’écriture », signalant la nature particulière des productions textuelles du genre « entrée de dictionnaire ». A l’inverse, les étudiantes chinoises[8] avec lesquelles nous avons échangé en entretien disent, pour l’une s’être amusée pendant l’atelier, tandis que l’autre (Q9), qui faisait partie des animatrices, imagine transposer l’exercice dans une classe de FLE, en travaillant sur la composition des mots pour en faire deviner d’autres utilisant les mêmes affixes ou radicaux. Elle estime l’exercice d’autant plus intéressant que les étudiants français, face aux mots rares et inconnus d’eux qui leur sont proposés pendant le jeu, expérimentent la position vécue au quotidien par les étudiants allophones. Cette judicieuse remarque confirme la différence de perception de l’activité entre les étudiants allophones et francophones L1.
2 2 Et les ateliers « préférés »
Si l’on observe à présent les ateliers préférés, les deux choix les plus significatifs sont « Les 5 sens » (11 choix), « Essayons les haïkus » (9 choix), suivi des « 10 mots de la francophonie » dont il a déjà été question. Bien que les commentaires soient moins homogènes, il apparait que l’activité de sentir et toucher en fermant les yeux, proposée comme déclencheur de l’atelier « Les 5 sens » a été trouvée « inspirante » , « appréciée », « procurant un certain plaisir », « ludique », « amusante ». « Le fait de sentir des choses, d’écouter sans voir, de toucher et deviner par la suite et d’écrire sur ce qu’on a ressenti m’a fait plaisir », écrit l’étudiante camerounaise. Une explication intéressante est fournie par Q2, qui, en affirmant que cet atelier est « son préféré car c’est lui qui [l’] a le plus inspirée » ajoute : « je trouve que la sensorialité est à la fois universelle et très personnelle, ce qui laisse à chacun la possibilité de s’exprimer à sa mesure, ce qui est un vrai atout pour le FLE ». C’est quasiment en termes « d’universaux-singuliers », un concept originellement défini par Hegel, puis transposé dans le domaine didactique par Porcher (1994), qu’est analysé le déclencheur de cet atelier. Quant à l’atelier « Essayons les haïkus », choisi par 9 étudiants, il est jugé intéressant parce que « facile à mettre en place, en particulier pour des niveaux moins avancés ». Il a été également qualifié d’ « inspirant », et la beauté des textes produits a été soulignée. Trois étudiantes (francophones L1) affirment avoir changé d’avis suite cet atelier, et apprécié un genre qui ne les attirait pas particulièrement.
Finalement, il semble que les caractéristiques textuelles, même si elles ne sont pas toujours nommées explicitement jouent un rôle non négligeable dans les commentaires, et sont responsables pour une part, de l’appréciation portée sur l’activité. Celle-ci dépend, pour les francophones L1, des représentations qu’ils ont des genres, qui peuvent conduire certains étudiants à repousser dictionnaires, haïkus ou mots de la francophonie. Certains étudiants francophones L1 disent avoir changé d’avis après l’atelier sur les haïkus, ce qui va dans le sens d’une possible « réconciliation » avec l’écriture. Reste que les notions « d’inspiration » de « liberté » sont assez souvent évoquées positivement comme motivations à l’écriture (ateliers « préférés »). Il nous semble que, pour expliquer ces propos, on ne puisse faire abstraction de l’influence de la conception traditionnelle (et désuète) de l’écriture littéraire, encore prégnante dans les cursus de lettres. Toutefois, les réponses apportées à la question du rapport à l’écriture hors cadre universitaire proposent d’autres pistes explicatives.
2 3 Écrire seul pour « se libérer »
A la question : « comment avez-vous préféré écrire : seul, en groupe, quel type de groupe ? » 14 étudiants (60%) déclarent aimer les deux, avec des variations dans l’articulation entre les modalités. D’autre part, il y a presque autant d’étudiants qui disent n’aimer écrire qu’en groupe (4) que déclarant préférer écrire seuls (5). Les étudiants étrangers sont à peu près également répartis dans les trois profils. Écrire seul reste, cela n’a rien de surprenant, plus adapté à l’écriture personnelle : cela permet « d’être centré sur ses pensées », de « se libérer », de pratiquer une écriture « intime » (3 occurrences). Ces réponses s’éclairent lorsque l’on considère les pratiques d’écriture non universitaire. En effet, plus de 80 % des étudiants déclarent écrire « en dehors des situations institutionnelles » (question 4), et sur ces derniers, la quasi totalité écrit « dans un cadre personnel », tient « un journal » (6 occurrences), qu’il soit « intime » (2 occurrences), «de bord », « érasmus » ou « de rêves ». Certains étudiants expliquent la fonction de cette écriture : « quand j’ai besoin d’évacuer des idées qui me tracassent ou que j’ai besoin de « verbaliser » (Q2), « il m’arrive de vider mon cœur sur une feuille » (Q5), « cela me sert de défouloir de mettre par écrit une idée pour me la sortir de la tête. » (Q13), « j’aime poser mes idées par écrit quand j’ai la tête « trop pleine » cela me libère et me détend » (Q14), «pour me libérer l’esprit» (Q16). Ces formulations très parlantes soulignent une fonction presque thérapeutique de l’écriture, telle qu’elle a été théorisée par J. W. Pennebaker au début des années 2000. Ce professeur de psychologie américain a mené des recherches démontrant que la pratique régulière de ce qu’il nomme « l’écriture expressive », aidait à comprendre et à négocier les événements perturbants de l’existence, et avait des effet bénéfiques et mesurables sur le stress et la santé (Pennebaker, 1997).
La forme citée par les étudiants (« journal » ou « récit court ») semble secondaire par rapport au bénéfice attendu de cette pratique, consistant à évacuer une difficulté en la formulant par écrit. Nous faisons l’hypothèse que la pratique de l’écriture personnelle, à visée « libératrice » pourrait influencer, pour certains étudiants, l’idée qu’ils se font du fonctionnement des ateliers d’écriture. Ces remarques concernent majoritairement les étudiants francophones L1, pour qui écrire est « facile ». Mais qu’en est-il des étudiants allophones ?
2 4 Écrire : facile ou difficile ?
Trois groupes équilibrés se sont constitués en réponse à cette question. Pour 8 étudiants francophones L1, écrire était facile, pour des raisons variées, relatives à leur goût pour cette pratique ou aux situations d’écriture proposées dans les ateliers. Pour 8 autres enquêtés, écrire est à la fois facile et difficile. Cette fois, les étudiants allophones représentent la majorité de répondants (5 sur 8). Pour les francophones L1, les difficultés tiennent à la « mise en route » ou à l’horaire matinal[9], et peuvent être levées facilement. Pour les étudiants allophones la situation est plus complexe. Les difficultés peuvent être d’abord de type linguistique. Une étudiante chinoise indique qu’ « en tant qu’étudiante allophone, écrire n’est pas facile pour [elle]. Mais c’est plus facile par rapport à parler français. ». Le commentaire de l’étudiant iranien va dans le même sens : « C’est toujours difficile de réfléchir et essayer de chercher des mots surtout quand on est étranger et le français ce n’est pas notre langue maternelle. » Cependant, deux autres étudiantes chinoises témoignent de difficultés d’un autre niveau. « Écrire n’est pas difficile », affirme l’une d’elles, « mais écrire bien est vraiment difficile ». Son commentaire indique clairement la nature de ces difficultés :
Mais écrire bien ça veut dire qu’il faut écrire de la manière de la culture de l’écrit de cette langue, surtout pour des rédactions un peu littéraires qui possèdent souvent des phrases implicites relatives à la culture (Q8).
Q9 fait état de la même opposition entre facilité : « c’est facile d’écrire quand je veux m’exprimer », et difficulté : « Mais c’est difficile à écrire une dissertation ou un commentaire. » Ces deux constats pointent les genres académiques liés à l’évaluation, qui sont désignés comme problématiques, une fois les difficultés du premier niveau levées (Cornaire, 1997, Allouche et Maurer, 2010). La dernière catégorie, les étudiants qui jugent l’écriture « difficile », corrobore ces éléments. Les étudiants étrangers évoquent des raisons liées à la langue, à la difficulté d’écrire en temps limité dans le cadre d’ « une activité inconnue » ou sur des « thèmes que l’on ne maitrise pas ».
Cette question fait donc apparaitre de façon saillante les différences de positions entre scripteurs en langue première et étrangère. Ces différences, qui n’ont rien de surprenant en soi, restent assez souvent tues dans le cursus de master, alors même qu’il s’agit d’un problème majeur pour les étudiants allophones, déterminant au moment des évaluations écrites. Lorsque nous avons questionné les étudiantes chinoises qui nous parlaient de leurs difficultés pendant les examens (« un moment horrible »), sur le fait que les ateliers n’avaient pas le pouvoir de les rendre plus agréables, nous avons eu la réponse suivante : « les ateliers m’ont aidée dans le sens de bien aimer l’écrire parce c’est vraiment intéressant » (E9, 38’). La fonction « réparatrice », assez classique des ateliers d’écriture en France (Rossignol, 1996) se retrouve d’une certaine façon dans le propos de cette étudiante chinoise. L’insistance de ces étudiantes sur les problèmes liés à la « motivation » pour écrire, dans les cours qu’elles ont suivis en Chine, n’est pas étrangère à cette position. Parallèlement, les commentaires des étudiants allophones au sujet des ateliers préférés portent de manière plus appuyée que chez les étudiants francophones L1, sur une possible transposition didactique en classe de FLE des activités présentées en ateliers. Intéressons-nous à présent au point de vue de l’ensemble des enquêtés sur l’intérêt de cette pratique.
2 5 Utilité des ateliers en didactique du FLE
Pour répondre à la question de l’utilité des ateliers d’écriture en didactique du FLE, plus de la moitié des étudiants, évoque le fait de travailler l’écrit, la langue, dans une « autre » perspective. Les termes utilisés dans les réponses précisent en creux cette perspective : « sous un autre angle que fonctionnel » (Q2), « de nouvelles façons d’apprendre » (Q7), « plus intéressant que les classes traditionnelles pour enseigner l’écrit » (Q9), « on a moins l’impression de travailler alors que l’on travaille bel et bien » (Q15). Le désir d’un cadre plus horizontal, moins pénible (on note le sens presque étymologique de « travailler »), et dans lequel l’apprenant est plus actif s’exprime clairement. Les termes « jeu », « ludique », « motivation » reviennent à plusieurs reprises, parfois en opposition à « scolaire » : « écrire en atelier permet de travailler de façon ludique et moins scolaire » (Q17). Les cinq étudiantes chinoises insistent sur ce point qui leur parait important, certainement au regard de leur parcours antérieur :
En Chine, c’est souvent les enseignants qui donnent des images ou un sujet. En effet, cela ne donne pas assez de motivation aux apprenants pour écrire. (Q8)
Parce que dans la plupart des cas, écrire est un travail pénible pour les apprenants, il n’est pas intéressant. Mais quand on fait un atelier, c’est plutôt un jeu d’écriture pour eux. Cela leur donne envie d’apprendre le français. (Q21)
Ces constats sont d’autant plus intéressants qu’ils émanent d’étudiants qui ont vécu, et vivent encore la position d’apprenant de FLE. Ils plaident pour une approche de l’écrit plus en phase avec la réalité et les désirs des apprenants, un constat qui n’a rien de nouveau, mais qui reste d’actualité. O. Hidden, dans un des rares ouvrages récents consacrés à la didactique de l’écrit en FLE, parle de « nouveaux besoins en écrit » (2014 : 23), et préconise, en accord avec la perspective actionnelle, d’intégrer l’écrit dans des projets pédagogiques. Ces derniers sont en effet susceptibles de placer l’étudiant en position « d’acteur social », à qui l’on demande de réaliser des « tâches complexes exigeant l’articulation des différents modes de l’activité langagière. » Les commentaires des étudiants corroborent cette position. En effet, une majorité d’enquêtés (17 / 23) s’accorde pour dire que le fait d’avoir pu être acteurs lors des ateliers reste essentiel : « c’était le meilleur cours du semestre surtout parce que c’est de la pratique » écrit Q4, tandis que Q22 répète « encore une fois, j’ai apprécié être dans la pratique et non plus dans la théorie. » Plus précisément, les étudiants ont massivement investi la place de l’enseignant pour analyser l’activité, dans leurs réponses aux deux questions qui n’impliquaient pas ce positionnement. Ils soulignent des apports au niveau de l’expérience pratique de l’animation (« la gestion du temps et du déroulement »), de l’organisation (« animer un atelier d’écriture au regard d’objectifs », « comment adapter au mieux un atelier d’écriture à un public d’apprenants en FLE »), et plus largement de l’éventail des possibilités d’écriture (« des nouveaux thèmes d’écriture et des nouvelles façons d’écrire », « l’envie d’écrire et d’expérimenter plus avec la langue »). La question 11 : « auriez-vous envie d’animer un atelier dans le cadre de votre enseignement du FLE? » vient confirmer ce constat avec 23 réponses positives soit la totalité des enquêtés. Q3, au cours de l’entretien, indique que c’est la première fois depuis le début de la formation qu’elle a eu la possibilité d’investir le rôle de l’enseignant. Cette opportunité a été appréciée en particulier des étudiants en formation initiale, sans expérience de l’enseignement. Le travail entre pairs, outre qu’il offre une situation de première expérience d’animation confortable, permet également d’alterner les postures, et plusieurs étudiants évoquent l’intérêt de prendre le rôle de l’apprenant, pour comprendre ses difficultés ou blocages. Q2, parle d’une « réflexivité immédiate très intéressante », puisque « être participant a permis une observation impliquée de pratiques différentes à confronter à ses propres conceptions ». La position d’apprenant prend un intérêt plus spécifique dans le cas des étudiants allophones. Deux d’entre eux reconnaissent que les ateliers les ont aidés à écrire, chose que Q4 affirme ne pas aimer faire. Q10, l’étudiant iranien déclare quant à lui, avoir « beaucoup progressé en rédaction », ce qu’il a remarqué lors des examens de fin de semestre. Nous retrouvons l’idée, déjà exprimée par une étudiante chinoise, du bénéfice indirect de l’écriture en atelier à des situations d’écriture plus institutionnelles.
3 Écrire en ateliers : bénéfices additionnels
3 1 Écrire en groupe pour « échanger »
Nous avons vu que le fait d’avoir dû écrire en groupe a été fortement souligné comme aspect positif d’un atelier pourtant jugé difficile (« les 10 mots de la francophonie »). A la question : « comment avez-vous préféré écrire » , 16 étudiants commentent de manière favorable l’écriture en groupe. Si la plupart des commentaires reprennent le verbe proposé dans la question, certains disent avoir « beaucoup aimé », voire « adoré le rendu final de [leurs] poèmes ». L’étudiant iranien affirme qu’il « s’est bien passionné pour écrire en groupe, pendant cette année en France et surtout pendant ce cours », pourtant, précise-t-il « je ne pensais pas que j’aimais écrire en groupe ». Répondant à la question portant sur l’utilité des ateliers d’écriture en didactique du FLE, les étudiants, de même, répondent[10] en évoquant « l’écriture en commun », « l’écriture collaborative » qui permet « des échanges constructifs entre apprenants », « de progresser avec ses pairs ». Les qualificatifs « agréable », « plus amusant », « bénéfique », « plus intéressant » apparaissent. Toutefois, l’argument le plus fréquent est le fait de pouvoir « échanger » dans le cadre du groupe. « C’est une bonne façon de collaborer » affirme Q2. Comment cette collaboration se déroule-t-elle concrètement ?
pour les ateliers plus compliqués comme ceux sur les mots de la francophonie, travailler en groupe a été bénéfique, les idées émergent bien plus rapidement et se complètent la plupart du temps. (Q22)
De l’échange naissent plus d’idées, ce qui stimule le travail de planification, puis d’écriture. Pour le formuler simplement, on réfléchit mieux à plusieurs, c’est ce que suggère ce commentaire de Q19 : « j’ai été impressionnée de la qualité de notre production collective (bien plus que l’addition de productions individuelles) lors de l’atelier sur la francophonie ». Les étudiantes chinoises disent en entretien avoir particulièrement apprécié le fait d’écrire en groupe, sur le fonctionnement suivant : tandis qu’elles expliquaient leurs idées, une étudiante francophone L1 tenait la plume, et « construisait des phrases plus jolies » (26’). Le procédé permet de contourner les difficultés inhérentes à la rédaction en temps limité, dans un genre peut-être mal connu, tout en favorisant une valorisation de chacun dans un rôle confortable. Ces constats sont à rapprocher de ceux de M.-T. De Gaulmyn (1992) dans l’expérience « d’écriture assistée », au cours de laquelle deux étudiants doivent co-rédiger un texte court, dans un genre prédéfini : « Le natif apporte au non-natif un point de vue extérieur et instille peu à peu des normes d’évaluation que l’apprenant peut faire siennes. »
Ces éléments militent pour une composition mixte des groupes de participants à l’atelier, à l’instar des groupes d’animation. La seconde partie de la question : « quel type de groupe ? » pouvait justement ouvrir sur ce point spécifique de la mixité des groupes, mais seuls trois étudiants, dont les deux étudiantes chinoises dont nous venons de parler l’ont évoqué. Le terme « mixte », n’a été utilisé qu’une seule fois, par l’enseignante en reprise d’études. Les autres réponses relatives au « type de groupe » (7 étudiants) ne dégagent pas de tendance majoritaire : certains préfèrent les binômes et pensent « qu’au-delà c’était assez compliqué ». D’autres au contraire, disent apprécier les « grands groupes de cinq personnes », voire les groupes « d’au moins trois personnes », ou encore l’ensemble des configurations. Il semble que ce qui compte, soit la possibilité d’échanger, de chercher et de travailler ensemble. Les bénéfices d’une telle pratique sont en effet multiples, comme l’expliquent également Coubard et Gamory (2003 : 470) qui l’ont amenée en réponse aux problèmes rencontrés par des étudiants de FLE de différents niveaux. L’écriture en groupe permet de vérifier la compréhension de la consigne, « de produire dans une langue plus riche et plus variée un écrit plus construit et plus réfléchi ». C’est aussi le moment d’un enrichissement mutuel et linguistique du fait des corrections mutuelles. Plus globalement, expliquent-elles, « le travail de groupe aide à se sentir en sécurité, car on y a la possibilité de partager et se reposer sur l’autre ou les autres. » Cette dernière remarque, ici formulée dans le cadre d’une situation d’écrit, s’applique également aux groupes d’étudiants chargés de l’animation des ateliers. Pour la présente année, nous avons pris le parti de laisser les étudiants s’organiser librement, et avons constaté que deux types de groupes se constituaient. Les uns comprenant une étudiante francophone L1 jouant un peu le rôle de chef de file, emmenaient deux (ou trois) étudiants allophones dans un projet souvent proposé par elle (« Essayons les haïkus », « Le jeu du dictionnaire », « A la manière de Perec », « Les 10 mots de la francophonie »). Le second type (« Les cinq sens », « Écrire en musique ») ne comprenait que des étudiantes francophones L1. Cette organisation a été commentée en termes d’inéquité dans deux des questionnaires (rubrique « remarques libres »). Ceci renforce à nos yeux l’importance de la composition mixte (allophones / francophones L1) des groupes, qui nous apparait comme un point nodal, dont l’importance reste encore parfois à expliciter aux futurs enseignants francophones L1 de FLE.
3 2 Le moment de la lecture
La dernière étape de l’atelier d’écriture, l’oralisation des textes, ou « partage », joue un rôle spécifique et complexe dans l’économie de cette activité. Comme le rappelle A. André dans son ouvrage Babel heureuse (1989 : 67) la socialisation des écrits « est essentielle, parce qu’on écrit pour être lu ». Il s’agit, pour chacun, de dévoiler sa production, de prendre connaissance de celle des autres participants, de recevoir leurs réactions, et les commentaires de l’animateur. L’organisation des ateliers dans le cadre du master, sur six semaines consécutives, avec une animation conduite par un groupe différent à chaque séance ne permet pas le retravail des productions, ce qui constitue sinon une limite de l’activité, du moins une orientation marquée vers d’autres apports que ceux visant la formation à l’écriture de création. En questionnant les étudiants sur leur ressenti au moment du partage, nous avons obtenu des réponses dépassant le « thérapeutique », ou « la demande de réassurance narcissique » signalées comme écueils potentiels par A. André (1989 : 95). La moitié des étudiants utilise des termes affectifs positifs explicites dans leurs réponses : « j’ai adoré », « j’aime bien », « c’est un ressenti que j’aime avoir », « j’ai apprécié », « j’ai ressenti une certaine joie (…) c’était une expérience enthousiasmante », « je trouve le moment excellent », « c’était très agréable ». Certaines émotions positives plus spécifiques s’expriment : « j’ai ressenti une sorte d’union », « de l’admiration », « de la gratitude ». Ces émotions positives concernent explicitement le moment de la lecture des textes des autres : « j’ai adoré entendre les textes des autres », « j’aime bien écouter les productions des autres », ou l’implication collective : « j’ai eu un réel plaisir à constater que tout le monde jouait le jeu », « c’était bon de voir les participants impliqués de la sorte ».
En revanche, les émotions négatives, exprimées par trois étudiantes, sont associées à la lecture de son propre texte. Q1 écrit avoir ressenti « de la gêne jusqu’à la peur », Q 2 explique que « parfois au moment de lire son texte, on est à la fois assez fier et très vulnérable, car on donne à entendre de soi ». Q 23 « avoue qu’[elle] aurait préféré ne pas avoir à lire devant tout le monde ». Revenant sur ce sentiment négatif pendant l’entretien, Q1 raconte avoir découvert cette peur de se dévoiler devant « d’autres », auxquels elle n’est pourtant pas liée. C’est, in fine, l’expression en « je » qui, paradoxalement, la bloque. En effet, sa formation littéraire initiale (elle a débuté un doctorat de lettres modernes) se traduit dans l’écriture extra-universitaire de textes appartenant à de nombreux genres différents. La distance introduite par une forme littéraire (à l’occasion d’un retravail du premier jet) aurait peut-être permis de surmonter l’appréhension. Le terme « émotions » apparait encore dans les réponses de cinq autres enquêtés, de manière non axiologisée. Par exemple chez Q2, qui décrit d’une manière imagée :
Beaucoup d’émotions ! Jusqu’à quelques serrements de gorge et autres picotements dans l’épine dorsale parfois quand les textes dévoilaient à demi-mots des pensées et des sentiments intimes.
La réponse de Q3 explique de manière un peu distanciée cette circulation des émotions :
Beaucoup d’émotion partagée. Nous avons appris à écouter nos camarades mais surtout à comprendre comment chacun ressent les choses. J’ai eu l’impression d’apprendre davantage sur la manière de penser de mes collègues.
3 3 Partager les émotions
La lecture partagée permet un accès au ressenti de l’autre qui suscite des réactions décrites sur plusieurs registres complémentaires. Le premier donne la primauté à l’émotion, voire à sa traduction corporelle, le propos de Q2 en témoigne. Le second se dit en terme plus distanciés : « comprendre », « apprendre », « découvrir ». Trois étudiantes chinoises expriment cet intérêt pris à l’autre de cette façon : « on peut connaître les autres à travers leurs écrits » (Q9), « j’ai ressenti que chacun a sa propre idée, et les idées des autres sont une grande source d’inspiration » (Q20), « la lecture des productions des autres m’a donné d’autres pistes de pensées » (Q21). Un troisième type de réaction, mettant fortement en jeu l’imaginaire, est décrit par quatre étudiantes en termes d’identification, de projection. « C’est comme si j’avais été propulsée dans leur poème et que je vivais la scène », écrit Q15, « ils pouvaient nous faire imaginer la scène comme si nous y étions. À ce moment on vit dans le monde de la personne on est transporté autre part » (Q16).
Écouter le texte de l’autre suscite donc des réactions, plus ou moins fortes sur le plan émotionnel, qui témoignent d’un désir et d’une capacité à entrer en relation avec lui, et même à s’identifier à ce qui est raconté. Les travaux sur le partage social des émotions éclairent de façon très intéressante ces propos d’étudiants. Rimé et Herbette, dans un article consacré à l’impact des émotion (2004, 69-84) constatent que « partager une émotion apparait comme une opportunité que les gens recherchent très volontiers » et que l’on « aurait de bonnes raison d’adopter le principe selon lequel s’ouvrir au partage de l’émotion d’autrui est un cadeau très apprécié ». Que les émotions soient positives ou négatives (à l’exception de la honte et de la culpabilité), les études rencensées par ces auteurs montrent qu’elles font l’objet d’un partage social dans plus de 90 % des cas. Cependant, et « contrairement à la pensée commune, parler ne permet pas de « décharger » l’émotion ». Pour les auteurs, le renforcement des liens sociaux est le bénéfice essentiel du partage des émotions (2004 : 80). En effet, les expériences menées dans les recherches montrent chez les auditeurs d’un récit d’émotions plusieurs réactions. La première est « l’intérêt manifesté pour le récit de l’épisode émotionnel », puis on observe de « l’empathie », et enfin de « l’attirance envers le locuteur ». Il nous semble que les réactions décrites par les étudiants de master à la lecture des textes produits par leurs pairs en ateliers confirment ce constat : le partage des émotions « apporte une contribution précieuse au maintien et au renforcement des relations interpersonnelles et de l’intégration sociale » (2004 : 81). Interrogés sur les apports de l’expérience, (question 8) un tiers des étudiants indique que l’atelier d’écriture permet de « rencontrer », de mieux connaître les autres, de renforcer les liens au sein du groupe. Q1, en entretien, revient sur l’effet de l’atelier sur le groupe :
avant que ce soit dans le cadre d’un cours, je pense que c’est dans le cadre d’un groupe, et si on arrive pas à atteindre un petit peu ce truc-là d’intime et de partage, le groupe, rapidement, il existe plus (…) avec les ateliers d’écriture j’ai l’impression qu’on se connait plus, et donc, dans la construction du groupe, tout ce que ça permet c’est finalement aussi important, et peut-être tout le monde n’était pas hyper enthousiaste sur la pratique de l’atelier, mais je crois que cette impression de s’être plus rencontrés, ça, tout le monde l’a (...)
Ce constat croise une réflexion qui se développe dans un contexte de multiplication des formations à distance, dont les classes virtuelles sont une forme hybride. Si les contacts que l’on peut nouer dans le groupe, les relations et les échanges n’existent pas dans le cadre de l’enseignement présentiel, quelle peut alors être sa véritable plus value par rapport à l’enseignement à distance ?
3 4 Qualité des textes générant ces émotions
Si l’on examine à présent les qualités des textes permettant ce contact, les réponses s’orientent dans deux directions. C’est d’abord l’aspect « personnel », et plus précisément, « intime » (le terme apparait chez 5 étudiants) des productions écrites qui est avancé. On « donne à entendre de soi » dans « une espèce de mise à nu pudique (ou pas d’ailleurs) » (Q 2) « chacun partage un petit bout de sa vie, de soi » (Q 22). Il nous parait particulièrement significatif que les deux étudiantes qui se disaient insatisfaites de leurs textes justifient leur avis, en les jugeant insuffisants au regard de cette qualité « d’intimité » ou « de teneur émotionnelle ». C’est visiblement la qualité d’expérience personnelle qui suscite l’émotion des auditeurs, et les conséquences positives qui en découlent lors de l’écoute. La seconde qualité des productions écrites, évoquée par six étudiants, concerne l’esthétique. Certains textes sont jugés comme étant « beaux » (3 occurrences), « bien écrits » (2 occurrences), « réussis », « touchants ». Cette « beauté » engendre l’émotion, comme l’écrit de façon un peu mystérieuse Q 19 : « Ma porte d’entrée vers le « Beau » et la Musique. Un attachement aux mots pour dire les émotions… Le besoin de les dire parfois non assumé dans d’autres espaces... »
La qualité esthétique des textes faisait partie des attendus de l’activité, et il est intéressant de voir que les étudiants lui associent en la soulignant fortement, la présence et la nécessité des émotions dans les textes, un point absent de nos hypothèses. C’était oublier que les émotions ont partie liée au travail d’écriture en atelier, et plus largement, littéraire. N. Voltz, parlant des ateliers expérimentaux en formation (2014 : 81) affirme que « la bonne proposition d’écriture déclenche de l’émotion ». C’est aussi ce que dit Céline[11], lorsqu’il commente son travail de styliste : « Dans les Écritures on vous dit « Au début était le verbe ». Peut-être. Non ! Ça ne marche pas, au début était l’émotion ». Les émotions sont le moteur, « le déclencheur », elles sont premières. Leur présence dans les ateliers est non seulement souhaitable, elle est nécessaire. Le cadre dans lequel ces émotions peuvent se dire a lui aussi son importance. Lorsqu’il s’est agi de commenter ce point, les étudiants ont souligné une ambiance du cours, qualifiée de « conviviale », « vraiment agréable », « calme et agréable », « très respectueuse dans l’écoute ». Les éléments participant de cette ambiance sont d’abord le « travail de groupe », ainsi que la disposition spatiale en ilots, puis les douceurs sucrées apportées par les étudiants et partagées à la pause. D’autres éléments sont mentionnés, « le rire », « la complicité du groupe », le fait d’écrire « sans stress ». Un climat de confiance au sein de l’atelier reste une condition indispensable aux prises de risques des scripteurs, dont les textes seront lus. Le climat, l’ambiance, constituent le cadre et en même temps, dans un mouvement de réciprocité, le produit du partage social des émotions, lequel, sans être une finalité directe de la pratique, en constitue, au dire des étudiants, un élément vraiment important, après l’apport que représente l’expérience de la pratique concrète de l’animation d’un atelier.
Conclusion
La position d’acteur, qu’occupent ceux qui écrivent comme ceux qui animent l’atelier, est soulignée comme étant bénéfique sur de nombreux plans. Cette qualité, si triviale qu’elle puisse paraitre, demande dans le cadre d’un cours universitaire, à l’enseignant d’accepter de ne plus être au centre du cours, de laisser sa parole à d’autres, et de se mettre, une fois le cadre posé, en position d’accompagnement de l’expérience. Pouvoir occuper la place de l’enseignant, ponctuellement, en tant que membre d’un petit groupe d’animateurs et dans un cadre sécurisant, reste l’apport le plus important de l’expérience d’atelier selon nos enquêtés. Mais il nous semble que la simulation que représente l’animation d’un atelier d’écriture par des étudiants dans le cadre d’un cours manquerait de conviction sans la présence d’autres apports. Le fait d’écrire avec une visée non fonctionnelle, dans une ambiance détendue, et selon des propositions variées a été apprécié par les étudiants, qui en ont souligné le côté stimulant. Plutôt qu’une entrée dans l’écrit par le genre, l’enquête montre que le déclencheur joue un rôle essentiel, et qu’il doit pour fonctionner efficacement, stimuler une réponse émotionnelle, capable d’entrainer le premier jet du texte. La question de la forme ne vient qu’ensuite, pour prendre la première place au moment du retravail du texte. Notre expérience, c’est une de ses limites, n’a pas permis de développer cette étape au cours de laquelle « la projection émotionnelle initiale [se réoriente] vers la recherche des effets à produire et la prise en compte des contraintes propres au genre travaillé » (Houdart-Merot et Mongenot, 2013 : 26).
Bien qu’écrire en ateliers ne procure pas de bénéfices linguistiques ou typologiques susceptibles d’alimenter l’écriture fonctionnelle que représentent par exemple les genres de l’évaluation universitaire, cela peut permettre d’améliorer la relation à l’écrit, du dire de plusieurs étudiants allophones. Et l’on sait combien les représentations négatives liées à l’écrit comme à toute autre compétence, peuvent constituer de véritables obstacles. Dans ce processus, le fait d’écrire en groupe joue un rôle très important, sur le plan de la tâche à réaliser d’une part, mais également sur celui de la relation entre participants à l’atelier. Travailler en groupe favorise les échanges, sécurise, et se révèle plus efficace et plus agréable. Les étudiants allophones, qui rencontrent des difficultés du fait de la méconnaissance de certains genres (en particulier littéraires) et parfois des problèmes de langue, ont manifesté un intérêt marqué pour ce travail collaboratif. C’est en réalisant ensemble une tâche que l’on fait connaissance, et que se tissent des relations dont l’importance a été soulignée par de nombreux étudiants.
Lorsqu’il s’est agi, à la fin de notre questionnaire, de définir l’expérience d’ateliers en trois mots, les réponses ont donné, par ordre décroissant, « intéressant », « nouveau », « partage » « émotions », « motivant » et « amusant ». Ces qualificatifs, révèlent un réel enthousiasme, bien qu'elles soient certainement à interpréter au regard d'un effet de contraste avec les pratiques les plus courantes en usage dans la formation. Si l’on se réfère à la typologie d’ateliers dégagée par l’enquête sur l’écriture littéraire à l’université que nous évoquions en introduction, notre pratique se placerait à la fois entre l’atelier « conçu comme lieu d’échanges, de construction d’une communauté » et celui « à enjeu essentiellement expressif », décrits par leurs animateurs comme « rencontres », « découvertes », « plaisir » (Houdard-Merot et Mongenot, 2013 : 22). L’atelier d’écriture a ceci de particulier qu’il permet une rencontre sensible. Une enquêtée chinoise remarquait à ce propos, que c’était « rare » d’avoir l’occasion d’écouter une personne parler de son enfance. Le dernier temps de l’atelier, celui de la lecture orale des textes, permet de faire connaissance avec l’Autre. C’est sans doute la meilleure manière de favoriser le brassage entre étudiants de divers horizons. Le partage social des émotions, bien décrit par les enquêtés, a une incidence forte sur le sentiment d’appartenance au groupe. Rencontrer l’Autre dans la réalisation d’une tâche d’écriture commune nous parait être un bénéfice majeur de l’atelier d’écriture.
Références bibliographiques
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[1] Honoré Champion, 2013.
[2] T. Morineau (2001) définit le concept comme : « l’interaction entre d’une part, les caractéristiques de l’individu, son action actuelle et d’autre part, les propriétés du contexte environnemental qui vont déterminer en commun la nature des sollicitations offertes et leur valeur adaptative ».
[3] CF annexe 1.
[4] 32 inscrits administratifs.
[5] Moyenne de 4,78 précisément. Q1 en entretien, remarque : « certains étudiants ont été très très fidèles à venir aux ateliers d’écriture, et ça, ça révèle ceux qui y trouvaient plus que du contenu de cours. » (E1, 14’).
[6] Deux étudiants ont laissé cette question sans réponse, tandis que six autres ne donnent que des réponses générales, sans citer de noms d’ateliers.
[7] la France, la Belgique, le Québec, la Suisse et l'Organisation Internationale de la Francophonie (qui représente 84 États et gouvernements). http://www.dismoidixmots.culture.fr/presentation
[8] Q9 et Q20 ont souhaité faire ensemble l’entretien.
[9] Le cours avait lieu de 8.15h à 10.15h, le vendredi matin. Il s’agissait (facteur « aggravant ! ») de l’unique cours de la journée.
[10] La réponse la plus fréquente porte sur le fait d’écrire « autrement », et la seconde sur l’écriture de groupe.
[11] Dans un entretien avec R. Sadoul, pour la Radio Suisse-Romande en mars 1955 (15’27) et publié dans le Magazine littéraire en septembre 1990.