N°77 / Le FOU dans tous ses états : conceptions, approches, pratiques... et nouvelles pistes ?

L'apport du FOU en didactique des langues ou comment préparer des apprenants sinophones à devenir enseignant de français. Analyse d'un dispositif de l'Université d'Artois

Angelique Martin-Masset, Sabrina Royer

Résumé

Cet article s’intéresse à la formation linguistique en français sur objectif universitaire (FOU) à destination des étudiants sinophones qui intègrent le master FLE de l’université d’Artois. Si l’étude des besoins langagiers et universitaires est indispensable dans l’élaboration de formations sur objectif universitaire, un des principaux enjeux réside également dans l’étude de ces représentations de l’enseignement de la langue étrangère. Ces représentations influencent l’écriture académique des étudiants, et sont nécessaires pour rédiger le mémoire professionnel, évaluation finale qui détermine l’obtention du master. À partir d’un corpus constitué de mémoires d’étudiants de première et deuxième année de master, et d’entretiens, cette contribution propose donc d’interroger leurs représentations sur le processus d’apprentissage et d’enseignement des langues étrangères. La dernière partie de cette recherche offre des perspectives didactiques dans un dispositif créé sur mesure au sein de l’université, le Diplôme Universitaire de Français Langue Étrangère pour la Préparation aux Études Supérieures (DUFLEPES).

Mots-clés : français sur objectif universitaire, réflexivité, écriture académique

 

Abstract

This article looks at French language training for academic purposes (FAP) for Chinese-speaking students entering the FLE master's degree at the University of Artois. While the study of language and university needs is essential in the development of training courses for university purposes, one of the main challenges also lies in the study of these representations of foreign language teaching. These representations influence the academic writing of students and are necessary for writing the professional dissertation, the final assessment which determines the obtaining of the master's degree. Based on a corpus made up of dissertations from first and second year master's students and interviews, this contribution therefore proposes to question their representations on the process of learning and teaching foreign languages. The last part of the article offers didactic perspectives in a language training created on specific purpose within the university, the university diploma in French as a Foreign Language and Preparation for Higher Studies (FFLPHS).

Keywords : French for academic purposes, reflexivity, academic writing

Mots-clés

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Introduction

Le DU FLEPES (Diplôme Universitaire de Français Langue Étrangère pour la Préparation aux Études Supérieures) créé en 2013 à l’université d’Artois, prépare les étudiants allophones à entrer dans différents cursus universitaires. Les enjeux méthodologiques de cette formation sont donc de répondre aux besoins des étudiants en FOU sur le plan linguistique mais aussi de tendre vers une remise à niveau méthodologique. La présente contribution propose de présenter plus précisément les enjeux de l’élaboration d’un dispositif de formation en FOU à destination d’apprenants sinophones qui souhaitent devenir enseignants de Français Langue Étrangère et également découvrir d’autres méthodologies.

Nous montrerons la manière dont il est possible, dans une formation de FOU, de préparer les étudiants, en cours d’apprentissage de la langue, à intégrer le master FLE/FLS/FOS pour devenir enseignant de cette même discipline. Parmi les attentes du master de l’Université d'Artois, nous avons choisi de nous pencher sur la capacité à être réflexif car elle est liée à la difficulté de maîtriser les implicites d’un écrit particulier : le rapport de stage en M1 ou le mémoire en M2. En effet, en M1 puis en M2 de didactique, tous les étudiants sont amenés à rédiger un écrit universitaire portant sur une expérience d’enseignement de FLE, écrit qui doit aller au-delà de la simple description et montrer une capacité à prendre du recul sur sa pratique.

En particulier, nous[1] nous penchons sur les représentations de étudiants sinophones, quant à leur apprentissage du français (en Chine puis en France au sein du DU) et à l’enseignement de cette langue. Ces représentations peuvent être en décalage avec celles qu’ils découvrent lors de leur immersion en France et dans le système universitaire français (notamment en M1), et elles auront nécessairement un impact sur leur future pratique d’enseignement. Nous cherchons donc à les révéler à l’aide d’activités bien ciblées élaborées à partir d’un certain nombre de constats. Ces constats, qui évidemment ne sauraient être pris pour des généralités, ont été faits grâce à un recueil de données provenant d’entretiens individuels, de discussions informelles pendant les cours, de rapports de stage et de mémoires (une douzaine, d’étudiants chinois venus à l’université d’Artois pour suivre un master FLE.

Dans une première partie, nous expliciterons les attentes en master s’agissant notamment de l’écriture académique et de la place qui y est accordée à la réflexivité, nous présenterons les étudiants sinophones à qui nous enseignons, et détaillerons les constats faits à propos de leurs représentations sur le métier d’enseignant. La deuxième partie décrira en détail le DU qui les prépare au master en montrant comment la réflexivité peut être étudiée dans une formation de FOU. Enfin, la troisième partie illustrera nos propos grâce à des activités élaborées à partir des constats énoncés dans la première partie, en vue de travailler avec les étudiants concernés la prise de recul par rapport à leurs représentations.

1. Attendus académiques en master et constats sur le décalage entre ces attentes et les habitudes culturelles d’apprentissage de la langue

 

1.1. Présentation des attentes en master : tableau de compétences

Si l’on part d’une analyse des besoins typiques au niveau des productions universitaires, nécessaire, à l’élaboration d’une formation en FOU, les attentes en master FLE de l’université d’Artois peuvent se schématiser ainsi :


 

« Activité » universitaire

Compétences écrites

Compétences orales

Compétences du savoir agir en interaction

Comprendre un CM ou un TD

Prendre des notes

Comprendre le cours théorique et la polyphonie des catégories de discours : implications du discours

Prendre la parole pour poser une question

Contrôles continus

Répondre à une question de cours. 

Rédiger une synthèse de documents.

Présenter un exposé

Répondre à des questions complémentaires de l’enseignant ou des autres étudiants 

Dossiers

Rédiger un écrit entre une quinzaine et une trentaine de pages.

 

S’organiser au sein d’un groupe

Rapport de stage (M1) et mémoire (M2)

Rédiger un rapport de stage de 20 pages minimum et un mémoire comportant de 60 à 80 pages qui inclut une partie rapport de stage et une partie réflexion sur une question.

Présenter un résumé de son travail

Faire des recherches, adopter les codes de l’écriture académique. 

Avoir un recul sur les écrits scientifiques et les mettre en parallèle de son expérience d’enseignement 

 

Le diplôme du master est validé par l’obtention de la moyenne au mémoire qui constitue la production universitaire la plus longue à produire par l’étudiant en didactique du FLE. Elle repose sur une expérience professionnelle d’un mois minimum en master 1 et de trois mois minimum en master 2. Elle correspond à des règles d’écriture codées, issues de la culture universitaire française.

1.2. Les attendus de l’écriture académique en master : transposer la réflexivité de la pratique

En France, dans les filières de formation des enseignants, cette compétence de réflexivité (Perrenoud, 2001) par rapport à sa propre pratique de stage s’évalue au travers de l’écriture académique objectivée. Cette « écriture doit permettre de s’approprier des savoirs disciplinaires de référence et d’être capable de les interroger » (Rinck, 2011 : 79). C’est d’ailleurs par cet observable que l’on peut définir si les étudiants « maîtrisent cette réflexivité » (Perrenoud, 2001), qu’ils possèdent mais ne savent pas toujours transposer. On peut ainsi supposer qu’il s’agit de difficultés de littératie académique qui influencent leurs productions écrites (Barton et Hamilton, 2010 ; Chiss, 2012).

Au master 1 de l’université d’Artois, nous pensons qu’il est important d’amener nos étudiants à être réflexifs, car nous pensons, comme Tardif, que :

La réflexion (ou la réflexivité) est désormais considérée comme l’une des principales compétences de base de l’enseignant. […] le praticien réflexif […] s’impose comme l’idéal de l’enseignant à former, ce qu’il restera jusqu’à maintenant. […] Le praticien réflexif passe cette fois-ci du statut de concept à celui de catégorie socioprofessionnelle et idéologique : l’enseignant cesse peu à peu d’être vu (et de se voir) comme un artisan, un technicien ou un fonctionnaire, il devient un professionnel parce qu’il est réflexif et capable de réflexion (Tardif, 2012 : 6-7). 

Pour tous les étudiants, la compétence de réflexivité sur une pratique enseignante est nécessaire dans trois types de productions : le dossier, qui permet de reconstituer ce qui a été appris en cours et de l’appliquer à un cas spécifique, le rapport de stage et le mémoire qui évalue le recul pris par l’enseignant. Le mémoire professionnel a un rôle essentiel pour former des « praticiens réflexifs » (op. cit.). 

Parmi les points sur lesquels un enseignant peut réfléchir sur ou dans sa pratique cités par Tardif (2012 : 52) à savoir les règles sociales, les enjeux éthiques et politiques, les actions spécifiques, les contenus d’enseignement, ses propres relations avec les élèves, ses difficultés en gestion de classe, ses représentations, les inégalités scolaires, les problèmes de son établissement, les rapports aux parents, etc., nous avons choisi de nous focaliser sur les représentations qu’ont les étudiants sinophones du DU, en particulier sur leur apprentissage du français et leur future pratique d’enseignant de français. Il nous semble important de les faire s’interroger sur la manière dont ces représentations évoluent. En effet, avant que les étudiants, y compris les francophones natifs, aient pu donner des cours de français à leur tour, leur réflexion va surtout porter sur la manière dont ils ont été formés en langue étrangère à la lumière des différents cours reçus. Pour les étudiants ayant appris le français à l’étranger, cette réflexion va aller plus loin en ce qu’ils vont tout naturellement faire des comparaisons avec ce qui se fait dans leur propre pays.

Voici un extrait des consignes proposées aux étudiants pour la rédaction du rapport de stage et du mémoire de master. On y développe explicitement des attentes en réflexivité :

Master 1

Master 2

Il ne s’agit pas seulement de décrire votre expérience, les séances observées et animées mais aussi de les commenter sur le plan didactique : analyse des outils pédagogiques de formation ou d’évaluation, les manuels, les ressources utilisées…, constats sur les réactions et les progrès des apprenants, réflexion sur la pratique pédagogique (réussites, échecs, obstacles…) et hypothèses sur les causes possibles des faits didactiques constatés, observation et interprétation du contexte d’enseignement (culturel, institutionnel, pédagogique…).

Il s’agit de conduire une véritable réflexion personnelle qui nécessite de revenir sur l’expérience en dégageant des prises de position personnelle, des impressions, des observations… afin d’analyser des faits didactiques observées au sein des pratiques professionnelles exercées dans le cadre d’un projet ou d’un dispositif de formation.

 

Les particularités du mémoire de stage de master en didactique sont qu’« il s’appuie sur une expérience réelle vécue par l’apprenant », « est constitué de souvenirs de ce qu’a vécu l’étudiant pendant son stage, des constats liés aux actions entreprises sur le terrain » (Mangiante et Parpette, 2011 : 153). Il s’agit de partir d’observations pour élaborer des hypothèses (M1) et de mêler réflexions personnelles et références théoriques (M2). À travers ces consignes, sont induites la connaissance de la méthodologie académique et la capacité à retranscrire un ressenti de manière objectivée.

1.3. Particularités des étudiants sinophones

Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement aux étudiants sinophones. Ces derniers ont un rapport spécifique au niveau de la réflexivité sur la pratique enseignante qui se traduit dans l’écriture des mémoires lorsqu’ils sont en master. En effet, leurs travaux de mémoires démontrent qu’ils ont une représentation de l’enseignement centré sur l’enseignant et autour du manuel de français. Par ailleurs, à de rares exceptions, c’est la première fois qu’ils se retrouvent avec un enseignant français. Ils ont appris le français en université et non au sein d’une Alliance française et n’ont pas fait de séjour d’échange en France dans leur cursus antérieur. Ils arrivent dans notre cours avec une représentation de l’enseignement du français qu’ils considèrent comme innovant. À partir d’observables constatés dans les mémoires et les rapports de stage, sur le plan académique, nous remarquons que les étudiants ont des difficultés à transposer de manière objectivée les observations qu’ils font sur le terrain[2].

Les types du cours de français sont un peu monotones, même si certains cours sont définit comme des cours culturels ou oraux, il n’y a pas de différence significative que les cours de français fondamental (Fan, 2018).

Au commencement de ce programme, l’ambiance dans la classe n’est pas très dynamique, quand nous posons une question, souvent la classe est en silence, il n’y a pas beaucoup de volontaires (Fan, 2018).

À mon avis, les devoirs en classe peuvent être organisés, car les élèves apprennent les connaissances pendant le cours, mais les devoirs à la maison doivent être obligés. (Xiaomeng, 2018).

Ce cours est une simple transmission de savoir, et il n'y a pas beaucoup d'interaction entre l'enseignant et les apprenants (Zhusheng, 2018).

Dans ces exemples, on peut constater que ces écrits comprennent de nombreux marqueurs[3] qui indiquent la subjectivité de l’étudiant et peuvent donner une impression de jugement sur l’enseignant, à savoir notamment des adjectifs de polarité négative ou des énoncés indiquant l’avis du locuteur.

La particularité du profil des étudiants sinophones intégrant le master FLE réside également dans le fait que ces derniers ne sont pas toujours sensibilisés à une pédagogie par tâche qui est celle des manuels aujourd’hui, même si certains connaissent le CECRL par leur pratique d’apprenant, par exemple lorsqu’ils ont passé eux-mêmes des diplômes ou tests en français. De la même manière, ces étudiants du DU n’ont jamais donné de cours, c’est donc la première fois qu’ils doivent adopter une posture d’enseignant. S’ils comprennent les consignes des examens de master FLE, ils ont d’autant plus de difficultés à passer à la partie pratique et à la réflexion sur cette partie pratique dans l’écriture. C’est ainsi la fameuse compétence du savoir-agir qui est en jeu (Le Boterf, 2010) que de savoir aller au-delà du prescrit, dans le cas présent le prescrit d’enseigner.

1.4. Constats sur les représentations portant sur l’enseignement / apprentissage du français

Les représentations sont nécessairement influencées par les expériences antérieures. Comprises comme :

des instruments cognitifs d’appréhension de la réalité et d’orientation des conduites, les représentations des enseignants peuvent être considérées comme un des moyens à partir desquels ils structurent leur comportement d’enseignement et d’apprentissage (Charlier, 1989 : 46, cité par Baillauquès, 2012 : 60)

elles ont forcément un impact assez fort sur le futur métier d’enseignant et on peut ajouter avec Cadet (2006 : 6) que :

[…] les représentations qu’un individu se forge en tant qu’apprenant et en tant qu’enseignant sur les langues étrangères, sur l’apprentissage et sur l’enseignement, jouent un rôle déterminant dans les activités d’apprentissage comme dans les activités d’enseignement.

Du point de vue de la formation de nos étudiants, il est évident que :

[…] au cours de la formation de l’enseignant, les modèles de référence socioculturels et scolaires doivent être explicitement dégagés et confrontés aux nouveaux modèles de référence théoriques et pratiques de formation professionnelle et pédagogique […]. En effet, les futurs enseignants doivent avoir la possibilité de prendre conscience des modèles et des représentations qu’ils ont sur le métier afin de les croiser avec les nouveaux éléments apportés par la formation (Cadet, 2006 : 8).

Or, c’est exactement ce qui nous guide dans la formation de nos étudiants chinois, que ce soit dans le DU ou ensuite pendant le master. Bien sûr, il n’est pas question de modifier ces représentations au point que l’étudiant chinois ne se retrouve pas dans notre formation, d’autant que :

Cette remise en cause des représentations (de l’enseignant, de l’espace partagé, du rapport aux autres, du rapport au savoir, pour ne citer que les plus visibles) peut représenter une réelle violence symbolique (Dautry, 2005 : 91). 

Il s’agit plutôt d’y réfléchir afin que l’étudiant en ait conscience et les adapte quand cela s’avère nécessaire.

Cortier (2005) parle du poids de l’institution et du manuel en Chine, et rappelle quelques caractéristiques propres aux apprenants asiatiques (réserve, déférence, obéissance, faible participation voire silence, etc.). Nous avons retrouvé quelques-unes de ces caractéristiques et avons voulu en savoir plus à propos des « décalages » ou des difficultés rencontrés lors de leur séjour universitaire en France.

Voici donc les constats, parmi les plus fréquents, qui ont été faits lors de nos cours, de nos discussions informelles avec les étudiants allophones, et dans les travaux remis au long de leur parcours de master.

Constat n°1 : la prise de parole en classe est loin d’être évidente et spontanée pour ces étudiants à qui l’on demandera et d’apprendre le français en communiquant et d’enseigner le FLE grâce à l’Approche Communicative et à la Perspective Actionnelle, en mettant en place des discussions, voire des débats quand, dans leur société, ce n’est pas envisageable. 

[…] La prise de parole spontanée est un véritable défi pour la plupart de ces étudiants car le questionnement direct ne fait pas partie de leur bagage pédagogique. Généralement dans l’enseignement des langues, ce n’est pas la compétence de communication qui est visée, mais plutôt l’apprentissage des structures et la compétence linguistique. Cette « recherche du savoir linguistique » (Robert, 2002 : 142) prime sur l’acquisition d’une compétence de communication […] (Normand-Marconnet, 2011 : 153-154). 

Or, c’est une remarque que nous font souvent nos étudiants, comme lors de cette séance de cours en FOU qui portait sur les différences entre les enseignants francophones natifs et non-natifs. Les étudiants parviennent à expliquer eux-mêmes ces différences culturelles : « Les enseignants peuvent être en colère parce que les étudiants ne répondent pas à leurs questions » (Tianxu, DUFLEPES, 2020), la sollicitation à répondre aux questions de l’enseignant n’est pas amenée de la même manière. 

Ou encore a-t-on pu lire dans un rapport de stage : 

Par exemple, les deux apprenants […], sous l’influence de l’éducation traditionnelle chinoise, ils ne posent guère de questions dans le cours ni après le cours. Au début du cours, j’ai constaté qu’ils progressent plus lentement. Après avoir découvert ce problème, je les encourage souvent en faisant des activités dans les cours pour qu’ils aiment progressivement poser des questions ou répondre à des questions dans le cours, au milieu du cours, on peut voir qu’ils progressent plus vite qu’avant, l’efficacité de l’apprentissage est également plus élevée (Yiwen, 2019).

On observe ici que, à l’issue de sa formation au DU puis au master, non seulement l’étudiante est capable de pointer une difficulté liée à la culture éducative chinoise, mais qu’en plus elle essaie d’y remédier en tant qu’enseignante.

Constat n°2 : en lien avec la prise de parole, l’erreur est à éviter à tout prix de peur de « perdre la face » ce « […] qui entraîne la coupure irréversible du lien social qui unissait les deux personnes ou parties en présence » (Normand-Marconnet, 2011 : 153-154). Cette crainte revient aussi très souvent dans les propos de nos étudiants : 

En outre, les apprenants chinois se caractérisent par le fait qu’ils n’aiment pas poser de question ou parler en classe. Il y a généralement deux raisons. L’une est le moment où ils ont peur de confondre les autres camarades, car d’autres camarades « ont peut-être compris les problèmes que je ne comprends pas ». En fait, ils ont plus peur de faire des erreurs et ont peur de se faire moquer par leurs camarades de classe ou de recevoir des regards étranges (Lin, 2016).

Constat n°3 : la relation de l’étudiant avec ses enseignants diffère entre cultures asiatique et française, les étudiants chinois ayant, au début de leur formation en tout cas, de grandes difficultés à s’adresser aux enseignants envers lesquels ils sont respectueux et obéissants. Les questions de l’enseignant restent donc souvent sans réponse ce qui peut entrainer une incompréhension de ce dernier : 

Et particulièrement, on doit montrer un grand respect à la personne qui est au niveau social plus haut ou qui est plus âgé que soi. Au sein d’une classe, l’enseignant, qui transmet les savoirs aux apprenants, dirige le cours, donc il a une place sociale plutôt respectueuse. Ses apprenants font toujours très attention au comportement en face de leur enseignant et ils ne montrent jamais de mauvaises émotions. Les apprenants doivent obéir à leur enseignant durant le cours (Lin, 2016).

Constat n°4 : les langues et cultures natives de l’enseignant ont une grande importance également pour nos étudiants. À leur arrivée en France, et quel que soit leur niveau, leur enseignant est français, ce qui est plutôt rare en Chine. Au sujet de l’enseignant de langue natif francophone une étudiante note : « Ils toujours enseignent des cours qui demandent une forte compétence de communication en français, tels que la production orale, le français audiovisuel » (Bingchen, DUFLEPES, 2020) en comparaison avec les enseignants chinois qui « […] sont plus concentrés sur des explications pour la grammaire, des exercices de routine » (idem), ce qui souligne l’importance de la grammaire dans l’enseignement du français en Chine. 

Constat n°5 : les apprenants viennent d’une culture d’apprentissage où ils ne sont pas amenés à faire des travaux de groupe ou en binôme en tant qu’apprenant et donc ne sont pas sensibilisés à ces manières de faire, bien qu’il puisse être :

[…] plus approprié de travailler en sous-groupes à l’intérieur d’un grand groupe : les apprenants peuvent se consulter, trouver une réponse commune, préparer une réponse qui sera transmise au nom du groupe par un porte-parole (Bouvier, 2003 : 410).

Constat n°6 : l’autonomie liée à la centration sur l’apprenant née de l’Approche Communicative n’est pas non plus privilégiée car dans l’enseignement en Chine :

La cohésion sociale y est fondée sur la préoccupation constante des acteurs de préserver l’harmonisation sociale, laquelle les pousse à recourir aux valeurs du groupe d’appartenance et à s’y soumettre (op. cit.). 

Constat n°7 : la rédaction académique (cf. ci-dessus) qui répond à des règles discursives très rigoureuses est l’une de leurs préoccupations majeures en master, d’où l’importance à lui accorder en FOU. En ce qui concerne ce point, les étudiants la relient à la nécessité de bien maîtriser les règles grammaticales. Cette maîtrise représente une forme de fierté : « Rarement les enseignants chinois font des erreurs de grammaire » (Tianxu, DUFLEPES, 2020) ; « Les enseignants chinois peuvent très bien expliquer les problèmes de grammaire » tandis que l’enseignant natif aura plus tendance à « corriger les fautes non-grammaire (des fautes commises par l’habitude de façon expression) » (Dong, DUFLEPES, 2020). 

Ce sont ces constats les plus fréquents que nous choisissons comme base de travail en FOU afin que le « choc » culturel lors des préconisations données en master soit atténué. En effet, certaines sont aux antipodes de leurs habitudes, de leurs représentations, il est donc nécessaire selon nous de travailler ces différents aspects avant même le master. 

2. Le Diplôme Universitaire de Français Langue Étrangère pour la Préparation aux Études Supérieures, une formation en français sur objectif universitaire 

 

2.1. Postulats de la recherche en FOU sur la production académique

Dans un premier temps, dans un cursus de français sur objectif universitaire, au-delà du fait de préparer les apprenants sur le plan linguistique, il est nécessaire d’accompagner l’apprenant allophone à devenir un futur étudiant de master, c’est-à-dire à être en mesure de maîtriser l’écriture universitaire spécifique en fonction du cursus abordé (Mangiante et Parpette, 2011) et donc de prendre en compte que « chaque catégorie répond à des exigences méthodologiques, à une codification d’écriture, à des règles de composition qui génèrent de véritables “genres textuels” » (op. cit. : 123). Lors de la formation en FOU on s’attachera donc à étudier la méthodologie des productions universitaires propres au master en collaboration avec les enseignants de la future discipline. Puis, à un niveau micro, le champ de l’étude de la phraséologie a montré qu’il était indispensable de travailler, d’une part sur le lexique spécialisé car « le discours universitaire fait usage de phrasèmes qui lui sont spécifiques » (Cavalla, 2018 : 192), d’autre part sur les concordanciers, pour analyser ces éléments lexicaux en contexte (Tran, 2014). Cependant, si le travail sur le plan discursif et la connaissance des normes qui régissent les écrits universitaires sont nécessaires avec les étudiants en FOU du DU, il faut prendre en compte que ces exercices de production « constituent une compétence à la fois culturelle et méthodologique » (Mangiante et Parpette, 2011 : 123). C’est le cas du mémoire ou du rapport de stage qui demandent, comme nous l’avons mentionné, une méthodologie spécifique mais aussi une réflexivité propre aux « habitudes éducatives » françaises. Ainsi, le niveau de langue va de pair avec une réflexion sur les littératies universitaires (Lang, 2019), et/ou les multilittératies (Narcy-Combes, 2014) notamment en ce qui concerne les niveaux avancés.

2.2. Élaboration d’un dispositif en FOU

Le DUFLEPES prépare chaque année une quarantaine d’étudiants à intégrer une filière universitaire l’année qui suit. La préparation s’étend sur huit mois de manière intensive à raison d’une vingtaine d’heures de cours par semaine. Pour répondre aux pré-requis demandés par les filières visées par les apprenants, l’objectif est d’atteindre le niveau B1 pour intégrer les filières scientifiques, B2 pour les filières de sciences humaines, C1 pour les filières littéraires. La démarche de création des contenus spécifiques suit le schéma préconisé par Mangiante et Parpette (2011) de l’analyse des besoins à la conception didactique. Ainsi une classe est spécialisée en sciences (ingénierie, chimie, informatique) tandis qu’une autre classe est spécialisée dans les domaines des lettres et des sciences humaines (FLE, arts, droit et économie). Les cours sont répartis en cinq macro-compétences : compréhension orale, compréhension écrite, production orale, production écrite, vie étudiante et administrative.

Sur les trois dernières promotions (2016-2019), on observe trois types de profils majeurs chez les apprenants :

  • ceux qui viennent faire leur master en France pour retourner enseigner dans leur pays d’origine (cela concerne en majorité les apprenants chinois) et qui passent par le DU pour obtenir un diplôme de niveau C1 (requis pour entrer dans le master) ;
  • ceux qui ont un master dans leur pays qui leur permet d’y enseigner et qui viennent pour obtenir une plus-value d’ordre méthodologique. Ils y voient un moyen de faire un échange de pratiques et une volonté de se former à la didactique du FLE en France pour compléter leur cursus universitaire. Ils ont une certaine représentation des pratiques pédagogiques « à la française » qu’ils considèrent comme innovantes ;
  • ceux qui souhaitent faire des études de littérature pour enseigner cette matière dans le milieu universitaire. Ces étudiants envisagent parfois de faire un doctorat et ne sont pas concernés par cette étude. 

Étant donné qu’ils n’ont pas toujours le niveau de français requis par l’institution pour pouvoir intégrer un master FLE (C1), la première problématique est de former nos étudiants sur le plan linguistique afin de les mettre à niveau pour intégrer le cursus. Dans le cas où ils possèdent déjà un niveau de français B2 ou C1 (certifié par une attestation de TEF ou un TCF) et où ils peuvent être autonomes sur le plan linguistique dans leur apprentissage, il n’est pas rare de constater que les étudiants ont des difficultés à s’adapter aux écrits universitaires français.

Voici quelques exemples de compétences transversales[4] dans les différentes filières universitaires étudiées dans le diplôme universitaire. 

Compréhension orale 

Compréhension écrite

Production orale (monologue et interaction) 

Production écrite

Vie administrative et étudiante

Comprendre des discours magistraux et travaux dirigés.

Repérer la structure des interactions et du discours monologal de l’enseignant.

Étudier les discours polyphoniques.

Comprendre des consignes.

Étudier des textes de spécialité.

Étudier des articles universitaires (structure et introduction).

Étudier les marqueurs discursifs dans les consignes.

Faire un exposé sous forme monologale à l’oral.

Argumenter sur un sujet.

Prendre la parole lors d’un cours de TD.

Poser des questions en interaction.

Maîtriser la méthodologie de la dissertation, du commentaire de texte, du rapport de stage, de la rédaction d’un dossier.

Analyser des situations de la vie étudiante.

Comprendre un formulaire administratif (CAF, OFII).

Se repérer dans les différents services administratifs.

2.3. Faire émerger la compétence de réflexivité en FOU

On peut établir différentes hypothèses sur le travail de la représentation du métier d’enseignant à mener dans une formation FOU auprès des étudiants allophones : 

  • un travail sur le souvenir de l’apprentissage de la langue doit être mené pour avoir une autoréflexivité sur leur parcours d’apprenant (c’est la compétence que développent les étudiants de L3 qui ont suivi un cursus universitaire en France) ;
  • les contenus des cours doivent être orientés vers une pré-réflexion sur les matériaux pédagogiques qu’ils ont utilisés en tant qu’apprenants afin de les préparer aux activités de réflexion qu’ils aborderont en première année de master ;
  • des clés sur les représentations enseignantes françaises peuvent être données afin qu’ils puissent être en mesure de comprendre les représentations de leurs camarades français et de pouvoir dialoguer lors des activités en groupe ;
  • la question des usages numériques en classe dans les pratiques enseignantes peut également être abordée ;
  • un travail de sensibilisation au genre de l’écrit de recherche didactique (le mémoire, le rapport de stage) doit aussi être conduit.

Ces hypothèses nous ont permis d’élaborer des propositions didactiques pour améliorer le dispositif de formation en FOU afin de travailler la compétence de réflexivité.

3. Propositions didactiques : de l’apprenant de langue à l’enseignant de FLE

3.1. Le manuel : un premier support pour appréhender l’observation didactique 

Nous l’avons vu, parmi les commentaires qui reviennent souvent dans les discours des étudiants sinophones (et ce que confirme Cortier), se retrouve l’omniprésence du manuel en Chine. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi ce support, avec lequel nos étudiants sont familiers. Nous montrerons dans cette partie une séquence qui a été testée auprès d’une dizaine d’apprenants du DUFLEPES (cf. tableau en fin d’article) à l’issue de ces réflexions que nous avons menées.

À l’issue des constats que nous avons relevés dans les mémoires de master, nous avons proposé cette séquence aux étudiants allophones pour les aider à confronter leurs représentations sur l’utilisation du manuel. Si le rôle de l’enseignant de FOU (qui est un enseignant de FOS) n’est pas de remplacer l’enseignant spécialiste de sa discipline, il peut parfois ressentir un sentiment d’illégitimité face aux contenus disciplinaires enseignés (Abou Haidar, 2019 : 39). Cependant, dans ce type de formation de préparation aux études supérieures, le fait que les enseignants de FOU soient aussi des enseignants de didactique en licence et en master est une force, comme c’est le cas ici. En effet, si les enseignants de ce dispositif préparent leurs étudiants sur le plan linguistique, il est également important de les remettre au même niveau, sur le plan méthodologique, que les étudiants qui auront suivi le module d’initiation à la didactique du FLE en licence 3. 

Dans un premier temps, nous avons proposé aux étudiants d’analyser une séquence du manuel Nouveau rond-point 2 des éditions Maison des langues.

Illustration : Séquence du manuel Rond-point 2

 

Nous avons choisi cette séquence car elle est basée sur une structure actionnelle telle que la présente Puren (2015) dans le schéma ci-dessous :

Figure : Structure d’une séquence pédagogique dans les manuels actionnels

La séquence commence par des éléments déclencheurs, puis des compréhensions écrites. La grammaire fait l’objet d’un encadré spécifique sous forme de rappel. Elle se clôt avec une tâche finale qui est présentée sous le nom de « tâche ciblée ». 

Un questionnaire a été distribué à ces mêmes-étudiants pour accompagner cette découverte du manuel afin de pouvoir étudier leur première réaction par rapport à cette séquence. L’objectif était de créer un étonnement face à leurs représentations en tant qu’apprenant. Nous cherchons ici à faire émerger un phénomène de « décentration » afin qu’ils « prennent conscience de leur propre cadre de référence » (Partoune, 1996 : 18). Les questions portaient sur leur avis sur la séquence ainsi que plus précisément sur la notion de tâche finale à la fin de la séquence. Cette séquence sert à la fois à les initier à du lexique de spécialité en didactique mais aussi à appréhender la structure du manuel. Il est également important de mentionner que ces apprenants de FOU, à l’inverse d’étudiants français, ont déjà été sensibilisés à la terminologie didactique (activité, compréhension orale, production orale, objectif pédagogique) car ils y ont déjà été confrontés en tant qu’apprenant de FLE que ce soit dans les consignes données par les enseignants ou dans les examens de français qu’ils ont passés juste avant leur arrivée en France.

La séquence, composée de 3 activités, que nous avons proposée, est la suivante :

  • Activité 1, individuelle : Questionnaire guidé sur la découverte du manuel : appréhension de la structure d’un manuel français

Consigne : Regardez la structure de la séquence de ce manuel et répondez aux questions. 

a. (Cochez) Quel est l’enchaînement de la suite d’activités ? 

  En groupe Grammaire Compréhension orale Compréhension écrite Phonétique
Activité 1          
Activité 2          
Activité 3          
Activité 4          
Activité 5          
Activité 6          
Activité 7          

 

b. Avec vos propres mots définissez le mot « activité ». 

c. Observez l’activité 7 : Qu’est-ce qu’une tâche ?

Réponse :

d. Quel est l’objectif principal de cette activité ?

  • Que les apprenants s’amusent 
  • Travailler en groupe 
  • Restituer des connaissances
  • Évaluer les apprenants 
  • Apprendre la grammaire 

e. Qu’est-ce que vous pensez de la grammaire dans cette séquence ?

  • Les explications données sont suffisantes.
  • Les explications données sont insuffisantes. 

Commentaires :

f. Quelles sont les indications données aux enseignants ?

  • Les consignes. 
  • L’encadré de grammaire
  • Il n’y a pas d’indication pour enseigner l’activité. 

Commentaires :

g. Qu’est-ce que vous aimez dans ces activités ?

  • Le design
  • La méthodologie
  • La manière d’enseigner la grammaire

Commentaires :

h. Qu’est-ce qui manque ou peut être amélioré ?

  • Activité 2, discussion en groupe en interaction avec l’enseignant : échanges sur la conception du manuel chez les apprenants et en FLE 

Àprès la découverte d’une séquence de manuel et une phase de confrontation aux différentes méthodologies enseignantes, nous avons souhaité proposer une phase de discussion avec les étudiants pour échanger sur leurs réactions et discuter de ces différences. Cette phase ne sert pas à faire un état des lieux des divergences sur des points culturels mais doit permettre de les comparer avec la culture d’apprentissage des apprenants.

Nous présentons ici certains moments de cette phase du cours : 

Dong : J’aime la structure de ce manuel parce qu’il y a une variation entre les exercices, il y a des images, on peut raconter des expériences. Mais il n’y a pas beaucoup d’activités avec l’enseignant. Quand on est apprenant, on a besoin de partager avec l’enseignant. Les échanges entre les apprenants et les enseignants sont le plus important. 

Bingchen : Mais si on peut, regarde, compréhension orale, dans le guide tu corriges avec eux. 

Enseignante : Et en Chine c’était comme ça ?

Dong : Avec les enseignants français ils nous laissent plus de temps d’échanger avec nos camarades.

Bingchen : Je suis d’accord. Les élèves sont le centre, sont les *principales dans le cours. 

Tianxu : Mais je sais pas si c’est essentiel pour tous les exercices et si c’est pas difficile. Pour le deuxième exercice. Si les apprenants ne connaissent pas les mots, ils ne peuvent pas comprendre bien. Les enseignants doivent d’abord donner la direction de ce cours et apprenants peuvent travailler leurs idées parce que je pense que cette leçon est une nouvelle connaissance. Ils peuvent discuter après. 

Enseignante : Donc pour vous c’est pas aux apprenants de découvrir les choses ?

Tianxu : C’est une nouvelle connaissance, les apprenants ne peuvent pas. 

Bingchen : Je pense c’est plus intéressant en compréhension orale si on connaît pas d’abord, car ça évalue mieux la connaissance.

D’après les étudiants, l’enseignement du français dans leur pays d’origine est donc centré sur l’enseignant de langue qui donne les prescriptions. Ils ont conscience de cette différence entre les enseignants français et les enseignants chinois. Ils s’accordent pour dire que l’enseignant doit d’abord donner les mots clés et guider l’apprenant vers une connaissance, en tout cas dans les premiers niveaux de langue (A1 et A2). Tianxu considère que les apprenants ne sont pas en mesure de pouvoir découvrir de nouvelles connaissances. Son avis est en opposition avec celui de Bingchen qui pense qu’il est plus important de commencer par une compréhension orale.  

Enseignante : En France, on pense beaucoup à l’autonomie et donc on veut que les apprenants découvrent par eux-mêmes. 

Bingchen : En Chine on commence d’abord avec les explications. 

Tianxu : Je pense que si c’est des personnes dont le français est la langue maternelle ou avancées, on peut découvrir la séance tout seul. Avec les apprenants étrangers, on peut pas parce que c’est la culture qui pose problème. 

Dong : Si vous donnez le texte avant le cours vous n’avez pas toujours la capacité de comprendre par soi-même dans ces niveaux. 

Tianxu conçoit qu’on puisse apprendre de manière autonome mais que c’est plus facile pour des étudiants français, qui sont familiarisés avec ce type de démarche. Selon nos étudiants, pour ces apprenants de niveau A1-A2 il est indispensable d’ajouter davantage d’éléments contextuels pour guider les apprenants. Les étudiants commencent déjà à entrer dans un processus de prise de distance qu’ils oralisent lors de cette activité.

  • Activité 3, en groupe : Création d’une fiche pédagogique fictive en rapport avec la séquence du manuel

En groupe, les étudiants ont donc retravaillé la séquence en prenant en compte les éléments de discussion lors de la phase d’explication. Les étudiants ont gardé les activités de déclenchement, de compréhension orale et écrite, ont déplacé l’ordre de l’activité grammaticale avant la compréhension orale avec pour justification que la grammaire est essentielle pour construire l’exercice de fin. Ils ont également rajouté un exercice de phonétique pour pouvoir aider les apprenants à travailler sur certains sons. Cette activité permet aux étudiants d’appréhender la méthodologie de la fiche pédagogique qui sera ensuite étudiée en première année de master. Il s’agit d’une introduction à la didactique du FLE. 

3.2. Des observations didactiques en DU à la rédaction du mémoire en master

Il est désormais nécessaire de réinvestir cette compétence réflexive en cours d’acquisition depuis le DU dans le rapport de stage et le mémoire en master FLE. La spécificité du mémoire en didactique repose sur le fait que l’on doit interpréter les constats faits dans la salle de classe sans les juger, avec une écriture objectivée. Dans les formations de master, les enseignants-chercheurs évaluent les étudiants sur « la capacité à analyser des situations de terrain » (Rinck, 2011 : 80). Comme nous l’avons précisé précédemment, le rôle de la formation en FOU est également de travailler avec les apprenants cette écriture objectivée et de transposer des constats et des réflexions dans un écrit universitaire afin d’avoir un recul sur leur posture enseignante. 

Voici donc une activité proposée aux apprenants, à partir d’observations et de remarques qu’ils ont verbalisées au sein de la séance précédente. Elle a pour objectif de leur apprendre à réinvestir ces constats dans leur mémoire. 

Consigne : Transformez les constats suivants en suggestions didactiques.

Modèle : Il n’y a pas beaucoup d’exercices de compréhension orale dans ces activités => On pourrait rajouter des activités de compréhension orale. 

  1. Les consignes données aux apprenants, soit sous forme d’une question, soit sous forme indirecte, ne sont pas toujours formulées d’une manière concise et efficace. 
  2. Pour mieux comprendre la grammaire, je pense que c’est mieux d’indiquer sur les consignes qu’il faut utiliser la grammaire qu’on apprend dans cette séquence pour les utiliser dans les activités. 
  3. Il y a beaucoup d’exercices sur la production orale en groupe, tous les étudiants peuvent participer mais il n’y a pas assez d’écrit. 
  4. Il n’y a pas assez d’explications pour l’apprenant. 
  5. On peut travailler en groupe. En travaillant par groupes, il y a un partage des idées qui est très positif
  6. Selon moi, cette séance ne s’adapte pas au niveau A1.
  7. Je trouve qu’il y a beaucoup de travaux en groupe, un peu trop. 

 

Cette activité permet d’aider les étudiants à se pencher sur leur future posture de « praticien réflexif » et à appréhender l’écriture objectivée du mémoire et celle des dossiers universitaires. Ses objectifs ne sont pas seulement de type « reformulation grammaticale » avec utilisation des formulations de suggestion. Il s’agit aussi d’apprendre à objectiver son écriture et à faire des propositions pour améliorer la séquence. 

Conclusion

Afin que les étudiants fassent des choix raisonnés lors de leur future pratique d’enseignant de français, tout en tenant compte de leur passé et de leur présent d’apprenant de FLE/FOU et de didactique, le travail mené en FOU avec les étudiants chinois du DU FLEPES puis en master FLE répond à deux objectifs principaux. D’une part, il leur fait prendre conscience de leurs représentations de l’enseignement/apprentissage. D’autre part, il leur fait prendre du recul pour rendre compte de leur pratique, à l’écrit, selon les standards académiques français.

Leurs représentations du métier d’enseignant évoluent, ce que nous constatons dans les mémoires notamment, mais surtout, après ces deux ou trois années de formation, nos étudiants chinois sont, pour beaucoup, capables de prendre de la distance face à leur propre pratique grâce au stage mais aussi grâce à la formation en FOU qui les a préparés à aborder la production universitaire, à travailler sur leur future posture enseignante mais aussi à transférer leurs observations au sein d’une écriture académique objectivée. Cela peut être fait lors d’activités pédagogiques ciblées.

Ainsi, si ce n’est pas sa vocation première, le domaine du FOU donne aussi à réfléchir aux autres formations et aux autres publics de l’université française. Ces propositions didactiques peuvent s’appliquer aux étudiants ayant des difficultés similaires à transposer leur expérience didactique.

Notes

[1] Tout au long de l’article, nous reprenons les propos des étudiants tels qu’ils ont été écrits dans les travaux, sans y apporter de correction.

[2] En gras ici.

[3] Notons que les auteures de cet article sont également les enseignantes du DU et du Master.

[4] Les compétences transversales sont celles, générales, qui sont travaillées dans toutes les disciplines.

Bibliographie

ABOU HAIDAR, Laura, « Interroger les enseignants de FOS sur leur légitimité face aux apprenants » dans Catherine Carras, Laura Abou Haidar, Sandrine Courchinoux, « Démarche FOS et pratiques de classe : articulation entre ingénierie de formation et ingénierie pédagogique », Points communs n°5, 2019, p. 30-55. 

BAILLAUQUÈS, Simone, « Le travail des représentations dans la formation des enseignants », dans Léopold Paquay et al., Former des enseignants professionnels, De Boeck Supérieur, 2012.

BARTON, David et HAMILTON, Mary, « La littératie : Une pratique sociale », Langage et société n°3(133), 2010, p.45‑62.

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CADET, Lucile, « Des notions opératoires en didactique des langues et des cultures : modèles ? Représentations ? Culture éducative ? Clarification terminologique », Recherches en didactique des langues et des cultures n°2, 2006, p. 1-12.

CAVALLA, Christelle, « Lexique transdisciplinaire et enseignement aux étudiants allophones », dans Agnès Tutin et Marie-Paule Jacques, Lexique transversal et formules discursives des sciences humaines, ISTE Éditions, London, 2018, p. 191-214.

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CORTIER, Claude, « Cultures d’enseignement, cultures d’apprentissage : contact, confrontation et co-construction entre langues-cultures », Études de linguistique appliquée n°140, 2005/4, p. 475-489.

DAUTRY, Claire-Lise, « Identification de quelques résistances dans l’enseignement/ apprentissage du FLE en milieu monolingue chinois : L’exemple de l’AF de Shanghai », Synergies Chine, n°1, 2005, p. 89-93.

LANG, Élodie, L'écrit(ure) universitaire, une tâche située et complexe : approche holiste du processus d'adaptation de la compétence scripturale chez les apprenants avancés en FLE, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2019.

LE BOTERF, Guy, Ingénierie et évaluation des compétences, Paris, Eyrolles, 2010.

MANGIANTE, Jean-Marc et PARPETTE, Chantal, Le français sur objectif spécifique, Presses universitaires de Grenoble, 2011.

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NORMAND-MARCONNET, Nadine, « Apprenants chinois et pratiques pédagogiques innovantes : une étude en milieu homoglotte », Synergies Chine n°6, 2011, p. 151-165.

PARTOUNE, Christine, « L’interculturalité » dans Les Jeunes et la ville - Cadres de références, Ministère de la Communauté française de Belgique, 1996, p. 17-23.

PERRENOUD, Philippe, Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant. Professionnalisation et raison pédagogique, Collection Pédagogies, Paris, ESF, 2001.

PUREN, Christian, « Échelle de niveaux de compétences de l’enseignant dans l’utilisation de son manuel », Formation régionale IFAC, 2015.

RINCK, Fanny, « Former à (et par) l’écrit de recherche. Quels enjeux, quelles exigences ? », Le français aujourd’hui vol. 174, n°3, 2011, p. 79-89.

TARDIF, Maurice, « Réflexivité et expérience du travail enseignant : repenser le “praticien réflexif” à la lumière des traditions de la pensée réflexive », dans Maurice Tardif, Cécilia Borges, et Annie Malo, Le virage réflexif en éducation. Où en sommes-nous 30 ans après Schön ?, De Boeck Supérieur, 2012, p. 47-71.

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Annexes

 

Annexe 1 : Tableau des étudiants de master

Étudiant Année Provenance régionale Université d’origine Âge à l’arrivée en master

Lieu de stage

Lin 2015-2016 Qingdao Université Agricole de Qingdao 21 ans Université Agricole de Qingdao
Fan 2017-2018 Shandong

Institut

des Langues Étrangères de l’Université Normal du Shandong
23 ans Shandong Foreign Languages Vocational College
Xiaomeng 2017-2018 Shandong

Institut Professionnel de Tourisme de Shandong, Chine

22 ans Institut de formation YUDU, Chine
Juan 2016-2017 Changsha Changsha University 22 ans

Société de Huanxian de

Diffusion Culturelle de Changsha
Zhusheng 2017-2018 Zhengzhou Zhengzhou University 23 ans CELAN, Luoyan, province Henan

Runmiao

2017-2018 Kunming Université normale du Yunnan, Chine 26 ans France Lencheng
Lixue 2018-2019 Nanjing

Université de Nanjing

22 ans Entreprise Shein
Yiwen 2018-2019 Langfang Université Normale de Tianjin 24 ans Iris Education
Ruijun 2018-2019 Pékin Institut de diplomatie de Chine 22 ans Université d’Artois
Xue 2018-2019 Hefei

Université de l’Agriculture d’Anhui

21 ans Université d’Artois
Liting 2018-2019 Xindongfang Université de Technologie de Ningbo 24 ans APSCO (France)
Yi 2018-2019 Changchun Université des langues étrangères du Jilin 24 ans Huawei

 

Annexe 2 : Tableau des apprenants de DUFLEPES

Apprenant Ville d'origine

Université d’origine

Âge d’arrivée à l’université Expérience d'enseignement
Bingchen Henan Université des Études internationales de Shanghai 21 ans Non
Chang Shangdong Université de Qingdao 24 ans Oui
Yunyun Anhui Université des langues étrangères du Jilin 29 ans Oui
Donc Hebei Université normale de Qufu 21 ans Oui
Liuyang Henan Université normale du Yunnan, Chine 21 ans Oui
Yixing Heilongjiang Université normale de Harbin 25 ans Oui
Tianxu Hebei Université du Hebei 21 ans Non
Yashan Honghu

Institut

des Langues Étrangères de l’Université Normal du Shandong
21 ans Non
Wexin Jiangsu

Institut

des Langues Étrangères de l’Université Normal du Shandong
21 ans Non
Yuhuan Guizhou Guizhou Université 21 ans Non

 

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