Préambule
La « centration sur l’apprenant » représente « un mouvement de bascule » dans les recherches du Conseil de l’Europe (Cuq [dir.], 2003 : 39), notamment pour ce qui concerne la définition « de leurs besoins, leurs intérêts, leurs motivations » (ibidem). Ce moment se situe à « l’émergence de l’approche communicative dans les années 1970 » (2003 : 35), tout en signalant que la notion de besoins reste « mouvante […] et s’enrichit continuellement des apports d’autres sciences » (ibidem). Pour illustrer schématiquement le concept de besoin, J. Lapointe propose de le représenter comme un écart plus ou moins important entre la « situation réelle » et la « situation désirable » (1983 : 252) :
Dans notre contexte scolaire, la « situation réelle » est celle d’élèves qui arrivent au lycée après un parcours de formation qui est rarement équivalent au parcours d’un élève dit « natif », et dont les L1 ne sont pas le français ; la « situation désirable » telle que présentée dans la circulaire de 2012 (qui régit la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés) est la validation par tous ces élèves des compétences du Socle commun, et l’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires. La mesure de l’écart entre le parcours scolaire antérieur et les compétences du Socle, supposées acquises à l’entrée au lycée, devrait alors permettre d’évaluer les besoins d’apprentissage, c’est-à-dire « quoi apprendre » : il s’agit bien d’une première étape nécessaire à la construction de parcours cohérents.
La notion de besoin permet également de distinguer d’une part les « besoins ressentis » des apprenants, et d’autre part les « besoins objectifs » qui peuvent être posés par l’institution (Cuq [dir.], 2003 : 35). J.-M. Defays développe cette distinction (« besoins évalués par un tiers » versus « besoins ressentis par l’apprenant ») en précisant pour ces derniers (2018 : 174) :
Cette prise de conscience des besoins est beaucoup plus stimulante car elle favorise la prise en charge de l’apprentissage. Elle a cependant des inconvénients liés à la subjectivité de l’intéressé qui peut se sous-estimer et se décourager, ou se surestimer et s’abuser, ou se contenter de son niveau et plafonner.
« Besoins objectifs » et « besoins ressentis » devraient être articulés les uns aux autres, afin de dresser un diagnostic à partir duquel il serait possible de proposer des objectifs d’apprentissage adaptés aux élèves allophones nouvellement arrivés ; cependant, dans le cadre de cet article, nous ne nous intéresserons qu’aux « besoins objectifs », les seuls qui soient mesurés par l’institution scolaire.
Introduction
Comme l’indique la circulaire de 2012, les nouveaux arrivants doivent être évalués sur leur parcours scolaire antérieur, et, le cas échéant, sur leur degré de maitrise du français. Des tests de positionnements sont donc proposés aux futurs lycéens, dans leur ville d’accueil: « les formateurs du CASNAV [centre académique pour la scolarisation des élèves nouvellement arrivés et des enfants de voyageurs], avec l'appui du professeur de collège responsable de la structure d'accueil, apportent leur contribution tant par leur présence effective que comme personnes ressources susceptibles de mettre à disposition des outils d'évaluation adaptés et harmonisés » (paragraphe 1.3 : « L'évaluation des acquis à l'arrivée ») . Nos propos se basent sur l’exemple et le contexte sarthois ; ils concernent au minimum 150 jeunes arrivants de plus de 16 ans[1] pour chaque année scolaire, et nous semblent, à ce titre, significatifs. Nous participons nous-même à ces tests, puis accueillons les élèves en UPE2A [unité pédagogique pour élèves allophones arrivants] lycée : c’est ce double point de vue que nous souhaitons exposer ici.
Les parcours à l’arrivée au Mans sont ainsi balisés : entretien au CIO [centre d’information et d’orientation], tests de positionnement organisés par le CASNAV, cellule d’affectation conjointe entre la DSDEN [direction des services départementaux de l’Éducation nationale] et l’Inspection d’orientation, inscription dans un établissement scolaire. Dans cet article, nous souhaitons d’une part analyser les tests en eux-mêmes, et d’autre part, examiner l’articulation entre l’étape des tests et celle de l’affectation dans une formation, car elle révèle que les tests de positionnement ont parfois une importance toute relative : la francophonie partielle à l’arrivée peut représenter un gage de réussite plus convaincant que d’autres compétences, pendant la commission d’affectation. En plus de leur valeur diagnostique, les tests de positionnement « en langue d’origine » n’ont-ils pas aussi une valeur pronostique, puisque l’on anticipe les « chances de réussite » d’un élève arrivant ?
1. Des tests qui n’existent pas dans toutes les L1 des nouveaux arrivants
Nous parlons ici non pas de tests de langue stricto sensu, mais de tests de positionnement : en effet, les élèves nouvellement arrivés sont évalués sur leurs acquis scolaires au sens large, du cycle 2 (fin de CE2, cycle des « fondamentaux », dont la numération, la symétrie, le maniement des outils scolaires, la situation dans le temps et l’espace, etc.) jusqu’au cycle 4 (fin du collège, cycle « d’approfondissement » : compétences du Socle commun). En fonction du parcours scolaire antérieur décrit dans le dossier du CIO, l’enseignant chargé des tests choisira les activités qui lui semblent les plus adaptées à l’élève, pour les mathématiques (tests verbaux ou non), la compréhension et la production écrites en langue d’origine et/ou en français ; la compréhension et la production orale sont évaluées uniquement à travers les échanges entre le jeune arrivant et l’évaluateur.
Pour ce qui concerne les tests en eux-mêmes, plusieurs modèles coexistent. L’outil le plus ancien pour les tests en langue d’origine est l’ouvrage Passerelles en quinze langues (dont le test en français), qui a ensuite été complété par des tests Passerelles BIS en quinze nouvelles langues, soit 29 langues étrangères. Ces tests ne concernent que la compétence de compréhension écrite, pour les cycles 2 et 3. Aujourd’hui, le manuel Passerelles est épuisé, et les tests BIS ne sont plus téléchargeables : il était donc urgent que la maison d’édition ministérielle propose des tests en accès libre[2]. L’outil nouvellement édité est disponible en 24 langues sur le site Réseau Canopé (maison d’édition du ministère) : pour chaque cycle et niveau de classe, il propose des exercices de mathématiques, de compréhension et de production écrite, publiés en 2018 ou 2019 selon les langues. Cet outil a été conçu en partenariat avec Réseau Canopé et l’Inspection générale de lettres, par les CASNAV de l’académie d’Aix-Marseille et de l’académie de Lille. Ces deux CASNAV avaient déjà une grande expertise dans les tests de positionnement, car ils avaient élaboré leurs propres outils bien avant les publications de Réseau Canopé : il existe des tests de lecture élémentaire pour les jeunes arrivants peu ou pas scolarisés dans leur pays d’origine, élaborés par le CASNAV d’Aix-Marseille (tests de déchiffrage en 48 langues[3], 2012 et 2017-2020) ; en mathématiques, le CASNAV de Lille avait publié des tests non verbaux entre 2010 et 2014[4]. En combinant tous les outils, nous arrivons à un total de 41 langues étrangères (58 langues, si l’on compte les tests de déchiffrage pour les NSA) ; nous en avons dressé la liste figurant en annexe de cet article.
Les tests disponibles sur Canopé, cependant, ne proposent pas les mêmes langues que les tests Passerelles : aujourd’hui, nous constatons l’absence totale de tests pour 3 langues (khmer, créole haïtien et ourdou), et l’absence de tests pour élèves scolarisés antérieurement pour 5 autres langues (hindi, indonésien, mongol, tagalog et vietnamien). Nous ne savons pas si les langues proposées par le nouvel outil de Réseau Canopé dépendent des locuteurs et traducteurs disponibles dans le groupe de travail, ou si le choix est lié aux origines migratoires majoritaires des nouveaux arrivants ; il serait souhaitable que l’éventail des tests proposés par Réseau Canopé s’enrichisse, notamment pour ces huit langues qui figuraient dans les tests Passerelles et qui ont disparu, mais aussi, et peut-être surtout, en fonction des besoins signalés par les différents CASNAV. Par exemple, dans la Sarthe, des besoins existent pour des langues écrites[5] comme le bengali, le pendjabi, le farsi, le dari ou le kurde, mais aucun test n’est disponible à ce jour. Le principal écueil des tests est donc qu’ils n’existent pas dans toutes les L1 des élèves, et parler de tests de positionnement « en langue d’origine » nous semble trompeur : certains élèves se voient proposer des tests dans une langue officielle utilisée dans leur pays (arabe pour les élèves arrivant de Somalie, par exemple), ou bien dans une langue véhiculaire (russe pour les anciennes républiques soviétiques comme l’Azerbaïdjan, anglais pour les élèves arrivant du continent indien), ou encore dans la langue de scolarisation, qui diffère souvent de la/des L1 des élèves (français pour la plupart des élèves originaires d’Afrique de l’Ouest et des Outre-mer).
Ainsi, le plurilinguisme des élèves permet de pallier le manque de tests dans certaines langues, mais cela peut bien sûr affecter la réussite des jeunes arrivants : pour l’enseignant, il est nécessaire d’en tenir compte, de faire parler et écrire l’élève dans sa/ses L1 même s’il ne peut pas vérifier si les réponses sont correctes, tout en encourageant et observant les stratégies développées par le jeune arrivant pour comprendre les exercices même s’ils ne sont pas dans sa/ses L1, et pour communiquer avec l’enseignant même s’il n’y a pas de langue commune. Un autre écueil est lié au parcours migratoire des élèves, qui ont souvent traversé plusieurs pays, en y restant plus ou moins longtemps : certains ont été scolarisés dans un pays de transit, et ont commencé à en apprendre la langue. Les difficultés peuvent alors s’accumuler, comme dans le cas d’une élève congolaise, scolarisée en Italie avant d’arriver en France : locutrice de kikongo, elle était capable de communiquer un peu à l’oral en français, mais la langue de scolarisation étant l’italien, le test de positionnement lui a été proposé dans cette langue. Or, elle n’avait pas acquis suffisamment l’italien pour réussir à effectuer les exercices proposés : quelle clé d’entrée trouver pour évaluer les compétences scolaires de cette élève ?
2. Des tests standardisés qui créent de nombreux biais
Outre l’absence de tests dans toutes les L1 des nouveaux arrivants, il nous semble que le biais principal reste lié aux habitus scolaires et culturels : en effet, quelle que soit la langue proposée, il s’agit de la traduction d’un test originel élaboré en français, selon les codes et les programmes de l’école française, et comportant des notions culturelles occidentales. Prenons l’exemple du test de compréhension proposé par Passerelles, niveau fin de cycle 3 (fin de la classe de 6e), dont le texte « Les boucles d’oreille » évoque l’histoire de Roméo et Juliette. Ce texte et les questions qui l’accompagnent sont traduits dans une trentaine de langues, sans que ce mythe ne soit transposé, alors que les littératures et contes non occidentaux comptent d’autres personnages tout aussi célèbres, comme Majnoun et Leïla dans les récits arabes et persans. Dans les tests de Réseau Canopé, pour la fin du cycle 4, il s’agit d’un texte d’Alfred de Musset, et là aussi le texte et les questions sont traduits littéralement dans les 24 langues disponibles. Le texte choisi correspond aux attendus officiels de fin de 3e, qui indiquent que l’élève doit être capable de lire des œuvres littéraires du patrimoine littéraire français[6] : « il contextualise une œuvre littéraire à partir de ses connaissances historiques et culturelles. Il perçoit les effets esthétiques et significatifs de la langue littéraire, et les interprète pour formuler un jugement ». Or, faire lire une œuvre littéraire du patrimoine français et en demander une interprétation esthétique sont des tâches particulièrement imprégnées de notions culturelles et d’habitudes scolaires.
Les tests disponibles sur Réseau Canopé sont ainsi organisés selon les compétences attendues en fin de 6e, 5e, 4e et 3e, avec des exercices présentés de façon identique dans toutes les langues, dont seules les consignes sont traduites en langue d’origine. Il n’y a donc pas transposition, mais simple traduction d’une langue à l’autre. C. Goï et E. Huver (2010 : 102-103) soulignent que « la traduction d’une activité dans différentes langues permet de disposer d’activités harmonisées en facilitant la comparaison », et une correction rapide avec un corrigé standard, mais que le test reste biaisé :
Par conséquent, en partant unilatéralement de la langue/culture française pour aller vers les autres langues, sans réflexion explicite sur les médiations interculturelles nécessaires à l’évaluation des acquis antérieurs, on efface la dimension culturelle des langues et des disciplines et on invalide les évaluations par ethnocentrisme et non prise en compte de la variation culturelle et scolaire.
Les autrices soulignent également que les deux matières choisies : littérature et mathématiques, sont le reflet culturel de l’importance que le système scolaire français accorde à ces disciplines, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. D’autre part, concernant les mathématiques, les progressions, programmes et façon d’enseigner cette discipline sont très variables selon les systèmes scolaires, tout comme le sont les signes mathématiques et les sens d’écriture pour poser les opérations de calcul : là aussi, les biais sont nombreux. Nous pourrions ajouter que la prédominance de tests écrits, et notamment la compréhension de textes littéraires, est elle aussi un fort révélateur du poids de l’écrit par rapport à l’oral à l’école française. Il nous semble donc que les tests de Réseau Canopé sont plutôt adaptés à des élèves solidement scolarisés dans des systèmes proches du nôtre, qui ont l’habitude d’exercices écrits à faire en temps limité, tandis que d’autres jeunes arrivants seront pénalisés par la forme même des tests. Finalement, il ne s’agit pas de tests « en langue d’origine », mais de tests élaborés à partir des programmes et contenus d’enseignement français, traduits dans 24 langues. Les professeurs en charge des tests de positionnement devraient selon nous combiner un nombre important d’exercices et de tests différents, pour éviter une trop grande standardisation liée à un outil unique ; leur expérience, et surtout l’accès à tous ces tests, nous paraissent primordiaux pour vérifier des compétences très variées selon le profil des élèves, et contourner les biais intrinsèques de ces outils.
3. L’affectation au lycée
L’étape suivante est celle de l’inscription de l’élève dans un établissement scolaire, et donc dans une formation générale, technologique ou professionnelle. Si dans notre département les élèves allophones d’âge lycée sont affectés dans une structure d’accueil après les tests de positionnement, nous souhaitons souligner que la scolarisation des nouveaux arrivants de plus de 16 ans n’est pas prioritaire. En effet, les élèves allophones arrivant toute l’année, tous ne rentrent pas dans les processus d’affectation, comme les élèves sortant de collège ; lorsque des classes de lycée sont complètes dès l’affectation de juin (et les dernières affectations de septembre-octobre pour les lycées professionnels), il n’est pas possible d’y inscrire de nouveaux élèves. À titre d’exemple, toutes les classes de seconde générale et technologique étaient complètes au Mans à la rentrée 2019 : les élèves nouvellement arrivés de niveau et d’âge seconde ont dû être affectés dans les lycées de villes parfois éloignées de 50 km de leur domicile ; à la rentrée 2020, des élèves souhaitant suivre une formation professionnelle de pâtisserie (une seule classe de CAP, complète en juin) ont été affectés en CAP plomberie. Certaines académies et DSDEN l’affichent d’ailleurs clairement dans leurs circulaires locales : celle de Nice annonce que « la passation de tests de positionnement ne garantit pas une inscription en lycée », et celle de Lille précise que les affectations se feront « sur places vacantes » tout comme celle de la Guadeloupe (« Pour les élèves de plus de 16 ans, l’orientation en lycée ne pourra être suivie d’une affectation que dans la limite des places disponibles »). Ainsi, localement, de grandes variations semblent à l’œuvre pour scolariser les élèves arrivants de plus de 16 ans, mais le dénominateur commun est qu’ils ne sont jamais prioritaires pour l’affectation en lycée.
Les commissions d’affectation se basent sur le bilan numérisé du positionnement, établi par l’enseignant évaluateur, pour étudier si le projet d’orientation du jeune arrivant semble réalisable en fonction des places vacantes, et pour évaluer le besoin d’accompagnement de l’élève au lycée (« sas » à la MLDS [mission de lutte contre le décrochage scolaire], UPE2A, ou soutien linguistique). Voici l’exemple d’un bilan réalisé en décembre 2019 :
Conclusion : - Pays d’origine et langue maternelle et/ou de scolarisation : scolarisé en français en Guinée, et pour une très courte période en école coranique en Mauritanie - Scolarisation jusqu'en primaire, rupture de scolarité depuis 2014 - Niveau CECRL en Langue Française au moment de l’évaluation : CO/PO : A2+ CE/PE : A1/A2 - Niveau en français : CM1/CM2 - Mathématiques : CE2 (difficultés dans les calculs posés et dans les problèmes) - Projet du jeune : aimerait étudier le français d'abord ; joue au football et aimerait travailler dans ce domaine ; le métier de plombier lui plairait. Préparer son projet tout en améliorant son niveau de français dans une structure MLDS semble la solution la plus adaptée pour ce jeune qui a besoin de reprendre des habitudes scolaires. |
Tableau 1 : exemple de bilan de positionnement (document interne au CASNAV de la Sarthe)
Pour ce jeune arrivant, il semble que le manque d’habitudes scolaires lié à l’interruption de scolarité, de 2014 à 2019, ait été déterminant dans la préconisation d’orientation en « sas » d’accueil fermé (MLDS), avant une affectation en lycée pour l’année suivante. À travers cet exemple, nous constatons que pour les élèves d’âge lycée, l’inclusion n’est pas toujours effective. Au lycée, en effet, la MGI [mission générale d’insertion] puis la MLDS [mission de lutte contre le décrochage scolaire] ont été chargées de l’accueil des allophones de plus de 16 ans, avant que l’inclusion ne devienne la règle à partir de 2012. Comme le stipule la circulaire de 2012 :
La mission générale d'insertion de l'Éducation nationale (MGIEN), chargée de la prévention et du raccrochage, développe des dispositifs conjoncturels en collaboration avec les CASNAV, ayant pour objectif de faire accéder ce public [= les élèves allophones arrivants âgés de plus de 16 ans] à la maitrise de la langue (orale et écrite), d'élaborer un projet professionnel individualisé et d'intégrer un parcours de formation, par la découverte des filières professionnelles existantes, leur garantissant un diplôme qualifiant.
Sur le plan pédagogique, l’appui sur la MLDS[7] tient à la modularité qu’elle permet, au sein même des lycées : les parcours sont très personnalisés, avec un accueil à tout moment de l’année scolaire. Il s’agit d’un « sas » d’accueil de plusieurs mois (exceptionnellement une année) pendant lequel les élèves suivent des cours variés, mais en-dehors d’une classe d’inscription : cours de culture générale, d’informatique, d’anglais, de français, mais aussi préparation à l’orientation et mini-stages de découverte des métiers, sur le modèle de ce qui se fait en classe de 3e « prépa métiers » en lycée professionnel (LP). Les élèves ne sont donc pas directement inclus : ils le sont parfois en cours d’année, lorsqu’une place se libère dans une formation qui les intéresse au LP ; sinon, ils le sont à la rentrée suivante, en participant aux vœux d’affectation, comme tous les élèves de 3e. La MLDS, dont le fonctionnement peut sembler contraire à la loi sur l’inclusion, répond donc à la particularité des publics d’élèves allophones arrivant sur le territoire après la rentrée scolaire, ou sans projet défini de formation, ou encore avec une longue interruption dans leur scolarité.
Dans la Sarthe, nous avons pu observer que les arrivants débutants en français, avec une longue interruption de scolarité, vont plutôt être orientés vers un « sas » fermé, qui leur permettra de progresser en français tout en construisant ou consolidant leurs compétences scolaires, tandis que les élèves partiellement francophones ont plus de probabilités d’être directement inscrits dans une formation, y compris quand ils ont été pas ou peu scolarisés antérieurement. Ainsi, des élèves de niveau estimé à A2 à l’oral, mais très faibles lecteurs, ne sachant pas manier les instruments de mesure, et n’ayant pas de notion de symétrie, sont régulièrement affectés en CAP maçonnerie, menuiserie ou plomberie. De fait, l’Inspection d’orientation qui mène les commissions d’affectation semble considérer le critère de la francophonie partielle (A2 ou B1 estimé en production orale) comme supérieur à toutes les conclusions des tests de positionnement, ce qui peut mener à des inscriptions dans des formations alors même que l’évaluateur a indiqué clairement qu’un « sas » d’accueil serait préférable. Nous reproduisons ici quelques critères du test réalisé en décembre 2020 avec une jeune Congolaise de 16 ans, dont le niveau CECRL a été estimé à B1 à l’oral, mais pour laquelle l’évaluateur a bien indiqué qu’elle avait été peu scolarisée antérieurement :
CRITÈRES ÉVALUÉS |
REMARQUES DE L’ÉVALUATEUR |
Déchiffre des syllabes |
Débute. Ne peut lire que des syllabes composées de deux lettres. |
Peut orthographier quelques mots du vocabulaire élémentaire |
Juste son nom, prénom et sa date de naissance |
Sait ranger des nombres entiers suivant un ordre (dé)croissant. |
Avec difficulté de 10 à 0. |
Maitrise les techniques opératoires (+, -, x, :) |
Seulement l'addition |
Utilise des stratégies |
Non (hormis compter sur ses doigts) |
Tableau 2 : exemple de critères du test de positionnement (document interne au CASNAV de la Sarthe)
Malgré les grandes difficultés révélées par les tests, et contre l’avis de l’enseignant de l’UPE2A, l’élève a été affectée en 3e « prépa métiers » : scolarisée deux mois au lycée, elle a finalement été réorientée dans une structure dédiée aux élèves pas ou peu scolarisés antérieurement, car la maitrise du français à l’oral ne pouvait compenser l’absence de compétences écrites et de savoirs scolaires. Il nous semble donc que la francophonie partielle à l’arrivée n’est pas un élément de pronostic fiable, et qu’il devrait être remis en cause ; cela soulève la question de la pertinence des niveaux CECRL notés dans les bilans : destinée à l’enseignant d’UPE2A pour l’organisation de ses groupes, cette mention se révèle parfois à double tranchant.
Conclusion
Ainsi, évaluer les compétences scolaires selon un dénominateur commun et standardisé devrait permettre de s’appuyer sur des critères précis pour décider d’une inscription au lycée ; mais les tests de positionnement, tels qu’ils existent aujourd’hui, présentent de nombreux biais, difficiles à contourner. De plus, pendant les commissions d’affectation, d’autres critères entrent en jeu : pris en compte par d’autres acteurs hiérarchiques que les enseignants évaluateurs, ils ne sont pas toujours explicites, et il est parfois difficile de savoir lesquels sont réellement déterminants dans la décision finale.
Enfin, après ces tests et le résultat de l’affectation, tout le travail pédagogique reste à faire par les enseignants d’UPE2A et des classes d’inclusion : en mathématiques, par exemple, que fait-on si l’on constate qu’un jeune arrivant âgé de 17 ans, d’âge première/terminale, n’a pas les acquis de fin de 6e ? Si cet élève est affecté en lycée, quelle exploitation le professeur de mathématiques et celui d’UPE2A peuvent-ils faire des tests de positionnement ? Que disent ces tests des compétences à travailler en priorité ? Cette étape d’élaboration d’un projet pédagogique pertinent et de transposition didactique repose sur l’expertise des enseignants.
Bibliographie :
CIRCULAIRE N° 2012-141 du 2 octobre 2012, Organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés. B.O. n°37 du 11 octobre 2012, http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=61536.
CUQ, J.-P. (dir.) (2003), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris : Clé international.
DEFAYS, J.-M. (2018), Enseigner le français - Langue étrangère et seconde : Approche humaniste de la didactique des langues et des cultures. Wavre : Mardaga.
GOÏ Cécile, HUVER Emmanuelle (2010), « Évaluer – accueillir – insérer. Quel(s) prisme(s) pour quelle(s) projection(s) ? », Cahiers de sociolinguistique, n°15, http://www.cairn.info/revue-cahiers-de-sociolinguistique-2010-1-page-97.htm.
LAPOINTE, J. (1983), L’analyse des besoins d’apprentissage, Revue des sciences de l'éducation, 9(2), pp. 251–266. [En ligne, consulté le 30 juillet 2020] <https://www.erudit.org/fr/revues/rse/1983-v9-n2-rse3486/900412ar/>.
RAFONI Jean-Charles, DERUGUINE Nathalie (2003), Passerelles, tests en 15 langues. Paris : SCÉRÉN.
RECTORAT DE LA GUADELOUPE (2018), Accueil et scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) dans les écoles, collèges et lycées de l’académie de région Guadeloupe et prise en charge des élèves allophones à besoin d’accompagnement linguistique, https://pedagogie.ac-guadeloupe.fr/casnav/2nd_degre/affectation_eana_dans_second_degre.
RECTORAT DE LILLE (2017), Accueil et scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) dans les écoles, collèges et lycées de l’académie de Lille, http://casnav.ac-lille.fr/eana/les-textes-officiels.
RECTORAT DE NICE (2019), Accueil et scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés, modalités de mise en œuvre dans le 2nd degré à la rentrée 2019, https://www.pedagogie.ac-nice.fr/dsden06/casnav06/blog/category/textoff/.
[1] Les enfants d’âge primaire et collège sont très majoritairement testés directement dans leur établissement d’inscription, dans la mesure où il ne doit pas y avoir de délai entre leur arrivée et leur scolarisation, et où ils s’inscrivent dans l’établissement de leur secteur d’habitation.
[2] <https://www.reseau-canope.fr/eana-outils-devaluation-en-langue-dorigine.html>, page vérifiée le 5 aout 2020.
[3] <https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_147202/la-ou-sont-nos-paires>, page consultée le 5 aout 2020.
[4] Fiches 23, 24, 25, 26 et 27 incluses dans le Guide pour la scolarisation des EANA ; guide complet disponible en PDF sur la page <http://www.cndp.fr/entrepot/ville-ecole-integration/realites-et-pratiques/guide-pour-la-scolarisation-des-eleves-allophones-nouvellement-arrives/presentation.html>, page vérifiée le 7 aout 2020.
[5] Les tests étant en grande partie écrits, les langues orales d’Afrique de l’Ouest, de Guyane, de Mayotte et des Comores ne sont pas citées.
[6]Note de service n°2019-072 du 28-5-2019, en ligne : <https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo22/MENE1913283N.htm?cid_bo=141642>, page consultée le 7 aout 2020.
[7] Au niveau national, pour l’année scolaire 2018-2019, la DEPP a ainsi compté 2035 jeunes pris en charge par la MLDS et 8355 par les lycées (note n°20.39 de novembre 2020). <https://www.education.gouv.fr/67-909-eleves-allophones-nouvellement-arrives-en-2018-2019-307217>, page vérifiée le 20 avril 2021.