N°72 / Les approches par compétences en didactique des langues : diversité et enjeux, apports et limites

Travailler la compétence du savoir-agir en français langue professionnelle : de l'analyse linguistique à la proposition didactique

Sabrina Royer

Résumé

Résumé :

Cet article propose de questionner la manière dont il est possible pour l’enseignant de travailler la compétence du savoir-agir en classe de français sur objectif spécifique. Nous proposons de présenter quelques vidéos de notre corpus en langue française collecté au sein d’un lycée professionnel dans un contexte d’apprentissage et de formation au métier d’agent en hygiène et propreté. Ce métier, par sa pratique autonome ne peut être correctement effectué sans l’acquisition de cette compétence du savoir-agir. De ce fait, nous avons particulièrement souhaité analyser le discours de l’enseignant car c’est dans cette partie de la formation qu’il est possible de comprendre les enjeux de la compétence du savoir-agir qui passe par la langue : consignes, avertissements, erreurs à ne pas commettre, conseils, points importants à prendre en compte pour éviter l’erreur. Ensuite, nous présenterons les analyses de ce corpus fait à partir d’une grille de travail. Cette grille de travail nous permet d'analyser les correspondances entre la tâche langagière et la tâche professionnelle et de voir de quelle manière la tâche langagière et la tâche professionnelle sont imbriquées. Enfin, nous ferons quelques propositions didactiques pour aider l’enseignant à développer la compétence du savoir-agir dans la classe de français langue étrangère. En conclusion, nous proposons de questionner cette notion de compétence du savoir-agir dans les formations en langue à usage professionnel et la manière dont elle est perçue par les enseignants de langue qui s’attachent souvent aux référentiels, de peur de trop s’en écarter. Le savoir-agir peut-être difficilement normé puisqu’il suggère que l’apprenant soit en mesure d’aller au-delà du prescrit.

 Mots-clés : FOS, savoir-agir, tâche langagière, tâche professionnelle, compétence, formation en langues

Abstract :

This article proposes to question the way in which it is possible for the teacher to work on the competence of knowing how to act in French class on specific objectives. We propose to present some videos of our corpus in French language collected within a vocational high school in a context of apprenticeship and training to the profession of hygiene and cleanliness agent. This profession, by its autonomous practice, cannot be properly carried out without the acquisition of this skill of the know-how. Therefore, we particularly wished to analyse the teacher's discourse because it is in this part of the training that it is possible to understand the stakes of the competence of knowing how to act which passes through the language: instructions, warnings, mistakes not to make, advice, important points to take into account to avoid making mistakes. Then, we will present the analyses of this corpus made from a work grid. This work grid allows us to analyse the correspondences between the language task and the professional task and to see how the language task and the professional task are intertwined. Finally, we will make some didactic proposals to help the teacher to develop the competence of knowing how to act in the French as a foreign language class. In conclusion, we propose to question this notion of competence of knowing how to act in language training for professional use and the way it is perceived by language teachers who are often attached to the referential, for fear of straying too far from it. Know-how to act may be difficult to standardise, since it suggests that the learner is able to go beyond what is prescribed.

 Keywords : FOS, knowing how to act, language task, professional task, competence, language training

Sabrina Royer - Université d'Artois

royer.sabrina@gmail.com

 

Mots-clés

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Introduction

Selon le rapport de l’INSEE de 2014, 65,8 millions de personnes vivent en France, hors Mayotte. Parmi elles, 58,2 millions sont nées en France et 7,6 millions sont nées à l'étranger, ce qui correspond à 11,6 % de la population[1]. Dans ce même nombre, 1,245 million sont salariés. À cela s’ajoutent les travailleurs qui exercent un emploi non déclaré, principalement dans les secteurs en tension (bâtiment et travaux publics, restauration, hygiène et propreté et aide à la personne), bien souvent sans formation professionnelle ni linguistique. Or, les besoins professionnels sont les premiers besoins d’intégration sociale pour les travailleurs étrangers en France. Le monde du travail est une sphère sociale du quotidien qui peut servir de passerelle à l’intégration culturelle. Dans son ouvrage L’identité au travail, Renaud Sainsaulieu qualifie la parole au travail de « moyen de multiples phénomènes d’influence et de rapprochement affectifs » (2014 : 81). Par conséquent, un travailleur étranger devra également compter sur la maîtrise de la langue au travail pour s’intégrer culturellement, ce qui lui permettra également de comprendre d’autres codes sociaux à l’extérieur de la sphère professionnelle. Ces codes culturels passent systématiquement par la langue : compréhension des consignes de travail, de mises en garde de sécurité, explications et justifications des tâches de travail, lectures de protocoles de travail, conversations entre employés. Les études en analyse du discours professionnel comme celles de Jean-Paul Bronckart décrivent un certain nombre de discours imbriqués dans l’action : prescription de l’action, correction de l’action, retour sur l’action, déclenchement ou arrêt de l’action. La langue a un impact et une influence sur l’action. De ce fait : la langue déclenche l’action au travail, arrête le processus de travail, le remet en route, et l’action a elle-même un impact sur la langue. Elle crée de nouvelles normes et de nouveaux besoins langagiers.

Cependant, il est tout à fait possible de comprendre une consigne de travail, de l’appliquer à la lettre et pour autant ne pas réussir correctement une tâche professionnelle. En cas d’erreur, le travailleur peut être considéré comme incompétent dans son domaine de travail. Guy Le Boterf définit la compétence du savoir-agir au travail comme la capacité d’ « aller au-delà du prescrit » (2000 : 44). Or, un travailleur, allophone ou francophone ne peut aller au-delà du prescrit que s’il a pris conscience et connaissance des codes et des règles, bien souvent implicites qui s’apprennent au fur et à mesure de la pratique professionnelle et peu évidentes lorsque l’on maîtrise la langue de travail. Le travailleur est considéré comme expérimenté par son milieu professionnel lorsqu’il possède cette compétence d’être en mesure d’aller au-delà du prescrit. Seulement, cette compétence demande du temps et les travailleurs allophones n’ont pas les années devant eux qui leur permettraient de prendre le temps de développer cette compétence.

De quelle manière est-il possible pour l’enseignant de travailler la compétence du savoir-agir en classe de français langue professionnelle en intégrant sur le même plan la composante linguistique et professionnelle ?

1. La compétence du savoir-agir pour un allophone en milieu professionnel

Dans le Cadre européen commun de référence pour les langues, cette notion d'imprévu n'est prise en compte qu'à partir du niveau B1 : « Le deuxième trait est la capacité de faire face habilement aux problèmes de la vie quotidienne, par exemple : se débrouiller dans une situation imprévue dans les transports en commun […] prendre des initiatives » (CECRL, 32). Ainsi l'apprenant peut-il saisir les subtilités ; serait-il possible de saisir ces nuances aux niveaux inférieurs ? Cependant dans le milieu professionnel les apprenants ont besoin de saisir plus vite ces subtilités de la langue afin d'être efficaces sur le plan professionnel, et ils n’ont pas toujours ce niveau en arrivant en France. Au niveau de la pratique professionnelle, pour Guy Le Boterf : « être compétent, c’est mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources (connaissances, savoir-faire, comportements, modes de raisonnement » (2010 : 21), c'est-à-dire qu'il faut être capable de mêler les connaissances théoriques à la situation pratique.

Nous proposons de présenter quelques vidéos d’un corpus en langue française collecté au sein d’un lycée professionnel dans un contexte d’apprentissage et de formation au métier d’agent en hygiène et propreté. Ces vidéos servent à la constitution d’un référentiel en hygiène et propreté. Ce métier, de par sa pratique autonome, ne peut être correctement effectué sans l’acquisition de cette compétence du savoir-agir. Les raisons en sont multiples : l’agent en hygiène et propreté travaille majoritairement seul sur son lieu de travail, il doit préparer seul son matériel, faire seul sa commande de matériel et vérifier seul que sa tâche professionnelle est bien effectuée. À noter que parfois un supérieur peut vérifier la tâche, mais le nombre de bureaux ou de chambres à nettoyer étant élevé, la pratique fait que l'on demande aux agents d'hygiène et propreté d'être le plus indépendants possible. Si nous regardons la liste des compétences nécessaires à la pratique de ce métier dans le référentiel de certification en hygiène et propreté, nous pouvons voir des compétences telles que « Sélectionner des informations utiles à son activité et identifier les personnes ressources », « Ordonner les opérations » qui nécessitent des capacités de réflexion sur son environnement professionnel. Faire face à l'imprévu, par exemple savoir-agir lorsqu'il y a une erreur de dosage de produit, ou bien lorsqu'une machine qui ne fonctionne pas correctement. L'agent en hygiène et propreté doit être capable de situer le problème pour pouvoir y faire face, ou réparer ses erreurs.

De ce fait, nous avons particulièrement souhaité analyser le discours de l’enseignant car c’est dans cette partie de la formation qu’il est possible de comprendre les enjeux de la compétence du savoir-agir qui passe par la langue : consignes, avertissements, erreurs à ne pas commettre, conseils, points importants à prendre en compte pour éviter l’erreur.

2. Comment se manifeste cette compétence du point de vue langagier ?  

L'analyse de la langue permet de préparer des activités didactiques. Selon la démarche en français sur objectifs spécifiques (Mangiante & Parpette, 2004), nous avons fait des captations de vidéos pour analyser les situations professionnelles et les interactions langagières qu’elles comportent et pour élaborer un référentiel de compétences langagières. Ce corpus a été analysé à partir d’une grille de travail. La grille que nous avons constituée est à double entrée. D'un côté nous avons la tâche professionnelle découpée selon le schéma de Leplat et Cuny (1970) : tâche prescrite, tâche réelle, tâche effective. De l'autre côté nous avons découpé la tâche langagière en situations professionnelles telle que nous l’avons observée sur le terrain. Cette grille de travail nous permet d'analyser les correspondances entre les deux, et de voir de quelle manière la tâche langagière et la tâche professionnelle sont imbriquées, afin de mieux appréhender le travail au sein de la classe.

Dans cet article, nous nous sommes davantage attachée à décrire la tâche prescrite. Nous considérons que cette partie de la tâche dans la phase d'apprentissage, et le moment de la tâche prescrite, comprennent toutes les explications professionnelles nécessaires à la réussite de la tâche. En effet, c’est dans le moment de la prescription, notamment dans l’annonce de la consigne de travail, que l’on trouve toutes les consignes de sécurité, les conseils sur le geste professionnel. Nous découpons la tâche prescrite de cette manière :

  • (Lecture du protocole)
  • Préparation du matériel
  • Vérification des précautions à prendre et des normes de sécurité
  • Démonstration
  • Contrôle qualité
  • Répartition du travail  

Les étapes de la tâche langagière sont :

  • (Annonce du protocole)
  • Consigne
  • Annonce des techniques
  • Énumération du matériel
  • Explication de la tâche professionnelle
  • Justification du geste professionnel
  • Écriture sur le tableau 

Nous proposons ensuite un tableau à double entrée pour voir comment se manifestent les correspondances entre les deux. Voici un exemple de la grille ainsi que quelques exemples de notre corpus, analysés à l’aide de cette grille. Nous avons également mis dans la grille quelques exemples de correspondance que nous développons par la suite. À noter que ce tableau n'est pas exhaustif. Certaines cases ne sont pas remplies mais elles le sont dans l'analyse d'autres transcriptions.

 

Tâche langagière

Tâche professionnelle

Annonce du protocole

Consigne

Annonce des techniques

Enumération du matériel

Explication de la technique professionnelle

Justification du geste professionnel

Ecriture sur le tableau

Préparation du matériel

 

- donc on reprend au niveau de préparation du matériel

- vous avez préparé un aspirobrosseur (1)

je vous rappelle on va travailler d'un côté shampoing mousse sèche (1)

on a bien ici un compresseur/ donc vous voyez c'est différent du réservoir/ c'est ce qu'on appelle le compresseur à mousse/ (1)

-le choix de l'aspirobrosseur est judicieux dans ce cas-là comme ça on pourra enlever les salissures en profondeur (1)

si vous attendez la dernière minute pour brancher /vous allez perdre une demi-heure (3)

 

Vérification des normes de sécurité

Avant d'arriver à la technique du shampoing on a dit qu'il fallait dépoussiérer (1)

     

si je lis l'étiquette/ le shampoing pour moquette, tapis et tissus d'ameublement forme une mousse très abondante qui nettoie en profondeur tout type de moquette (1)

Dès que je quitte je verrouille/ ça c'est un élément de sécurité important/ (4)

 

Démonstration

si vous regardez la procédure / on vous parle de/euh/ tapis témoin (2)

Aspiration/ donc on va commencer par le shampoing mouillé / donc Audrey tu me fais l'aspiration de la moitié du revêtement, s'il te plaît/( 2)

       

donc Audrey tu me fais l'aspiration de la moitié du revêtement s'il te plaît (1)

Contrôle qualité

         

Alors/ là on est dans le contrôle qualité/ effectivement Audrey dit/ ça laisse / des traces ( 4)

 

 

 

(Vidéo 1, Vidéo 5 dans le corpus)

P : On reprend au niveau de préparation du matériel/ je vous rappelle on va travailler d'un côté shampoing mousse sèche/ d'un autre côté shampoing mousse humide ou shampoing au mouillé/ Manon/ Avant d'arriver à la technique du shampoing on a dit qu'il fallait dépoussiérer donc effectivement vous avez préparé un aspirobrosseur/ d'accord/ le choix de l'aspirobrosseur est judicieux dans ce cas-là comme ça on pourra enlever les salissures en profondeur/ puisqu'on est là dans de la remise en état on va devoir faire un dépoussiérage approfondi/ donc avec un aspirobrosseur/ ensuite on a comparé le shampoing mousse au lavage mécanisé/ donc vous avez choisi une monobrosse pour chaque groupe/ vous avez choisi/ donc pour le shampoing mousse/ euh/ sèche/ on a bien ici un compresseur/ donc vous voyez c'est différent du réservoir/ c'est ce qu'on appelle le compresseur à mousse/ et on a le/ euh / balai redresseur/ pour le shampoing au mouillé on retrouve la monobrosse/ là on retrouve le réservoir classique du lavage mécanisé et le balai brosse/ on avait dit aussi qu'il y avait une différence au niveau des / brosses/ donc/ ce n'est pas les brosses à récurer la fibre est beaucoup plus souple/ d'accord ?/ ici vous avez la brosse shampoing mousse humide/ ou shampoing au mouillé/ c'est la même brosse que pour un lavage mécanisé sauf qu'on a une/ une fibre beaucoup plus souple/ pourquoi la fibre est beaucoup plus souple ?/ voilà/ parce que le revêtement textile est un revêtement fragile/ ça c'est pour le shampoing mouillé/ shampoing mousse sèche/ on a une petite différence c'est ?/ elle est étoilée/ donc y a des endroits/ vous voyez/ y a des parties où on a pas de fibre/ de poils/ pourquoi à votre avis ?/ alors / on va voir que le compresseur à mousse va faire une mousse légère et volumineuse donc en fait c'est pour que la mousse puisse venir s'insérer ici/ au niveau de ces zones et après elle va être étalée par les fibres/ d'accord ?/ donc c'est simplement pour ça qu'on a des zone sans/ sans fibres/ euh/ ensuite on va passer au niveau du produit/ donc on a dit tout à l'heure / la particularité/ on est sur un revêtement fragile donc on va parler de shampoing d'accord ?/ et on ne parlera plus de détergent/ donc ici on va prendre un shampoing moquette/ le produit est le même/ pour /shampoing mousse sèche/ shampoing mouille/ c/ la seule différence ça sera le réservoir compresseur à mousse/ autrement on a exactement le même / euh/ le même produit donc ici si je lis l'étiquette/ le shampoing pour moquette, tapis et tissus d'ameublement forme une mousse très abondante qui nettoie en profondeur tout type de moquette quelle que soit la nature des fibres, les tapis ou autre revêtement textile/ élimine par le décollement et cristallise après séchage. Retarde l'encrassement en protégeant les fibres et en limitant de développement des acariens, ravive les couleurs et laisse un parfum agréable/ donc tu vois Manon tout à l'heure tu me parlais de parfum aussi/ ce/ cette technique-là laisse une odeur agréable aussi/ utilisation en machine/ donc/ on vous rappelle/ alors/ à l'exa/ à l'examen lisez vos étiquettes/ on vous rappelle « passez l'aspirateur ou l'aspirobrosseur pour enlever la poussière, remplir d'eau froide le réservoir de la monobrosse et versez 50 à 100 mL de produit par litre d'eau/ d'accord ?/ donc le dosage c'est 50 à 100 mL / en fonction de ce que je vais faire/

Dans la première vidéo, l'enseignante explique de quelle manière préparer son matériel, puis les différentes techniques qui vont être utilisées (shampoing mousse sèche, shampoing mousse humide et shampoing au mouillé). Elle justifie le choix de l'aspirobrosseur par le fait que « les salissures pourront être enlevées en profondeur » et revient au protocole de base « puisqu'on est là dans de la remise en état, on va devoir faire un dépoussiérage approfondi ». Dans notre grille, nous pouvons voir que l'indice « Préparation du matériel » est relié aux indices « Annonce des techniques », « Énumération du matériel » et « Explication de la tâche professionnelle ». Par ailleurs, dans cette vidéo nous pouvons voir que le lexique est particulièrement difficile à distinguer du reste des explications puisqu'il y a du lexique relié à la technique de nettoyage et du lexique relié au matériel. A savoir que dans ce secteur professionnel, la technique utilisée porte bien souvent le nom du matériel utilisé également. Cet extrait montre qu'il y a un lexique nécessaire à la bonne préparation du matériel : shampoing mousse humide, shampoing au mouillé, lavage mécanisé, balai brosse. Par ailleurs, la plupart des indices de la tâche langagière (Consigne, Annonce des techniques, Énumération du matériel, Explications de la tâche professionnelle) correspondent à l'indice « Préparation du matériel ». La raison en est que le discours de l'enseignant se trouve avant l'action professionnelle et à ce moment-là de la tâche, l'enseignante insiste sur la bonne préparation du matériel afin de mieux préparer les élèves à la réussite de leur tâche professionnelle. Dans cette étape professionnelle, elle doit bien s'assurer que les élèves respectent le protocole et la consigne professionnelle. Lorsque les élèves font une erreur, elle est souvent liée à une lecture différente du protocole ou un oubli dans la préparation du matériel.

Vidéo 2 (Vidéo 7 sur le référentiel)

P : Ici/ On va l'ajouter comment ?/ là on a mis sur le côté du réservoir et au centre/ alors on va commencer par/ non/ alors/ ici faut que ma solution arrive au centre de ma brosse / d'accord ?/ donc la partie noire va venir la raccorder ici/ et pareil/ donc après/ là/ ici/ pour mon réservoir/d'accord ?/ ça va pour le raccordement ? Oui ?/ euh/ donc …/ ensuite si vous regardez la procédure / on vous parle de/ euh/ tapis témoin/ alors/ chut/ donc j'ai préparé ici/ ce qu'on va appeler le tapis témoin/ à quoi va/ va nous servir ce tapis ?/

E : Si ça mousse bien ou pas/

P : Alors pas si ça mousse bien/

E : Si la mousse elle sort/

P : On va devoir/

E : une expérience/

P : on va devoir commencer sur ce tapis parce que effectivement au départ/ chut/ votre brosse va être sèche/ le temps qu'il y ait production de mousse/ et si vous mettez une brosse sèche sur votre revêtement textile vous allez abîmer votre fibre/ donc on va prendre un tapis témoin sur lequel on va produire notre mousse pour imbiber notre brosse et seulement après on pourra passer sur le tapis/ ça va ?/ donc on commence par quoi/ première chose ?/

E : dépoussiérer/

P : Aspiration/ donc on va commencer par le shampoing mouillé / donc Audrey tu me fais l'aspiration de la moitié du revêtement s'il te plaît/


Dans cet extrait, on observe les différents conseils de l'enseignante. Dans cet extrait, elle donne des conseils pour éviter de perdre son temps et être opérationnel le plus vite possible. Elle prend l'exemple de l'examen, mais c'est également pour les préparer à des situations de contrainte de temps qui peuvent être négatives pour l'entreprise. Il faut être en mesure de savoir préparer son matériel pour pouvoir agir avec compétence au travail (dans le sens où il faut être efficace). Elle explique qu’il faut vérifier son raccordement (« la partie noire va venir se raccorder ici »), puis il faut se référer à la procédure (« si vous regardez la procédure »). Elle précise la raison pour laquelle il faut utiliser un tapis témoin (« on va prendre un tapis témoin sur lequel on va produire notre mousse pour imbiber notre brosse »). Dans la dernière partie de la vidéo, elle lance la tâche « Audrey, tu me fais l’aspiration de la moitié du revêtement, s’il te plaît »). L’élève a besoin de savoir la raison pour laquelle on utilise un tapis témoin, sinon il fera probablement l’erreur d’abîmer la brosse sur le revêtement textile (« si vous mettez une brosse sèche sur votre revêtement textile vous allez abîmer votre fibre »). En analysant les correspondances entre la tâche langagière et la tâche professionnelle, nous pouvons voir que le lien peut se faire entre l’indice « Préparation du matériel » et « Justification du geste professionnel ». La parole accompagne le geste professionnel avec une structure d’obligation impersonnelle : « faut que ma solution arrive au centre de ma brosse ». Le critère vérification des normes de sécurité correspond à trois indices : « énumération du matériel » avec la tournure interrogative « ça va pour le raccordement ? », « explication de la technique professionnelle »-« justification de la technique professionnelle » : « on va devoir commencer sur ce tapis parce que effectivement au départ/ votre brosse va être sèche/ le temps qu'il y ait production de mousse/ et si vous mettez une brosse sèche sur votre revêtement textile vous allez abîmer votre fibre ». L’enseignante projette les conséquences de l’action si elle a mal été effectuée afin que l’élève visualise mieux les choses. Les indices « Démonstration » et annonce du protocole sont également liés, la raison étant que lors des démonstrations, l’enseignant fait référence à la base théorique pour pouvoir appuyer son raisonnement pratique. Il se réfère au protocole pour pouvoir justifier ses actions.

Vidéo 3 : La préparation du matériel

P : Alors/ par contre vous voyez qu'il faut quand même un certain temps pour que votre matériel chauffe et donc /pour que vous puissiez l'utiliser/ donc à l'examen/ si vous attendez la dernière minute pour brancher /vous allez perdre une demi-heure hein/ donc la première chose quand vous préparez votre matériel/ c'est vous préparez en premier/ votre nettoyeur/ donc vous remplissez les réservoirs et vous le mettez chauffer tout de suite/ comme ça le temps que vous préparez votre local etc/ ça a le temps de chauffer et vous allez pas perdre de temps/ je vous rappelle à l'examen c'est deux heures seulement/

Dans cet extrait, l’enseignante donne des conseils en ce qui concerne la préparation du matériel. La première consigne est « d’attendre que le matériel chauffe pour pouvoir l’utiliser ». Cette consigne est à la fois une règle de sécurité et une manière d’économiser du temps. Ce conseil est à la fois valable pour l’examen et pour la situation en milieu professionnel : « la première chose quand vous préparez votre matériel, c’est vous préparez en premier votre nettoyeur donc vous remplissez les réservoirs et vous le mettez chauffer tout de suite ». Pendant ce temps-là « vous préparez votre local ». Nous pouvons observer des correspondances entre « consigne » et « préparation du matériel », et « annonce du protocole » et « démonstration » de la même manière que la précédente vidéo.

Vidéo 4 (Vidéo 22 sur le référentiel)

P : Donc/ on déverrouille/ d'accord ?/ on appuie ici pour la vapeur/ j'allume ici/ .../ et dès que je quitte// Gwendoline !// Dès que je quitte je verrouille/ ça c'est un élément de sécurité important/ je me mets/ donc/ je me colle pas pour pas avoir la vapeur au milieu du visage/ d'accord ?/ je me mets à distance mais quand même pour/ savoir tenir mon/ mon pistolet/ parce que / l'air de rien ça fait quand même son / son poids/ d'accord ?/ allez vas-y Manon/

E : Là il est verrouillé ?/

P : Non/ d'un point de vue sécurité quand je te le donne il est verrouillé/ automatiquement/

E : Je peux allumer l'aspiration en même temps ?/

P : Oui/

E : Tu veux que je monte l'aspiration Manon ?/

P : Il est au maxi l'aspiration/ vous avez pas suivi hein/ .../ attention/ voilà/.../ là tu vois/ ta raclette/ ta raclette elle est mal positionnée/ elle aspire pas/ il faut bien ici/ ... tout à l'heure/ donc bien positionné de façon à ce que ta raclette elle aspire/ donc si t'es comme ça/ si t'es comme ça/ ça c'est pas en contact/ et ça m'aspire pas/ donc/

E : Ah c'est ça/

P : Voilà/ c'est là/ donc/ je redis/ système/

E : Raclette/

P : Non/ regarde est-ce que ça racle ça ?/

E : Non Madame/

P : Bah voilà/ réfléchissez hein/ donc /là / qu'est-ce que ça va faire ?/

E : L'aspiration ?/// Nan/// Projeter la vapeur/

P : Voilà/donc ici ça va projeter la vapeur /par cette brosse-là /je vais avoir mon action mé/ mécanique/ donc ça va venir frotter/ et la dernière étape ça va racler et aspirer/ tout à l'heure je vous ai dit/ faites bien attention/ euh/ comment dire/ à la position de votre suceur parce que si c'est pas en contact ça va pas aspirer/ c'est ce qui s'est passé avec Manon/ ça n'aspirait pas/ il faut vraiment que vous mettez bien/ ici/ votre/ euh/ votre suceur de raclette / en contact/ là je vais aspirer seulement/donc vous voyez donc là je suis en contact pour qu'il y ait l'aspiration/ si je suis trop penchée ça n'aspire plus/ si je suis penchée comme ça / ça n'aspire pas/ d'accord ?/ donc vas-y// euh/ Tiphanie/ reste là// donc vous voyez dans ... /d'accord ?/ Alors/ là on est dans le contrôle qualité/ effectivement Audrey dit/ ça laisse / des traces/ donc / c'est au fur et à mesure quand vous / faites/ eh bien/ là/ je repasse/ .../ vous récupérez ici.../

Dans cette vidéo, l’enseignante explique le nettoyeur vapeur. Cet extrait nous a semblé intéressant parce que dans son discours l’enseignante insiste particulièrement sur les règles de sécurité : « dès que je quitte, je déverrouille », « je me colle pas pour pas avoir la vapeur au milieu du visage/ d'accord ?/ je me mets à distance mais quand même pour/ savoir tenir mon/ mon pistolet/. Elle donne différents conseils pour positionner son aspiration.

3. Perspectives didactiques : la place de la part langagière

La difficulté dans l’analyse professionnelle est de sélectionner l’information principale. Quels sont les éléments à sélectionner par l’enseignant pour qu’il puisse créer ses séquences pédagogiques et travailler de façon cohérente cette acquisition du savoir-agir ? Dans cette dernière partie, nous faisons part de quelques propositions didactiques pour aider l’enseignant à développer chez les apprenants un cheminement d’acquisition de cette compétence dans la classe de français langue étrangère.

Voici le schéma de séquence que nous proposons :

 

Séquence

Compétences professionnelles

Compétences linguistiques

Activités proposées

Etape 1 : Repérage

Acquisition d’un vocabulaire dit spécifique, lié aux différentes techniques de nettoyage   

Acquisition du lexique spécialisé, identification du contexte

Activités de repérages

Etape 2 : Analyse de situations

Repérage du dysfonctionnement et de la situation à résoudre /

Capacité à utiliser la théorie dans les situations professionnelles concrètes

Structures grammaticales (ex : structure interrogative)

Compréhension orale d’une vidéo

Etape 3 : Simulation avec les pairs

Coopération au sein de l’équipe

Résolution d’un problème

Compétences diverses (toutes celles qui ont été apprises dans les deux premières étapes)

Production orale en interaction : organisation en groupe pour nettoyer des bureaux

Etape 4 : Retour sur la situation

Capacité de réflexivité et de transfert

Capacité à argumenter sur son point de vue

Retour sur situation

 

Étape 1 : Repérage

 

Dans une première phase de la démarche, il est important de travailler avec les apprenants les moyens linguistiques de pouvoir agir de manière professionnelle. Par exemple, l'enseignant peut travailler les connaissances de base du lexique telles que les collocations pour donner des outils de réflexion aux apprenants : les apprenants sont capables de repérer des mots et leurs différentes significations en contexte. En effet, la première vidéo comporte un certain nombre de mots du lexique spécialisé qu'il est important de comprendre, notamment sur les différents types de lavage et de techniques utilisés. Une technique peut souvent avoir le même nom que l'objet utilisé, par exemple les techniques « mousse » ou bien un « jontec spray » viennent du matériel que l’agent utilise pour les appliquer. L’agent en hygiène et propreté doit être capable de faire la distinction entre les deux. Dans la didactique professionnelle, Le Boterf propose pour cela de « faire acquérir des ressources » (Le Boterf, 2005 : 151). Nous pouvons faire un parallèle avec le plan langagier avec la possibilité « d’acquérir des ressources langagières ».

Consignes : 1) Soulignez les différentes techniques de nettoyage qui vont être utilisées.  2) Soulignez le matériel que vous allez utiliser.

 

P : On reprend au niveau de préparation du matériel/ je vous rappelle on va travailler d'un côté shampoing mousse sèche/ d'un autre côté shampoing mousse humide ou shampoing au mouillé/ Avant d'arriver à la technique du shampoing on a dit qu'il fallait dépoussiérer donc effectivement vous avez préparé un aspirobrosseur/ d'accord/ le choix de l'aspirobrosseur est judicieux dans ce cas-là comme ça on pourra enlever les salissures en profondeur/puisqu'on est là dans de la remise en état on va devoir faire un dépoussiérage approfondi/ donc avec un aspirobrosseur/ ensuite on a comparé le shampoing mousse au lavage mécanisé/ donc vous avez choisi une monobrosse pour chaque groupe/ vous avez choisi/ donc pour le shampoing mousse/euh/ sèche/ on a bien ici un compresseur/ donc vous voyez c'est différent du réservoir/ c'est ce qu'on appelle le compresseur à mousse/ et on a le/ euh / balai redresseur/ pour le shampoing au mouillé on retrouve la monobrosse/ là on retrouve le réservoir classique du lavage mécanisé et le balai brosse/

 

Étape 2 : Analyse de situations

Dans un deuxième temps, il est nécessaire de travailler avec l’apprenant des activités de compréhension orale à partir de situations professionnelles concrètes. À partir de la quatrième vidéo, nous pouvons envisager une activité de compréhension orale avec les questions suivantes.

1) Reconstituez les étapes du protocole : Déverrouillage - Positionnement de l'embout pour l'aspiration - Projection de la vapeur - Contrôle qualité

2) Pourquoi doit-on impérativement déverrouiller ?

  • Parce que la machine peut fonctionner toute seule
  • Pour ne pas avoir de la vapeur sur le visage
  • Parce qu'elle peut se déverrouiller toute seule

3) Pourquoi dois-je mettre à distance mon pistolet ?

  • Pour ma sécurité
  • Par confort
  • Pour la sécurité du matériel

4) Pourquoi la raclette n'aspire-t-elle pas ?

  • Parce que l'embout n'est pas bon
  • Parce qu'elle est mal positionnée
  • Parce qu'il ne faut pas une raclette

5) Quel est l'étape qui permet de vérifier si le nettoyage a été fait correctement ?

  • L'aspiration
  • Le contrôle qualité
  • Le protocole

 

Étape 3 : Simulation avec les pairs

L’une des solutions d’après Le Boterf est de faire plonger les personnes qui sont en apprentissage professionnel dans une « situation de travail réelle ou reconstituée par simulation » (2005, 152). « Les professionnels ne doivent pas seulement faire face à des situations à risques mais aussi à des situations d'incertitude. » (Le Boterf, 2001 : 19). Dans le contexte d’apprentissage de la langue en contexte professionnel, il est effectivement nécessaire de regrouper l’environnement professionnel et la classe de langue pour éviter de tomber dans l’écueil de suivre seulement une liste de compétences appartenant à un référentiel. Par exemple, il est possible de mettre l’apprenant dans une situation problématique, qui dépasse le jeu de rôle normé et animé par l’enseignant : cela lui permet de mieux appréhender la langue dans ce contexte et d’avoir la possibilité d’aller au-delà des règles du prescrit.

Consigne de travail : Un hôtel type années 80 réouvre après plusieurs mois d'inactivité et fait appel à vous pour la remise en état des chambres d'hôtel et du couloir. Vous devrez vous organiser en groupes pour faire une proposition d'organisation de travail et la présenter.

Ce type de simulation fait appel à différentes compétences (d’organisation, de récapitulation des connaissances, de respect des protocoles mis en place). Il est attendu des apprenants de faire une présentation à l'oral pour défendre leur projet.  

Étape 4 : Travail sur la réflexivité et le transfert  

Guy Le Boterf préconise de « prendre en compte la réflexivité », c'est-à-dire d’être capable de prendre du recul par rapport à son acte professionnel. Il propose à cet effet des « activités de debriefing » faire face à des incidents ou des accidents (2005, 154). Dans un cours de français langue professionnelle, il s'agit d'une prise de conscience des points faibles et des points forts. Sur le plan didactique, on peut envisager une auto-évaluation avec un retour de l'enseignant. Nous proposons cette activité comme un prolongement de l’étape 3. Les apprenants ont une grille de travail pour évaluer leur propre capacité à faire l'activité. Dans cette étape, l'enseignant travaille avec les apprenants leur capacité à justifier leur point de vue, à argumenter une position et à donner des explications sur les choix de techniques de nettoyage.

Conclusion

Nous pouvons aussi relever d’autres éléments plus complexes qui ne se travaillent pas à partir d’une liste de compétences mais qui sont également à travailler avec les apprenants. Il est impossible de préparer les apprenants à toutes les situations professionnelles puisque même le professionnel ne peut pas anticiper tous les problèmes. Seule l'expérience pourra l'aider dans cette démarche. En ce qui concerne le fait de développer la conscience d'une identité professionnelle au travail, chaque praticien a sa propre identité et sa propre manière de faire les choses. On peut tout à fait envisager d'analyser une vidéo, de décrire le comportement de l'agent en hygiène et propreté en analysant uniquement l'ergonomie. Il est nécessaire de réfléchir à l’identité du métier, à la conception du métier car le professionnel doit construire des liens qui lui sont propres : la pratique professionnelle doit avoir une touche personnelle en vue de l’appropriation du métier.

Les référentiels de compétences langagières sont essentiels à la collecte des données en français sur objectif professionnel, ne serait-ce que pour mutualiser les ressources et alléger le travail de recherche des enseignants (Mangiante, 2006). Néanmoins, il est indispensable de questionner cette notion de compétence dans les formations en langue à usage professionnel et la manière dont elle est perçue par les enseignants de langue, qui s’attachent souvent aux référentiels, de peur de trop s’en écarter. Le savoir-agir, par définition, peut-être difficilement normé puisqu’il consiste en partie à être capable d’aller au-delà de la simple application des consignes données. Les référentiels doivent être considérés comme des guides d’usage et non comme des règles à suivre au pied de la lettre.

Bibliographie

Conseil de l’Europe, 2001, Cadre européen commun de référence pour les langues.

https://rm.coe.int/cecr-volume-complementaire-avec-de-nouveaux-descripteurs/16807875d5

Le Boterf, Guy, 2005, Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Livres & Outils.

Le Boterf, Guy, 2001, Ingénierie et évaluation des compétences, Paris, Eyrolles.

Leplat & Cuny, 1974, Introduction à la psychologie du travail, Grenoble, PUG.

Mangiante, Jean-Marc & Parpette, Chantal, 2004, Le français sur objectif spécifique, Paris, Hachette.

Mangiante, Jean-Marc, 2011, L’Intégration linguistique des migrants : état des lieux et perspective, Arras, APU.

Saulière, Renaud, 2014, L’identité au travail, Paris, Sciences-po Les presses.

Notes

[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906669?sommaire=1906743#titre-bloc- 3

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