Véritable colonne vertébrale des activités pédagogiques mises en place dans toutes les séquences d’enseignement, aussi bien en FLE qu’en FLM, FLS/FLSco, FOS/FOU, etc., la consigne interroge autant les différentes méthodologies d’enseignement que les pratiques des enseignants et l’action apprenante. Définie comme une injonction ciblée à réaliser une tâche d’apprentissage, sa compréhension est primordiale et passe par des choix (lexicaux, syntaxiques, pragmatiques, etc.) qui doivent être adaptés au niveau des apprenants. Plus encore, la consigne se doit éminemment d’être sans ambiguïté pour permettre d’une part la compréhension des attentes des enseignants, et d’autre part, de faciliter l’autonomie et la collaboration entre apprenants, le tout en faisant percevoir l’enjeu et la finalité de la tâche prescrite, ainsi qu’en donnant les informations utiles à la réalisation du travail…
Si la consigne est un objet de recherche particulièrement abordé en FLM –notamment dans le cadre du système scolaire et des disciplines–, elle n’a finalement été que peu traitée du côté du FLE –en dehors de ses dimensions technicistes, spécialement linguistiques (Adam, 2001)–. Pourtant, ses caractéristiques ne se limitent pas à ces dimensions-là : en tant qu’« injonction donnée pour effectuer une tâche » (Zakhartchouk, 1999), la consigne s’appuie dans la plupart des cas sur un énoncé explicite, mais dont la spécificité s’avère dans le fait que les éléments nécessaires pour réaliser l’action attendue sont fréquemment implicites. Se retrouve ici la fameuse « dimension cachée de l’activité de consigne » (Dominguez et Rivière, 2015) où viennent se nicher « les préoccupations de l’enseignant, les normes professionnelles, les intentions, les motifs présidant à l’élaboration et la distribution des consignes, les micro-décisions ».
Par conséquent, la consigne fonctionne comme une sorte de porte d’entrée sur les attentes évaluatives dont les clés de lecture se situent en réalité à plusieurs niveaux, du plus évident au plus tacite. Dans ces différentes strates se trouvent bon nombre d’« allant-de-soi », ces normes convenues et véhiculées dans les environnements socioculturels (ici éducatifs), qui participent aux attendus et peuvent être sources de difficultés lorsque la culture éducative de l’apprenant diffère de celle du formateur. Bien inhérente au rôle classique de l'enseignant (Zakhartchouk, 2000), la conception de consignes n’est donc pas une tâche aisée, et ce alors même d’ailleurs que les individus en sont quotidiennement entourés et qu’ils en ont été imprégnés tout au long de leur scolarité. En effet, pour qu’une activité soit réussie par les apprenants, l’enseignant-formateur doit au préalable s’interroger sur a) l’objectif à atteindre, b) les moyens nécessaires pour aboutir à sa réalisation, et enfin c) le degré d’achèvement souhaité.
Complexe à concevoir pour l'enseignant, notamment car distribuer des consignes ne peut se résumer uniquement à des questions de formulation linguistique (Rivière, 2006), elle est également difficile à interpréter par l'apprenant dans la mesure où elle présente un empan important en termes de variabilité, autant du point de vue morphologique que fonctionnel, que d'un enseignant à l’autre, que d’une discipline à l’autre, etc. En effet, là où l’enseignant doit être en mesure d’anticiper et de lever une double ambiguïté pour l’apprenant (compréhension de la consigne elle-même et compréhension des tâches à accomplir), ce dernier doit lui se construire une représentation de la tâche ou du but à atteindre, d’autant plus que la compréhension de la tâche demandée précède sa mise en action et sa production (Bruner, 1998). Cet effort de décodage constitue d’ailleurs une part importante du temps scolaire des apprenants (Astolfi, 2010), la consigne s’avérant tout à fait multidimensionnelle pour eux en étant :
-
une consigne-but qui définit un projet à réaliser ;
-
une consigne-procédure qui indique les stratégies à suivre ;
-
une consigne-structure qui attire l’attention sur un point précis ;
-
ou encore, une consigne-critère qui permet aux apprenants de se représenter la tâche à réaliser et de vérifier sa conformité au regard des attentes de l’enseignant, la consigne assume différentes fonctions (Meirieu, 1993).
Au regard de ces aspects, les difficultés rencontrées par les apprenants peuvent ainsi être nombreuses : obstacles dans la compréhension du lexique ou du métalangage ; problèmes à établir les liens entre l'exercice et la discipline concernée ; difficultés à interpréter les conduites d’action induites par les consignes et à planifier les tâches d’apprentissage ; soucis à comprendre les attentes des enseignants ; etc. Ces écueils, bien qu’également rencontrés par les apprenants locuteurs natifs du français, s’avèrent d’autant plus importants pour les apprenants locuteurs non-natifs pour lesquels s’ajoutent des difficultés socio- et interculturelles (en particulier en matière de cultures éducatives).
L’enjeu majeur de la consigne se situe en ce sens sur la formation professionnelle des enseignants, dans la mesure où la composition de la consigne est primordiale pour l’action apprenante, ainsi que sur l’accompagnement des apprenants qui doivent bien évidemment être en mesure de comprendre et d’interpréter les consignes, mais aussi d’en décoder les attendus sous-jacents pour réussir à réaliser la tâche tout en se conformant aux attentes évaluatives. La consigne constitue ainsi un objet à la croisée de nombreux domaines (sciences de l’éducation, sciences du langage, …), qui peut donner lieu à divers travaux (notamment linguistiques et didactiques) et analyses (discursives, pédagogiques, etc.). La consigne est, dans cette perspective, un agent bien particulier de la didactique des langues étrangères, et notamment de la didactique du FLE. Il est donc particulièrement intéressant d’en étudier les contours et les impacts dans les situations d’enseignement-apprentissage.
Agent à la croisée des sciences de l’éducation et des sciences du langage, la consigne peut donc faire l’objet d’études linguistiques, discursives et didactiques afin d’analyser son impact sur la compréhension des apprenants (qu’ils soient allophones ou natifs) ainsi que sur la formation professionnelle des enseignants. Ce numéro regroupe les contributions de divers chercheurs en linguistique et en didactique du FLE/FLS/FLSco/FOS/FOU et fait suite au cycle de journées d’étude consacrées à la consigne, agent polymorphe (transculturel et multidimensionnel).
La première partie du numéro propose un cadrage à la fois historique et théorique de la notion de consigne dans les domaines du FLE/FLS/FLSco/FOS/FOU en interrogeant son évolution au sein des méthodologies et des ouvrages. Dans le premier article intitulé « Telles méthodes, telles consignes ? », Jan Goes part du constat que les exercices les plus anciens ne comportaient aucune consigne pour ensuite décrire l’évolution de la consigne au regard des différents courants méthodologiques (de la grammaire-traduction à la perspective actionnelle). Dans un épilogue, il souligne que la plupart des auteurs ne consacrent aucune attention à la formulation des consignes. Dans leur article « Consigne et méthodologies, quelle évolution en FOS et en FLS ? », Jean-Pierre Cuq & Fatima Chnane-Davin questionnent l’impact de l’évolution des méthodologies sur la forme des consignes des activités pédagogiques (exercices, activités et tâches) dans les méthodes de langue. Leur analyse porte particulièrement sur les consignes écrites dans les méthodes de FLS et de FOS, montrant que la consigne est relativement stable dans le temps et assez imperméable finalement à l’évolution méthodologique.
La seconde partie se concentre sur les pratiques de classe en interrogeant notamment les consignes présentes au sein du matériel pédagogique (manuels). Sont ainsi questionnées la compréhension de ces consignes par les apprenants, mais aussi l’appréhension des attentes enseignantes qu’elles portent ainsi que leurs effets sur les productions apprenantes. Dans leur article « Faire parler en classe de FLE : l’art de la consigne « suffisamment » équivoque”, Amandine Denimal & Rose-Marie Volle souligne le paradoxe pour l’enseignant de formuler une consigne « claire » où tout sous-entendu serait explicité tout en laissant une réelle place au sujet dans cette langue qu’il a à s’approprier. Après un cadrage théorique et contextuel sur les liens entre consigne, énonciation et pression évaluative, leur analyse porte sur diverses consignes extraites de manuels scolaires en FLE et de leurs propres pratiques de classe. Dans le quatrième article « Le sens parfois caché dans les consignes en phonétique corrective », Jérémi Sauvage analyse différentes formulations de consignes dans le cadre de la phonétique corrective pour le FLE. Il étudie ainsi, à travers les manuels de différentes époques, les « sens cachés » induits dans les énoncés de consignes. Il utilise ici les consignes comme indices épistémologiques en s’intéressant en particulier aux conceptions éducatives qui les sous-tendent et permettent d’examiner la place de l’enseignement-apprentissage de l’oral par rapport à l’écrit.
Enfin, la troisième partie se focalise sur les représentations des enseignants-formateurs et leur formation aux pratiques de conception de consignes, notamment à l’aune du rapport entretenu entre l’apprenant et la consigne dans ses aspects cognitifs et socioculturels. Dans son article « L’enseignant et les consignes. Du sas de réflexion au feu de l’action : pistes réflexives », Estefania Dominguez propose des pistes pour aider les enseignants lors de la création et de la transmission de consignes. Ces pistes s’organisent sur le modèle même des consignes, en articulant un temps de réflexion en amont nécessaire à la conception (qu’elle nomme sas de réflexion) et un temps de transmission de consignes (qu’elle appelle feu de l’action). Les éléments de réflexion qu’elle propose sont ainsi à considérer comme des repères pour penser la consigne et invitent à penser l’agir prescriptif de l’enseignant. Nathalie Auger dans son article « La consigne en français langue de scolarisation : les approches plurilingues et pluriculturelles comme ressources pour la formation des enseignants » tente de cerner dans quelles mesures les approches plurilingues et pluriculturelles, souvent convoquées comme une ressource par les chercheurs en FLSco, peuvent être pertinentes dans ce contexte. Pour répondre à cette problématique, sont présentés deux projets de recherche sont convoqués, impliquant des élèves allophones et mettant en œuvre ce type d’approches plurilingues. Dans le dernier article du numéro, Cécile Medina, en s’appuyant sur différents contextes professionnels authentiques (dentaire, aide à domicile, BTP et réparateurs d'électroménager) présente un modèle d'identification et de repérage des consignes permettant d'établir des outils interprétatifs opérationnels pour la collecte de données en FOS ou l'élaboration de contenus didactiques en FOS et FLP. Elle propose également des pistes méthodologiques de formation et d'auto-formation des concepteurs et formateurs FOS.
Ce numéro, par l’apport des diverses contributions, permet d’interroger les conditions et principes de la production de consignes tout en questionnant la formation initiale (et continue) des enseignants amenés à concevoir des activités pédagogiques et à créer des outils didactiques pour accompagner les individus dans leurs apprentissages.
Bibliographie
Adam, J.-M. (2001). Types de textes ou genres de discours ? Comment classer les textes qui disent de et comment faire ? Langages, 141, 10-27. DOI : 10.3406/lgge.2001.872
Astolfi, J.-P. (2010). L'École pour Apprendre. Lavis : ESF.
Bruner, J. (1998). Le développement de l’enfant - savoir dire, savoir faire. Paris : PUF.
Dominguez, E. & Rivière, V. (2015). Les consignes en classe de langue : activité polyfocalisée et rôle du regard. Recherches en didactique des langues et des cultures, 12(2). URL: http://journals.openedition.org/rdlc/715
Meirieu, P. (1993). Apprendre, oui mais comment ? Paris : ESF.
Rivière, V. (2006). L’activité de prescription en contexte didactique : analyse psycho-sociale, sémio-discursive et pragmatique des interactions en classe de langue étrangère et seconde. Thèse de doctorat : Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3).
Zakhartchouk, J.-M. (1999). Comprendre les énoncés et les consignes. Amiens : CRDP Cahiers pédagogiques.
Zakhartchouk, J.-M. (2000). La consigne au cœur de la classe : geste pédagogique et geste didactique. Repères, 22, 61-81. DOI : 10.3406/reper.2000.2343