La consigne en didactique du FLE : un agent infiltré ?
Coordination : Marie Beillet & Élodie Lang
Université Paris Nanterre (Modyco) & Université Paul-Valéry Montpellier 3 (EA 739 DIPRALANG)
A titre exceptionnel, ce numéro 82 de TDFLE ne propose pas d’appel à communication mais constitue la première étape d’une réflexion qui se poursuivra avec un numéro à paraître en 2024. Il regroupe les contributions d’un cycle de journées d’étude consacrées à la consigne. Alors que la première journée d’études a eu lieu en mars 2020 à l’université d’Artois (Arras, laboratoire GRAMMATICA), les deuxième et troisième journées (co-organisées par les laboratoires DIPRALANG et Modyco) se sont déroulées en ligne en juin 2021 et en octobre 2022 à l’université Paul-Valéry (Montpellier 3). Le cycle de journées d’études consacré à la consigne a ainsi accueilli pour chaque édition une dizaine d’intervenants et une trentaine de participants. Les textes seront évalués comme à l’habitude en double relecture.
La première partie du numéro proposera un cadrage à la fois historique et théorique de la notion de consigne dans les domaines du FLE/FLS/FLSco/FOS/FOU en interrogeant ses aspects socioculturels ainsi que son évolution au sein des méthodologies et des ouvrages. La deuxième partie se concentrera sur les pratiques enseignantes, qu’il s’agisse de la formation à la conception de consigne pour les futurs enseignants, des représentations des enseignants-évaluateurs ou encore des attentes enseignantes portées par les consignes et leurs effets sur les productions. Enfin, la troisième partie se focalisera sur le rapport entretenu entre l’apprenant et la consigne, dans ses dimensions autant cognitives que socioculturelles et sociopsychologiques.
De la sorte, le numéro 82 de TDFLE propose à l’ensemble de la communauté des didacticiens des langues étrangères et secondes une sorte d’état de l’art de la question de la consigne en 2022. Par rapport à cet état, un futur numéro (à paraitre en 2024) fera l’objet d’un appel à communication et les contributions pourront alors s’inscrire dialogiquement avec les textes de ce numéro, pour en prolonger les analyses, les interroger ou… ouvrir de nouvelles pistes.
Voici donc de quoi traitera et selon quelles articulations, ce numéro spécial 83.
Véritable colonne vertébrale des activités pédagogiques mises en place dans toutes les séquences d’enseignement, aussi bien en FLE qu’en FLM, FLS/FLSco, FOS/FOU, etc., la consigne interroge autant les différentes méthodologies d’enseignement que les pratiques des enseignants et l’action apprenante. Définie comme une injonction ciblée à réaliser une tâche d’apprentissage, sa compréhension est primordiale et passe par des choix (lexicaux, syntaxiques, pragmatiques, etc.) qui doivent être adaptés au niveau des apprenants. Plus encore, la consigne se doit éminemment d’être sans ambigüité pour permettre d’une part la compréhension des attentes des enseignants, et d’autre part, de faciliter l’autonomie et la collaboration entre apprenants, le tout en faisant percevoir l’enjeu et la finalité de la tâche prescrite, ainsi qu’en donnant les informations utiles à la réalisation du travail…
Si la consigne est un objet de recherche particulièrement abordé en FLM –notamment dans le cadre du système scolaire et des disciplines–, elle n’a finalement été que peu traitée du côté du FLE –en dehors de ses dimensions technicistes, spécialement linguistiques (Adam, 2001)–. Pourtant, ses caractéristiques ne se limitent pas à ces dimensions-là : en tant qu’« injonction donnée pour effectuer une tâche » (Zakhartchouk, 1999), la consigne s’appuie dans la plupart des cas sur un énoncé explicite, mais dont la spécificité s’avère dans le fait que les éléments nécessaires pour réaliser l’action attendue sont fréquemment implicites. Se retrouve ici la fameuse « dimension cachée de l’activité de consigne » (Dominguez et Rivière, 2015) où viennent se nicher « les préoccupations de l’enseignant, les normes professionnelles, les intentions, les motifs présidant à l’élaboration et la distribution des consignes, les micro-décisions ».
Par conséquent, la consigne fonctionne comme une sorte de porte d’entrée sur les attentes évaluatives dont les clés de lecture se situent en réalité à plusieurs niveaux, du plus évident au plus tacite. Dans ces différentes strates se trouvent bon nombre d’« allant-de-soi », ces normes convenues et véhiculées dans les environnements socioculturels (ici éducatifs), qui participent aux attendus et peuvent être sources de difficultés lorsque la culture éducative de l’apprenant diffère de celle du formateur. Bien inhérente au rôle classique de l'enseignant (Zakhartchouk, 2000), la conception de consignes n’est donc pas une tâche aisée, et ce alors même d’ailleurs que les individus en sont quotidiennement entourés et qu’ils en ont été imprégnés tout au long de leur scolarité. En effet, pour qu’une activité soit réussie par les apprenants, l’enseignant-formateur doit au préalable s’interroger sur a) l’objectif à atteindre, b) les moyens nécessaires pour aboutir à sa réalisation, et enfin c) le degré d’achèvement souhaité.
Complexe à concevoir pour l'enseignant, notamment car distribuer des consignes ne peut se résumer uniquement à des questions de formulation linguistique (Rivière, 2006), elle est également difficile à interpréter par l'apprenant dans la mesure où elle présente un empan important en termes de variabilité, autant du point de vue morphologique que fonctionnel, que d'un enseignant à l’autre, que d’une discipline à l’autre, etc. En effet, là où l’enseignant doit être en mesure d’anticiper et de lever une double ambigüité pour l’apprenant (compréhension de la consigne elle-même et compréhension des tâches à accomplir), ce dernier doit lui se construire une représentation de la tâche ou du but à atteindre, d’autant plus que la compréhension de la tâche demandée précède sa mise en action et sa production (Bruner, 1998). Cet effort de décodage constitue d’ailleurs une part importante du temps scolaire des apprenants (Astolfi, 2010), la consigne s’avérant tout à fait multidimensionnelle pour eux en étant :
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une consigne-but qui définit un projet à réaliser ;
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une consigne-procédure qui indique les stratégies à suivre ;
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une consigne-structure qui attire l’attention sur un point précis ;
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ou encore, une consigne-critère qui permet aux apprenants de se représenter la tâche à réaliser et de vérifier sa conformité au regard des attentes de l’enseignant, la consigne assume différentes fonctions (Meirieu, 1993).
Au regard de ces aspects, les difficultés rencontrées par les apprenants peuvent ainsi être nombreuses : obstacles dans la compréhension du lexique ou du métalangage ; problèmes à établir les liens entre l'exercice et la discipline concernée ; difficultés à interpréter les conduites d’action induites par les consignes et à planifier les tâches d’apprentissage ; soucis à comprendre les attentes des enseignants ; etc. Ces écueils, bien qu’également rencontrés par les apprenants locuteurs natifs du français, s’avèrent d’autant plus importants pour les apprenants locuteurs non-natifs pour lesquels s’ajoutent des difficultés socio- et interculturelles (en particulier en matière de cultures éducatives).
L’enjeu majeur de la consigne se situe en ce sens sur la formation professionnelle des enseignants, dans la mesure où la composition de la consigne est primordiale pour l’action apprenante, ainsi que sur l’accompagnement des apprenants qui doivent bien évidemment être en mesure de comprendre et d’interpréter les consignes, mais aussi d’en décoder les attendus sous-jacents pour réussir à réaliser la tâche tout en se conformant aux attentes évaluatives. La consigne constitue ainsi un objet à la croisée de nombreux domaines (sciences de l’éducation, sciences du langage, …), qui peut donner lieu à divers travaux (notamment linguistiques et didactiques) et analyses (discursives, pédagogiques, etc.). La consigne est, dans cette perspective, un agent bien particulier de la didactique des langues étrangères, et notamment de la didactique du FLE. Il est donc particulièrement intéressant d’en étudier les contours et les impacts dans les situations d’enseignement-apprentissage.
Bibliographie
ADAM, Jean-Michel, Types de textes ou genres de discours? Comment classer les textes qui disent de et comment faire? Langages, 141, 10-27,2001. DOI: 10.3406/lgge.2001.872
ASTOLFI, Jean-Pierre, L'École pour Apprendre, Lavis, ESF, 2010.
BRUNER, Jérôme, Le développement de l’enfant - savoir dire, savoir faire, Paris, PUF, 1998.
DOMINGUEZ, Estefania, RIVIERE Véronique, « Les consignes en classe de langue : activité polyfocalisée et rôle du regard », Recherches en didactique des langues et des cultures [Online], 12-2 | 2015, Online since 20 November 2015, connection on 14 June 2022. URL : http ://journals.openedition.org/rdlc/715; DOI : https://doi.org/10
MEIRIEU, Philippe, Apprendre, oui mais comment ?, Paris, ESF, 1993.
RIVIERE, Véronique, L’activité de prescription en contexte didactique : analyse psycho-sociale, sémio-discursive et pragmatique des interactions en classe de langue étrangère et seconde,Thèse de doctorat : Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, 2006.
ZAKHARTCHOUK, Jean-Michel, Comprendre les énoncés et les consignes. Amiens, CRDP Cahiers pédagogiques, 1999.
ZAKHARTCHOUK, Jean-Michel, « La consigne au cœur de la classe : geste pédagogique et geste didactique. » Repères, 22, 61-81. 2000. DOI : 10.3406/reper.2000.2343