N°82 / La consigne en FLE : un agent infiltré ?

Le sens parfois caché dans les consignes en phonétique corrective

Jérémi Sauvage

Résumé

Résumé : L’objectif de cet article est d’analyser et d’interpréter différentes formulations de consignes en phonétique corrective pour le FLE. A différentes époques, chez différents éditeurs, il existe certains « sens cachés » induits dans ces consignes, notamment à propos des conceptions éducatives sous-jacentes et de la place de l’enseignement-apprentissage de l’oral par rapport à l’écrit. En ce sens, la consigne peut constituer un indice épistémologique pertinent pour interroger un domaine didactique.

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1. Introduction

Par « sens caché » des consignes, nous entendons les sous-entendus induits par tel ou tel exercice ou formulation dont nous pensons qu’ils trahissent une certaine vision, non neutre, de l’enseignement de la prononciation (Dominguez et Rivière, 2015). L’intérêt de ce type de réflexion est double. D’une part, un retour sur l’histoire de la discipline constituée par la didactique de la prononciation permet de porter un regard critique et épistémologique sur ladite discipline (Sauvage & Billières, 2019). D’autre part, parce que justement une distanciation est de mise dans ce type de démarche. L’un des objectifs consistera à en tirer des leçons et à améliorer la formulation des consignes dans l’avenir, dans les outils pédagogiques (plateformes, applis, manuels, ouvrages…) mais aussi à l’oral en classe. Ce qui est parfois « caché » derrière la formulation d’une consigne particulière manisfeste le plus souvent les effets d’une conception linguistique ou didactique, voire d’une idéologie scientifique ou politique, le tout de manière plus ou moins consciente. Il est ainsi intéressant, me semble-t-il, de prendre le temps de s’arrêter sur ce sujet particulier de la consigne, dans la mesure où cette consigne signifie très souvent beaucoup plus que ce qu’elle semble exprimer de prime abord.

 

2. Retour sur les enjeux de la didactique de la prononciation

Il est parfois, pour ne pas dire souvent, nécessaire de rappeler les enjeux lors de situations d’enseignement-apprentissage de phonétique corrective en langue étrangère.
 

2.1. Perception et production

Comme nous l’avons déjà rappelé par ailleurs (Sauvage, 2021a), le projet d’améliorer l’articulation de la réalisation des phonèmes d’une langue étrangère commence obligatoirement sur le plan de la perception auditive. La qualité articulatoire sur le plan phonétique est dépendante et subséquente à la qualité de la perception. Or, depuis Grammont (1914 ; 1930), Polivanonv (1931), Troubetzkoy (1949) ou Delattre (1951), les connaissances à propos de perception et de l’articulation des sons linguistiques a beaucoup évolué, grâce aux disciplines que sont la Phonétique (Vaissière, 1995 ; 2004) et la Phonologie (Clements, 1995 ; Yamaguchi, 2007), mais également grâce aux domaines connexes : Psychologie cognitive (Hilton, 2022), Neurosciences (Houdé, 1995 ; 2022 ; Rizzolatti et al., 1996 ; 2006), etc. Il faut naturellement ajouter à cela les recherches en Didactique des langues-cultures (Renard, 1977 ; Billières, 2005 ; Narcy-Combes & Narcy-Combes, 2019 ; Sauvage & Billières, 2019 ; Sauvage, (éd.) 2020), les relations entre la Phonétique générale et la didactique des langues étrangères n’ayant pas toujours été très simple (Sauvage, 2019).

Ainsi, aujourd’hui, nous savons que l’origine de la principale difficulté que les apprenants ont à percevoir un son nouveau est d’ordre neurocognitifs. En fait, l’enseignant de FLE, pendant une leçon de « phonétique corrective », a pour première mission de stimuler des réseaux de neurones qui n’ont pas l’habitude de l’être. Si le phonème /u/ n’existe pas dans le système phonologique de la (ou les) langue(s) d’origine de l’apprenant, cela signifie que les réseaux de neurones permettant le traitement du signal sonore n’ont jamais (ou très peu) été stimulés dans l’expérience neuro-perceptive du locuteur (Sauvage, 2021a). Dès lors, les exercices et les activités proposés par l’enseignant dans le cadre d’une séquence pédagogique donnée auront pour but de stimuler ces réseaux qui, dans un second temps, permettront la coordination motrice de l’appareil phonatoire. Si en plus, on s’appuie sur la boucle audio-phonatoire (Delattre, 1951) et les neurones miroirs qui ont validé la thèse de Delattre des décennies plus tard (Rizzolatti et al., 1996 ; 2006), on comprend mieux la nécessité d’exercices réguliers (ce qui ne se justifie pas autant pour la syntaxe) et pourquoi, en améliorant la qualité de la perception, on améliore la qualité de l’articulation, et réciproquement.
 

2.2. La question de l’évaluation et du niveau

Nous avons également déjà pointé l’existence de spécificités dans l’évaluation des compétences phonético-phonologiques des apprenants d’une langue étrangère (Didelot, Racine, Zay & Prikhodkine, 2021). En premier lieu, l’évaluation sommative ne devrait se faire qu’en situation réelle de communication (en classe ou en dehors), et non seulement dans le cadre d’exercices d’entrainement destinés à améliorer perception et articulation en laboratoire (Sauvage, 2021a). En second lieu, l’évolution ou la maîtrise des compétences phonético-phonologiques, parce qu’elles dépendent de capacités neuro-perceptives et de coordinations motrices de l’appareil phonatoire, ne peuvent suivre l’échelle classique utilisée pour les autres compétences linguistiques (comme la grammaire par exemple). Il ne s’agit pas ici seulement de comprendre et de mémoriser des règles de fonctionnement linguistique mais de transformer des fonctionnements neurobiologiques. C’est pourquoi, un apprenant catégorisé comme ayant un niveau moyen C1 de compétence en langue française pourra être toujours confronté à des erreurs de prononciation entre /u/ et /U/, comme lorsque qu’il était reconnu comme apprenant de A1 ou A2. Cela explique pourquoi, au-delà de l’appropriation du lexique, de la syntaxe, de l’orthographe, etc. de la langue, « l’accent international » ou les variations articulatoires propres aux origines linguistiques des apprenants reste souvent le dernier défi à relever dans l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère (Sauvage, 2021b).
 

2.3. Diversité des apprenants, difficultés des enseignants

Un autre point qui justifie les démarches de comparaison en didactique des langues et des cultures est celui de la diversité des apprenants et de leurs origines (Sauvage & Auger, 2023 sous presse). Puisque l’une des actions prioritaires de l’enseignant consiste notamment à stimuler des réseaux de neurones qui ne l’ont jamais (ou peu) été, la programmation des séquences pédagogiques pour les leçons de phonétique est étroitement liée aux origines linguistiques des apprenants. En d’autres termes, pour un enseignement efficace et pertinent, on ne peut pas enseigner la même chose en même temps aux apprenants d’une classe dont l’origine linguistique est variable. Par voie de conséquence, l’impact didactique est important : dans l’idéal, l’enseignant doit préparer plusieurs exercices / activités en fonction des systèmes phonético-phonologiques d’origine, ce qui démultiplie le travail préparatoire de la classe. Une solution qui nous semble envisageable dans un futur plus ou moins proche, serait celle d’un outil numérique permettant un diagnostic de besoins et une programmation adaptée (Sauvage, 2020).

 

3. Consignes, activités et exercices en didactique de la prononciation

Il n’est question, dans le présent article, que de nous intéresser à la relation particulière que l’apprenant, l’élève, entretient avec la consigne. Il est cependant pertinent de revenir brièvement sur le rapport entre consigne et didactique du français.
 

3.1. Consignes en didactique du Français en général et en FLE en particulier

La formulation de la consigne d’un exercice, par exemple dans un manuel, dans une conception socio-cognitive, déclenchera forcément chez l’apprenant une « ré-action » puisqu’une tâche particulière lui est demandée. Par « socio-cognition », nous faisons référence aux approches interactionnistes dont les origines puisent leurs fondements dans la philosophie marxiste, jusqu’à Bronckart (1997), en passant par Vygotski (1934-85). Dans un monde idéal, les rédacteurs de ladite consigne ont parié, dans la conception de l’activité pédagogique, sur une compréhension sans faille de sa signification. Or, il est probable que nous ayons tous, lors de notre parcours scolaire, éprouvé cette gêne particulière de ne rien comprendre à ce qui est demandé. Nous nous souvenons, à ce propos, qu’un de nos élèves, répondait au hasard à des questions de mathématiques ou bien cet autre élève de CP qui écrivait avec le même hasard les syllabes qu’il entendait. Pour ce type de difficultés rencontrées en classe, la solution passe le plus souvent par une explicitation, soit de la part de l’enseignant, qui s’est assuré de la compréhension de la consigne au préalable, soit de la part d’un autre élève, en incitant la verbalisation de cette démarche d’explicitation. Malgré tout, certains élèves n’oseront pas interpeller leur enseignant en demandant un éclairage sur ce qu’ils ne comprennent pas.

Dans le cadre de notre article, nous allons nous intéresser aux choix de formulation utilisée dans différents manuels de FLE à différentes époques. Nous posons l’hypothèse selon laquelle la culture éducative française et son évolution depuis plusieurs décennies se retrouve dans la formulation-même de certaines consignes en phonétique corrective.

Une formulation que l’on retrouve souvent dans les consignes en français reste celle à l’impératif du type « faites ceci », « faites cela ». Ce type d’injonction (Zakhartchouk, 1999 ; 2000) reflète bien, selon nous, la traditionnelle conception de l’enseignement à la française basé sur la posture magistrale de l’enseignant, détenteur du savoir savant avant tout autre chose, et sur celle de l’élève dont le rôle peut se résumer avant tout à l’obéissance et l’exécution de ces consignes, ce qui renvoie à la question de l’autorité (Robbes, 2010 ; Lechevalier, 2011), voire de l’autoritarisme (Beretti, 2015).

Par ailleurs, la place des apprentissages de l’enseignement de l’oral en classe en France a connu une évolution beaucoup plus lente que dans d’autres systèmes éducatifs et culturels (Sauvage, 2021a). Ainsi, si la didactique de l’oral a émergé dès la fin du 19e siècle en FLE avec les méthodes dites « naturelles », il aura fallu atteindre les Instructions Officielles de 1995 pour qu’elle trouve une place officielle dans les classes des écoles primaires en FLM (MEN, 1995). Aujourd’hui, les coefficients aux examens de langues, en Français (coefficient identique à l’écrit et à l’oral) et en LVE, accordent une place plus importante qu’autrefois aux coefficients des épreuves orales pour au moins quatre bonnes raisons. Premièrement, la désacralisation de l’écrit et de ses compétences a permis de s’intéresser aux langues de manière plus globale. Ensuite, la didactique des langues et des cultures insiste depuis des années sur le fait que l’on apprend une langue pour la parler, ce qui réhabilite l’intérêt de l’appropriation des compétences linguistiques orales pour toute langue apprise. Troisièmement, la recherche dans le domaine a montré que les épreuves les plus difficiles (donc sélectives) ne sont pas celles de l’écrit (vs celles de l’oral) mais celles de Production (orale et écrite), versus celles de Compréhension (Sauvage & Gardies, 2021). Enfin, la fonction première de l’oral, que l’on peut résumer à une nécessité sociale de communiquer (et non seulement de parler) s’est imposée comme objectif prioritaire dans notre système éducatif comme en témoignent les épreuves très valorisées des « grands oraux » au Diplôme national du Brevet (coefficient 5) et au Baccalauréat (coefficient 10).
 

3.2. Types d’exercices et d’activités en classe

La priorité des exercices et des activités en lien avec des objectifs phonético-phonologiques en classe de FLE s’oriente donc vers une stimulation des capacités perceptives, condition première pour améliorer la qualité de l’articulation phonétique. Cela dit, les exercices d’écoute et de production sont préconisés au cours d’une même séance pour les raisons exposées par Delattre (1951) supra à propos de la boucle audio-phonatoire. D’un point de vue didactique, la Méthode verbo-tonale (Renard, 1977 ; Billières, 2001 ; 2005 ; 2008 ; 2021) a développé un ensemble de conseils et de préconisations à la fois innovantes mais aussi syncrétiques par rapport aux activités passée (Detey, 2020 ; Sauvage, 2021a). La diversité des exercices est fondamentale, dans la mesure où il y a nécessité de répétition mécanique pour stimuler les réseaux de neurones visés.

Mais le plus important, selon nous, qu’il convient de laisser l’enseignement-apprentissage de la phonétique / phonologie au niveau de l’oral. Dans l’idéal, la totalité de la leçon, surtout avec les niveaux A1 et A2, doit pouvoir être faite sans activité de lecture et d’écriture. Pas de stylo, pas de papier. Seules la perception et la production orales doivent (devraient) guider la progression pédagogique des apprenants. On peut par exemple prendre pour point de référence une leçon type qui serait destinée à des apprenants analphabètes, comme c’est plus ou moins souvent le cas avec des élèves issus de l’immigration en France (cours de l’OFII et / ou dans les classes d’accueil destinées aux Elèves Allophones Nouvellement Arrivés en France (EANA) dans l’Education nationale. Or, en analysant les leçons et leurs exercices de différents manuels, nous allons constater qu’il n’est pas rare de relever des consignes faisant allusion à l’acte de lire et/ou à l’acte d’écrire alors que l’objectif principal de la leçon concerne la perception et l’articulation des sons linguistiques.
 

4. Manuels, consignes et sens cachés

Les extraits de manuels auxquels nous allons nous référer dans cette section sont issus de différentes époques et de différents éditeurs.
 

4.1. Choix des manuels et autres outils pédagogiques

Il est important de préciser qu’il n’est, bien entendu, aucunement question de jeter l’anathème sur un auteur ou un éditeur en particulier. Nous souhaitons rester sur les types de formulation des consignes formulées à destination des apprenants. Le choix de ces manuels a été fait en fonction de ces cinquante dernières années de manière à essayer d’être représentatifs de leur époque, sans volonté particulière de dénigrer ou de juger ces outils pédagogiques indispensables pour la classe de FLE. Nous avons ainsi retenu les ouvrages suivants :

 

BARRET L., Méthode de prononciation du français, Didier, 1968.

LEON M., Exercices systématiques de prononciation française 1 et 2, Hachette / Larousse, 1964 et 1970.

CALLAMAND M., L'intonation expressive. Exercices systématiques de perfectionnement, Hachette / Larousse, 1973.

CLARENC J., GOMEZ L., Les chemins de la parole. La parole est à vous, Libertés sur paroles 1 et 2., I.E.E. / C.F.P., U.P.V. Montpellier III, 1988.

KANEMAN-POUGATCH M., PEDOYA-GUIMBRETIÈRE E., Plaisir des sons, Hatier / Didier, 1989.

PAGNIEZ-DELBART T., A l'écoute des sons. Les voyelles, les consonnes, CLE international, 1990 / 1992.

ABRY D., CHALARON M-L., Phonétique, 350 exercices, Hachette F.L.E., 1994.

SIREJOLS E., TEMPESTA G., Bien entendu!, Hatier/Didier, 1994.

CHARLIAC L., MOTRON A-C., Phonétique progressive du français avec 600 exercices, CLE international, 1998.

ABRY D., CHALARON M-L., Les 500 exercices de phonétique, Hachette FLE, 2009.

 

4.2. Résultats et interprétations

Dans cette section nous commencerons par exposer nos résultats par thématique et proposerons une interprétation dans la foulée.
 

4.2.1. Les sommaires

Commençons par nous intéresser au sommaire de certains de ces manuels pour mieux comprendre, non pas directement la formulation des consignes, mais la conception sous-jacente de l’enseignement de la langue française. Ainsi, en 1968 paraît une Méthode de prononciation du français dans laquelle le point de départ est la langue écrite.

 

Image 1 : BARRET L., Méthode de prononciation du français, Didier, 1968.

 

Le « programme des cours enregistrés sur bande magnétique » s’appuie en effet sur des compétences de lecture, c’est-à-dire d’oralisation et non d’oral, du français écrit (Weber, 2022). L’une des caractéristiques spécifiques à la prononciation du français est celles des enchainements et des liaisons, en raison des diverses structures syllabiques possibles et qui peuvent conduire à la coarticulation de deux ou plusieurs voyelles (par exemple : « les enfants » ® // + /BfB/ = [zBfB], où le son [z] a pour origine la graphie du déterminant et pour fonction de resyllaber la parole en une suite de syllabes de structure CV dans le but d’éviter des frontières intervocaliques). Il en va de même pour le /e/ schwa en leçon n°2 (Chabanal, 2020).
 

Image 2 : BARRET L., Méthode de prononciation du français, Didier, 1968.

 

Dans l’image 2, cette intuition de la prégnance du français écrit comme support pour apprendre à prononcer la langue orale se confirme par la rubrique importante du manuel : « Textes de perfectionnement ». Il s’agit bien là de s’appuyer sur le texte littéraire, en l’oralisant, pour s’entrainer et apprendre à articuler les phonèmes spécifiques du français. Il est important de préciser qu’à cette époque longtemps après, la didactique du Français comme langue étrangère n’existait pas encore, non plus que les objectifs communicatifs de l’apprentissage des langues.

Dans l’image 3, et pourtant à la même époque (1964 pour la première édition), parait un volume d’exercices pour s’entrainer à améliorer la langue française. Cet exemple vient compléter le précédent en illustrant la seconde approche possible de la didactique de l’oral à cette époque : en plus de l’entrée littéraire (culture Lettres Modernes, CAPES, Agrégation) développée par Barret (1968), il existe une entrée plus centrée sur les Sciences du langage avec Léon (1964-70). Alors même que le commencement de la préparation est étrangement similaire (enchainements et liaisons), chaque leçon a pour objectif d’apprendre à opposer phonologiquement deux phonèmes susceptibles de poser problème aux apprenants.
 

Image 3 : LEON M., Exercices systématiques de prononciation française 1 et 2, Hachette / Larousse, 1964 et 1970.

 

En 1973, Callamand (1973), fut la première à privilégier la dimension prosodique, suprasegmentale, dans l’enseignement apprentissage de l’oral. Cela dit, sa formation classique d’enseignante de Lettres se ressent dans les entrées choisies : des notions essentiellement grammaticales et donc métalinguistiques faisant appel aux connaissances métalangagières des apprenants. Précisons que Callamand a su ancrer sa pensée didactique à la fois pleinement en Phonétique et en Didactique du FLE en étant l’une des pionnières du domaine en soutenant et publiant une thèse de doctorat sur le sujet (Callamand, 1981 ; Callamand & Pédoya-Guimbretière, 1984).


Image 4 : CALLAMAND M., L'intonation expressive. Exercices systématiques de perfectionnement, Hachette / Larousse, 1973.

 

4.2.2. Formulations des consignes

Dans la formulation des consignes proprement dite, nous retrouvons la très répandue forme impérative : « Ecoutez et notez » … qui relève donc comme nous l’avons mentionné plus haut de la démarche injonctive.

 

ABRY D., CHALARON M-L., Phonétique, 350 exercices, Hachette F.L.E., 1994.

 

Ce n’en fut toutefois pas toujours le cas comme le montre l’image 5 où la consigne est formulée comme un titre thématique de paragraphe, ici, en 1970, en proposant une activité à destination d’apprenants d’origine scandinave, comme quoi la prise en compte des langues et des cultures d’origine en didactique de la prononciation n’est pas une idée nouvelle alors même qu’elle est, toujours aujourd’hui, encore peu répandue dans les salles de classes et les laboratoires de langues.


Image 5 : LEON M., Exercices systématiques de prononciation française 1 et 2, Hachette / Larousse, 1970.

 

Une alternative, que nous employons nous-même personnellement, est la formulation à l’infinitif, et non à l’impératif : « Travailler avec l’enregistrement » (Image 6).  


Image 6 : CALLAMAND M., L'intonation expressive. Exercices systématiques de perfectionnement, Hachette / Larousse, 1973.

 

Dans Clarenc & Gomez (1988), on peut mesurer les effets du développement de la pensée socio-pragmatique et des approches communicatives issus des années 1970 et de la prise en compte de la Sociolinguistique et des finalités de l’enseignement-apprentissage des langues. Ici, il est question de « situation », c’est-à-dire non plus simplement de l’apprentissage d’un objet décontextualisé mais de la prise en compte d’une pratique linguistique, en situation.


Image 7 : CLARENC J., GOMEZ L., Les chemins de la parole. La parole est à vous, Libertés sur paroles 1 et 2., I.E.E. / C.F.P., U.P.V. Montpellier III, 1988.

 

Bien sûr, par la suite, après un démarrage de l’activité dans une perspective communicationnelle, la phase de mémorisation et de structuration passera immanquablement par « Ecoutez et répétez ». Ces deux phases nous semblent très importantes et représentatives du tournant pris par la didactique de la prononciation du FLE à la fin des années 1980. En effet, l’ordre de ces activités en classe renvoie aux démarches déductives (approche classique, partant de la règle) et démarches inductives (approche sociocognitive, partant du sens pour co-construire et comprendre la règle linguistique). On retrouve d’ailleurs cette opposition de conception dans les méthodes de lectures qui ont fait leur apparition dans les années 1980-90 : méthode ascendante ou mixte (démarche inductive) versus méthode descendante (démarche déductive).

La méthode qui incarne très bien cette approche sociale de l’enseignement-apprentissage de la prononciation du FLE et qui fut largement diffusée fut Plaisir des sons (Kaneman-Pougatch & Pédoya-Guimbretière, 1989). Ici, le titre même du manuel constitue une consigne générale illustrant l’état d’esprit et la conception de la méthode proposée : prendre du plaisir à apprendre à prononcer des phonèmes nouveaux au cours d’une progression organisée de leçon de phonétique (ce qui n’est pas gagné au départ).


Image 9 : KANEMAN-POUGATCH M., PEDOYA-GUIMBRETIÈRE E., Plaisir des sons, Hatier / Didier, 1989.

 

Ceci dit, la perfection n’étant pas de ce monde, on peut relever quelques formulations de consignes susceptibles d’être problématiques pour certains apprenants. Mettre des croix dans un tableau implique une reconnaissance visuelle basée sur le rapport graphie/phonie entre la représentation graphique le son qui lui correspond. Ce qui est intéressant ici est l’organisation de la page : à gauche, on travaille l’écoute, à droite l’écriture. Or, à gauche, les consignes sont de mettre une croix ou de compter le nombre de fois où l’on entend le son [J] et à droite on commence par demander aux apprenants d’écouter, puis d’écrire des lettres correspondant à des sons dans un texte à trous. Dans l’absolu, les raisons pédagogiques justifient pleinement le travail sur la correspondance graphie / phonie. Mais comment faire avec des apprenants analphabètes ?

Nous préconisons de construire une progression à étape au cours d’une même leçon ou d’une même séquence. Nous savons désormais que la perception et la production se travaillent en même temps. Il convient donc dans un premier temps de proposer des activités / exercices de perception, puis de production / répétition comme dans Abry & Chalaron (2009).


Image 11 : ABRY D., CHALARON M-L., Les 500 exercices de phonétique, Hachette FLE, 2009.

 

L’objectif principal serait ici celui de la stimulation des réseaux de neurones donc nous avons parlé supra. Ensuite, une activité communicative pourra démarrer une mise en situation, à laquelle d’autres exercices de perception et de production auront eux un objectif principal de communication et d’intercompréhension (la dimension physiologique devenant secondaire). Enfin, seulement dans un troisième temps, les auteurs envisagent de proposer des exercices à propos des relations oral/écrit, par exemple des transcriptions ou de la lecture à haute voix pour oraliser des textes écrits.
 

4.2.3. L’oral et l’écrit

Nous proposons de terminer cette analyse en interrogeant les conceptions de l’oral et de l’écrit à travers les consignes formulées, ce qui renvoie une fois de plus, aux deux grandes approches historiques de la Didactique du français : approche littéraire (Lettres modernes) vs approche linguistique (dans le sens Sciences du langage). Au passage, on notera que dans le système éducatif français, le professeur de français, qui est une langue, n’est pas « professeur de français » mais « professeur de lettres », ce qui en dit long sur les représentations existant à ce propos. L’enseignant de FLE, lui, n’est pas professeur de lettres puisqu’il n’a ni besoin de CAPES, ni besoin d’Agrégation mais d’une Maitrise ou d’un Master FLE pour enseigner… la même langue que ses collègues de l’Education nationale. Mais beaucoup (dans les instituts universitaires ou l’AEFE) sont détachés de l’Éducation nationale et ont été formés en Lettres Modernes en obtenant un concours (CAPES ou Agrégation de Lettres).

Dans Pagniez-Delbart (1990-92), on demande clairement d’écrire aux apprenants : « Ecrivez les graphies qui correspondent aux sons (…) dans les phrases suivantes : » Autant de concepts de l’écrit convoqués dans cette consigne qui s’inscrit, malgré tout dans le cadre d’une leçon de Phonétique, la sacro-sainte « dictée » étant à la fois un exercice en lien avec le rapport entre l’oral et l’écrit et, surtout, en lien avec la Didactique de la langue française de manière générale. Et pourtant, la méthode s’appelle « A l’écoute des sons », comme si l’objectif de la compétence de perception était de savoir orthographier ces sons, alors qu’en fait, il s’agirait de savoir les prononcer. Et pourtant ! On le constate, depuis les tout débuts de la Didactique de l’oral en FLE, le véritable objectif est d’entrer dans l’apprentissage de la lecture-écriture, puisque toute l’histoire de l’enseignement-apprentissage du français est fondé depuis au moins Chevreuse au 17e siècle par les savoirs, avant tout de, lire et écrire le français, et non pas de parler la langue.


Image 13 : PAGNIEZ-DELBART T., A l'écoute des sons. Les voyelles, les consonnes, CLE international, 1990 / 1992.

 

Il en est de même dans Sirejols & Tempesta (1994), lorsqu’il est demandé aux apprenants d’écouter, dans un premier temps, puis de compléter par écrit dans un second temps des phrases à trous, ici avec des voyelles nasales.


Image 14 : SIREJOLS E., TEMPESTA G., Bien entendu!, Hatier/Didier, 1994.

 

Enfin, dans Charliac & Motron (1998), il est demandé aux apprenants de lire, encore une fois, très tard (et heureusement) dans la leçon, mais quid des apprenants analphabètes ? En particulier ceux issus de l’immigration de pays où la scolarisation n’est plus un droit, par exemple l’Afghanistan pour les filles et les femmes ?


Image 15 : CHARLIAC L., MOTRON A-C., Phonétique progressive du français avec 600 exercices, CLE international, 1998.

 

5. Pour conclure

Dans cet article, nous avons voulu aborder un sujet peu traité, celui des consignes dans les leçons de phonétique corrective à travers les dernières décennies. Il apparaît, aujourd’hui, que la question des consignes donne des indications précieuses sur les conceptions de la didactique mais aussi de la langue française induites par leurs formulations. Alors que la didactique de la prononciation connaît un regain d’activité depuis les années 2010, nous espérons que le regard épistémologique et historique sur le domaine pourra, dans l’avenir, éclairer quelques pistes didactiques pour le futur, en particulier pour une dimension que nous n’avons pas eu l’occasion de développer dans le présent article : l’articulation entre numérique et didactique de l’oral. Nous sommes en effet convaincu que l’outil numérique pourra suppléer jusqu’au soulagement l’enseignant de FLE qui, objectivement, ne peut pas préparer quatre, cinq six ou plus leçons différentes pour proposer des exercices et des activités efficaces en didactique de la phonétique en classe de FLE.

 

Bibliographie

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La consigne en français langue de scolarisation : les approches plurilingues et pluriculturelles comme ressources pour la formation des enseignants

Nathalie Auger

Résumé : La consigne en français langue de scolarisation (désormais FLSco) est bien spécifique puisqu’elle est à la fois objet langagier et moyen de développer des compétences disciplinaires, celles du programme scolaire. Après un passage en revue de l’état de l’art concernant les éléments susceptibles d’être bloquants pour la compréhension et la réalisation de tâches suscitées par des consignes en FLSco, notre problématique tentera de cerner dans quelles mesures les approches plurilingues et pluriculturelles, souvent convoquées comme une ressource par les...

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N°79 / 2021

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