N°82 / La consigne en FLE : un agent infiltré ?

La consigne en français langue de scolarisation : les approches plurilingues et pluriculturelles comme ressources pour la formation des enseignants

Nathalie Auger

Résumé

Résumé : La consigne en français langue de scolarisation (désormais FLSco) est bien spécifique puisqu’elle est à la fois objet langagier et moyen de développer des compétences disciplinaires, celles du programme scolaire. Après un passage en revue de l’état de l’art concernant les éléments susceptibles d’être bloquants pour la compréhension et la réalisation de tâches suscitées par des consignes en FLSco, notre problématique tentera de cerner dans quelles mesures les approches plurilingues et pluriculturelles, souvent convoquées comme une ressource par les chercheurs en FLSco, peuvent être pertinentes dans ce contexte. Pour répondre à cette problématique, deux projets de recherche sont convoqués, impliquant des élèves allophones et mettant en œuvre ce type des approches plurilingues. Les résultats montrent un impact intéressant sur la compréhension et mise en œuvre des consignes pour les élèves ; de nouvelles pratiques enseignantes émergent, qui ne doivent cependant pas masquer certaines difficultés. En conclusion, cette réflexion s’avère également utile également pour les élèves en classe ordinaire.

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1. Introduction

La consigne en français langue de scolarisation (désormais FLSco) comporte une double dimension. Bien entendu, comme en français langue étrangère (désormais FLE), elle vise à faire acquérir des compétences langagières et culturelles. Mais sa spécificité n’est pas de faire travailler uniquement le langagier. Comme en français sur objet spécifique ou universitaire, la particularité de la consigne réside dans le fait qu’elle constitue également un moyen de développer des compétences disciplinaires, celles du programme scolaire. La consigne est donc centrale car, si elle n’est pas comprise, l’élève[1] va non seulement être en difficulté langagière, mais aussi curriculaire.

Dans tous les cas, comment savoir si l’élève a compris ? Mais surtout, quels sont les éléments bloquant cette compréhension et la réalisation de la tâche proposée par la consigne ? Ainsi, le langagier n’est pas le seul obstacle à la compréhension de la consigne. Les dimensions interculturelles sont éminemment à l’œuvre et peuvent provoquer de nombreux malentendus pouvant conduire à des stigmatisations. Par la non compréhension de la consigne, l’élève peut vite devenir vulnérable. Il est d’ailleurs à souligner que l’élève nouvellement arrivé (EANA) est plus sujet au harcèlement scolaire que ses camarades. On comprend alors combien le sentiment de vulnérabilité peut être exacerbé chez l’élève à la fois par le manque de compréhension du nouvel environnement, des consignes, et de ce qui est attendu de lui en général en plus du harcèlement potentiel (Guedat-Bittighoffer et Dat 2018). Il est donc urgent, dans ce cadre, de problématiser la question de la consigne en FLSco et d’informer et former les enseignants à concevoir des consignes en FLSco qui fassent sens pour leurs élèves.

Pour ce faire, un état de l’art sur les enjeux de la consigne et plus spécifiquement en FLSco explicitera l’intérêt actuel des chercheurs pour les approches plurilingues et pluriculturelles. La problématique de l’article visera donc à saisir en quoi ces approches peuvent être potentiellement pertinentes pour une meilleure compréhension et mise en action des consignes pour des élèves allophones. Ces approches plurilingues et pluriculturelles seront ensuite questionnées à l’aune de deux projets de recherches (LISTIAC, et plus marginalement BINOGI-ESCAPE). Ces projets sont des recherches-actions. Ils sont constitués d’observations participantes, d’entretiens et d’activités co-construites avec les enseignants. Les résultats montrent la transformation de certaines pratiques de classe qui ont un impact sur la compréhension et la mise en oeuvre des consignes. La problématique « en quoi les approches plurilingues et intercultutelles » peut éclairer la question de la consigne en FLSco aboutissant à certains résultats intéressants pour la formation des enseignants.

 

2. Etat de l’art : une consigne « multiples peines »

Les études sur le français langue maternelle (Toulou 2011) ont depuis longtemps pointé l’intérêt d’étudier la consigne pour une meilleure réussite scolaire. Cependant, la spécificité du FLSco complexifie encore la problématique. Si comprendre une consigne nécessite une compétence langagière appropriée, elle requiert aussi des connaissances suffisantes dans la discipline enseignée. Pour pouvoir réaliser la tâche, ces connaissances sont de l’ordre de savoirs relatifs à l’utilisation des objets réels (« utiliser son équerre », « son compas » par exemple) et conceptuel (par exemple la consigne « tracer un segment » nécessite un savoir-faire définit discursivement par l’énoncé suivant « En géométrie, un segment de droite est une portion de droite délimitée par deux points, appelés extrémités »).

Par ailleurs, dans la réalisation de la tâche suggérée par la consigne, Mangiante, dans ce même numéro de revue, souligne la « plasticité de la consigne ». En effet, un acte de parole comme « décrire » dans la consigne « décrivez la figure ABC » en cours de mathématiques et « décrivez le Père Goriot » en classe de français n’implique pas les mêmes connaissances. Si l’on entre davantage dans le détail, la complexité de la consigne en FLSco révèle différents niveaux de défi. Plusieurs cas de figure se posent en effet en français langue de scolarisation. L’élève peut ne pas comprendre la consigne parce que, langagièrement, il ne connait pas le lexique, ou des éléments de l’énoncé qui le composent.

L’apprenant peut aussi avoir des difficultés de compréhension liées aux formes langagières écrites ou orales. Cela peut être le cas s’il n’est pas encore entré dans l’écrit ou bien si la forme oralisée de la consigne est éloignée de ce que l’élève lit. Ce cas de figure existe quand l’élève n’a pas encore développé une compétence dans le lien graphie-phonie. Pour donner un exemple, un francophone qui apprend le portugais langue seconde aura plus de facilités à comprendre des textes écrits que les énoncés oraux du fait d’une importante différence entre le français et le portugais dans la manière de prononcer des sons à partir de formes écrites parfois très semblables

Autre difficulté, l’élève peut, par ailleurs, tout à fait comprendre l’énoncé mais ne pas saisir son implicite comme dans l’exemple « montez en classe » que l’élève n’interprète pas comme « je dois me ranger pour pourvoir monter en classe ». Il pourra ainsi être repris par l’enseignant simplement parce qu’il ignore le prérequis impliquant de se ranger.

Si l’élève surmonte ces obstacles, différentes difficultés peuvent encore survenir. En effet, si la consigne exige une réponse écrite et que, de nouveau, l’élève n’a pas encore les moyens langagiers de s’exprimer scripturalement, il se trouvera dans l’embarras pour montrer qu’il a compris la consigne (sans parler de son exécution). Le même phénomène peut survenir avec l’oral, un apprenant pouvant avoir des compétences moindres à l’oral pour diverses raisons (connaissances ou difficultés émotionnelles, motivationnelles). Finalement, le fait de savoir n’implique pas forcément le fait de pouvoir (Narcy Combes ici-même). Des études comme celles de Attar, Blom, Le Pichon (2020) donnent l’exemple des élèves Syriens au Canada plus avancées en mathématiques que les camarades de leurs classes d’âge. Malheureusement, ces élèves nouvellement arrivés au Canada n’ont pas l’occasion de montrer leurs compétences lors des activités de classe par manque de moyens langagiers alors qu’ils comprennent tout à fait les consignes. Ils ne peuvent donc tout simplement pas réaliser la tâche pour des raisons purement langagières.

Pour résumer, même si l’élève comprend la consigne du point de vue linguistique et disciplinaire, il peut donc être également empêché dans son exécution par la langue mais aussi par les spécificités de la matière qu’il apprend. Un exemple est donné à voir dans le court-métrage primé « immersion » (Levien, 2009)[2]. L’élève en mathématiques arrive à comprendre la consigne grâce à des éléments graphiques dessinés, des éléments mimo-gestuels de l’enseignante et une traduction d’un mot de la consigne en espagnol par sa voisine. Il peut donc effectuer l’opération requise pour résoudre le problème. Il obtient alors le résultat à l’origine de la consigne. Cependant, quand l’enseignante lui demande d’expliquer à l’oral son raisonnement scientifique pour montrer aux autres élèves sa démarche, il en est incapable en raison de sa compétence langagière. Des rumeurs fusent dans la classe, certains élèves suggérant une potentielle tricherie. L’enseignante demande à plusieurs reprises l’explicitation verbale du raisonnement et l’élève ne peut faire autrement que répéter son résultat sans pouvoir argumenter… devant une classe hilare. Cet exemple nous ramène encore à la problématique de la vulnérabilité des élèves allophones dans le système scolaire et au harcèlement potentiel. Si l’on examine le « versant » enseignant, ce dernier ne sait pas, bien souvent, si la difficulté vient de la compréhension ou de la production langagière ou des spécificités de sa discipline. Il est donc important d’alerter les enseignants sur les lieux de difficultés potentielles des élèves en FLSco lors de l’émission d’une consigne sous la forme du tableau suivant :

Compréhension orale de la consigne (langagier)

Compréhension de la consigne du point de vue disciplinaire

Réalisation de la tâche non verbale

Réalisation de la tâche verbale

oui

oui

oui

Oui

oui

oui

oui

non

oui

oui

non

non

non

oui

oui

non

non

non

non

non

Compréhension (langagier) écrite  

 

 

 

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

non

oui

oui

non

non

non

oui

oui

non

non

non

non

non

Tableau 1 : 4 lieux de difficultés potentielles pour la compréhension des consignes et  leurs réalisations en FLSco

 

2.1. Les dimensions interculturelles de la consigne : externalisation, internalisation

L’entrée à l’école élémentaire ou secondaire en France implique la prise en compte de nouvelles réalités culturelles pour les élèves, francophones ou non. Cependant, les enfants francophones qui ont été scolarisés depuis l’âge de trois ans dans les établissements de maternelle se sont appropriés un ensemble de consignes porteuses d’une charge culturelle partagée (Galisson 1991) qui ne le sera pas pour des élèves nouvellement arrivés. Ainsi, on peut parler d’externalisation dans le sens où l’élève, sans le savoir la plupart du temps, a une vision décentrée de la consigne. Il ne la comprend pas comme les autres, il la vit depuis l’extérieur car il n’a pas encore internalisé un certain nombre de connaissances culturelles à ce sujet.

Par exemple, les consignes impliquant des sigles, très fréquents dans la sphère de l’éducation nationale peuvent être non-comprises par l’élève. En maternelle, « tu vas faire l’activité avec l’ATSEM », au collège « Comme tu as été absent mardi, tu iras voir la CPE », « Cette tâche est à réaliser au CDI ». Ainsi, il est important de rendre transparent ces mots à charge culturelle partagée (CCP) de Galisson (1991), par exemple concernant les lieux ou les personnes de l’établissement (qui, fait quoi, où, pourquoi ?). Ainsi, les consignes seront mieux comprises.

En outre, certaines consignes sont « à tiroir » et mobilisent aussi une dimension culturelle. Quand l’enseignant dit « Alors pour vendredi, il faudra finir l’exercice 10 de la page 22 » (corpus LISTIAC, voir ci-dessous), il n’est pas rare que les élèves allophones regardent hébétés leurs camarades plonger dans leur cartable pour en sortir leur agenda ou cahier de texte afin de noter le travail. La consigne donnée est plus rarement « Sortez vos agendas et vos cahiers de texte afin de noter qu’il faudra finir l’exercice 10 de la page 22 pour vendredi ». L’enseignant donne souvent une double consigne, l’une est explicite (ici le numéro de l’exercice à finir avec le jour pour le rendre) et l’autre est implicite (il faut noter le travail sur l’agenda). Il y a tant de cultures scolaires (Beacco, Chiss, Cicurel, Véronique 2005) comme donner les devoirs à faire via un logiciel, un agenda, ne pas donner de devoir écrit à la maison, que la consigne peut être interprétée de façon très variable.

Ainsi, le fait de se ranger quand le professeur arrive dans la cour et demande d’entrer en classe est un acquis du métier d’élève qui est parfois peu explicite pour certains élèves nouvellement arrivés en France. La consigne « entrez en classe », est une forme dénotative qui ne correspond pas directement au fait de se ranger. Sans compter que cette dimension interculturelle peut entrainer des malentendus si, dans l’établissement antérieur de l’apprenant, il était inutile de se ranger avant d’entrer en classe, chacun entrant librement dans la salle. On comprend que la traduction n’est donc pas le seul enjeu de la réalisation de la tâche exigée par la consigne.

En effet, l’élève, en anticipant une consigne qu’il s’est approprié dans son contexte scolaire avant d’arriver en France pour la transposer dans sa nouvelle classe, peut aussi causer l’étonnement et parfois sa propre stigmatisation. Par exemple, un élève peut avoir appris qu’il faut se lever pour demander la parole et se mettre debout pour poser une question, internalisant et mettant en acte la consigne « tu dois te lever quand tu veux répondre à une question ». Dans notre corpus LISTIAC (voir présentation ci-dessous), un élève demande l’autorisation de se moucher, ce qui étonne l’enseignante. Elle voit ensuite l’élève sortir dans le couloir pour se moucher. Seconde surprise qui provient d’une dimension culturelle internalisée différente des attentes du nouveau système scolaire.

Cette internalisation d’une consigne, ou, au contraire, le fait d’être extérieur à sa composante culturelle, entraine de nombreux malentendus. Ceux-ci peuvent être source de curiosité et d’un travail de décentration pour comprendre qu’une consigne est relative à son contexte d’énonciation.

Ce télescopage entre consigne « de l’avant », internalisée, et du « maintenant », encore vécue de façon plus ou moins extérieure à l’élève, peut être un point de départ très intéressant du travail de l’interculturel en classe, permettant à tout un chacun de relativiser et de contextualiser l’univers des consignes de l’environnement qui est rarement problématisé. 

Enfin, dans notre corpus LISTIAC (voir ci-dessous), certains enseignants, sont déroutés par la façon dont les élèves allophones répondent à des consignes par exemple en mathématiques, quand, pour répondre à l’injonction « Posez et effectuez la soustraction 1240 moins 645 », les élèves ne posent pas la soustraction et les retenus comme il est habituel dans la culture mathématique en France. La plupart des enseignants demande même aux élèves de revoir leur méthodologie ce qui semble surprenant quand l’approche est aussi efficace que celle proposée en France.

Enfin, il faut considérer que les enseignants et tous les camarades de classe, allophones ou non, sont aussi en situation interculturelle, l’interculturalité valant pour l’ensemble des interactants en présence. Les malentendus existent non seulement pour les élèves allophones mais aussi pour les autres camarades et enseignant, qui ne comprennent pas les réponses et/ ou les actions. Entrer dans ce travail de décentration est utile pour mieux comprendre les formes d’apprentissage auxquelles les élèves sont exposés… et qui ne vont pas forcément de soi.

 

2.2. Le malentendu interlinguistique

Pour un élève allophone en situation scolaire, la consigne peut ne pas être comprise linguistiquement, mais, au-delà, peut aussi être sujette à des télescopages entre langues entrainant différents types de malentendus. Ces malentendus peuvent survenir à tous les niveaux linguistiques : de la phonologie à la syntaxe, en passant par le mimo-gestuel.

Par exemple, du point de vue phonologique, certains élèves arabophones qui auront des difficultés, en début d’apprentissage, à prononcer le phonème /è/ dans « elle » vont certainement utiliser un phonème proche existant dans le système phonologique de leur variété d’arabe L1 comme le /i/ et dire « il ». En français, « il » et « elle » étant deux pronoms personnels de genre bien distincts, les consignes créent de nombreux « mal-entendus », au sens de difficultés réelles de perceptions, puis de productions (Auger, 2010 ; Sauvage, 2021 ; Sauvage & Auger, 2023 sous presse). Comment, en effet, comprendre la consigne orale « remplacez les blancs par « il » ou « elle » » quand on ne distingue pas la paire minimale ? De même, des enseignants vont parfois même jusqu’à imaginer que certains élèves ont des soucis cognitifs car ils ne distinguent pas, dans les narrations par exemple, les personnages féminins ou masculins. En réalité, il n’en est rien : l’élève a simplement des difficultés à percevoir et à articuler le phonème /è/.

Triste constat : les élèves allophones sont sur-représentés dans les dispositifs médicaux de rééducation orthophonique et dans ceux, des écoles, destinés à des élèves en situation de handicap (Dalle, 2020).

Par ailleurs, la prosodie utilisée par l’enseignant pour énoncer la consigne peut aussi se télescoper avec des normes différentes des langues déjà connues par les élèves. Le fait d’utiliser une prosodie montante pour les questions en français peut induire en erreur un élève allophone. Si un enseignant dit à un élève « tu finis l’exercice 2 ? », et que l’élève ne saisit pas ce patron intonatif spécifique de la question, il peut comprendre qu’il s’agit d’une assertion, d’un impératif et pas d’une question de l’enseignant.

On peut également revenir sur la question des noms qui ne recouvrent pas exactement la même zone de désignation, par exemple dans cette consigne en littérature où l’enseignant demande « est-ce que dans cette histoire le personnage a de la chance » qui sera peu compréhensible pour un élève anglophone. En effet, en anglais « chance » a le sens de probabilité, celle-ci n’est pas orientée vers des chances de réalisations positives ou négatives. Ce n’est pas toujours le cas en français où « chance » aura davantage le sens d’une réalisation positive dans le langage courant. Il en va de même de bien d’autres termes comme « to pretend » : prétendre en français et ayant le sens de mentir en anglais.

Autre exemple, au collège, dans la consigne « vous allez faire l’activité 5 du livre page 12 », est-ce que le « vous » et à entendre comme une activité de groupe ou individuelle ? L’élève qui ne saura pas forcément qu’au collège et, a fortiori, au lycée, on peut le vouvoyer, peut, nous l’avons vu dans nos corpus, penser que le travail est à faire en groupe.

De même, l’ordre des mots dans la consigne peut induire en erreur les élèves qui fonctionnent communément avec des langues flexionnelles. Si l’enseignant veut travailler sur la voix active et passive, certains élèves peuvent être déroutés. « Qui mange qui dans la phrase « la souris mange le chat » ? ». En effet, en russe par exemple, un morphème ajouté aux noms permettra de saisir qui est l’agent et qui est le patient (détrimentaire).

Si plutôt que poser comme allant de soi les éléments de la consigne, ceux-ci étaient problématisés à l’aune des langues déjà connues par les élèves, les zones de difficultés pourraient être éclairées.

 

2.3. Etat de l’art sur les approches plurilingues et interculturelles en FLSco

Ce bref passage en revue de l’état de l’art et d’exemples concrets qui révèlent les enjeux de la consigne pour des publics EANA montre combien les « bonnes consignes [qui] permettent aux étudiants de se mettre en action rapidement sans perdre de temps à se questionner sur la tâche à accomplir » (Zakhartchouk 1999) sont parfois hors de portée. Bien souvent, ni les élèves, ni les enseignants n’arrivent à déterminer la raison d’être de l’incompréhension, du mal-entendu.

Il est intéressant à présent de rapprocher cette littérature sur la consigne de celle, très importante en FLSco qui a trait aux théories relatives au répertoire plurilingue de l’élève pour comprendre leur potentiel intérêt pour la problématique de la consigne. Ainsi, les études de Gumperz (1972), développées plus avant en psychologie par l’approche de Cummins (1977, 2006) proposent, pour une meilleure appropriation des langues secondes, de considérer l’ensemble des langues de l’apprenant et leurs interdépendances. Dans ce cadre, de nombreuses propositions pédagogiques ont trait au fait de pouvoir traduire dans des langues déjà connues (textes plurilingues par exemple). Gajo (2007) et Duverger (2009) proposent de distinguer les activités de traduction sous la forme de macro, meso et micro alternances :

Dans les enseignements bi-plurilingues, l'alternance des langues intervient à plusieurs niveaux (Duverger, 2009 ; Gajo, 2007) qui vont de la planification et de l'organisation pour les institutions scolaires de leurs enseignements bi-plurilingues (niveau macro, de l'institution) aux occurrences de code-switches dans l'interaction en classe (niveau micro, de l'interaction) en passant par la réflexion didactique des enseignants, dans la préparation de leurs enseignements (niveau méso, de la didactisation, Steffen et Freytag Lauer 2021, section 14).

 

3. Problématique et méthodologie sur le lien entre approches plurilingues et pluriculturelles et la consigne en FLSco

 

3.1. Une problématique sur les apports possibles des approches plurilingues et pluriculturelles pour la compréhension et la mise en œuvre des consignes en FLSco 

Ces éléments théoriques et mises en oeuvres possibles nous amènent à la problématique suivante : « en quoi les approches plurilingues et pluriculturelles peuvent être pertinentes pour aider à la compréhension et à la mise en œuvre de la consigne en FLSco » ? Pour répondre à cette problématique, nous nous appuierons sur deux projets de recherche, LISTIAC et plus marginalement BINOGI-ESCAPE.

Les projets LISTIAC (Auger et Pépiot 2023)[3] et BINOGI-ESCAPE (Sauvage, Auger et Dalle 2023)[4] visent globalement à permettre aux élèves allophones une plus grande réussite scolaire, dont les questions de compréhension des consignes de leur environnement scolaire font également partie.

 

3.2. Méthodologies à l’œuvre

Les deux projets sont des recherches-actions. Ils sont constitués d’une réflexion macro à partir des programmes, des textes officiels, de la formation initiale et continue des enseignants, d’observations participantes dans les classes avec les EANA (classes ordinaires et Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants –UPE2A). Pour le projet LISTIAC, 8 enseignants de collège de plusieurs disciplines (français, anglais, histoire-géographie, sport, physique-chimie, technologie, arts plastiques), 4 enseignants de lycée dont un lycée technologique (sciences économiques et sociales, logistique et prévention santé), 5 enseignants du primaire et 3 enseignants de maternelle (dont une enseignante en dispositif « Passerelle ») ont participé au projet. Pour BINOGI-ESCAPE en France, dix-sept enseignants et plus de cent vingt élèves ont participé en France au dispositif pendant le printemps 2022 dans quatre académies différentes (Occitanie, Grand-Est, Nouvelle Aquitaine, Ile de France).

Les corpus récoltés aux niveaux méso (établissements) et micro (classes) comprennent des observations participantes, des entretiens avec les enseignants, les directions des établissements, les élèves et les parents. La recherche-action comprend aussi des phases de formations qui favorisent la co-construction de réflexions avec les enseignants (au travers, par exemple, de l’outil « tapis de discussion » dans LISTIAC (Auger et Pépiot 2023)).

 

4. Résultats

 

4.1. Niveau macro : des enseignants peu formés en classe ordinaire

Notre première approche méthodologique, de niveau macro, concernant la formation des enseignants (au travers l’étude de textes officiels comme la circulaire de 2012[5]) rend compte du fait que seuls les enseignants titulaires qui travaillent en Unité Pédagogique pour Elève Allophone arrivant (désormais UPE2A) ont une formation en FLSco. Les professeurs qui accueillent les élèves en mathématiques, arts plastiques, musique, langues vivantes, éducation physique et sportive (EPS) de façon obligatoire selon la circulaire de 2012 n’ont, dans la très grande majorité, aucune formation pour enseigner à ces élèves. Cependant, si en UPE2A, les enseignants, toujours selon la circulaire de 2012, ont préférentiellement une certification en FLS, nombreux sont ceux qui ne l’ont pas obtenue. Enfin, il existe aussi des établissements, souvent hors agglomération, qui ne disposent pas d’UPE2A.

La formation et la question des consignes dans les apprentissages est donc un défi majeur en FLSco malgré une injonction de l’accueil et de l’inclusion pour tous les élèves depuis 2013.

Pour nuancer, on peut concéder que certaines matières se prêtent davantage à une explicitation médiée de la consigne quand le corps (Aden 2013, Eschanauer 2020, Tellier et Cadet 2014, Gamba Kresh 2021) entre en jeu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’inclusion se fait directement dans ces matières comme l’EPS, les arts plastiques ou la musique. Les enseignants de langues vivantes (désormais LV) sont formés aux spécificités liées à l’appropriation d’un nouvel idiome et sont davantage sensibilisés à la question des difficultés de compréhension. L’inclusion dans au moins une des deux langues vivantes au collège est d’ailleurs obligatoirement prévue également par la circulaire de 2012. Cependant, la grande différence entre la problématique de la consigne en FLSco et en LV est que les élèves ne doivent pas construire un savoir disciplinaire autre que celui de l’objet langue lui-même (excepté des dimensions culturelles sur l’histoire, la géographie qui peuvent être développées). La formation en LV n’est donc que parcellaire par rapport aux besoins en FLS.

Enfin, il est à noter que les deux seuls manuels de FLSco comme « Entrée en matière » (2005) et « Français langue seconde » (2012) ont bien saisi ces enjeux et ont mis l’accent, dans une rubrique dédiée, sur les spécificités langagières des disciplines, à la fois lexicales et en termes d’acte de parole. Le travail n’est pas forcément axé sur la consigne mais il peut conduire à une réflexion sur le lien langagier et le disciplinaire comme l’ont très bien décrit les travaux de Beacco (2017).

Concernant les résultats de notre analyse macro, il est intéressant de constater que la question du plurilinguisme est prise en compte dans le sens où l’utilisation du dictionnaire vient d’être accepté en 2022 par le Ministère de l’Education nationale pour que les élèves allophones puissent comprendre les consignes lors des examens[6].

Cependant, la plupart des établissements des deux projets analysés ne disposent pas de manuels comprenant des consignes dans les diverses langues connues des EANA par exemple. La plupart des établissements ont cependant accepté, après validation du conseil d’administration, que les élèves allophones utilisent leur téléphone pour traduire les incompréhensions, notamment les consignes. Cette action est à l’interface des niveaux macro et meso. Les entretiens et observations participantes ont montré les enseignants d’UPE2A sensibles aux problématiques des élèves allophones font remonter ce besoin de traduction automatique aux collègues et au chef d’établissement.

E6 : j’ai demandé au principal d’autoriser les portables pour traduire quand on a recours à la traduction/// c’est quand même beaucoup plus confortable pour comprendre les consignes par exemple

 

4.2. Le niveau meso : des enseignants qui prennent conscience des enjeux de la traduction

Suite à la sensibilisation des enseignants, dans les deux projets, à l’intérêt d’utiliser les langues et expériences culturelles des élèves pour un meilleur accès au sens (Cummins 2006, Cenoz J., Genesee F., 1998), certains enseignants développent une pratique didactique afin de réfléchir, avant la mise en œuvre des consignes, aux éventuelles difficultés liées à leur utilisation, ayant recours à la traduction (au sens large impliquant le linguistique et le culturel) au besoin. Voici quelques exemples, issus des entretiens :

E8 : quand je présente une nouvelle notion en math/// je regarde s’il y a des vidéos qui explique la notion dans les langues que les élèves connaissent

E10 : je m’aide de lexilala // un site où de nombreux mots et consignes utiles en FLSco sont disponibles dans diverses langues[7]

E8 : je sais qu’en math// parfois les divisions se font autrement selon les pays donc si je demande de faire une division/// j’accueille d’autres façon de faire/// ça veut pas dire que l’élève a mal répondu à la consigne

Toutes les difficultés ne peuvent parfois pas être anticipées au niveau méso et la micro alternance peut donc etre de mise pour traduire (entre pairs par exemple) et expliquer des éléments source d’incompréhension ou avoir recours au traducteur automatique pour produire la tâche demandée, parfois au moment T, en salle de classe.

 

4.3 Le niveau micro : l’interculturel en salle de classe

Au niveau micro, dans la salle de classe, les corpus analysés (entretiens et observations participantes) montrent que les enseignants, sensibilisés par la recherche repèrent plus facilement que la consigne peut être source de difficultés. Certains utilisent tableau de la section 2 que nous avions présenté aux enseignants lors des sessions d’échange (formations, entretiens) pour repérer les éventuels obstacles. Ils demandent aux élèves d’où viennent les incompréhensions, font preuve de décentration, mettant en œuvre une posture s’inscrivant dans les démarches interculturelles bien connues en FLE :

E2 : le tableau m’a permis de comprendre que le problème ne se situait bien souvent pas où je pensais/// je demande alors aux élèves d’où vient le problème

D’autres exemples sont relatifs (voir Auger 2010) à la réflexion métalangagière. Cette approche est bienvenue pour mettre en lumière les ambiguïtés d’une consigne comme développé dans la section 4 (malentendus interlinguistiques) et métaculturelle (malentendus interculturels). Le retour, recours aux autres langues et expériences culturelles de la classe, permet d’élucider certaines consignes.

Ainsi, dans une des classes de maternelle du projet LISTIAC, pour que les nombreux élèves allophones comprennent les consignes liées au « métier d’élèves », tout en activant la mise en perspective métalinguistique pour faire travailler les compétences phonologiques, sémantiques, l’enseignant a construit, avec ses élèves, ce tableau des Activités rituelles de la classe.

 

Photo 1 : Activités rituelles multilingues de la classe (maternelle, LISTIAC).

Il en va de même du tableau (« Les couleurs dans les langues de la classe ») concernant les couleurs, bien utiles lors de l’énonciation de consignes de type « colorie les « o » en rose » etc., en somme tout type de consigne impliquant une tâche mobilisant les couleurs :

Photo 2 : Les couleurs dans les langues de la classe (maternelle, LISTIAC)

Dans une classe de primaire du projet LISTIAC, en cours préparatoire, où l’enseignante formule chaque matin une consigne pour que les élèves s’approprient la date, un tableau des jours de la semaine de la classe a été co-construit avec les élèves. La construction de ce tableau avec les élèves de la classe, dans les langues connus d’eux, a permis une réflexion sur les ressemblances morphologiques selon les langues, ainsi que les dimensions culturelles. Ainsi, les élèves ont pris conscience que dans certaines langues comme l’arabe, les jours de la semaine sont formés à partir des nombres (« le 1er jour », « le 2ème jour »…) alors que dans les langues latines, les jours de la semaines sont formés à partir du nom des planètes (lune, mars etc)

Photo 3 : Les jours de la semaine de la classe (primaire, LISTIAC)

Dans un lycée professionnel du projet LISTIAC, les consignes en logistique (conduite de machines) et en carrosserie, sont cruciales pour la sécurité des élèves. Ainsi, un atelier de traduction a été mené par les élèves eux-mêmes, à l’aide des langues déjà parlées dans la classe, de dictionnaires et de traducteurs en ligne.

Photo 4 : Les consignes plurilingues en lycée professionnel (LISTIAC)

Ainsi, les consignes de sécurité ont pu être traduite dans les ateliers où les dangers sont nombreux, comme notées ci-dessus.

Ces ateliers permettent aussi de mémoriser du lexique qui feront partie des consignes lors du CAP. Par exemple, ce répertoire mécanique-carrosserie élaboré avec les élèves et leurs langues, permettra, lors des consignes de l’examen, de mieux se souvenir du vocabulaire de spécialité.

Photo 5 : Répertoire plurilingue mécanique-carrosserie (LISTIAC)

Dans le projet franco-canadien Binogi-Escape[8], l’objet est de soutenir les élèves allophones en sciences. Comment comprendre les consignes liées aux disciplines scientifiques au collège ? Une interface a donc été créée pour proposer aux élèves des animés scientifiques dans différentes langues, sous-titrés dans des langues au choix. Ainsi, au moment des tests proposés à l’issue des animés, les élèves avaient une meilleure compréhension à la fois du domaine scientifique abordée (par exemple le cycle de l’eau) mais également avait pu acquérir des repères en visionnant une première fois la vidéo dans une langue familiale, ou antérieure de scolarisation, puis en français. Les sous-titres peuvent être alternativement activées aussi en français et dans d’autres langues.

Une copie d’écran est disponible ci-dessous :

Photo 6 : Extrait d’une vidéo multilingue en sciences (collège, BINOGI-ESCAPE)

Par ailleurs, les consignes des tests sont en français, mais en cas de doute, l’élève peut, à tout moment, voir la traduction dans une langue qu’il connait mieux.

Les représentations populaires sur l’appropriation des langues vont malheureusement à l’encontre de ces travaux, arguant que ces pratiques rendent l’élève plus inactifs dans la langue cible. Il n’en est rien, les études scientifiques (Cenoz, Genesee 1998, Cummins 1977, 2006) montrent que travailler les langues en lien les unes avec les autres permet une progression plus rapide et efficace des apprenants.

Photo 7 : Un « quizz » multilingue à propos de la vidéo de sciences (collège, BINOGI-ESCAPE)

 

4.4. Limites des approches plurilingues et pluriculturelles pour la compréhension et réalisation des tâches liées aux consignes

Les résultats montrent aussi des limites aux différents niveaux que nous avons analysés. Ainsi, du point de vue macro, mise en part en maternelle où un récent guide[9] paru sur Eduscol de notre collègue Laurent Gajo, les textes officiels ne promeuvent pas réellement ces approches ce qui ne facilitent pas l’enrôlement des enseignants :

E6 : on a vu avec le projet LISTIAC que le recours aux langues des élèves c’est intéressant /// notamment pour comprendre les consignes /// dès le début de l’apprentissage/// mais bon on est pas soutenu dans la hiérarchie / ou par les textes vraiment donc c’est compliqué de le prendre sur soi/// de faire ça

Un autre écueil, au niveau méso, réside dans le temps de préparation que constitue la traduction des consignes par exemple. Ainsi, une enseignante témoigne :

E4 : je sais que c’est important qu’ils [les élèves] comprennent // en particulier le travail que je prépare/ les consignes que je demande et tout ça/// mais des fois je n’ai pas le temps de préparer des documents complémentaires dans d’autres langues/// ou de trouver des traducteurs/// ou même d’aller sur google/// des fois j’oublie/// c’est dommage parce que je vois bien l’intérêt pour les élèves/// mais des fois j’ai vraiment pas le temps tu vois

Enfin, au plan micro de la classe, certains enseignants ont des difficultés à adopter une démarche interculturelle et à accepter qu’ils ne comprennent pas toujours ce que les élèves disent quand ils traduisent

E11 : Ca me gêne parfois qu’ils traduisent les consignes/// je suis pas toujours sure de ce qu’ils racontent/// pourtant je vois bien que ça les aide/// mais c’est comme si je perdais un peu le contrôle de la classe tu vois/// j’ai pas l’habitude

Il est donc intéressant de comprendre que, sans appui clair de l’institution, sans formation initiale et continue sur ces questions, sans reconnaissance du travail préalable que demande les traductions de consignes et sans entrainement à la posture interculturelle, les enseignants cumulent un certain nombre de difficultés pour mettre en place ces approches, qu’ils reconnaissent pourtant comme pertinente pour les élèves et les enjeux liés à la consigne, dans le cadre des projets de recherches-actions menés :

 

E6 : le projet [LISTIAC] m’a aidé à prendre plus confiance en moi/ en les élèves// aux échanges/// aux ressources de tous/// mais parfois toute seule/// c’est plus du

 

5. Discussion : Eléments pour la formation des enseignants

La formation des enseignants à la consigne en FLSco nécessite donc de prendre en compte les aspects concernant à la fois les théories relatives à l’apprentissage en contexte multilingue et le contexte bien particulier de la scolarisation. Il est important de comprendre que les approches plurilingues et pluriculturelles développées en didactique des langues et des cultures n’ont pas qu’un effet bienveillant pour l’élève. Il lui permet aussi un développement en compréhension, production et mémorisation qui va être favorable à la compréhension des consignes. La première phase, en formation d’enseignants, est donc probablement de présenter aux enseignants les théories et pratiques qui proposent la prise en compte des langues des élèves comme une ressource, au-delà du français. Des exemples de modules de formation ont été conçus, suite aux résultats du  projet LISTIAC[10]. Un kit de réflexion pour la formation initiale et continue des enseignants des premiers et second degrés est donc dorénavant disponibles. Selon leurs connaissances des théories, des modules sont proposés pour sensibiliser, consolider et approfondir, à partir de textes et de vidéos (notamment tournées en classe). Par ailleurs, le fait que la langue de scolarisation soit à la fois objet et moyen nécessite une attention particulière lors des consignes (Causa 2014). L’enseignant doit se poser la question (voir le tableau 1, supra) de savoir si la difficulté vient des éléments langagiers et / ou disciplinaires, de la phase de compréhension et de/ ou production. Pour identifier les problèmes, le recours aux langues des élèves permet de dépasser ces deux écueils en permettant à la fois un accès au français et au domaine disciplinaire : faire traduire par un élève, un adulte de l’établissement qui partage la langue de l’apprenant en difficulté, anticiper en amenant du matériel dans une langue connue de l’élève (manuels, vidéos, livre…), avoir recours à des traducteurs en ligne etc. Il convient aussi de garder en mémoire que les dimensions culturelles entrent aussi en jeu. Elles investissent autant le langagier par ailleurs, que le disciplinaire. En prendre conscience, en s’appuyant sur les difficultés de compréhension des élèves comme un tremplin de réflexion, est donc crucial. Il est vain de s’insurger contre les télescopages de langues et de cultures, ils sont inhérents à l’apprentissage des langues. Il convient plutôt de saisir l’interférence comme un tremplin pour la réflexion.

Plutôt que de repousser les interférences entre les langues et des cultures, le recyclage s’avère un procédé de traitement de ces éléments qui permet de réintroduire certains de leurs matériaux langagiers et culturels dans la production de nouveaux produits (Auger 2022). Cette image semble pertinente à conserver en formation d’enseignants. L’interférence est ce moment de la rencontre qui va permettre la prise en compte, puis la prise de conscience des éléments en jeu (le traitement). Ensuite, l’autoconscience permet de réintroduire ces matériaux concernant les spécificités et les universaux relatifs aux langues et aux cultures pour l’apprentissage et engendrera, à son tour, de nouvelles inférences, ce qui constituera le développement des compétences « méta », très utiles à la fois pour la compréhension des consignes, des erreurs et réussites des élèves mais aussi dans la phase de conception de ces consignes. Ce schéma pourrait se matérialiser ainsi :

 

Schéma : le recyclage des langues et des expériences culturelles

La flexibilité est donc de mise en FLSco, et tout particulièrement lors de l’exposition aux consignes. Il convient de reformuler, de faire reformuler par les élèves en utilisant tous les moyens à disposition : de l’oral vers l’écrit et inversement, dans différentes langues, en interrogeant les expériences culturelles. A ce titre Weber ici-même prône la réflexivité des enseignants pour viser une appréhension optimale des consignes.  

 

6. Conclusion : une réflexion sur la consigne en FLSco au bénéfice de tous les élèves

Une réflexion sur la conception et la formation au sujet des consignes en FLSco va forcément bénéficier aux élèves allophones. Cependant, pour faciliter le passage de l’oral à l’écrit des consignes (et inversement), la réflexion des enseignants sur la compréhension des consignes, le recours aux langues présentes dans la classe va apporter des éléments éclairants à tous les élèves. Ainsi, dans Auger et Chesnais (2022) quand on demande aux élèves en mathématiques de « tracer un cercle de centre O », de nombreux élèves, et pas uniquement allophones, ne comprennent pas forcément le très polysémique morphème « de ». Le fait d’avoir réfléchi, en incluant les langues de la classe, dont celles enseignées au collège, à une traduction du type « center of the circle » (anglais) ; « centro del cerchio » (italien) ; “centro del circulo” (castillan) ; “Mittelpunkt des Kreises” (allemand) ; « dairenin merkezi (cercle-GEN centre-POSS3psg) » en turc a permis de mieux saisir que « de » permet la mise en relation entre deux objets (« centre » et « cercle »).

Il convient donc de prendre en compte les langues des élèves, de les utiliser comme des ressources directes ou métalangagières, de créer et de proposer des supports multilingues et multiculturels dans la classe comme dans les exemples photos donnés ci-dessus, de mettre en place des tutorats mutuels où chaque élève aura la possibilité d’aider, et de se faire aider, notamment par les parents, à la maison, selon la tâche à accomplir.

En formation, il est crucial de sensibiliser tous les acteurs du monde éducatif à ces principes méthodologiques qui constituent les 7 facettes d’un diamant langagier (Auger, 2022)[11], fondement solide pour la compréhension des enjeux en FLSco, notamment sur les problématiques liées à la consigne.

 

Bibliographie

ADEN Joëlle, « Apprendre les langues par corps », Pour un théâtre-monde, plurilinguisme, interculturalité, Bordeaux, Études africaines et créoles, 2013, p. 3-15

ATTAR Zahraa, BLOM Elma  & LE PICHON Emmanuelle, Towards More Multilingual Practices in the Mathematics Assessment of Young Refugee Students: Effects of Testing Language and Validity of Parental Assessment. International Journal of Bilingual Education and bilingualism, 2020, p. 1546-1561.

AUGER Nathalie, Élèves Nouvellement Arrivés en France. Réalités et perspectives en classe. Editions des Archives Contemporaines, 2010.

AUGER Nathalie « De « Comparons nos langues » (2003) à « Suivez le guide ! » (2021), Parcours de recherche en langues sur près de 20 ans, à l’école et en famille, Le langage et l’homme, 2022, 14p.

AUGER Nathalie « Conscience collective et autoconscience dans l’enseignement / apprentissage du français langue seconde et de scolarisation : quand l’interculturel et le plurilinguisme sont en jeu » in Conscience et autoconscience dans l’enseignement / apprentissage d’une langue-culture : pourquoi ? quoi ? comment ? Glottodidactica An International Journal of Applied Linguistics 2022, p. 49, (1):7-14

AUGER Nathalie, CHESNAIS Aurélie, « Enjeux syntaxiques dans les apprentissages mathématiques et plurilinguisme » in Plurilinguisme et enseignement des mathématiques : Mise en perspectives des Journées Plurimaths 2020. Lambert Lucas, 2022, p. 93-113.

AUGER Nathalie, PEPIOT Nathalie, « Le projet européen LISTIAC : le tapis de dialogue, un outil de réflexion collective pour la formation des enseignants aux pratiques translangagières, de la maternelle au lycée, dans toutes les disciplines », Lidil [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 24 avril 2023, consulté le 05 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/lidil/11781 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lidil.11781

BEACCO Jean-Claude, “L’approche par genres discursifs dans l’enseignement du français langue étrangère et langue de scolarisation”, Pratiques [Online], 157-158 | 2013, Online since 18 December 2017, connection on 19 October 2022. URL: http://journals.openedition.org/pratiques/3838.

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STEFFEN Grabiela, FREYTAG LAUER Audrey, « Ilots bilingues et méso-alternance », Recherches en didactique des langues et des cultures [En ligne], 18-3 | 2021, mis en ligne le 30 septembre 2021, consulté le 12 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/rdlc/9853

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TOULOU Stéphane, « Les consignes et leurs reformulations dans des dispositifs didactiques : des gestes révélateurs de l'objet enseigné dans la classe de français », dans : Jean-Charles Chabanne éd., Les gestes de régulation des apprentissages dans la classe de français. Quelle improvisation professionnelle ? Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Perspectives en éducation et formation », 2011, p. 149-166.

ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, « Les consignes au cœur de la classe : geste pédagogique et geste didactique », Repères. Recherches en didactique du français langue maternelle, 22, 2000, p. 61-81

 

Sitographie

Des enseignements sensibles aux langues : https://listiac.univ-montp3.fr/

Enseigner les Sciences aux élèves plurilingues : https://escapeprojects.ca/fr/

 

[1] Elève sera le terme préféré à apprenant car il correspond à son appellation dans le contexte scolaire.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=I6Y0HAjLKYI

[3] https://listiac.univ-montp3.fr/

[4] https://escapeprojects.ca/fr/

[5] https://www.education.gouv.fr/bo/12/Hebdo37/MENE1234231C.htm

[6] https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo9/MENE2203999N.htm

[7] https://lexilala.org/

[8] https://escapeprojects.ca/fr/ financé par le CRSH au Canada.

[9] https://eduscol.education.fr/document/50921/download

[10] https://listiac.univ-montp3.fr/presentation-des-outils

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L’enseignant et les consignes. Du sas de réflexion au feu de l’action : pistes réflexives.

Estefania Dominguez

Résumé : Créer, penser, donner et adapter les consignes sont des tâches quotidiennes chez l’enseignant et pour autant, elles ne sont pas toujours aisées (Zakhartchouk, 2000, 2004 ; Rivière, 2006 ; Filliettaz, 2009 ; Dominguez, 2020). Cet article propose des pistes de réflexion et d’action qui peuvent aider les enseignants lors de la création et la transmission de consignes. Nos propos se nourrissent de notre expérience d’enseignante de français langue étrangère (désormais FLE), de formatrice de futurs enseignants de FLE...

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