N°80 / L’apprentissage du français langue étrangère à la lumière de son environnement

Présentation du numéro : L'apprentissage du français langue étrangère à la lumière de son environnement

Françoise Favart

Résumé

La finalité de ce numéro est de réfléchir aux relations qui se tissent entre l’apprentissage du français langue étrangère, chez des apprenants adultes, aux profils et besoins variés et l’environnement/le contexte dans lequel il se réalise. Ce dernier pouvant s’articuler autour de domaines divers : socio-économique, géographique, historique ou culturel, sans qu’il existe un cloisonnement entre eux. La réflexion pourra également reposer sur des représentations sociales et culturelles.

 

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Présentation du numéro 80

L'apprentissage du français langue étrangère  à la lumière de son environnement

L’influence de l’environnement/ du contexte sur l’apprentissage linguistique (langue maternelle ou étrangère) n’est plus à démontrer. Des travaux ont notamment mis en lumière le poids des caractéristiques sociales et économiques d’un territoire sur le développement des enfants et des adolescents (Brooks-Gunn et al., 1993, Sastry et Pebley, 2010)

Ainsi, dans ce numéro, nous considérons de fait que l’apprenant adulte n’est pas une page blanche sur laquelle s’écrivent des connaissances, mais qu’il est habité d’une histoire propre, de représentations mentales et sociales qui le constituent, et qui interviennent et agissent au cours l’apprentissage linguistique (Gajo 2000, Castellotti 2001, Castellotti et Moore 2002, Matthey 2000, Moore 2001).

Ce numéro se donne donc pour finalité d’approfondir les effets et les conséquences de l’environnement et du contexte sur l’apprentissage du français langue étrangère, chez des apprenants adultes, aux profils et besoins variés. Comme on le sait, un contexte s’articule autour de domaines divers (social, économique, géographique, historique ou culturel) qui peuvent être en relation entre eux. La réflexion pourra également reposer sur des représentations aussi bien sociales que culturelles.

Plusieurs contributions de ce numéro envisagent l’environnement dans une acception géographique selon laquelle l’apprentissage linguistique est en relation avec les politiques linguistiques qui servent aussi de références territoriales (Maurer 2011). Il sera ici question de mesures adoptées dans le contexte universitaire du Kazakhstan et du Maroc et des conséquences, en partie négatives, qu’elles produisent sur l’enseignement du fle.  Des entraves à l’apprentissage du français qui sont attribuées, dans le premier cas, à la nécessité d’enseigner la langue en prenant en compte les spécificités professionnelles ; dans le second, à la réduction du volume horaire et au morcellement des enseignements en modules.

D’autres contributions montrent en revanche la synergie qui s’opère entre langue et environnement. Ce dernier étant alors considéré comme un élément de structuration sociale, dans une dimension qui implique les affects et les ancrages historico-culturels. L’apprentissage du français constituera ainsi un élément d’appartenance, d’insertion au sein d’un territoire dans le contexte des îlots francoprovençaux des Pouilles (Italie) où ces territoires enclavés se révèlent être un environnement favorable à l’apprentissage du français langue étrangère. Le sentiment identitaire et d’appartenance est également fortement inscrit dans le parcours linguistique mis en place par la Légion étrangère. À travers l’apprentissage du français, il conduira de jeunes hommes, venant d’horizons les plus variés, à se reconnaître sous le drapeau français.

Em outre, la partie varia, qui ne réserve qu’une place marginale au fle, réfléchit aux relations entre le translanguaging et le transculturing au Sri Lanka.

C’est dans un cadre à la fois homoglotte (Dabène, 1994) et exolingue (Porquier, 1994 : 164) que s’inscrit la réflexion de F. Favart qui s’intéresse à la relation entre l’apprentissage du français à la Légion étrangère et l’environnement géographique et historico-culturel dans lequel il trouve sa place. Après avoir présenté brièvement le contexte particulier de la Légion, l’auteure illustre les caractéristiques majeures de l’apprentissage du français au sein du 4ème Régiment. Pour montrer comment la langue et le territoire se nourrissent réciproquement, elle propose l’analyse de quelques chants de légionnaires, qui constituent pour partie les outils pédagogiques de la Légion. D’une part l’environnement, qui est ici à entendre dans ses dimensions historique, géographique et culturelle, est présent dans les ressources didactiques utilisées pour former l’engagé volontaire de la Légion étrangère. De fait, en apprenant la langue il acquiert également le lexique de son futur environnement. De l’autre, la maîtrise de la langue est fondamentale pour l’insertion des légionnaires dans leur nouvel environnement, qui se décline dans les composants historiques et traditionnels de la Légion mais aussi dans l’accomplissement de leur mission.

La contribution de M. I. Spagna montre en quoi les îlots francoprovençaux des Pouilles (I) constituent un environnement, davantage historique, culturel et social que géographique, favorable à l’apprentissage du français langue étrangère. Pour l’auteure ce contexte propice s’explique par la situation spécifique de ces territoires enclavés dont elle décrit les conditions physiques, sociales, psychologiques et linguistiques. L’étude souligne la marginalité géographique des villages de Faeto et de Celle di San Vito dont le contexte linguistique se distingue de celui du reste de la région puisque le francoprovençal est encore bien vivant au côté de l’italien et des dialectes italo-romans. Dans ce cadre sociolinguistique minoritaire, une attitude positive émerge des déclarations des habitants de deux villages à l’égard de la langue française (Puolato, 2010, 2011). Elle se justifie par une appartenance ethnolinguistique et historique qu’ils reconnaissent dans le lien avec la langue et la culture françaises.

Les effets des politiques linguistiques universitaires articulent la réflexion des deux articles suivants. Il y est à la fois question des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants de fle et de considérations sur le niveau des étudiants de cursus linguistiques.

L’article d’A. Kanayeva et A. Seidikenova propose une réflexion sur l’obligation, dans les universités kazakhes, d’enseigner les langues étrangères dans une visée professionnelle. Une mesure qui apparaît suite à l’adhésion du Kazakhstan au processus de Bologne et qui se justifie par l’attention que les universités de ce pays accordent à l’insertion professionnelle des étudiants. Les auteures s’interrogent alors sur l’absence de formation spécifique pour les enseignants qui devront dispenser les cours de français de spécialité (FS, FOS, FOU).  Elles se demandent en particulier quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent et quelles compétences les apprenants devraient acquérir pour répondre au marché du travail. L’enquête de terrain qu’elles ont menée souligne d’une part, un aspect positif pour la langue française, puisque les étudiants kazakhs sont davantage motivés pour apprendre le français que pour apprendre l’anglais. Elle identifie de l’autre la source des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants de français de spécialité : insuffisance de formation, spécificité du contenu des cours, manque de ressources pédagogiques adaptées au contexte universitaire, nombre d’heures de cours limité. Une situation qui se répercute sur la préparation linguistique des étudiants.

S’inscrivant dans le contexte universitaire marocain, la contribution de M. Mehdaoui souligne tout d’abord la fracture qui existe entre l’enseignement du français au niveau secondaire et les cours de langue proposés à l’université. Sans exclure totalement une baisse de motivation à l’égard de l’apprentissage du français, l’auteur identifie ensuite deux des principales causes de la baisse de niveau observée dans les filières de langue française : la diminution du volume horaire consacré à l’enseignement de la langue française et l’augmentation du nombre de modules. Pour montrer la non-adéquation des connaissances linguistiques des étudiants au niveau qu’exigerait l’université, l’auteur analyse un exemple précis : les difficultés des apprenants pour reconnaître les anaphores. Il souligne que si l’environnement bilingue peut en partie expliquer ce constat, le contact de l’arabe et du français ne peut justifier à lui seul les dysfonctionnements de cohésion référentielle. L’auteur insiste sur le fait que les particularités inhérentes au système de l’arabe ne peuvent pas tout expliquer. Les défauts de cohérence qu’il remarque chez les étudiants attestent aussi d’une faible compétence au niveau des marques de référence qui trouverait ses origines dans une connaissance insuffisante des relations fondamentales en sémantique lexicale (hyperonymie, hyponymie, synonymie et méronymie) et des représentations conceptuelles comme la stéréotypie.

L’article du volet Varia illustre en partie les résultats d’une thèse récente qui vise à montrer,  par une approche multimodale et longitudinale, les effets du translanguaging et du transculturing chez les étudiants sri lankais. Si la langue française fait partie des langues étrangères que ces étudiants peuvent apprendre, les auteures C. Chaplier et I. Ethpatiyawe Gedara n’y font ici référence que de manière marginale. La méthodologie adoptée repose sur l’analyse des discours et des comportements lors d’entretiens et de discussions de groupe. L’objectif de leur travail est de dégager les éléments qui seraient à l’origine des comportements transculturels et de vérifier si le translanguaging est déclenché par le transculturing. Leurs observations auprès des étudiants sri lankais leur permet d’aboutir au constat que les comportements, les identités, les cultures se construisent en fonction des contextes pluriels, liés au moment vécu, au ressenti, en fonction de l’expérience de chacun. Elles en tirent deux considérations majeures : le transculturing est la principale cause du translanguaging et la complexité dynamique des discours des individus est déclenchée par le transculturing et résulte d’une construction sociale.

 

Bibliographie

BROOKS-GUNN, Jeanne et al., « Do Neighborhoods Influence Child and Adolescent Developemt ? », American Journal of Sociology, vol. 99, n°2, 1993, p. 353-395.

CASTELLOTTI, Véronique (éd), D’une langue à d’autres : Pratiques et représentations, Collection DYALANG, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 2001.

CASTELLOTTI, Véronique, MOORE, Danièle, Représentations sociales des langues et enseignements. Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue, Division des politiques linguistiques, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2002, consulté le 20 juin 2021, https://www.coe.int/fr/web/language-policy/from-linguistic-diversity-to-plurilingual-education-guide-for-the-development-of-language-education-policies-in-europe.

DABÈNE, Louise, Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues. Les situations plurilingues, Paris, Hachette, 1994.  

GAJO, Laurent, « Disponibilité sociale des représentations : approche linguistique », Tranel, n° 32, 2000,  p. 39-53.

MATTHEY, Marinette, « Les représentations de l’apprentissage des langues et du bilinguisme dans l’institution éducative », Études de linguistique appliquée, n° 120, 2000, p. 487-496.

MAURER, Bruno, Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante, Paris, Édition des archives contemporaines, 2011.

MOORE, Danièle (éd), Les représentations des langues et de leur apprentissage. Références, modèles, données et méthode, Paris, Didier, 2001.

PORQUIER, Rémy, « Communication exolingue et contextes d’appropriation : Le continuum acquisition/apprentissage », Bulletin VALS-ASLA, vol. 59, 1994, p. 159-169.

PUOLATO, Daniela, « Lingua, dialetto e identità : percezioni e rappresentazioni della “enclave” francoprovenzale di Faeto », Bollettino linguistico campano n° 18, 2010, p. 43-79.

PUOLATO, Daniela, « Intrecci storici, linguistici ed identitari nella minoranza francoprovenzale di Celle di San Vito », Bollettino linguistico campano, n° 19-20, 2011, p. 91-149.

SASTRY, Narayan, PEBLEY, Anne, R., « Family and Neighborhood Sources of Socioeconomic Inequality in Children’s Achievement », Demography, vol. 47, n° 3, 2010, p. 777-800.

 

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