L’apprentissage du français langue étrangère à la lumière de son environnement
Françoise FavartRésumé
L’apprentissage du français langue étrangère à la lumière de son environnement
Numéro coordonné par Françoise Favart, Université de Trento
Qu’il s’agisse d’une langue maternelle ou d’une langue étrangère, les interconnexions qui existent entre l’apprentissage linguistique et l’environnement/le contexte dans lequel il se produit, ne sont plus à démontrer. On sait en effet que celui-ci influence considérablement les enjeux et les résultats de l’apprentissage. Différents travaux ont clairement démontré l’influence du territoire notamment sur le développement des enfants et des adolescents à travers ses caractéristiques sociales et économiques (Brooks-Gunn et al. 1993, Sastry et Pebley 2010 ).
La notion de contexte/environnement va toutefois au-delà de la sphère socio-économique. Elle peut en effet être envisagée dans une acception spatiale et géographique où l’environnement s’apparenterait à l’espace physique au sein duquel se déroule l’apprentissage. Elle peut également prendre en compte un cadre historique et/ou culturel. Dans tous le cas, l’environnement tel que nous l’envisageons est à mettre en relation à la langue et inversement.
L’acception que l’on attribue au contexte, dans des positionnements récents en analyse du discours recouvre assez bien cette notion. Elle est alors à entendre comme un continuum entre interne et externe : le contexte intègre les données environnementales qui se constituent à la fois des cadres internes ([…], cadres de savoirs, de croyances et de pratiques) eux-mêmes informés par les données externes, et des réalités extérieures de notre environnement matériel concret (décors naturels ou artificiels, espaces, objets culturels et techniques, artefacts, supports, etc.) (Paveau 2007 : 8).
L’étude du français comme langue étrangère peut elle aussi être abordée sous de multiples pans. On peut notamment s’y intéresser à travers les destinataires de l’apprentissage (on distingue par exemple un public d’adultes ou d’un public d’enfants), le cursus (curriculaire ou extra-curriculaire), les enjeux (scolaires, professionnels, objectifs spécifiques, intégrations sociales, etc.), les espaces géographiques (lieu où le français fait partie des langues utilisées ou au contraire où il figure comme langue étrangère), les enseignants, etc. Autant d’éléments qui se croisent et se renforcent mutuellement dès lors qu’on s’intéresse aux enjeux et aux résultats de l’apprentissage.
Toutefois, le champ de réflexion étant relativement vaste, il importe de le circonscrire si nous voulons nous interroger sur les liens qui se tissent entre l’apprentissage du fle et son environnement. Ce numéro de revue se propose ainsi de réfléchir aux dynamiques qui convoquent des destinataires adultes, dans des situations homoglottes (Dabène 1994), c’est-à-dire dans un contexte où le français est présent dans la réalité sociale où s’effectue l’apprentissage. Ces paramètres peuvent également être étudiés en relations aux représentations sociale et culturelles. De fait, nous considérons que l’apprenant n’est pas une page blanche sur laquelle s’écrivent des connaissances, mais qu’il est habité d’une histoire propre et des représentations sociales qui l’accompagnent. Or, ces représentations, qui intéressent également la langue et l’environnement, influencent l’apprentissage linguistique (Gajo 2000, Castellotti 2001, Castellotti et Moore 2002, Matthey 2000, Maurer 2013, Moore 2001).
Nous nous interrogerons ainsi sur ces croisements en privilégiant les deux axes suivants :
1) apprentissage du fle et environnement au sens de territoire en tant qu’espace géographique et politique,
2) apprentissage du fle et environnement au sens de contexte socioculturel, de structurations sociales, appropriation de l’espace et sentiment d’appartenance, etc.
Axe 1 : Apprentissage du fle et environnement au sens territorial/géographique
On pourra réfléchir entre autres, à la manière dont le territoire peut influencer, en tant que facilitateur ou en tant qu’obstacle, l’apprentissage du fle. Nous pensons notamment à certaines régions du monde où l’organisation territoriale constitue une entrave physique à l’accès à la langue française ou inversement. Il pourra également être question des politiques linguistiques (Maurer 2011) qui constituent elles aussi des références territoriales.
Axe 2 : Apprentissage du fle et environnement socioculturel
L’environnement pourra être pris en compte dans sa structuration sociale et dans une dimension qui implique les affects. Il sera alors possible de réfléchir à la langue comme à un élément d’appartenance, d’insertion au sein d’un territoire ou comme élément de construction identitaire. On pourra par exemple inclure dans cette section, les contributions s’intéressant à l’apprentissage du fle, chez les migrants ou néo-arrivants, notamment à travers la médiation sociale et culturelle (Dufiet, Ravazzolo 2020). Des réflexions sur la langue et le sentiment identitaire ont également été menées dans des domaines moins explorés tels que la Légion étrangères (Texier 2019, Favart à paraître). Des situations présentant des spécificités analogues, de groupe restreint et à composante identitaire forte, pourront également être explorées. Pour rester dans des champs plus traditionnels, il sera aussi possible d’envisager la structuration sociale en tant que contexte professionnel.
Ces deux axes peuvent prévoir des éléments de partage et ne sont par conséquent pas à envisager comme des catégories étanches.
Bibliographie
Brooks-Gunn, J. et al., 1993, « Do Neighborhoods Influence Child and Adolescent Developemt ? »
American Journal of Sociology, 1993, vol. 99, n°2, pp. 353-395.
Castellotti, V., (éd), 2001, D’une langue à d’autres, pratiques et représentations, Collection DYALANG, Rouen, Presses Universitaires de Rouen.
Castellotti, V., Moore, D., (2002), Représentations sociales des langues et enseignements. Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue, Division des politiques linguistiques, Strasbourg : Conseil de l’Europe. [En ligne], consulté le 20 juin 2021, https://www.coe.int/fr/web/language-policy/from-linguistic-diversity-to-plurilingual-education-guide-for-the-development-of-language-education-policies-in-europe.
Dabène, L., (1994), Repères sociolinguistiques pour l'enseignement des langues, Vanves, Hachette.
Dufiet, J.-P., Ravazzolo, E., (dir.), (2020), Regards croisés sur les médiations cultuelles et sociales. Acteurs, dispositifs, publics, enjeux linguistiques et identitaires, Trento, Labirinti, n° 186.
Favart, F. (à paraître), La Légion étrangère au croisement de la langue et du territoire ou une pragmatique avant l’heure, Actes du colloque Langues et territoires 5, Montpellier.
Gajo, L., (2000), « Disponibilité sociale des représentations : approche linguistique », Tranel 32, Université de Neuchâtel, 39-53.
Matthey, M., (2000), « Les représentations de l’apprentissage des langues et du bilinguisme dans l’institution éducative », Études de linguistique appliquée, 120, 487-496.
Maurer B., (2011), Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Paris, Edition des archives contemporaines.
Moore, D. (éd), (2001), Les représentations des langues et de leur apprentissage. Références, modèles, données et méthode, Paris, Didier.
Paveau, M.-A., (2007), « Discours et cognition : les prédiscours entre cadres internes et environnement extérieur », Corela [En ligne], consulté le 03 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/corela/1550.
Sastry, N., Pebley, A. R., (2010), « Family and Neighborhood Sources of Socioeconomic Inequality in Children’s Achievement », Demography, vol. 47, n° 3, 777-800.
Texier, M. (2019), « A man’s world : incorporation langagière à la Légion étrangère », Itinéraires [En ligne], 2019-2 et 3, mis en ligne le 29 novembre 2019, consulté le 15 juin 2021. URL : http:// journals.openedition.org/itineraires/6306.
Sommaire du numéro
Présentation du numéro : L'apprentissage du français langue étrangère à la lumière de son environnement
Françoise FavartLa finalité de ce numéro est de réfléchir aux relations qui se tissent entre l’apprentissage du français langue étrangère, chez des apprenants adultes, aux profils et besoins variés et l’environnement/le contexte dans lequel il se réalise. Ce dernier pouvant s’articuler autour de domaines divers : socio-économique, géographique, historique ou culturel, sans qu’il existe un cloisonnement entre eux. La réflexion pourra également reposer sur des représentations sociales et culturelles.
Lire la suiteEntre ancrages historiques et géographiques, les chants de la Légion étrangère comme ressource didactique
Françoise FavartLa Légion étrangère, qui remonte au début du XIXème siècle, a pour spécificité d’incorporer des hommes venant du monde entier et de les former, en peu de temps, pour intégrer un corps d’élite de l’armée de terre. Parmi les axes fondamentaux de cette formation figure l’apprentissage d’une langue française qui se doit de répondre à des exigences et à des finalités spécifiques. Ainsi, la langue transmet-elle d’une part les valeurs culturelles et sociales propres au groupe Légion, de l’autre, elle...
Lire la suiteUn environnement favorable à l’apprentissage du français : les deux îlots francoprovençaux des Pouilles
Maria Immacolata SpagnaCette contribution vise à présenter les deux îlots francoprovençaux des Pouilles comme un exemple d’environnement propice à l’apprentissage du français langue étrangère. Dans cette perspective, nous mettrons en lumière les conditions physiques, sociales, psychologiques et linguistiques qui font de Faeto et Celle di San Vito un contexte favorable à l’apprentissage de la langue hexagonale. Ce discours acquiert plus de force s’il est encadré dans le macro contexte italien dans lequel le français a déjà sa place et, plus encore, dans...
Lire la suiteLes difficultés de l’enseignement du français de spécialité dans les universités du Kazakhstan
Akmaral Kanayeva, Almash SeidikenovaAujourd’hui, l'enseignement de la langue étrangère en voie professionnelle est reconnu comme une priorité dans le système d'enseignement supérieur du Kazakhstan. Le référentiel d’État de l'enseignement supérieur de la République du Kazakhstan exige la prise en compte de la spécificité professionnelle lors de l'apprentissage de la langue étrangère, en mettant l'accent sur la mise en œuvre des objectifs de l'activité professionnelle des futurs spécialistes et le contenu lié à de futures spécialités (Référentiel d'État de l'enseignement supérieur...). Cet article se...
Lire la suiteLe français à l’université marocaine
Mohammed MehdaouiIl est loisible d’expliquer les difficultés qu’éprouvent les apprenants marocains des départements d'études françaises, en se focalisant - pour certaines erreurs qu'ils commettent - sur les problèmes d'interférence, par l'environnement bilingue à l’université marocaine où l’arabe côtoie le français et influe sur la pratique et l’évolution de celui-ci en raison du rôle et de la place déterminante qu’il occupe en tant que langue première. Le volume horaire de plus en plus réduit, dédié à l’enseignement de la langue française au sein des filières des...
Lire la suiteVaria
Les effets de translanguaging et de transculturing : cas des étudiants sri lankais
Claire Chaplier, Indiwaree Ethpatiyawe GedaraCet article présente quelques résultats d’une recherche exploratoire réalisée dans notre thèse afin d’identifier et d’étudier des effets de translanguaging et de transculturing chez les étudiants sri lankais par une approche multimodale et longitudinale. Le terme translanguaging signifie ici que des interlocuteurs peuvent passer d'une langue une autre à l'aide de leur compréhension dans l'une et de leur expression dans une autre. Le transculturing concerne le comportement transculturel des individus. Cette recherche se focalise sur les comportements transculturels (transculturing) de...
Lire la suite