Introduction
Tatiana : « bon là tu filmes les consignes mais bon j’imagine que ce n’est pas le sujet de ta recherche parce que les consignes on sait tous faire ! » (corpus Dominguez, 2013).
Ana : « C’est toujours un problème la consigne » (corpus Dominguez, 2020).
Christelle : « […] dans un groupe-classe comme ça où on a des cultures différentes, des habitudes scolaires différentes et qu’on est très influencés par nos habitudes scolaires, comment on fait pour sortir une consigne qui soit valable pour tout le monde ? » (corpus Dominguez, 2020).
Christelle : « […] des choses qu’on fait automatiquement en fait et on ne se pose pas/pourquoi on ne se pose pas la question de la consigne alors qu’on arrête pas d’en donner ? » (corpus Dominguez, 2020).
Tout enseignant et tout apprenant sont amenés à manipuler des consignes. Dans la classe, les consignes organisent le travail qui s’y mène, elles informent les apprenants de ce qu’ils doivent faire, elles sont en ce sens des garantes de l’atteinte des objectifs d’apprentissage. Comme le signale Filliettaz, les discours de consignes véhiculent « des enjeux pédagogiques et didactiques incontestables dès lors qu’ils contribuent non seulement à la planification et à la configuration de l’activité des apprentis, mais également à la transmission et à la transposition des savoirs associés à ces activités » (2009 : 92).
En exergue, dans les extraits de discours d’enseignantes expérimentées de FLE, nous retrouvons plusieurs des représentations et interrogations possibles au sujet des consignes. Pour certains enseignants, les consignes constituent une activité banale, quasiment un « impensé ». Pour d’autres au contraire, elles sont un « problème ». Pour d’autres encore, il s’agit d’une pratique qui s’appuie sur un savoir-faire. Le point de vue sur les consignes est paradoxal : la consigne structure toute situation d’enseignement-apprentissage mais elle est globalement peu interrogée probablement du fait de cette familiarité.
Dans la littérature, les études relatives aux consignes sont appréhendées d’abord du point de vue de leur matérialité discursive, ensuite en fonction des processus cognitifs qu’elles appellent et plus récemment sur leurs implications didactico-pédagogiques.
Du point de vue des sciences du langage, Adam (1987, 1992, 2001) s’est intéressé aux textes procéduraux ; il propose de les considérer comme des « discours d’incitation à l’action » (2001) et insiste sur le fait que « dans tous les cas, il s’agit de faire-faire quelque chose à quelqu’un, de l’y inciter plus ou moins fortement […] de lui garantir que s’il se conforme aux consignes-instructions […], il parviendra au but visé » (ibid. : 26). Les sciences cognitives (voir Heurley, 2001 ; Ganier et Heurley, 2003) ont dégagé les processus cognitifs[1] à l’œuvre chez les récepteurs de consignes (encodage, décodage des consignes et exécution). En France, l’émergence du questionnement sur les consignes en contexte scolaire se situe dans les années 80 et surtout 90[2]. Une réflexion et un travail pédagogique sur les consignes s’engagent et mettent le curseur sur le rôle de la consigne et sur le rôle de l’enseignant et de l’apprenant[3]. Dans les années 2000, Zakhartchouk (2000, 2004) invite les enseignants (contexte FLM) à proposer aux apprenants des activités réflexives autour de la consigne et donne plus récemment (2016) des pistes réflexives pour que les enseignants interrogent leur propre façon de construire et de donner leurs consignes (voir plus bas).
Dans le champ du FLE, peu de recherches portent sur la consigne. Beaucourt (1995) a étudié l’influence du facteur culturel dans le rapport des apprenants aux consignes et Gratton (2001) au rôle du guidage de la consigne dans l’enseignement universitaire. Nous devons à Rivière (2006, 2008) des recherches approfondies sur l’activité de prescription en contexte d’enseignement-apprentissage du FLE et du FLS. Son corpus d’étude (2006) est composé d’interactions de cours enregistrés (données uniquement sonores). Elle analyse, entre autres, les relations interpersonnelles, les positions agentives et portent une attention particulière aux modes de communication prescriptive. Elle émet le vœu que se développe le « volet réflexif sur l’activité de prescription elle-même » (ibid. : 469) en donnant la parole aux enseignants pour élucider « leur vécu […], le projet qui les anime et la dimension psycho-sociale de leur agir (leurs intentions, leurs empêchements) […] » (ibid.). C’est dans cette lignée que nous avons réalisé nos travaux de recherche (Dominguez, 2013, 2020).
Le cœur de nos recherches porte sur la compréhension de l’écosystème liée à la consigne : les représentations qu’en ont les enseignants de FLE, les modalités de préparation des consignes en fonction des activités, l’emploi de la ressource « corps-voix » de l’enseignant lorsqu’il donne, gère et ajuste les consignes, les choix singuliers des enseignants et les raisons de ces choix (soubassements didactiques, identité professionnelle, etc.). Dans le cadre de cet article, après avoir posé succinctement quelques éléments théoriques et méthodologiques, nous proposons d’abord des outils pour l’enseignant qui souhaiterait mener un travail réflexif sur la conception de consignes lors du sas de réflexion possible (en amont de la classe). Ensuite, nous proposons un récapitulatif des éléments ressortissants de nos recherches en ce qui a trait à la transmission et gestion des consignes dans la classe de FLE. Pour ce faire, nous nous appuyons sur nos données de recherche (2013, 2020). Le format de l’article nous amène à faire une sorte d’états des lieux des éléments constitutifs de la consigne dans le feu de l’action. Ces deux premières parties sont à entendre comme des informations à disposition des enseignants − aussi bien novices, expérimentés ou en formation − pour appréhender et penser la consigne. La dernière partie de l’article convoque, entre autres, les façons de faire, les représentations et les soubassements de l’agir prescriptif de deux enseignantes de FLE. Nous l’envisageons comme une porte réflexive ouverte sur le « style prescriptif » (Dominguez, 2020) possible à l’intérieur même d’un « genre professionnel[4] » (Clot et Faïta, 2000). Chemin faisant, nous soulignons l’importance de l’appropriation, de la réflexion, de l’évolution de l’identité professionnelle, des positionnements pédagogiques qui sont à l’œuvre et qui se traduisent dans la posture et les modalités de conception et de transmission de consignes.
1. Quelques éléments théoriques et méthodologiques
Nous nous appuyons dans cet article sur deux de nos recherches. Elles se situent dans le champ de la didactique des langues et des cultures, plus précisément en ce qui concerne l’enseignement-apprentissage du FLE. Nos assises théoriques (que nous exposons ici sommairement) font dialoguer le paradigme du praticien réflexif (Schön, 1996), le paradigme de la pensée enseignante (Tochon, 2000), les études sur l’agir enseignant et l’identité professionnelle (Cicurel, 2011 ; Bucheton, 2009 [2014] ; Beckers, 2007) et le champ de l’analyse de l’activité (Samurçay et Rabardel, 2004 ; Clot et Faïta, 2000).
Dans le sillon de Cicurel qui définit « l’agir professoral » comme « l’ensemble des actions verbales et non verbales, préconçues ou non, que met en place un professeur pour transmettre et communiquer des savoirs ou un "pouvoir savoir" à un public donné dans un contexte donné » (Cicurel, 2011 : 48) ; nous inscrivons « l’agir prescriptif » (Dominguez, 2020) enseignant comme une partie de l’agir professoral. Ledit agir est constitué de l’activité enseignante qui consiste à penser et à planifier les consignes (en lien étroit avec la création des activités) et de l’activité qui consiste à les donner et à gérer leurs éventuelles reformulations ou réajustements au contact des apprenants.
Nous nous sommes d’abord intéressée à la place des aspects verbaux et non verbaux des consignes, en filmant des enseignantes de FLE et en réalisant ensuite des entretiens d’autoconfrontation (Dominguez, 2013). Nous avons poursuivi notre travail à travers notre recherche doctorale qui a placé au cœur de l’étude une « démarche réflexive » composée de quatre étapes : questionnaire, réunion-échange, journal de bord et entretiens (un entretien d’autoconfrontation, un entretien de co-explicitation et un entretien de clôture[5]). Il s’agissait de proposer aux trois enseignantes participantes un dispositif[6] qui allie réflexion et réflexivité individuelles et collectives afin de multiplier les angles d’approches sur leur « agir prescriptif » (Dominguez, 2020). Les visées de notre recherche étant d’une part, une visée compréhensive (approfondir la connaissance sur la conception et transmission de consignes ainsi que sur les représentations et sur les dire et faire effectifs et déclarés des enseignantes) et d’autre part, une visée développementale : (trans)former les enseignantes par leur activité réflexive et enrichir leur répertoire didactique[7].
Nos recherches interrogent la pratique d’enseignantes expérimentées de FLE exerçant dans un centre universitaire de FLE en France (public international).
2. La dimension planificatrice de l’agir prescriptif : un sas de réflexion
Comme le signale Cicurel, « lorsque le professeur entre en classe, son action est déjà commencée (préparation du cours, anticipation du scénario didactique, etc.) » (2011 : 168). Cette planification est plus ou moins précise en fonction de l’enseignant, du groupe d’apprenants, de la compétence à travailler, de la tâche, etc. La planification apporte cependant une certaine sécurité à l’enseignant, c’est en ce sens que Clark et Elmore (1981) soulignent que « planifier sert à permettre de diminuer les niveaux d’incertitude et de non-prédictibilité sous-jacents à chaque situation d’enseignement » (cités par Wanlin, 2009 : 94). La planification s’inscrit et s’articule dans la logique d’ingénierie pédagogique suivante : l’identification des besoins, la détermination des objectifs et la spécification des contenus. Ce travail de structuration demande à l’enseignant la mise en cohérences entre les objectifs, les tâches et les activités prévues. Ce travail de création et de planification aboutit in fine à la formulation de consignes[8].
De nombreux auteurs ont souligné des difficultés associées aux consignes et ce, essentiellement en raison des écarts entre ce qu'ils espèrent que les apprenants fassent et ce que ceux-ci font réellement (De Vecchi, 1992 [2000] ; Zakhartchouk, 1999, 2000, 2016 ; Ganier et Heurley, 2003). Si les causes des écarts sont souvent placées du côté des apprenants, force est de constater que les consignes elles-mêmes (issues des manuels ou de l'enseignant) peuvent parfois être à bien des égards imprécises et sources d'implicites (Zakhartchouk, 2000, 2016). De ce fait, l’activité de planification de l’enseignant axée sur la conception de consignes appelle un véritable travail de réflexion (Zakhartchouk, 2000 ; Meirieu, 1995) ; c’est ici que nous situons nos propos, dans ce sas de réflexion que peut embrasser l’enseignant en amont de ses cours. Toutes les questions qu’il se posera ne garantissent pas des consignes « parfaites » mais elles ont l’intérêt de participer à une conception raisonnée qui peut, dans la durée et à travers la pratique, faire partie intégrante du répertoire didactique de l’enseignant.
Nous proposons dans cette partie une série de questions guidantes que nous posons comme des outils pour la conception de consignes ; outils utiles dans le sas de réflexion qu’est l’étape de planification enseignante.
2.1. Des outils pour la planification : des questions guidantes
La fonction formative de la consigne s’actualise dans la réalisation de la tâche par les apprenants : c’est dans ce « faire » que l’apprentissage a lieu. La consigne est un « moyen d’enseignement » (Filliettaz, 2009 : 91) qui sert à configurer l’apprentissage. Cette configuration se retrouve traduite dans les consignes : elles contiennent les énoncés qui précisent les actions nécessaires à la réalisation des actions visées (les modalités pour faire). Par ailleurs, en tant que dépositaires des buts (les objectifs visés et la transformation visée), les consignes se doivent de permettre aux apprenants leur entrée dans la tâche (si elles ne le permettent pas, l’enjeu d’apprentissage est mis en danger). En fonction de ces éléments, la consigne est à la fois :
-
un outil pour l’enseignant pour accomplir sa mission par la « [prévision et l’engagement des] élèves dans des tâches qui devraient susciter chez eux un apprentissage » (Beckers, 2007 : 60), tâches véhiculées par les consignes elles-mêmes ;
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le réceptacle discursif contenant les informations à même d’impliquer, d’informer et de guider l’apprenant. Cette enveloppe langagière est souvent responsable de certains écueils (difficultés lexicales, non adaptation au niveau des apprenants, etc.).
Utiliser le sas de réflexion dont dispose l’enseignant lors de la préparation de ces cours pour réfléchir aux consignes est alors une étape potentiellement féconde pour l’enseignement-apprentissage. C’est en ce sens que s’inscrit la proposition de Zakhartchouk que nous mettons en lumière (ci-après). Le pédagogue et enseignant réactualise en 2016 une série de « questions-repères » qui aident à la conception de consignes[9]. Il fournit des pistes réflexives qui sont, à notre sens, utiles et pratiques pour tout enseignant[10]. À travers le type de réflexion proposée par l’auteur (cf. tableau 1), l’enseignant :« [entre] davantage dans la démarche des [apprenants], dans leurs représentations [ce qui] l'aidera, pendant la séquence pédagogique, à être à l'affût de leurs réactions, à les solliciter pour qu'ils s'expriment sur leurs difficultés et leurs manières de procéder » (Zakhartchouk, 2000 : 67).
Plus l’enseignant, lors de son activité de conception de consignes, prend le temps de véritablement s’interroger et de « penser » l’activité réelle des apprenants (lorsqu’ils auront affaire à la consigne créée par l’enseignant), plus les consignes sont à même de soutenir l’agir apprenant et son apprentissage. L’apprenant, face à la consigne, mobilise une forte activité cognitive (de décodage, de représentations, d’interprétation et application des procédures, de lien entre les différents savoirs dont il dispose[11], etc.). Penser et construire la consigne peut combiner la réflexion sur les objectifs d’apprentissage et la réflexion sur les processus qu’aura à mettre en œuvre l’apprenant, c’est ce que nous observons dans la proposition de Zakhartchouk. Nous la reprenons dans le tableau suivant reprend la proposition de Zakhartchouk (2016 : 18). Elle est composée des sept groupes de questions que peut se poser l’enseignant-concepteur de consignes (colonne de gauche). Pour son exploitation didactique[12], nous avons ajouté une colonne dans laquelle nous avons relevé les thèmes.
Ces différentes questions portent sur deux aspects : la forme et le fond ; même si, dans les faits, ceux-ci sont interreliés car les choix de l'un influencent l'autre. Nous observons que logiquement toutes questions-repères sont articulées autour de l'objectif de la consigne (question 1). Par ailleurs, les questions 2, 3, 4, 5 et 7 sont autant de clés qui peuvent accompagner le travail de conception des consignes : penser au type de formulation, au temps accordé à la réalisation des activités, au guidage nécessaire ou accessoire contenu dans la consigne ou encore au format de la réponse attendue et à la façon dont sera évalué le faire des apprenants. La question 6 a l’intérêt de porter sur une projection de l’enseignant sur sa propre intervention, son propre rôle. Nous pouvons constater que la proposition de Zakhartchouk demande un profond travail réflexif de projection de la part de l’enseignant.
Réussir à mobiliser chez l'apprenant tel savoir ou tel savoir-faire requiert chez l'enseignant planificateur d'être capable de définir un parcours d’apprentissage et des tâches. Il peut concevoir ce parcours en y installant des balises et en proposant, au besoin, des ressources nécessaires au processus d’apprentissage (c’est le cas de proposer ou ne pas proposer des exemples illustrateurs car cela dépend, entre autres, de l’objectif, de la tâche ou du niveau des apprenants). La définition et la conception de ce parcours sont à même de participer à une meilleure compréhension de la part des apprenants.
La proposition de Zakhartchouk s’inscrit dans le champ du FLM mais elle nous semble tout à fait appropriée pour tout contexte d’enseignement-apprentissage. Toutefois, dans le champ du FLE, il serait pertinent d’y ajouter des questions portant sur la langue et la culture des apprenants. En nous appuyant sur nos connaissances du FLE, nous avons créé (Dominguez, 2020) des questions-repères (cf. tableau ci-dessous) qui pourraient être ajoutées au tableau 1. Il serait souhaitable que d’autres enseignants-chercheurs-didacticiens complètent ces questions-repères pour la création de consignes en FLE[13].
Toutes les questions que pourra se poser un enseignant lors de la conception de consignes ne sont pas à concevoir comme des garantes de consignes « parfaites » mais elles ont l’intérêt de proposer un sas de réflexion qui, nous semble-t-il, permet du moins de procéder à une activité de conception raisonnée et qui pourra dans la durée et à travers la pratique faire partie intégrante du répertoire didactique de l’enseignant. Elles sont aussi des outils de réflexion à même d’être proposés en formation initiale des enseignants, par exemple comme un canevas de construction ou d’analyse de consignes.
Enfin, tout projet qui consisterait à accompagner le travail apprenant autour des consignes ne peut effectivement se faire, nous semble-t-il, que si l’enseignant lui-même accorde de l’importance à la consigne et décide de mener ce travail réflexif. C’est donc le regard de l’enseignant sur la consigne qui est en jeu. Nous insistons sur ce point car nous avons constaté au contact des enseignants (participant à nos recherches et collègues enseignants) que la consigne reste encore considérée comme quelque chose de « banal », « d’évident ». Or, lorsque les enseignants commencent à réfléchir à la consigne, à observer leur propre pratique et celles des autres, ils sont plus à même de mesurer les enjeux[15]. De notre point de vue, il reste encore beaucoup à faire dans ce travail de conscientisation de cet objet didactico-pédagogique.
3. L’agir prescriptif dans le feu de l’action
Dans l’activité de transmission, un motif commun est celui de capter l’attention des apprenants avant même de donner le contenu des consignes. Cette « captation attentionnelle » (Dominguez, 2020) peut se traduire par un usage spécifique de l’espace, de stratégies discursives, de sa voix et de sa gestuelle. Nous verrons d’abord, que ces éléments sont à considérer comme des boussoles utiles pour une mise en place de transmission de consignes. Nous proposerons ensuite, l’exemple des enseignantes Nathalie et Ana, ce qui nous permettra de dégager des façons de penser et de faire en fonction de logiques singulières.
3.1 Des boussoles dans l’instauration du moment de consigne : une captation attentionnelle
Les tout premiers instants, avant même que le contenu précis du faire soit présenté, sont précieux en ce qu’ils vont marquer et informer (les apprenants) qu’il s’agit d’un moment de consigne. En effet, avant toute chose, l’enseignant doit être vu et entendu de tous.
3.1.1 Un emplacement signifiant
Quelle que soit la situation de transmission de consignes, les mouvements du corps de l’enseignant (pour se déplacer, pour montrer, pour signaler, etc.) sont signifiants (Cadet et Tellier, 2014 ; Moulin, 2004 ; Jourdan, 2014). Ils participent, avec la voix, au guidage (Guimbretière, 2000, 2014).
En ce qui concerne l’emplacement, il est difficile d'imaginer une transmission de consigne où l'enseignant soit immobile. Dans les corpus dont nous disposons (Dominguez, 2013, 2020), l'espace investi par les enseignantes lors du moment zéro (avant le début de la transmission) et dans les premiers instants de la transmission de consignes est localisé à l’avant de la classe[16]. Cette circonscription spatiale est signifiante en ce qu’elle répond à la « captation attentionnelle » sans laquelle l’agir prescriptif peinerait à fructifier. En effet, sans elle, la réception auditive et visuelle est diminuée.
L’enseignante Christelle (qui commente sa transmission de consigne lors du visionnage de son film de classe) évoque cette influence dans l’entretien d’autoconfrontation[17] :
« Je pose mes questions sans regarder mes étudiants […] je suis pas assez euh euh PRÉSENTE quoi […] j’avais jamais pensé qu’une configuration d’organisation du matériel pouvait avoir une si grande influence là je découvre en regardant (…) et ça me gêne » (Corpus, 2013 : Christelle, EAC)
Le fait qu’elle soit à son bureau (pour gérer l’affichage d’éléments sur un tableau blanc numérique) au moment de la transmission de consignes influence non seulement son positionnement mais également le manque de lien avec ses étudiants ; la « captation attentionnelle » n’est pas réussie.
3.1.2. Une voix spécifique
La voix - timbre, intensité, intonation, débit - est un outil pour l’enseignant[18]. Elle participe à la construction du rapport et des liens entre l’enseignant et les apprenants ; elle aide l’enseignant à faciliter la transmission de son message ou encore à induire l’action des apprenants (Moustapha-Sabeur et Aguilar Rio, 2014) ; la voix a un « effet pédagogique » (Girault, 2014 : 221).
En contexte exolingue[19], la voix de l’enseignant a d’autant plus un rôle majeur. Guimbretière précise cette particularité chez l’enseignant de langue qui emploie un large registre de ressources gestuelles, articulatoires et prosodiques dans le but d’assurer une bonne communication avec ses apprenants (2014 : 27). La chercheuse souligne qu’il se « doit de varier son style de parole en exagérant dans des proportions bien supérieures à celles qui existent pour toute transmission de savoir en situation endolingue » (ibid.).
Nous avons observé dans nos corpus un usage particulier de la voix lors de l’activité de transmission de consignes. Une fois la « captation attentionnelle » posée par un positionnement signifiant dans l’espace, la voix de l’enseignant prend le relais pour capter l’attention des apprenants et les amener à comprendre qu’il s’agit d’un moment de consigne. Pour ce faire, les enseignantes que nous avons filmées, ont recourt à une articulation appuyée des mots utilisés et à un débit plus posé (voir plus bas, 3.1.3).
Un extrait du discours de Valérie nous renseigne sur un certain type de voix associée aux consignes :
« hum ++ les consignes euh pff ++ ma voix/ce que je remarque et bon je le savais déjà plus ou moins mais c'est que je:: j'ai pas une voix qui por:::te je::: j'essaye d'accentuer certains mots:: euh: en fonction de ma fatigue aussi + personnelle tout simplement en fonction des moments du cours j'ai une voix plus monotone euh je SAIS que c'est un défaut » (corpus 2013 : Valérie, EAC)
Pour Valérie, une certaine puissance intonative correspond au moment de consigne. Elle évoque ici que sa voix ne porte pas suffisamment lors de la passation de consigne, en revanche elle réussit à accentuer certains mots (bien que cet agir lui semble insuffisant). Elle y évoque la réalité de son vécu, la fatigue joue sur sa voix. Pour cette enseignante, il semblerait qu’une voix monotone ne semble pas répondre aux exigences d’une certaine représentation de l’agir prescriptif. Valérie met ici en avant une des caractéristiques de la voix associée à la transmission de consigne, cette voix devrait être forte pour être correctement audible, permettre la réception et ne pas demander un effort supplémentaire d’attention aux apprenants.
3.1.3. Une accroche discursive
Nous passons maintenant à des stratégies discursives marquant le début des passations de consignes que nous avons observé chez trois enseignantes (corpus 2020). Nous proposons dans le tableau suivant quelques extraits de discours (en situation de classe) :
Nous pouvons en dégager des stratégies discursives qui semblent communes aux trois enseignantes : une accroche spécifique et une introduction-type de consigne. En ce qui concerne l’accroche, nous remarquons l’emploi de l’adverbe alors qui marque le point de départ d’une séquence de consignes. Cet adverbe est souvent prononcé avec une intonation forte. Une variante d’accroche est l’emploi de l’impératif « allez » (cf. extraits 1 et 11, Ana).
Nous constatons également que les structures qui suivent ces bornes attentionnelles contiennent, pour la plupart, une introduction-type de consigne. Celle-ci présente une structure discursive spécifique de type : on + verbe d’action qui véhicule une invitation à une action imminente (pour la plupart des extraits, l’usage du futur proche est présent). Cet ancrage dans l’action immédiate est qui plus est marqué par la combinaison de l’adverbe « alors » suivi de l’adverbe « maintenant » (cf. extrait 16, Nathalie et extrait 17, Ana). Ces différentes stratégies participent à la « captation attentionnelle » et au potentiel engagement des apprenants (leur écoute, leur attention).
3.1.4. Une gestuelle guidante
À présent, nous nous intéressons à l’usage de la gestuelle[20] en tant que guidage sémiotique lors de l’étape transmissive.
Un des principaux usages gestuels que nous apercevons dans les situations de transmission de consignes est celui qui consiste à guider les apprenants dans la sphère textuelle. À ce sujet, Rivière dégage essentiellement une fonction d'élucidation indiquant que les gestes coverbaux couplés au discours peuvent « orienter l'attention des apprenants vers la matérialité typographique ou typo-dispositionnelle des activités et […] désigner les actions qu'ils ont à réaliser à partir d'elle » (2006 : 415).
Il s'agit par exemple de gestes qui peuvent pointer un endroit précis sur une feuille d'activités pour guider les apprenants. Pour les aider, une temporalité spécifique telle que : annoncer une activité, signaler dans le document où elle se situe (à l'aide de gestes de pointage précis) et seulement ensuite distribuer le document sont autant de dispositions qui peuvent éviter de brouiller la réception. Cette stratégie de distribution déjoue les situations, assez communes nous semble-t-il, où les informations s'imbriquent : expliquer les consignes et distribuer les documents (en même temps) ne permet pas d'entrer par étapes dans l'agir. Qui plus est, en contexte exolingue, cela rajoute de la complexité aux apprenants qui peuvent avoir du mal à faire le tri dans les informations reçues.
Nous observons que dans la transmission de consignes, le corps est un outil. Cela rejoint les propos de Cadet, Leclère et Tellier qui signalent l’intérêt de la prise en compte de la « corporéité de l’enseignant […] lorsqu’on veut comprendre comment s’organise la transmission » (2017 : 213). La transmission et gestion de consignes s’inscrit dans la « compétence professionnelle multimodale » (ibid.) des enseignants. Si dans nos corpus nous avons relevés essentiellement des gestes de pointage et des gestes illustrant des mots précis de la consigne (essentiellement des verbes d’action, voir Dominguez, 2020), d’autres recueils de données dans d’autres contextes permettront de poursuivre le relevé de pratiques gestuelles associées à la transmission de consignes.
3.2. La formalisation prescriptive : quelques caractéristiques
Nous avons vu plusieurs des éléments qui participent à la « captation attentionnelle » des apprenants. Nous abordons à présent certaines des caractéristiques de la formalisation prescriptive observées dans nos corpus. Celle-ci consiste à la transmission effective des consignes par l’enseignant.
3.2.1. Un discours de guidage « monologal »
Le discours de consignes est un discours qui est rattaché à l’enseignant : il lui revient de le délivrer. Ce rôle s’incarne dans un discours qui, au vu des données, peut être caractérisé de « monologal » (Dominguez, 2020 : 273). Bien que le discours de consignes ne puisse s’extraire de son contexte et de ses récepteurs, il marque une certaine pause interactionnelle : l’enseignant, à ce moment-là, monopolise la parole et les apprenants, en principe, se mettent en position d’écoute. Une certaine tranche de silence imposé aux apprenants fait partie de ce discours de consignes. L’aspect monologal se traduit par l’absence ou la faible présence de tours de parole. Cette caractéristique rejoint ce que Vion nomme « interaction sans structure d’échange[21] » (2000 : 123). Nous proposons ci-dessous, quelques extraits de discours de consignes énoncés par Christelle dans les cours que nous avons filmés :
Ces extraits portent tous sur des activités de compréhension orale. Les discours mettent au jour l’action à faire, celle-ci étant exprimée soit par une consigne courte (extraits 4, 5, 6 et 17) ou une consigne longue (extrait 17) et ce, en fonction de l’objectif que se donne l’enseignante. Pour chaque extrait, l’enseignante réalise une prise de parole en continu, ou « discours monologal », qui traite :
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des informations précises sur l’action à faire (en gras dans les extraits ci-dessus) ;
-
des modalités d’action (soulignés dans les extraits).
C’est ici que se traduit une partie de la prise en compte des apprenants, d’une attention de la part de l’enseignant à les guider, les situer.
En outre, la formalisation prescriptive appelle chez les participants différents rôles. Par exemple, dans les extraits cités, l’enseignante active le rôle de prescriptrice : celui qui lui est assigné par le contrat didactique. Quant aux apprenants, ils activent leur rôle de récepteurs qui implique ici de ne pas interrompre l’activité discursive de l’enseignante.
Nous constatons que, même dans l’extrait 15 où l’enseignante s’adresse directement aux apprenants par des interrogations (« oui ? »), il n’est pas attendu qu’ils répondent, leur tâche est d’écouter. L’enseignante montre par ailleurs l’attention portée à son groupe d’apprenant et maintient ici le lien (avec eux et avec l’information transmise).
Le respect des rôles est associé à un savoir partagé sur le moment de consignes − caractérisé par une prise de parole en continu de l’enseignant − qui fait que cette « interaction sans structure d’échange » (Vion, ibid.) puisse se lire comme un cadre de participation implicite, la production chez l’un, la réception chez l’autre.
3.2.2. Entre pause et ajustements : les choix de l’enseignant prescripteur
Une fois que l’enseignant à pris en charge ce moment de discours de consignes, il lui revient de décider de la suite. Dans nos corpus, ce sont essentiellement des ajustements et des reformulations qui ont lieu (actions qui ont été également documentées par Rivière, 2006). Il apparaît dans nos données, que deux enseignantes investissent tout de suite le discours par de la reformulation de consignes. C’est le cas de Christelle qui reformule de façon automatique. Elle l’indique et l’explique en ces termes :
« je vois des ??? sur les visages des apprenants (de tous ou d’un seul), je répète et ensuite je reformule jusqu’à ce que tout le monde ait compris » (corpus 2020 : Christelle, questionnaire)
Dans les cours filmés, elle utilise en effet la reformulation. Nous posons la question de la pertinence de cette pratique. A ce sujet, nous partageons les propos de Zakhartchouk qui met en garde (ou du moins ouvre le débat) : « Quand on indique un chemin, la surabondance d'informations n'est-elle pas contreproductive ? La sobriété est parfois de mise et il faut "résister au prurit d'intervention" et à la volonté de ''tout expliquer'' » (2016 : 28). La reformulation peut se voir à la lumière de ce « prurit d’intervention ».
En fin de protocole, suite aux différentes étapes de la démarche réflexive, Christelle déclare qu’elle a modifié sa façon de faire ; elle dit avoir réussi à accorder plus de place à l’étape de compréhension et d’appréhension de la consigne chez ses apprenants. Pour ce faire, une autonomisation apprenante partielle a été mise en place par l’enseignante grâce à son travail réflexif lors de la création des documents de travail (ceux qu’elle distribue aux apprenants et sur lesquels le guidage des activités est posé). Sa nouvelle façon de présenter et organiser ces documents lui a permis d’alléger son travail de guidage (en classe) et de ne pas reformuler instantanément ses consignes (nouvelle façon de faire pour elle) ; la place, plus autonome, qu’elle accorde à l’appropriation et au décodage de la part des apprenants est définie par l’enseignante comme plus ajustée.
Pour « résister au prurit d’intervention », nous considérons que décider d’un temps de pause – après la formalisation prescriptive – peut être utile. Ce temps est à entendre comme un temps de décodage pour les apprenants. Il permet par ailleurs à l’enseignant lui-même de disposer d’un court laps de temps pour une « parenthèse réflexive[22] » qui lui permet, par exemple, de valider que la consigne a bien été reçue, que rien ne manque dans ce qu’il avait prévu, etc. Ce temps permet par ailleurs, de faire un usage mesuré de la reformulation. L’objectif étant de favoriser la réflexion des apprenants et leur prise en charge du décodage, sans avoir recours immédiatement aux questions (ce qui est une réaction assez commune). L’ouverture est ensuite possible en fonction des réactions des apprenants, de la difficulté de la tâche, etc.
3.3. Agirs prescriptifs : quels soubassements ?
Si des caractéristiques communes traversent la transmission de consignes (positionnement, voix, gestuelle, etc.), nous avons interrogé l’agir prescriptif au regard d’un potentiel « style prescriptif » (Dominguez, 2020). Nous proposons ici quelques constats relatifs aux enseignantes Nathalie et Ana. Concrètement, nous montrons deux postures et soulignons dans quelle mesure des éléments liés à leur parcours et à leur conception de l’enseignement-apprentissage sont autant de clés qui impactent et expliquent leur agir prescriptif.
Avant de les aborder, rappelons que dans notre recherche, nous avons réalisé des captations audiovisuelles de cours de FLE et nous avons réalisé des entretiens individuels avec les enseignantes filmées. Ces données ont été croisées avec d’autre données : celles des questionnaires individuels, de la réunion-échange (en groupe) et des journaux de bord écrit. Les extraits des résultats que nous proposons ci-après proviennent de cette triangulation.
3.3.1. Nathalie et les soubassements de son agir prescriptif autonomisant
Nous proposons une instantanée du moment où Nathalie réalise la transmission de consigne, à gauche, et à droite une reproduction du contenu du tableau blanc.
Ci-après, le discours de consignes produit par Nathalie dans son cours (corpus 2020). Le discours nous permet de voir l’empan de sa formalisation prescriptive :
Dans le discours de consigne de Nathalie nous observons la présentation progressive d’informations de guidage matériel (en b), de guidage actionnel (sur les activités à faire en a, c et f et sur les modalités en e) et de guidage lexical (en g). Durant ce discours enseignant qui porte sur le quoi et le comment, les apprenants écoutent, regardent et n’interagissent pas verbalement. Le contrat de parole implicite à la formalisation prescriptive est respecté par les uns et les autres. Ce n’est qu’une fois que son discours de consigne est réalisé que l’espace discursif redevient potentiellement participatif. Cet exemple illustre le fait qu’il existe un certain noyau discursif caractérise le discours de consigne. Ce noyau est composé d’une force illocutoire principale – pour agir – et se caractérise par un contenu informationnel précis (pour faire comprendre et faire), contenu qui porte principalement sur les activités à réaliser et les modalités de travail.
L’étude des données nous a permis de mettre à jour ce qui sous-tend la façon de faire de Nathalie. D’abord, chez l’enseignante, la reformulation n’est pas systématique, et elle accorde un rôle fondamental à l’étape de planification. À ce sujet, elle déclare par exemple :
« si tu as une consigne […] qui est bien structurée, tu as le même temps que si tu passes trois reformulations à l’oral parce que tu ne l’avais pas préparée » (Nathalie, réunion-échange)
Son choix de ne pas reformuler systématiquement est également évoquer dans ses réponses au questionnaire lorsqu’elle signale que si les consignes sont données à l’écrit et que les apprenants comprennent : « pas de reformulation nécessaire » (Nathalie, questionnaire).
Ensuite, par rapport à son rôle d’enseignante, elle déclare :
« je LIS avec les étudiants, je l’oralise (…) habituellement (…) je leur donne une consigne et puis vous avez une demi-heure (…) » (Nathalie, entretien de clôture)
« je n’explique pas beaucoup, j’évite de répondre aux questions, je laisse les étudiants se débrouiller autant que possible » (questionnaire).
Dans son répertoire didactique, le rôle de guide est un élément qui fait partie de son agir quotidien. En ce sens, nous avons observé dans les cours filmés, qu’il y a toujours un retrait de la scène pédagogique de sa part, une fois les consignes distribuées. Il est intéressant de souligner que cette façon de faire est connue et reconnue par ses apprenants, c’est ici leur passé de groupe (de l’enseignante et des apprenants) qui explique un cadre respecté et qui semble à l’observateur fluide et facile[23].
Enfin, en ce qui concerne les apprenants, de nombreux verbatims (issus des EAC) contiennent les expressions « ils font », « ils savent », « ils se débrouillent ». Il y a une volonté de responsabilisation des apprenants et, dans les cours observées et filmés, les apprenants occupent l’espace de travail et l’espace communicatif.
Au cœur de son métier se trouve une visée autonomisante, qui se traduit dans un « style prescriptif » (Dominguez, 2020). Sa visée autonomisante infuse sa façon de penser (en accordant une place prépondérante à la planification) et sa façon de donner les consignes. Chez Nathalie, prendre en compte l’apprenant, c’est avant tout le responsabiliser et le mettre le plus possible en posture d’acteur. Cela implique pour elle, une forte activité planificatrice afin de pouvoir proposer des consignes claires et détaillées (en fonction du contexte) qui favorisent une immersion dans la tâche chez ses apprenants. Pour les apprenants, cela demande une forte responsabilisation, un respect de ce cadre et une confiance en l’autre et en soi.
3.3.2. Ana et les soubassements de son agir prescriptif flexible
Les consignes de l’enseignante Ana (corpus, 2020) sont très variables et plutôt souples et longues. Par ailleurs, la reformulation est une pratique récurrente dont elle fait usage dès que la formalisation prescriptive est réalisée. Nous retrouvons chez Ana, une certaine « flexibilité prescriptive » (Dominguez, 2020). Dans ses verbalisations sur sa pratique, elle défend une posture ouverte où chacun agit sans trop de contraintes. Ce qui est intéressant est de voir qu’Ana revendique sa posture de lâcher-prise :
« Quand je leur donne une consigne, quelque part, s’ils me font le dialogue d’une autre façon, je m’en fiche […] l’essentiel étant qu’il y ait un partage, qu’il y ait un échange » (Ana, EAC)
« la consigne elle est bien trop longue tu vois mais (souffle) mais j'ai envie de te dire c'est pas grave ! […] la consigne elle est mal formulée […] c'est pas grave parce qu’à la limite la consigne elle change un peu […] ou bien ils changent un petit peu c’est PAS gênant […] mais quelque part je m'en fiche de la consigne (rires forts) » (Ana, EAC)
« c’est pour ça que la consigne elle est elle est importante et à la fois pas importante […] je pense qu’il ne faut pas que la consigne soit trop stricte » (Ana, EAC)
Dans ces propos, on observe un certain discours de dédramatisation (occurrences en gras). Elle laisse apparaître la consigne comme une étape simplement nécessaire mais qui ne doit pas être figée[24]. Dans cette logique de consigne flexible s’insère alors la remédiation comme solution qui permet à l’enseignante de réajuster : « pour ceux qui :: pour ceux pour qui elle est trop vague, je vais aller VOIR et je REDONNE la consigne […] je me dis bah ceux-là, il faut que je fixe euh, il faut que je la réduise ma consigne » (Ana, EAC).
Pour comprendre la flexibilité évoquée, il nous faut d’abord nous référer à deux valeurs qui lui sont fondamentales : la liberté et le bien-être[25]. Ensuite, il y a une évolution dans la conception du métier qui s’est traduit, entre autres, dans une conception différente des consignes. Ana déclare :
« moi je M’ENNUIE + faire des consignes d’examens DELF DALF […] AVANT je faisais des consignes comme ça […] quand j’avais moins de liberté en tant qu’enseignante et puis que j’étais peut-être moins au clair par rapport aux finalités que je me donne de l’éducation » (Ana, EAC)
Ana évoque son début de carrière où elle « avai[t] moins de liberté en tant qu’enseignante ». Elle associe l’enseignante novice qu’elle était à une certaine instabilité : « j’étais peut-être moins au clair par rapport aux finalités que je donne à l’éducation » (A). Ce sont ici des informations liées à son identité en devenir qui sont avancées. Si Bergson déclare que la « liberté […] est la condition première de l’action » (Bergson, repris par Charrue, 2005 : 6), celle-ci semble, pour Ana, avoir été acquise progressivement au fil de ses expériences. L’acquisition d’une stabilité dans son identité professionnelle lui permet aujourd’hui d’agir en cohérence :
« maintenant ++ je suis FIDÈLE […] à mes finalités qui sont claires et mes consignes vont plus être les mêmes […] elles vont être plus complexes ++ elles vont être plus FLOUES + mais il y a une VOLONTÉ de flou […] elles vont être PRÉCISES tout en étant vagues et imprécises […] parce que j’ai pas envie de cloisonner l’étudiant » (Ana, EAC)
Au regard du corpus complet d’Ana (dont nous n’avons proposé ici que quelques extraits), se dégage un avant et un maintenant dans sa pratique liée aux consignes qui peut s’illustrer comme suit :
Il semblerait que c’est dans son évolution professionnelle que se trouve la raison qui l’a menée à une ouverture dans sa conception des consignes ; l’enjeu ne se situerait alors pas dans leur forme et leur contenu clairs (ce qui était le cas en début de carrière) mais dans des consignes qui, avant tout, ne cloisonnent pas les étudiants et soient des vecteurs de liberté ; celles-ci s’inscriraient nécessairement dans cette cohérence liée à ses valeurs et finalités éducatives actuelles.
Enfin, nous avons observé chez l’enseignante, un certain dilemme lié à la consigne. À ce sujet, quand Ana va définir les consignes, elle ressent un inconfort, elle en parle en ces termes : « c’est toujours compliqué » (Ana, questionnaire) ; c’est un « ordre », « une forme d’autorité » (Ana, EAC). Dans son discours en EAC, elle va tout de suite nuancer ses propos par « enfin/c’est un dire de faire ». Si ses propos sont introduits par le présentatif « c’est », nous constatons que, lorsqu’elle s’inscrit à la première personne « pour MOI », ses propos viennent tenter de résoudre le dilemme qu’elle vient de pointer : « pour MOI, c’est pas vécu comme […] quelque chose euh d’autoritaire ou d’autoritariste ». C’est ici sa subjectivité qui est au premier plan.
La vision d’Ana sur la consigne est liée à la flexibilité, à l’adaptabilité, au confort des participants et à la liberté (qui sont pour elle aujourd’hui des principes éducatifs clés). Cette conception est en tension avec ce qu’est une consigne : elle est contrainte, elle est généralement commune au groupe et elle peut comporter de l’inconfort.
La liberté désirée par Ana est nécessairement en tension avec le fait d’administrer une consigne. Cela ne veut pas dire que la consigne soit une contrainte qui encorsette obligatoirement (les enseignants et les apprenants) car elle est essentiellement un guidage mais elle pose des bornes qui sont censées être prises en compte : Ana semble alors tiraillée.
Interroger les soubassements de l’agir prescriptif ouvre une palette d’informations sur les représentations, les positionnements didactico-pédagogiques ou encore des valeurs éducatives qui influencent la façon de concevoir et de transmettre les consignes.
Remarques conclusives
Concevoir et transmettre des consignes sont des activités quotidiennes pour l’enseignant. Prendre le temps et disposer de clés pour « penser » son propre agir prescriptif peuvent être des portes réflexives porteuses (Dominguez, 2020) pour l’enseignant. C’est dans ce sens que cet article se veut une invitation à une activité réflexive sur l’agir prescriptif. Pour ce faire, nous avons proposé une série d’entrées possibles (de pistes réflexives) concernant la dimension planificatrice des consignes d’une part et la dimension effective, lors du feu de l’action.
Il y a le sas de réflexion que l’enseignant peut investir lors de son activité de planification de l’action. L’investir, pour le cas de la conception de consignes, veut dire mener à s’interroger sur : pourquoi, pour qui, comment je propose telle activité ? En quoi la consigne participe-t-elle aux objectifs décidés ? Comment vais-je mener ma gestion de consignes dans la classe ? A quoi dois-je être attentif ?, etc.
Si l’ingénierie pédagogique permet de structurer une partie de notre travail enseignant en besoins, objectifs, contenus et activités ; toutes les modalités permettant de réfléchir et de conscientiser le rôle, la création et la gestion de consignes sont des leviers qui participent à notre bagage enseignant et à notre mission enseignante.
La mise à distance de la pratique et la mise en sens (dans des espaces réflexifs individuels, collectifs ou dans le cadre de recherches) participent au changement de pratiques (Dominguez, 2024). Nous avons voulu dans la première partie de cet article, remettre en lumière la proposition (de questions-guidantes) de Zakhartchouk (2016) car d’une part elle est, à notre connaissance, la seule qui propose précisément et aussi finement une matrice pour « penser la consigne » et d’autre part car elle répond à notre objectif de fournir à tout enseignant (novice, expérimenté ou en formation) des clés de réflexion sur la construction de consignes. Si nous l’avons utilisée dans le cadre de notre pratique enseignante (et c’est la raison pour laquelle nous avons ajouté trois questions pour qu’elles répondent au contexte d’enseignement-apprentissage du FLE), si nos étudiants l’ont mobilisée dans le cadre de leur formation pour construire des consignes, il conviendrait de s’intéresser à comment les enseignants s’approprient-ils cette matrice guidante, quels avantages et quels freins dans leur utilisation, ou encore quels changements dans leur pratique ? Une possibilité serait de mettre en dialogue cet outil guidant et la pratique effective d’enseignants dans le cadre, par exemple, de dispositifs réflexifs qui permettent de comparer la pratique prescriptive à un instant zéro et celle suite à l’intégration de la matrice de questions-guidantes.
Dans la deuxième partie de notre article, toujours dans l’objectif de proposer des pistes réflexives pour « penser » l’agir prescriptif, nous avons partagé quelques résultats issus de nos recherches. D’abord, nous avons souligné et caractérisé les tous premiers instants avant même que les consignes ne soient partagées en classe. Nous avons vu que la « captation attentionnelle » s’opère et repose sur un emplacement, une voix, une accroche discursive et une gestuelle qui sont à entendre comme des facilitateurs dans la transition vers la transmission de consignes. Ensuite, nous avons succinctement traité de quelques caractéristiques de cette formalisation prescriptive. Les quelques entrées proposées peuvent aussi bien guider la réflexion de la communauté enseignante qu’être utilisées dans la formation initiale comme clés pédagogiques. A cet effet, à partir des données audiovisuelles issues de la recherche, mener un travail d’observation et d’analyse de celles-ci par le truchement de ces entrées serait une démarche instructive pour aiguiser le regard des enseignants en devenir sur la manière dont circulent et se (re)négocient les consignes dans la classe.
Si des caractéristiques communes peuvent se dégager des premiers instants et du moment de formalisation prescriptive, nous avons esquissé la possibilité d’un « style prescriptif ». Les discours réflexifs des enseignantes nous ont permis de voir que le terreau sur lequel se construit leur « style prescriptif » est composé aussi bien par des représentations sur la consigne, que sur des principes pédagogiques ou encore sur une identité professionnelle. Cela rejoint la littérature qui porte sur l’agir professoral et le répertoire didactique : l’enseignant se construit et se reconstruit, s’ajuste, change et enrichit ainsi son répertoire.
Porter un regard attentif aux consignes permet de sortir des sentiers qui voudraient que la consigne ne soit que l’expertise d’une bonne formulation. S’iI n’est pas d’agir prescriptif idéal, choisir de réfléchir et conscientiser les éléments qui participent à la conception et la transmission de consignes est un positionnement qui alimente l’expérience réflexive et professionnalisante et, qui contribue au pouvoir d’agir de l’enseignant. Ce positionnement participe à une attention plus ouverte aux effets de nos choix d’enseignants sur les apprenants. A cet égard, pour une compréhension systémique de l’agir prescriptif, la communauté éducative et scientifique a tout intérêt à poursuivre l’étude de l’agir prescriptif en nourrissant le volet de la réception des apprenants.
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[1] Wright et Wilcox (1978) ont déjà identifié dans les années 70 les sous-processus impliqués au moment de la lecture d’une consigne écrite et de l’exécution des tâches (ils en ressortent trois temps « la lecture de l’instruction, l’intégration des informations et la planification de l’action et l’exécution de l’action » (Ganier et Heurley, 2003 : 120).
[2] La loi d’orientation 1989, les résultats des compétences lectrices des apprenants (qui ont un impact dans la compréhension de consignes), etc. sont certaines des raisons qui ont participé aux réflexions sur les consignes (voir Zakhartchouk, 2000, 2004) pour un éclairage précis.
[3] Cet intérêt se traduit par les nombreuses publications : le n°90 de la revue Pratiques ; Zakhartchouk, 1987 et 1999. En 1999, la revue Résonances propose un dossier sur les consignes, les auteurs vont notamment insister sur le besoin de formaliser des activités réflexives (à proposer aux apprenants) autour de la consigne. Les consignes deviennent à part entière un objet d’étude.
[4] Clot et Faïta considèrent ce genre comme la « partie sous-entendue de l’activité » (2000 : 11). Selon eux, le genre professionnel est « ce que les travailleurs d’un milieu donné : connaissent et voient, attendent et reconnaissent, apprécient ou redoutent ; "ce qu’ils savent devoir faire" » (Ibid.).
[5] Désormais EAC, ECOE, et ECLO (pour les précisions méthodologiques et les fondements épistémologiques de la recherche, voir Dominguez, 2020, partie II, chapitre 4, pp. 162-216)
[6] Quant aux données recueillies, il s’agit de données écrites (questionnaire et journal de bord), orales (réunion-échange et entretiens) et audiovisuelles (entretiens et fims de cours).
[7] Cette visée se base sur la reconnaissance de la pratique réflexive comme outil de développement professionnel (Legault, 2005 ; Perrenoud, 2001, Vacher, 2015).
[8] Nous faisons référence ici aux consignes planifiées. Nous ne nous intéressons pas aux consignes non planifiées qui sont formulées par l’enseignant dans le vif de l’action (adaptation à une situation, réajustement lié à des paramètres de temps, etc.).
[9] Voir également l’ouvrage de De Vecchi (2000) qui propose des pistes réflexives et pratiques pour les enseignants tels que des indicateurs pour élaborer une consigne plus précise, une réflexion sur les types de verbes, des questions à se poser pour analyser la pertinence des consignes, etc. (voir concrètement les pages 78 à 84).
[10] Nous les avons discutées et mises en pratique dans deux cours – à destination des masterants en didactique du FLE - que nous avons dispensé à l’université d’Angers (à savoir « Observation réfléchie de la classe de langue » et « Former des enseignants réflexifs »). Lors de ces cours, les étudiants ont analysé des consignes (issues de manuels et issues de nos corpus de recherche) au regard de ces questions repères. Par ailleurs, les étudiants ont créé des consignes avec ce guidage, soumis à réflexion (en petits groupes) leurs productions, partager leurs difficultés ; des retours et remédiations ont été discuté en grand groupe.
[11] Pour une approche didactique qui interroge le décodage des apprenants à travers une réflexion autour des objectifs opérationnels contenus dans les consignes, le guidage didactique et le rôle de l’explicitation, etc. voir Dominguez (2020 : 108-128)
[12] Dans le cadre des cours cités plus haut.
[13] D’autant plus que les contextes d’enseignement-apprentissage sont variés (profil des apprenants, niveau de langue, langue véhiculaire existante ou non, objectifs de la formation, type d’établissement, type de cours, etc.).
[14] Dans la réunion-échange de la présente recherche, Nathalie évoque une situation éducative en Inde dans laquelle elle avait proposé une consigne qui n’a pas donné les résultats attendus. Il s’agissait d’une activité par paires qui consistaient à retrouver différents bâtiments (l’apprenant A et B avaient un plan simplifié d’une ville avec par exemple, la poste, la banque, etc.). Des difficultés liées au niveau de langue ont fait avorter la tâche (A1) mais l’enseignante pointe également un autre obstacle : les apprenants n’avaient pas dans leurs habitudes de réaliser des activités par paires, et ce n’étaient pas dans leurs mœurs de réaliser ce type de repérage dans la ville à l’aide d’un plan.
[15] C’est ce que nous avons constaté chez les enseignantes de FLE qui ont participé à nos deux recherches (Dominguez, 2013, 2020).
[16] Le moment zéro de la transmission de consignes, du point de vue de l’espace, s’inscrit dans cet espace situé dans le périmètre du tableau-bureau. Cependant, une fois la captation attentionnelle réussie et l'annonce ou début des consignes faites, l'enseignant peut progressivement investir d'autres espaces. Il s'agira de déplacements qui lui permettront d'entrer dans l'espace communément attribué aux apprenants. L'enseignant s'y immisce pour distribuer des documents, pour indiquer l'emplacement de matériel à utiliser, pour exemplifier une simulation d’interaction, pour ajouter des consignes spontanées en adaptation à la situation, etc.
[17] En ce qui concerne la convention de transcription, nous avons utilisé: XXX pour les passages inaudibles :: pour l’allongement de la syllabe,:::: pour un allongement plus long de la syllabe + pour pause, +++ pour une pause plus longue ALORS pour l’accentuation, l’emphase A-lors pour la scansion / pour une reprise ou autocorrection du discours (ex : je dis/je leur ai dit) Pour le cas des phrases interrogatives et exclamatives, nous avons conservé les points d’interrogation (?) et d’exclamation (!).
[18] Voir à ce sujet la première partie de l’ouvrage de Cadet et Tellier (2014). Dans la partie intitulée « La voix de l’enseignant » différents articles proposent une approche de la voix sous différents angles (du point de vue de la phonétique, de l’orthophonie, etc.) ; des facteurs tels que l’effort vocal et la gestualité prosodique sont, entre autres abordés. Par ailleurs, un pan didactico-pédagogique fait aussi l’objet de propositions. À ce sujet, la voix de l’enseignant est interrogée du point de vue de ses fonctions pédagogiques.
[19] La communication exolingue est celle qui s'établit entre individus ne disposant pas d'une L1 commune.
[20] Pour ce qui est des gestes pédagogiques, nous renvoyons le lecteur à Tellier (2006, 2016). Pour la communication multimodale des enseignants de langue, voir Ferrão Tavares (2013) et Azaoui (2014).
[21] À l’instant t où une consigne est donnée le discours qui circule est un discours unilatéral au sens des « interactions sans structure d’échange ». Nous suivons l’auteur qui précise qu’avec « la notion de dialogisme […] toute production linguistique, aussi personnalisée et unilatérale qu’elle puisse paraître, doit être considérée comme un matériau interactif » (Vion, 2000 : 123).
[22] Nous proposons cette notion de « parenthèse réflexive » dans notre travail de 2020. Elle peut avoir lieu dans le cadre de l’action et elle permet d’agir dans le court terme. Elle n’est pas à confondre avec la réflexion dans l’action de Schön, qui elle est de l’ordre de l’immédiateté. Les parenthèses réflexives nécessitent d’un temps (qui peut être de quelques minutes). C’est ce temps qui permet à l’enseignant de « s’extraire momentanément du cours de l’action, de l’évaluer, puis de l’ajuster et la compléter, en fonction de la lecture » (Dominguez et Rivière, 2015 : 8).
[23] En tant qu’observatrice sur le terrain (au moment de la captation par caméra), nous nous interrogions sur sa manière de transmettre les consignes (comment fait-elle pour qu’ils passent à l’action aussi vite ? Comment se fait-il qu’avec les instructions au tableau, cela suffit ? Est-elle sûre que les apprenants aient compris ? etc. Les réponses se trouvent dans une histoire interactionnelle commune où l’enseignante (par le passé) a partagé sa façon de faire (de prescrire) et les apprenants au fil du temps ont intégré le « style prescriptif » de Nathalie.
[24] Dans le cours observé (FLE, niveau A2), Ana travaille sur la phonétique et la prosodie ; la modalité de travail est la construction d’un dialogue où des phonèmes et des courbes d’intonation doivent être employés. L’activité influence la flexibilité évoquée.
[25] Dans le cadre de cet article nous ne pouvons détaillé les fondements de ces valeurs, elles sont explicitées dans notre thèse (voir chapitre 11 « La liberté et le bien-être : un cadre explicatif de l’agir prescriptif d’Ana).