Introduction
J’aborderai la question du désir de langues et de la motivation pour l’apprentissage d’une langue – en réalité, de trois langues, très différentes les unes des autres, parlées dans des continents différents : estonien, mazatec, géorgien – à travers mon expérience personnelle, liée à ma praxis de linguiste dialectologue et typologue. Je tenterai, sur la base de cette introspection, de tirer des conclusions utiles pour la problématique de ce volume collectif. La finalité de l’apprentissage ou, du moins, de l’approche de ces trois langues n’est pas seulement liée au métier : les situations de terrain, les liens sociaux noués au cours des séjours sur place, ma perception de la situation glottopolitique mais aussi géostratégique de ces langues, ont joué un rôle tout aussi important. Mais au-delà de cette praxis, qui associe des contraintes professionnelles (la recherche) aussi bien qu’éthiques et sociales (la valorisation, le travail social)[1], la motivation plus profonde tient à d’autres facteurs, intimement liés à des dimensions comme les affects interpersonnels avec les locuteurs de ces langues, les projections et l’imaginaire sur ces langues, et un double sentiment à la fois d’empathie avec les sociétés concernées, et de fascination pour ce qu’on peut appeler la « magie de la langue ». Ces trois langues correspondent à trois cycles de vie intellectuelle et personnelle du chercheur, et constituent une pierre de touche dans un « parcours de vie » éclairé par l’amour des langues, cristallisé notamment sur ces trois idiomes. Pourquoi, et comment ? Quelles généralités peut-on en tirer au sujet du « désir de langues » comme motivation pour l’apprentissage et l’ouverture interculturelle ?
1. Trois tropismes
La première de ces langues, l’estonien, s’est imposée non pas immédiatement, mais par le truchement d’une précédente fascination pour une autre langue de la même famille : le finnois. C’est après avoir appris le finnois et après plusieurs années de vie et de séjours longs en Finlande, que la découverte de l’Estonie et de l’estonien, en 1982, ont changé le cours de mon existence mais aussi ma praxis de linguiste. Sur le plan linguistique, cette langue me fascinait car elle représentait une « version » en quelque sorte compactée du finnois : toutes les voyelles hors du schème CVCV étant tombées par syncope et apocope, l’estonien et ses dialectes représentaient l’un des plus beaux cas d’école de complexification d’un lexique et d’une grammaire par réduction syllabique, et son apprentissage m’était facilité par mes études de dialectologie finnoise – l’estonien standard était assez proche des dialectes du sud-ouest de la Finlande (région de Pori, chef-lieu de la Satakunta, de Turku et Rauma).
La deuxième de ces langues, le mazatec (otomangue, Mexique), était une langue à tons, de type CVCV strict, mais dont la morphologie verbale s’avérait extrêmement complexe, et encore quasiment entièrement à décrire, pour ses sept dialectes, lorsque je m’y lançais, en 2010. La première fois que j’entendis du mazatec, je fus saisi par la beauté de son architecture prosodique : il me semblait entendre chanter dans une cathédrale quand les locuteurs parlaient entre eux.
La troisième de ces langues est le géorgien, en relation avec les langues zan et le svan : c’est en 2017 que je commençais l’étude et la collecte de variétés dialectales dans ces langues. Comme pour l’estonien et le mazatec, la complexité grammaticale des langues kartvéliennes et la situation géopolitique de la Géorgie, ont été deux facteurs non seulement de ce « désir de langues » mais aussi de ce « désir d’agir » non seulement du linguiste, mais, de manière générale, de l’intellectuel face à son temps, le « désir d’Europe » de la Géorgie postsoviétique suscitant la même attraction que lorsque je rencontrais le désir d’émancipation des pays baltes à la fin de l’ère soviétique. Mais rien ne peut se substituer à la « magie de la langue » ressentie, hautement subjective, dont il sera surtout question, lorsque j’évoquerai le « charme » de la langue, non seulement à travers son système de sons et sa musicalité, mais aussi à travers l’exploration de l’architecture de son lexique et de sa grammaire – une attirance qui, sans être réservée au linguiste, peut paraître moins évidente au profane[2].
2. Une praxis d’autodidacte
Dans le cas de l’auteur de ces lignes, toute la dynamique du désir de langues s’est inscrite dans une praxis d’autodidacte. S’il m’est arrivé d’étudier formellement les langues, c’est durant la seule période de mon existence où il m’était donné de mener une vie d’étudiant. J’ai donc pu étudier de manière formelle et académique le finnois, de 1982 à 1986, en obtenant un Diplôme d’Etudes et de Recherches Approfondies (DREA) de l’Inalco en 1986, équivalent d’un M1 dans le système actuel. Parallèlement, je suivais des cours d’estonien dans cette même institution avec comme enseignant l’inoubliable Vahur Linnuste, qui était alors un Estonien réfugié en France, issu de la diaspora estonienne de Suède, féru de sciences politiques, qui fut probablement l’enseignant le plus humain et créatif que j’ai eu l’occasion de connaître. Outre ses cours, très pratiques, dans la petite bibliothèque de langues finno-ougriennes de l’Inalco, située dans une pièce de Censier, à Paris 3, qui fut ensuite malheureusement démantelée en 2001 afin d’augmenter la surface de locaux administratifs, Vahur Linnuste nous invitait à passer des soirées littéraires dans son appartement en rénovation permanente dans un vieil immeuble de la Rue Charlot, dans le Marais, où il nous faisait lire à voix haute ses traductions de poètes estoniens surréalistes.
Malgré le glacis soviétique, quelques ressortissants estoniens ou baltes, artistes ou intellectuels de grand talent, parvenaient à venir séjourner quelques temps en France, et ne manquaient pas de passer des soirées dans ce lieu magique. C’était alors pour nous, élèves de l’Inalco, l’occasion de communiquer avec des Estoniens de souche, et je me souviens que dès le début, nous avons parlé en estonien, car la maîtrise de l’anglais n’était guère répandue en URSS. Dans mon cas, ces échanges étaient facilités par ma bonne maîtrise du finnois, que j’étudiais d’abord en autodidacte depuis l’âge de 17 ans (depuis 1977), puis en tant qu’étudiant à l’Inalco. Je pus voyager en Estonie par le biais d’un séjour touristique depuis Helsinki lors d’un de mes séjours linguistiques d’étudiant en Finlande durant l’été 1982, et là encore, le finnois fut ma lingua franca avec les artistes et intellectuels estoniens que Vahur Linniste m’avait recommandés – Andres Ehin, Ott Ojamaa, et tant d’autres. Mes souvenirs de ces quatre jours passés en faux touriste à Tallinn, pour venir avidement apprendre et pratiquer l’estonien en contact avec les amis et connaissances de mon mentor d’estonien rappellent l’ambiance d’une nouvelle surréaliste tintée de roman d’espionage – car en situation d’oppression géopolitique, comme c’était le cas dans les pays baltes annexés de force durant la Deuxième Guerre mondiale, aller vers le secteur social opprimé avec empathie, et avide de découvertes, relève d’une forme d’activisme.
Le présent article revêt une dimension à la fois artisanale et expérimentale : artisanale par le jeu de taquets du « modèle » des figures 1 à 5, qui servent de trame à la description des faits ou des états vécus et ressentis liés au désir de langue à travers la diversité des langues, dans une optique très spécifique, car liée à une certaine conception du métier de linguiste[3], expérimentale dans la mesure où, à ma connaissance, il existe encore peu d’études sur la forme de polyglottisme que je vais décrire ici. On trouve certes des éléments dans Tournadre (2014 : 13-24, sur « linguistes et polyglottes : deux approches du langage »), Hagège (1985 : 285-294 sur « l’amour des langues » ; ou 2009 : 55-65, 442-448 sur des aspects li à ce que j’appelle ici le « charme »). De multiples pistes se trouvent çà et là dans les ouvrages d’introduction à la linguistique de terrain, comme Dixon (1983), correspondant à ce que j’appelle ici « empathie » et « découverte ». Mais le corpus concernant cette forme de « désir de langue » et sur les motivations et les méthodes d’exploration de langues à des fins à la fois de développement personnel (le « dédoublement ») et scientifiques (la « découverte de phase 2 ») me semble encore très dispersé et hétéroclite, probablement en raison du caractère marginal du phénomène, et de sa difficile généralisation.
3. Modèle du désir de langue autodidacte
3.1. L’estonien dans le contexte balte
Cette entrée en matière nous mène droit à notre modèle du désir de langue (figure 1). Apprendre une langue seconde est moins une acculturation (au sens anthropologique et non psychologique du terme) ou une aliénation qu’un dédoublement de la personnalité, au-delà de l’amplification et de la complrexification du répertoire de la compétence linguistique du sujet plurilingue ou polyglotte. J’entends par ce terme une expansion à la fois des qualités du sujet apprenant qu’une appropriation de la culture de l’autre. Un mouvement altruiste, fondé sur des formes très variables d’empathie, qui peuvent être liées, comme dans le schéma, aussi bien au charme exercé par la langue et ses locuteurs que par la curiosité. Ces deux termes convergent vers la découverte : découverte des structures d’une langue mais aussi, bien évidemment, d’une culture, définie par la géographie, l’histoire, les façons d’être ou habitus, qui vont depuis l’ordre des interactions (plus ou moins proxémiques et tactiles, plus ou moins extroverties, aux habitudes alimentaires ce qui, dans ce dernier cas, était neutralisé par les pénuries qui caractérisaient la vie quotidienne sous le régime soviétique).
Nous verrons plus loin que, dans le cas du linguiste typologue, comme de tout chercheur (philologue, archéologue, généticien, etc.), la découverte est magnifiée et décuplée par l’incidence des savoirs acquis sur le champ de connaissances. Je prendrai soin de résumer à chaque fois, pour les trois langues de mon « parcours », ces découvertes du second type, que sont les résultats de la recherche, nourris de la pratique active de la langue, aussi bien orale qu’écrite et, dans mon cas précis, les dialectes et langues voisines. Je parlerai donc de découvertes existentielles (degré 1) et de découvertes épistémologiques (degré 2). J’évoquerai aussi succinctement que possible cette dimension (découvertes de degré 2), afin de faire ressortir l’apport sur le plan collectif de l’expérience personnelle d’acquisition d’une langue. Le désir de langues dans le cas du linguiste – en l’occurrence typologue – construit ainsi une trajectoire qui va de soi à autrui, et alimente une réflexion d’intérêt général. Une approche plus centrée sur la seule expérience du sujet apprenant risquerait vite de tourner au monologue et au récit d’une expérience personnelle, de moindre valeur épistémologique. A cet effet, j’indiquerai également en quoi ces découvertes de rang 2 répondent à des questions centrales dans le champ de recherches envisagé.
Figure 1. Modèle du désir de langue autodidacte
Le parcours diffère selon les moments de la vie du chercheur/apprenant et au gré des circonstances. La première de ces langues, l’estonien, s’est imposée par le truchement d’une précédente fascination pour une autre langue de la même famille : le finnois. Sur le plan linguistique, cette langue me fascinait car elle représentait une « version » en quelque sorte compactée du finnois. L’estonien standard était assez proche du dialecte du sud-ouest de la Finlande (région de Turku et de Pori), sur lequel je préparais un mémoire de DREA, suite au bonheur des rencontres avec des locutrices âgées dans cette région. Dans ce cas précis, l’itinéraire au sein du diagramme peut se représenter comme dans la figure 2 : une curiosité de linguiste envers les propriétés structurales d’une langue proche de la langue principale d’apprentissage, à travers le prisme d’un segment du réseau dialectal de cette langue, a conduit au dédoublement de la tentative d’appropriation de la langue, menant à une forte empathie à travers la figure d’un mentor privilégié (Vahur Linnuste, figure idéale de l’enseignant et du « témoin » de sa langue, de sa culture et de son histoire) sur le lieu de résidence, puis à travers le réseau de connaissances de ce « passeur » pédagogue, aussi bien lors des séances de lecture de poésie surréaliste estonienne que lors d’un séjour de faux touriste à Tallinn, durant l’été 1982.
Figure 2. Itinéraire initial du « parcours estonien » de l’auteur
Par la suite, l’Estonie et sa langue ne cessèrent d’exercer un puissant charme sur ma personnalité, et transformèrent profondément ma vision du monde. Mon empathie allait croissante pour ce petit pays et ses compagnons d’infortune (les Pays baltes, mais aussi d’autres nations captives de l’URSS, comme la Géorgie) : de petites nations dotées d’une histoire faite de périodes de dominations étrangères suivant de multiples tropismes (hégémonie suédoise, polonaise, allemande, russe, en ce qui concerne l’Estonie et la Lettonie, hégémonie lituano-polonaise puis russe en ce qui concerne la Lituanie, hégémonie endogène puis turque, perse et russe, dans le cas de la Géorgie). Je pouvais aussi constater les différences de réaction face à l’Histoire : le chemin belliqueux de la Géorgie postsoviétique m’a toujours paru absurde, comparé aux options pacifiques et diplomatiques des Etats baltes ; le souverainisme lituanien dépassait de loin en intensité celui de la Lettonie et de l’Estonie, dans les dernières années de la période soviétique. Le pacifisme et le légalisme balte contribuaient au « charme » géopolitique des ces pays, que j’eus l’occasion de visiter intensément lors d’un séjour de six mois durant l’hiver et le printemps 1991, où je me mis à apprendre également le lettton et le lituanien, comme j’avais jadis appris le finnois et l’estonien consécutivement – dans le cas des deux langues baltes, je dois dire que je m’étais trompé dans l’ordre d’apprentissage, puisque les structures morphologiques du letton sont plus compactées et opaques que celles du lituanien, que je n’ai pu apprendre qu’en dernier lieu.
Le charme de ces pays s’intensifiait avec le contraste de leurs situations géopolitiques, et je ne cessais de découvrir la diversité interne de ces pays et de ces langues, notamment à travers les dialectes. La dynamique de la figure 3 se démultipliait donc – elle se triplait, sous l’effet de mon tropisme balte, s’appliquant successivement à l’estonien (que je maîtrisais de manière très satisfaisante à l’écrit comme à l’oral dès 1991), puis au letton et au lituanien, langues baltes, indo-européennes, également très diversifiées sur le plan dialectal. Je vivais à Tartu, où j’enseignais le FLE et où je dispensais pour les étudiants de toutes les facultés un cours d’intercompréhension des langues romanes (espagnol, portugais, italien (cf. Léonard, 2011a). De là, je me rendais fréquemment à Riga et en Courlande (Lettonie) et à Vilnius (Lituanie), où je rencontrais des poètes et des linguistes baltes. Lié encore à la découverte, l’un de mes principaux amis était Lembit Vaba, spécialiste des contacts de langue letton-estonien, avec qui j’apprenais beaucoup sur les aires culturelles baltes. Tout cela nous mène de la découverte de phase 1 (celle de l’appropriation individuelle de connaissances générales en langues et cultures) à celle de phase 2 (lorsque l’apprenant-chercheur finit par devenir lui-même passeur de connaissances, avec apport épistémologique à un champ de connaissances).
Figure 3. Conséquences du « parcours estonien » de l’auteur
Les découvertes de rang 2 (épistémologiques) furent donc, à terme, la notion de Mundartbund concernant le réseau dialectal estonien (cf. Léonard, 2006, 2012a)[4], et une taxinomie minimaliste des classes flexionnelles dans les langues fenniques et en particulier, dans le diasystème estonien (Léonard, 2018a, b), proposant de réduire par exemple le nombre de modèles de déclinaison de l’estonien de 26 à 10, valables pour tous les dialectes, en fonction d’une hiérarchie implicationnelle. J’eus aussi récemment le plaisir d’appliquer la méthode des ateliers de production de matériaux didactiques en variétés dialectales lors d’une session de deux jours que j’ai réalisés à l’Université de Tartu en juin 2018[5].
3.2. Le mazatec, dans son contexte méso-américain
Le mazatec était pour moi de longue date une véritable vedette de la linguistique théorique et descriptive, depuis les premiers travaux de Kenneth Pike et de sa sœur Eunice, parus à la fin des années 1940 (Pike & Pike, 1947). Je savais que les données de cette langue étaient à l’origine des théories de la constituance syllabique (attaque vs. rime, analysable en noyau et coda), notamment pour la complexité de ses attaques (consonnes initiales de syllabe) et sa totale absence de coda (consonne finale de syllabe ou consonne entravante). La principale variété de mazatec, celle des hautes terres centrales, à Huautla de Jiménez, était connue pour avoir été un haut lieu de l’ère psychédélique, autour de la figure légendaire de la shamane Maria Sabina, qui avait initié aux champignons hallucinogènes R. Gordon Wasson, banquier et ethnobotaniste, fondateur de l’ethnomycologie, et attiré des grandes figures de la culture Pop des années 1960.
Le schéma opératoire ici relève donc de la dynamique suggérée dans la figure 4 : charme et curiosité ont mené à la découverte, dans ses deux phases. La première phase de découverte a commencé par un terrain de dix jours dans une zone qui avait subi un cataclysme technocratique : les basses terres inondées par la construction du barrage hydro-électrique Miguel Aleman, achevée en 1955, qui a déplacé 20 000 paysans mazatèques qui vivaient dans une zone de microfundios dans la moyanne vallée du Papaloapan, dans l’Etat de Oaxaca. La population indigène locale a massivement migré vers les grands centres urbains proches (Puebla, Tuxtepec) ou la capitale (la ville de Mexico, D.F) et dans des villages nouveaux, construits de bric et de broc, sans eau courante, dans un bassin d’emploi centré sur la production de canne à sucre et d’agro-alimentaire industriel (dont la bière). Le sentiment de spoliation était généralisé. J’eus l’occasion de passer plusieurs jours dans l’île du Vieux Soyaltepec, où est restée une population qui a refusé coûte que coûte de quitter les lieux en dépit de l’envoi des troupes afin de forcer à la relocalisation. J’y enregistrai durant des heures les témoignages d’anciens d’un grand âge, qui étaient monolingues, et je ressentis un coup de cœur pour cette population et sa langue (orientant les flèches du diagramme vers l’empathie).
De là, je me rendis pour une semaine dans le gros bourg des terres moyennes de San Felipe Jalapa de Diaz, où je réalisais un atelier de création de matériaux pédagogiques dans le dialecte local[6]. L’atelier fut difficile. La chaleur était accablante, dans cette région, et la méfiance des instituteurs bilingues était amère, mais je fus défendu par un maître d’école qui rencontrait alors des difficultés sociales, et sut convaincre ses collègues de travailer avec moi pour leur langue. Il en résultat un travail social de grande qualité, dont j’ai décrit les matériaux (cf. Léonard, 2014). Je suis alors entré au terme de deux semaines éprouvantes dans les basses terres dans ce pays magique que sont les hautes terres centrales, dans le lieu légendaire qu’est Huautla de Jiménez, où je pus réaliser un atelier de linguistique mazatèque dans la Maison de la Culture Maria Sabina. Là, je rencontrai un groupe de jeunes activistes culturels, passionnés et très engagés pour le développement culturel de leur région, notamment le hameau de San Andrés Hidalgo, à quelques kilomètres de Huautla. Empathie et charme se multiplièrent de nouveau, tout comme le dédoublement de tous les participants de ce processus, qui dura plusieurs étés. Inlassablement, je revenais à Huautla de Jiménez – je n’osais guère retourner dans les basses terres, où les conditions climatiques devenaient plus étouffantes d’année en année, et où je faisais souvent face à une certaine méfiance, liée aux conditions conflictuelles d’une société en crise. Mais la crise politique, qui était déjà latente à Huautla, se durcit également au fil des ans. J’ajouterai que lors de mon premier séjour, j’eus également la chance de rester deux semaines dans le bourg de San Jeronimo Tecoatl, logé dans une organisation rurale de femmes mazatèques qui avaient fondé une coopérative agricole. Je pus travailler sur la variété dialectale locale, où j’enregistrai une grande quantité de données sur cette variété peu étudiée en dehors des travaux de Brian Bull[7], qui me furent d’une grande utilité pour « craquer » le code du système verbal.
Mais sur le plan de l’apprentisssage, la principale « découverte de rang 1 » (celle de l’aprenant) a été pour moi le système tonal de la langue. Le mazatec de Huautla a quatre tons ponctuels (haut, mi-haut, moyen et bas) et quatre à six tons de contours, qui combinent ces éléments tonaux (ou primitives tonales), avec une incidence si forte sur la flexion, notamment verbale, que l’on peut dire que le mazatec marque presque autant le verbe sur le plan suprasegmental (tonèmes) que segmental (morphèmes). Mais comment faire pour décrire un tel système quand, âgé de déjà 50 ans, on n’a jamais été exposé à un tel système ? J’étais certes sensibilisé au marquage prosodique dans la flexion par les tons intonés du lituanien, et j’avais eu l’occasion d’apprendre plus ou moins intuitivement ce système, bien plus simple, en m’appropriant la langue dans sa pratique orale. Mais là, le défi consistait à apprendre suffisamment pour non seulement décrire un dialecte particulier, mais n’importe quel dialecte mazatec, dans le cadre de mon projet d’atlas linguistique mazatec. C’est là qu’intervint une « découverte de rang 2 » qui m’avait précédé : le chapitre 8 de l’essai fondateur de Kenneth Pike sur la tonologie, paru en 1948, déployait tous les paradigmes verbaux et nominaux (le marquage de la possession, dans un secteur du lexique de substantifs inaliénables, comme les parties du corps et les termes de parenté, qui utilise le marquage tonal et des séries de préfixes). J’entrepris de vérifier systématiquement la cinquantaine de tableaux exhaustifs de ces deux paradigmes chez des locuteurs modernes, entre 2011 et 2014, ce qui me permit d’oberver les structures décrites un demi-siècle plus tôt par K. Pike. Or, la description de Pike était impeccable. Parfaite. Un véritable joyau, une mécanique de précision. Faire mes gammes par élicitation de ce système à travers un retour sur ces données fut la clé qui me permit de me former à la tonologie, et de proposer des découvertes de rang 2 à mon tour : bien qu’exemplaire pour le raffinement de sa complexité tonale, le riche inventaire tonal de Huautla n’était qu’une des multiples facettes d’un système prosodique très diversifié, entre les dialectes. Ce système devait s’accommoder d’une concurrence avec une tendance accentuelle, déjà signalée par Paul L. Kirk dans sa thèse comparative. Un dialecte comme celui de Huehuetla, tendait typologiquement vers un système à accent intoné (pitch accent, comme le lituanien), d’autres, comme Mazatlán Villa de Flores, rappelaient les systèmes tonaux à plateaux de certaines langues niger-congo. En somme, à l’échelle interdialectale, le concept heuristique était celui d’un éventail, ou d’une gamme, de systèmes prosodiques en compétition. En outre, même le système de Huautla décrit par Pike avait été régularisé, en creusant les contrastes, par ce linguiste, durant sa phase de découverte, mais la réalité était bien plus simple, avec beaucoup de phénomènes de nivellement tonal (Léonard & Kihm, 2012), que ce qui avait été fixé sur le papier dans son célèbre essai de 1948.
Figure 4. Itinéraire initial du « parcours mazatec » de l’auteur
Il découla de l’exploration de 25 variétés dans le réseau dialectal de nombreuses découvertes de niveau 2 : une systématisation des classes flexionnelles du verbe mazatec (le système de conjugaison), exposée dans de nombreuses publications (Léonard, 2012b, Léonard & Kihm, 2012, puis surtout Léonard & Fulcrand, 2015, 2018). La taxinomie proposée dans ces travaux se fonde sur une dizaine de conjugaisons, au lieu des 18 proposées initialement par Jamieson (1988). Grâce au financement obtenu par le biais d’un projet IUF[8], je pus réaliser avec une équipe interdisciplinaire de jeunes chercheurs mexicains (Karla Janiré Aviles González, Jaime Calderón) et européens (Antonia Colazo-Simon, Fabio Pettirino) une très grande quantité d’ateliers thématiques participatifs (cf. Léonard, 2019a), dont des ateliers de grammaire mazatèque[9]. Grâce au travail acharné d’un instituteur qui avait ses entrées dans l’administration scolaire de Huautla, je pus co-organiser un forum de glottopolitique éducative à Huautla de Jiménez à l’automne 2011, réunissant des intervenants de toute la région, sur des expériences éducatives en cours[10]. Mes liens d’amitié et de travail bénévole avec de multiples intervenants et activistes culturels mazatecs m’ouvrirent d’abord toutes les portes, avant que beaucoup d’autres ne se referment, en fonction des aléas très fluctuants des tensions politiques internes à cette capitale des hautes terres mazatèques. Ce n’est plus seulement moi qui me dédoublais à travers ma plongée dans le monde mazatec et ses institutions, en tant que travailleur social bénévole autant que linguiste. C’est aussi toute la ville de Huautla qui changeait, de séjour en séjour, au gré des élections locales et des jeux de chaises musicales des autorités locales, dans toutes les institutions d’enseignament et les organisations de la société civile. En 2012, toutes les portes s’ouvrirent dans le bourg de San Mateo Yoloxochitlán, dont la variété diffère peu de celle de Huautla de Jiménez, et qui se trouve à mi-chemin avec San Jeronimo Tecoatl. Il s’agit d’un village d’artisans travaillant le bois et d’agriculteurs, fragilisé par l’émigration, subissant des conditions d’acculturation sensiblement plus fortes qu’ailleurs dans la région. Je pus y coordonner deux ateliers thématiques et réaliser de précieuses enquêtes d’histore orale auprès d’anciens, en compagnie de deux fidèles amis, un couple d’instituteurs.
Mais là encore, cette porte se referma l’année d’après et s’il me fut facile d’y retourner, il me fut impossible d’y organiser de nouveau du travail social sur la langue. J’adoptais peu à peu une tactique qui consistait à être très mobile dans tout l’espace des hautes terres mazatèques, y compris dans les villages reculés de Santa Ana Ateixtlahuaca et de San Lorenzo Cuauneucuiltitla (cf . Léonard, 2013), afin de me faufiler entre les aléas des changements politiques. Je m’en fus même, une année où tout travail social était rendu impossible par le conflit profond et violent qui opposait les enseignants au gouvernement central qui avait promulgué une réforme éducative foncièrement néolibérale, fondée sur une évaluation draconienne visant à réduire massivement le personnel enseignant dans les zones rurales, à passer en 2014 une semaine dans un hameau reculé dans les montagnes de Santa Maria Chilchotla, dans une région difficile d’accès qui surplombait le lac Miguel Alemán, là où pour moi, tout avait commencé. Il me fut même difficile de revenir, en raison de pluies torrentielles qui avaient coupé les routes de terre battue durant mon séjour.
Je consacrais ce séjour au recueil de témoignages sur les interactions et les échanges entre villages dans la région, d’où sortit un travail conséquent sur ce que j’ai appelé, suivant le terme qu’utilisait jadis John Victor Murra pour la zone andine (Murra, 1956), l’archipel vertical mazatec (Léonard, 2015). Outre la démultiplication du temps et des lieux de vie, de mémoire et de tensions politiques, les travaux qui ont matérialisé cette perspective ont intensément utilisé la théorie des systèmes complexes (Léonard et al., 2017).
1.3. Le géorgien, dans son contexte kartvélien
La troisième de ces langues apprises par désir, dans cette dynamique de curiosité, charme, empathie et dédouverte, est le géorgien, en relation avec les autres langues de la famille kartvélienne : langues zan (mingrélien et laze) et svan. Tout a commencé en 1993, par la rencontre avec Kevin Tuite, au Canada, alors que je cherchais, une fois soutenu ma thèse en France, à obtenir un poste dans une université canadienne. Ce jeune chercheur, qui venait d’être nommé professeur associé en anthropologie à l’Université de Montréal, avait soutenu une thèse en morphosyntaxe sur la variation du pluriel dans le diasystème géorgien, et il préparait déjà une monographie sur le svan, qui reste encore l’une des seules sources en anglais sur cette langue difficile d’accès (Tuite, 1997). Tout ce que racontait Kevin Tuite sur son terrain en Svanétie et sa vie en Géorgie, me fascinait d’autant plus que je pouvais faire le lien avec ma propre expérience de petits pays sortis récemment de l’URSS, comme les trois pays Baltes, mentionnés plus haut. J’avais aussi eu l’occasion de rencontrer des artistes géorgiens en Estonie, où l’intelligentsia était très ouverte aux apports de créateurs et intellectuels issus des républiques soviétiques du Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan). Ayant lu la thèse et les travaux de Kevin Tuite, et ceux d’un de ses mentors, Howard I. Aronson, de l’Université de Chicago, où j’étais intervenu en 1995 à un colloque sur les langues non-slaves de l’ex-URSS[11] (sur une comparaison entre live et vepse comme antipodes typologiques au sein de la sous-famille fennique, cf. Léonard, 1997), la Géorgie et sa langue devinrent dès lors, et durant pas moins de 20 ans une sorte de « Belle au Bois Dormant » dans mon esprit. Je ne cessai de m’intéresser aux langues du Caucase, notamment aux langues kartvéliennes, mais sans jamais trouver de temps ni une opportunité pour les aborder… jusqu’à ce que, au hasard d’une rencontre avec une linguiste géorgienne, Tamar Makharoblidze, de l’Université d’Etat Ilia à Tbilissi, recommandée par Kevin Tuite, je lançai comme une bouteille à la mer un projet IDEX Emergence, en réponse à un appel d’offre en Sorbonne, en 2017.
Le projet IDEX, intitulé Language Dynamics in the Caucasus (LaDyCa[12]) intégrait une « prise de risque » – et le moins qu’on puisse dire est que prise de risque il y avait, étant donné mon manque de familiarité avec ces langues, au-delà de la simple documentation livresque, de manière sporadique. Mais ce qui permit au projet d’être crédible et de passer la barre de l’évaluation fut son ancrage dans une méthode solide d’investigation de la variation dialectale, que j’avais élaborée dans le contexte méso-américain (le projet IUF MAmP, mentionné supra), centrée sur la notion d’archipel vertical ou de verticalité écologique, dont la pertinence m’avait été confirmée par un article de Johanna Nichols (2004), qui eut sur moi une influence décisive. J’avais lu cet article en 2013, et il avait entièrement conditionné le tournant d’écologie diasystémique de mes recherches sur le mazatec et d’autres langues méso-américaines. Voilà qu’en rebond, la vision verticale andine de John Victor Murra, qui avait fécondé la vision caucasienne de Johanna Nichols (sur les langues nakh-daghestaniennes), puis rejailli sur ma vision de la diversité des langues méso-américaines, venait ricocher sur la partie méridionale du contrefort montagneux de la Transcaucasie. La découverte sur un terrain lointain se traduisait par un dédoublement méthodologique, pour assouvir une curiosité à la fois expérimentale, du point de vue épistémologique, tout en héritant de l’empathie et du charme des échanges avec divers collègues au fil des ans, dont Kevin Tuite, le cercle NSL de Chicago et Tamar Makharoblidze, spécialiste de grammaire géorgienne et de langue des signes géorgienne (cf. figure 5).
Figure 5. Itinéraire différé du désir de langues caucasiques
Voilà que nous nous retrouvons avec une configuration nouvelle et inattendue : c’est le stade de la découverte de rang 2 d’une initiative précédente, sur un tout autre terrain (la Méso-Amérique), qui va se dédoubler (autrement dit, cette fois, c’est la méthodologie, et non pas le linguiste qui se dédouble), pour renforcer une curiosité déjà latente. Mais les autres sommets du graphe ne sont pas en reste : l’élément déclencheur de cette kartvélomanie prend racine dans un voyage en Géorgie vingt ans après la rencontre avec K. Tuite au Canada, et la beauté de l’alphabet géorgien, déployée de partout dans le paysage linguistique de la ville de Tbilissi, a également joué un rôle subliminal.
La sensation de cosmopolitisme oriental de Tbilissi, capitale d’un pays multiculturel entre Europe et Asie, et la situation géopolitique de la Géorgie ainsi que, comme pour l’estonien et le mazatec, la complexité grammaticale des langues kartvéliennes, sont autant de facteurs qui se sont convertis en charme et empathie sous la dépendance directe du dédoublement de la méthode et de la découverte. Car le schéma active, comme les rouages d’un mécanisme d’horloge, des transitions de phase. Au terme d’un tel parcours, le dédoublement devient une seconde nature et se substitue à l’empathie – car le linguiste ne peut qu’éprouver de l’empathie pour toute langue, à défaut de pouvoir en éprouver pour toute culture –, aboutissant au graphe de la figure 6, qui reconfigure les sommets : l’empathie est cette fois au centre, tandis que le dédoublement devient l’entrée du parcours, induisant inémanquablement la curiosité, menant à la découverte, qui se nourrit en flux continu du charme.
C’est ainsi que le projet IDEX nous mena, avec Rajesh Khatiwada (chargé de cours à Paris 3) et Anastasia Loskot (étudiante de Master à Sorbonne Université), collaborateurs inattendus du projet IDEX au gré des circonstances, à également documenter des variétés de svan (kartvélien) et d’abkhaz (caucasique nord-ouest)[13] avec le concours de locuteurs de la diaspora résidant à Tbilisi, d’une part, et de dargi (langue nakh-daghestanienne), lors d’un séjour à Paris d’un locuteur qui nous a été présenté par Gilles Authier, directeur de recherches à l’EPHE. Les découvertes de rang 2 du projet ont été décrites dans le détail dans Léonard (2019b) : en résumé, une étude dialectométrique de la variation géolinguistique du géorgien, et une modélisation entièrement nouvelle du système verbal géorgien, avec des perspectives pour une approche diasystémique du svan (Léonard, 2019c).
Figure 6. Jeu de chaises musicales autour du cadran du « désir de langues » pour le linguiste
On voit se déployer ici la fonction transcendantale de la linguistique théorique et descriptive, qui fait de chaque langue nouvelle un monde enchanté et un enchantement du monde en puissance, révélés par la praxis de l’élicitation – ce mantra du linguiste de terrain. Le projet LaDyCa a ainsi été un catalyseur, qui a repris, transformé, transposé et dynamisé les expériences précédentes. Chaque sommet du graphe est sensisif et obéit à une fonction croissante, à différentes vitesses selon les domaines de recherche, les contacts humains (entre collègues et avec les locuteurs et/ou les « incormateurs » ou « consultants » de ces langues), et le nombre de langues abordées ne fait que croître, dans cette centifugeuse.
Cette fois, l’apprentissage des langues kartvéliennes se faisait à travers des séances d’élicitation, réalisées par notre collègue géorgienne Tamar Makharoblidze, sur la base des paradigmes de la flexion verbale du géorgien standard, dans un bain linguistique de géorgien, de mingrélien et de svan, auprès de collègues locutrices de diverses variétés de ces langues. Quiconque a eu l’occasion de s’initier à la magie (ou au charme) des principes de morphosémantique qui président à la construction des quatre conjugaisons géorgiennes (respectivement, des verbes transitifs directs ou téliques, intransitifs, transitifs atéliques et positionnels et d’affect) devinera l’effet de plonger dans l’exploration des équivalents dans les trois langues mentionnées, auprès de locuteurs natifs de diverses variétés dialectales. Là encore, une praxis soutenait et enrichissait l’autre : la curiosité me tirait comme un fort courant dans une rivière, d’une conjugaison à l’autre, d’une langue kartvélienne à l’autre : un effet de courroie qui avait commencé dans le monde mazatec en Méso-Amérique, pour transposer la praxis dialectologique dans les langues caucasiques méridionales.
Conclusion et perspectives
Le désir de langues du linguiste, notamment du typologue, est insatiable et, pourtant, il ne cesse d’être exhaucé et satisfait à des degrés divers. Certes, le linguiste n’apprend pas nécessairement à parler, lire et écrire toutes ces langues (celles qui restent au fond de la centrifugeuse cognitive de mon répertoire multilingue sont surtout le finnois et l’estonien, en termes de pratique courante écrite et orale), mais en tous cas il apprend non seulement à les analyser, les gloser et les manipuler, mais aussi à en connaître les principaux dialectes, ou les langues proches (mes connaissances des langues fenniques débordent l’estonien et le finnois, pour embrasser également le vote, le live, le vepse[14] et le carélien).
Quoiqu’il en soit, le « désir de langue » est non pas le nerf de la guerre, mais le sel de la connaissance, pour approcher les sociétés humaines et la complexité des sociétés et des cultures. L’utilitarisme n’est qu’un miroir aux alouettes. Il ne motive même pas la carrière universitaire, tant elle est faite d’abnégation et de service à autrui. J’espère avoir contribué, par ce bref rapport sur une existence consacrée à l’apprentissage et à l’amour des langues et de la différence culturelle, à démystifier la baudruche de l’utilitarisme. D’ailleurs, toute ma carrière universitaire a commencé par ce choix d’apprendre, encore assez jeune, une langue bien moins « utile » et attractive, selon les critères de l’utilitarisme, que l’anglais ou le chinois : le finnois. Tout a découlé de ce fil d’Ariane, bien loin des poncifs du « choix utile » qui, en raison de son impératif pragmatique, finit par se dissoudre dans l’aléatoire des grands nombres.
Moralité : la « langue utile » sera celle qui exercera sur vous le plus de charme, vous fera ressentir le plus d’empathie envers autrui, éveillera votre curiosité et vous permettra de découvrir de nouveaux mondes, pour vous et autrui. Celle qui vous permettra de vous dédoubler plutôt que de vous aliéner, et même, de vous démultiplier, pour le bénéfice d’autrui et votre propre bonheur.
Références bibliographiques
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[1] Les recherches mentionnées ici ont bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’ANR au titre du programme « Investissements d’Avenir » portant la référence ANR-10-LABX-0083 dans le cadre de deux opérations du LabEx efl (PPC11 : Complexité et diffusion des systèmes phonologiques et em2, axe 7 : élicitations croisées). Elle a également été rendue possible par un projet quinquennal financé par l’IUF (Institut universitaire de France), de 2009 à 2014, et par un projet IDEX Emergence (LaDyCa, 2017-18) à Sorbonne Université.
[2] Voir Minaudier (2017) pour un bel exemple d’amour des langues y compris à travers leurs aspects les plus « formels », chez un non linguiste, mais connaisseur averti de la structure des langues.
[3] Je tiens à préciser qu’il ne s’agit que d’une démarche parmi d’autres : on peut très bien être linguiste sans être polyglotte et sans s’approprier de langues, de même qu’un polyglotte ne fait pas nécessairement un bon linguiste, sur le plan des compétences. Là comme ailleurs, il faut de tout pour faire un monde : ce qui fait d’un chercheur un linguiste compétent et pertinent, c’est davantage un profil cognitif orienté vers la compréhension du mode de fonctionnement du langage, que l’appropriation et la maîtrise des langues en soi.
[4] De même qu’un Sprachbund, ou aire de convergence structurale, désigne, comme dans les Balkans, des langues de (sous-)familles différentes qui convergent dans un bassin de contact, un Mundartbund voit converger des dialectes de différentes (sous-familles), ou en fonction de langues exogènes en contact. Cette notion se distingue du continuum dialectal, censé être bien plus unitaire et continu, sur le plan structural, qu’un Mundartbund. Par exemple, toute la façade orientale du réseau dialectal estonien déploie une intense fragmentation, par effets de substrat vote (au centre-est, dialecte I pour ida « est ») et finnois (nord-est, dialecte R pour [Kirde-eesti]Rannikumurre ou « dialecte littoral [nord-oriental] »), ainsi que par contact de proches en proche d’une chaîne de dialectes. Les dialectes méridionaux (T = Tartu, M = Mulgi et V = Võro) sont bien plus endogènes, quoique la variété M (Mulgi) a subi l’influence du letton, tandis que, à sa pointe sud, le dialecte L (Läänemurre) à l’ouest a subi l’influence du live oriental (disparu depuis le 17ème siècle), et le dialecte S (Saartemurre) de l’archipel baltique a subi une forte influence du suédois. Seul le dialecte K (Keskmurre) est davantage neutre, en termes de contact de dialectes fenniques et de langues allogènes, quoique très conditionné par le contact avec le bas et le haut allemand depuis le Moyen-âge.
[6] Matériaux accessibles sur la page du site EM2 de l’axe 7 du LabEx EFL : http://axe7.labex-efl.org/node/279. Au sujet de la méthodologie, voir le mémoire de Rodriguez Ruedas (2017), téléchargeable sur le lien http://axe7.labex-efl.org/node/396.
[7] Cf. Léonard (2011b), accessible sur https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00649327v2.
[8] Voir http://jll.smallcodes.com/home.page, où on trouvera également un rapport rédigé en anglais, sur les résultats du projet IUF MAmP 2009‑2014, et listes de publications.
[9] En 2012, à Huautla : http://axe7.labex-efl.org/node/171 ; À San Mateo Yoloxochitlán : http://axe7.labex-efl.org/node/87 ; en 2013 à San Miguel Soyaltepec : http://axe7.labex-efl.org/node/123.
[10] De ce premier forum est issu le suivant, en 2012, dont on trouvera les données sur la page http://axe7.labex-efl.org/node/152 (Foro interdisciplinario, participativo y comunitario En la Diversidad lingüística, cultural y ambiental del Vértice Tehuacano, 8‑10 octobre 2012, Universidad Tecnológica de Tehuacán (Puebla, México). Voir aussi, pour une présentation de la thématique et de la méthodologie, la page http://www.univ-paris3.fr/foro-interdisciplinario-participativo-y-comunitario-en-la-diversidad-linguistica-cultural-y-ambiental-del-vertice-tehuacano-universite-populaire-forum-universite-technologique-de-tehuacan-247243.kjsp.
[11] La série de colloques qu’organisait H. I. Aronson s’intitulait en effet Linguistics Studies in the Non-Slavic Languages of the Commonwealth of Independent States and the Baltic Republics – titre laconiquement abrégé en NSL Elle était éditée par la Chicago Linguistic Society de l’Université de Chicago, et réunissait les contributions les plus diverses aussi bien sur les langues des républiques baltes que du Caucase ou les langues tatares de la Volga ou encore, les langues de Sibérie centrale et orientale. L’apport de cette série restera, à mon sens, un acquis précieux pour la recherche, notamment en raison de la diversité des thèmes abordés, et du caractère interdisciplinaire des initiatives. Nombre de participants sont actuellement connus comme d’éminents typologues, comme Donald Dyer, Johanna Nichols, Bernard Comrie, etc.
[12] Cf. http://www.stih.paris-sorbonne.fr/?p=1203, où la version initiale du projet est téléchargeable en pdf, en bas de la page.
[13] Cf. Khatiwada et al., 2018.
[14] Cf. Léonard & Djordjević Léonard, 2014.