N°81 / Actualité de l’enseignement de la grammaire en français langue étrangère : permanence, minoration ou renouveau ?

Concilier description grammaticale et parole singulière dans l’enseignement du Français Langue Etrangère

Rose-Marie Volle

Résumé

Nous explorons ici la façon dont la distance métalinguistique impliquée par la description grammaticale peut ouvrir à une appropriation créative de la langue étrangère. Après avoir repris les termes du débat entre acquisition et apprentissage afin de défaire l’argument d’un enseignement de la grammaire comme frein à la parole en langue étrangère, nous présentons et analysons une séquence sur l’impératif qui tente de concilier description grammaticale et parole singulière.

 

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Nous définissons à partir de Bakhtine l’appropriation d’une langue étrangère comme la possibilité de faire des « mots à-soi » à partir des « mots de la langue » et des « mots d’autrui » (Volle, 2019). Autrement dit, dans le processus d’appropriation d’une langue étrangère, le sujet est appelé à se créer une parole singulière à partir du système symbolique et de la mémoire discursive de la nouvelle langue. La parole singulière, entendue au sens d’un positionnement créatif dans le langage, émerge de la confrontation qu’impose l’entre-deux langue au « réel » de la langue[1]. Il y a en effet dans toute parole un oubli de la langue au sens où l’énonciation se déroule sur le mode de l’illusion référentielle, de l’adéquation du mot à la chose, que le passage d’une langue à l’autre ne peut que dévoiler. Cette confrontation représente une chance pour le sujet de s’ouvrir à une position dans le langage qui met en jeu sa créativité sous la forme d’une énonciation singulière. Comme en témoigne, l’histoire de la didactique des langues, on a beaucoup reproché à l’enseignement de la grammaire de freiner l’expression spontanée, de développer une capacité à analyser la langue au détriment d’une capacité à parler dans cette langue. Or nous voudrions ici explorer au contraire la façon dont la distance métalinguistique impliquée par la description grammaticale peut tout au contraire ouvrir à une appropriation créative de la langue étrangère.

Dans un premier temps, nous reprendrons les termes du débat entre acquisition et apprentissage afin de défaire l’argument d’un enseignement de la grammaire comme frein à la parole en langue étrangère. Dans un second temps, nous proposerons et analyserons une séquence sur l’impératif qui tente de concilier description grammaticale et parole singulière.

1. Description grammaticale et distance métalinguistique : un frein à l’appropriation de la langue et à la parole singulière ?

 

 La description grammaticale implique une connaissance méthodique et explicite de la langue que les grammairiens et les linguistes élaborent à partir de l’observation des manifestations d’une grammaire intériorisée particulière. Par description, on entend les résultats d’une démarche de catégorisation des unités de la langue et de mise en relation de ces catégories : ce sont les parties du discours, leurs paradigmes morphologiques et les règles syntaxiques des grammaires traditionnelles. Contrairement à l’acquisition d’une grammaire intériorisée, la connaissance d’une description grammaticale résulte toujours d’un apprentissage scolaire ou institutionnel. En effet, l’apprentissage d’une grammaire au sens d’une description grammaticale se fait à partir de l’étude de la langue de scolarisation (qui n’est pas toujours une langue parlée dans la famille[2]) et en lien avec l’apprentissage de l’écriture[3]. Or l’apprentissage de la grammaire en milieu scolaire ou institutionnel induit un positionnement réflexif vis-à-vis de la langue, une distance métalinguistique qui contrarie à priori la spontanéité de la parole. La distance métalinguistique comprise comme une focalisation sur le fond plus que sur le sens, sur le signifiant plutôt que sur le signifié selon la terminologie saussurienne, perturberait à priori « l’oubli de la langue » sur lequel repose le fait-même de parler. De surcroit, la description grammaticale suppose un rapport réflexif au langage que nombre d’élèves, d’apprenants, enfants ou adultes, n’adoptent pas spontanément. Elle suppose un réel apprentissage qu’il est par exemple difficile de mener pour les enfants avant l’âge de huit ans.  Le sujet entretient avec les mots un rapport affectif qui l’empêche de ressentir le signe comme arbitraire[4]. Adopter un point de vue extérieur sur le mot[5], en analyser le fonctionnement, implique une mise à distance du signifié, de sa portée affective pour s’arrêter sur les moyens à partir duquel le sujet parle[6].

Nous retrouvons ici les termes du débat entre acquisition et apprentissage[7]. Aujourd’hui encore, on reproche à l’enseignement/apprentissage des langues en milieu institutionnel d’être trop centré sur la description grammaticale au détriment du développement d’une véritable capacité à parler la langue. Or ce débat est au cœur de l’histoire de la didactique des langues, notamment lors de la rupture au début du XX° siècle qu’opère l’émergence de la méthode directe face aux approches traditionnelles auxquelles on reprochait, entre autre, de développer une capacité à analyser la langue au détriment d’une capacité à parler la langue. De là, a émergé la méthode directe qui tentait de d’éviter la description grammaticale par une grammaire implicite minimale. Les arguments en défaveur de la description grammaticale sont connus : un élève peut connaître une règle et ne pas savoir en faire un usage approprié. De même, il peut produire un usage efficace sans pouvoir rendre compte explicitement de la règle (Besse & Porquier 1991). On connaît aussi les situations d’un long apprentissage en milieu scolaire d’une langue étrangère qui ne se traduit pas par la capacité réelle à parler la langue en situation. Les enseignants de   français langue maternelle ou langue étrangère relatent encore l’expérience de règles maîtrisées en situation scolaire qui sont tout aussi vite oubliées dans la prise de parole spontanée. Dans certains cas, la description grammaticale peut même sembler induire des fautes à l’encontre de la grammaire intériorisée : Par exemple, un élève de CE2 (Français Langue Maternelle) rétablit une régularité dans son tableau de conjugaison du verbe aller au présent en produisant la forme ils allent*, faute qu’il ne commettrait jamais en situation de parole spontanée.  

 Au-delà de la dichotomie apparente entre acquisition et apprentissage, ne pourrait-on pas toutefois envisager, la façon dont la description grammaticale favoriserait l’intériorisation de la grammaire et la parole singulière ? Le processus conscient, la connaissance réflexive des structures de la langue, la capacité de jugement grammatical par référence à des règles enseignées ne pourraient-ils pas soutenir la parole dans la langue étrangère ?

En faveur de cette perspective, il nous faut d’abord considérer que les activités métalinguistiques ne relèvent pas exclusivement de l’apprentissage mais sont au cœur des pratiques langagières ordinaires et de l’acquisition en milieu naturel. Quand nous parlons, nous entretenons constamment une activité métalinguistique latente qui nous permet d’évaluer, à tout moment, l’effet ou l’impact, potentiels ou réels, de nos productions et de celles des autres, leur conformité ou non-conformité avec les normes et représentations que nous avons de la langue utilisée.  Et ce même chez les sujets qui n’ont pas été scolarisés, c’est-à-dire qui n’ont pas « appris » cette langue. L’activité métalinguistique permet de reprendre, de modaliser, de reformuler, de négocier ce que nous disons en fonction de notre interlocuteur. Jakobson écrit à ce propos : « La faculté de parler une langue donnée implique celle de parler de cette langue. Ce genre d’opérations « métalinguistiques » permet de réviser et de redéfinir le vocabulaire employé » (Jakobson, 1963 : 81). Pour Jakobson, la fonction métalinguistique a un rôle majeur dans l’apprentissage du langage tant chez l’adulte que chez l’enfant (Jakobson, 1963 : 204). Tout petit l’enfant est amené à réfléchir sur la langue qu’il parle : d’abord parce que ses parents le « corrigent » quant à l’usage de telle ou telle forme jugée fautive ou inadaptée, lui donnent des recommandations sur ce qui peut être dit et comment le dire (la politesse est d’une certaine manière une activité métalinguistique puisqu’on adapte la forme de son propos en fonction de la situation de communication). D’autre part, les enfants, dès leur plus jeune âge, témoignent de leur capacité à réfléchir sur la langue en interrogeant les adultes sur ce qui leur apparaît bizarre ou amusant. Or pour parler de la langue, il faut bien que notre attention soit orientée sur la « forme » plus que sur le fond, que nous ayons les moyens lexicaux et grammaticaux pour le faire explicitement, et qu’on en ait donc une certaine conscience[8].

Par ailleurs, on peut constater que certains adolescents et adultes qui acquièrent une langue seconde en milieu naturel (travailleurs immigrés, par exemple, en immersion et en interactions constantes aves les natifs) ne parviennent jamais à « parler comme un natif » en raison du fait qu’ils s’en tiennent à une interlangue plus ou moins « fossilisée » mais relativement efficace dans leurs échanges avec les natifs.  Le « bain linguistique » ne suffit donc pas pour l’acquisition d’une langue étrangère.  De surcroit, des comparaisons entre des classes d’immersion canadiennes, britanniques et scandinaves (classes, rappelons-le, dans lesquelles la langue étrangère est surtout utilisée pour enseigner d’autres matières qu’elle-même) et des classes incluant un enseignement lexico-grammatical de la langue ont été menées (Bibeau, 1983 : 107-108). Ces comparaisons sont à l’avantage de ces dernières. Dans les classes d’immersion, le processus d’acquisition se mettait en marche avec trop de lenteur, les enfants traînant de nombreuses fautes durant toutes leurs études.  La dichotomie entre acquisition et apprentissage est donc bien à nuancer, elle ouvre la voie à des pratiques de classe qui sauront jouer à la fois sur une description grammaticale explicite impliquant un rapport réflexif vis-à-vis de la langue et une parole spontanée voire même une appropriation créative de la règle mise au service d’une parole singulière. 

  2. L’exemple d’une séquence sur l’impératif

 

Nous présentons ici un séquence sur l’enseignement de l’impératif, elle constitue une proposition didactique qui tente de concilier des moments de classe orientés vers une grammaire explicite avec des activités métalinguistiques de comparaison des langues, de systématisation de la règle suivi d’exercices de fixation, de travail sur l’erreur avec des moments de classe plus proches des processus d’« acquisition » et  de la parole spontanée. Dans ces moments, il s’agit de « donner du sens » à la grammaire en rattachant le point de langue étudié de manière réflexive à un projet expressif, une parole relevant d’un véritable enjeu pour les élèves. La classe doit être à ce moment-là un espace de rencontre où il y a une réelle adresse, un réel intérêt à entendre ce que l’autre a à dire. Dans cette rencontre, chacun peut prendre conscience de sa singularité par la confrontation avec la parole des autres, avec les différents modes de symbolisation et univers de discours des langues en présence. Cette séquence a été réalisée avec des niveaux B2 et C1 mais pourrait être envisagée dans une forme allégée dès le niveau A2. La séquence didactique est présentée de manière intégrale sous forme de fiche en annexe de cet article (Annexe 1).

L’activité 1 de comparaison des langues sollicite une réflexion métalinguistique. Le passage d’une langue à l’autre implique un retour réflexif sur la façon dont chaque langue symbolise l’expérience de l’injonction. Il s’agit d’une approche de la grammaire fondamentalement orientée par les perspectives ouvertes par Humboldt, il s’agit de donner à la découverte des structures des langues le goût d’une découverte anthropologique. Par contraste, on observe la construction de l’impératif en français : verbe placé au début de la phrase, pas de pronom sujet explicite, etc. On s’appuie ici sur les compétences de locuteurs plurilingues. La reconnaissance symbolique des langues premières des élèves peut ici avoir son importance notamment pour des publics migrants. L’entre-deux langues ouvre à la distance métalinguistique qui suppose une focalisation sur le signifiant. La découverte des différentes langues de cette activité 1 doit aboutir à une phase où toute confusion sera levée et où le fonctionnement de l’impératif en français sera clairement stabilisé par un ensemble de règles explicites dans l’activité 2. Après cette phase de découverte basée sur la comparaison des langues, nous retrouvons les phases de systématisation de la règle par une leçon de grammaire explicite et de fixation par des exercices type structuraux propres aux approches communicatives.

Ces deux premières activités sont clairement orientées du côté de la description grammaticale, de la réflexion métalinguistique. Reste donc à opérer le passage vers une appropriation de cette structure dans un projet expressif où l’attention sera moins portée sur la forme que sur le sens avec l’activité 3 : « Souvenez-vous de tous les « ordres », « conseils », « injonctions » que vous ont adressés vos parents quand vous étiez enfant dans vos langues maternelles ». Les mots reviennent ici dans la langue maternelle avec la mémoire et la charge affective dont ils sont porteurs. Il va s’agir de traduire ces injonctions vers le français mais la traduction n’est pas un exercice scolaire uniquement porté sur la forme puis qu’il s’agit de partager avec les autres élèves ces injonctions souvenirs (activité 4). La traduction est replacée dans une adresse, le français est la langue de partage de la classe tout particulièrement quand les apprenants ont des langues premières différentes. Ici est travaillé la distance métalinguistique qu’implique la traduction vers le français :  quelque chose de la valeur des mots de la langue première se perd du fait de leur traduction en français mais les mots en français se chargent d’une nouvelle portée car ils permettent la rencontre avec les autres de la classe. L’activité 5 (Faire une liste écrite de toutes les injonctions que l’apprenant s’adresse à lui-même maintenant qu’il a grandi) doit cette fois se faire directement en français sans passer par la langue maternelle. Il ne s’agit plus de transférer de la langue maternelle vers le français les injonctions entendues dans l’enfance mais de prendre conscience dans la langue française des injonctions qu’ils s’adressent à eux-mêmes aujourd’hui. Dans l’activité 6 (Echange en groupe autour des listes de chacun), un petit portait de chacun se dessine par contraste. On découvre ainsi les différences en fonction des cultures et des expériences singulières de chacun. Pour Lima, étudiante palestinienne, les injonctions entendues enfant sont marquées par l’univers socioculturel dans lequel elle a grandi : « Enlève tes chaussures à la porte », « Ne reste pas longtemps à la porte sinon les gens (te) médisent* ». On peut aussi noter l’originalité des injonctions qu’elle s’adresse à elle-même devenue adulte : « Dis « bonjour beauté » quand tu te regardes dans le miroir le matin » (Annexe 2). On remarquera chez les étudiantes chinoises de nombreuses injonctions en relation avec le respect des anciens comme « Sois polis envers les vieils* » (envers les anciens). (Annexe 3).

Les activités 7, 8 et 9 (correction des erreurs entre pairs puis par l’enseignante) reviennent à un travail induisant une distance métalinguistique. Cette focalisation sur la forme et cette nouvelle mobilisation de la règle se fait toujours dans une perspective de partage puisqu’il s’agit de corriger un camarade.

L’activité 10 (retour de l’enseignante sur les deux listes d’injonctions constituées par les apprenants) permet de poursuivre la discussion sur ce que ces listes permettent de partager, les portraits de chacun qui s’y dessinent, les points communs, les différences, le lien entre les injonctions entendus dans l’enfance et celles que l’on s’adresse devenu adulte. L’activité 11 constitue une phase de réinvestissement, elle faire appel à la mémoire discursive d’une autre génération et permet d’entrer dans une perspective interculturelle mais aussi socio-culturelle : elle induit une prise de conscience de l’évolution des sociétés à travers le temps. La grand-mère de Vasileios née en 1939 sur l'île de Rhodes entendait les injonctions suivantes :

– Πήγαινε να φέρεις νερό από το πηγάδι = Va et apporte de l'eau du puits

– Μάζεψε τα ρούχα = Ramasse les vêtements (qui sont suspendus en dehors pour sécher)

– Μάθε τέχνη κι άστην, κι αν πεινάσεις πιάστην = Apprends un métier et laisse-le, et si tu as faim, prends-le. (Annexe 4)

La grand-mère de Han, Suqing qui a 69 ans, a entendu enfant les injonctions suivantes :

- Ne porte pas les vêtements révélateurs*

- Fais bien le ménage*

- Prenez bien soin de les frères et sœurs plus jeunes*

- Aide mes parents à faire des travaux agricoles*

- Fais bien la cuisine pour la famille*

- Cède l'opportunité d'étudier aux jeunes frères et sœurs

 

Pour conclure, la séquence développée ici présente différents types d’activité métalinguistique : la comparaison des langues, des phases de grammaire explicite par la systématisation et la fixation, un travail sur l’erreur, la traduction. Afin de ne pas réduire ces activités à des objectifs scolaires, elles sont toujours replacées dans la perspective d’une adresse. La parole doit en effet retrouver son enjeu, celui d’une rencontre avec tous les autres qui composent la classe : les apprenants, l’enseignant mais aussi les autres dont on peut rapporter la parole (comme ici les autres générations interrogées). Il y a aussi bien sûr les voix autres de la littérature, du cinéma, des documents authentiques qui peuvent être convoquées dans un contexte scolaire. Cette approche, comme en témoigne le développement de la séquence, suppose une temporalité longue dans l’enseignement/apprentissage. Or ce rapport au temps dans l’apprentissage, la possibilité de s’installer dans une parole adressée, semble contradictoire avec la finalité évaluative de plus en plus marquée aujourd’hui dans les contextes d’apprentissage.

Bibliographie

 

Benveniste, E. ([1966] 2010). Problèmes de linguistique générale (Tome 1). Gallimard.

Besse H., Porquier R. (1991). Grammaires et didactique des langues. Didier.

Bibeau, G. (1983) Les rapports L1/L2 dans l’acquisition de L2. Bulletin de l’Association canadienne de linguistique appliquée, vol.5, n°1, Printemps, 30-65.

Bredart, Serge., Rondal, J-A. (1982). L’analyse du langage chez l’enfant : les activités métalinguistiques. Mardaga.

Jakobson, R. (1963). Essais de linguistique générale. Editions de Minuit.

Krashen, S. (1981). Second language acquisition and second language learning. Pergamon Press.

Volle, R-M. (2019). La créativité d’une langue à l’autre. Revue de Travaux de didactique des langues, Hors-série n°9.

 

Annexe 1

1. Comparons les langues – AU TABLEAU

On prend deux énoncés courants en français qu’ils ont peut-être déjà rencontrés :

Mange ta soupe !

Montez à l’avant !

Deux énoncés à l’impératif : On demande aux élèves de traduire dans leur langue maternelle si possible.

→ On compare les constructions : on peut souligner ou encadrer en différentes couleurs les points communs, les différences.

→ Par contraste, on observe la construction de l’impératif en français : Verbe placé au début de la phrase, pas de pronom sujet explicite, etc.

2. La leçon de grammaire explicite (Systématisation)

L’enseignant formule la règle à partir des observations menées en 1. Il peut s’appuyer sur un manuel de grammaire. Exercices structuraux (Fixation)

3. Retrouvez dans vos langues maternelles tous les « ordres », « conseils », « injonctions » que vous ont adressés vos parents quand vous étiez enfant.

4. Par deux, partagez ces souvenirs avec votre collègue (en français et en utilisant l’impératif)

5. Seul, faites une liste écrite de toutes les injonctions que vous vous adressez à vous-mêmes maintenant que vous avez grandi.

6. En groupe, échangez vos listes. Faites des comparaisons. Qu’avez-vous appris sur l’autre ? Qu’est-ce que vous avez en commun ? Quels sont au contraire les différences ? On découvre un peu la singularité de chacun : un petit portrait se dessine. On découvre aussi les différences en fonction des cultures.

7. Par deux, échangez vos listes et corrigez les fautes de votre camarade. (Mobilisation à nouveau de la règle).

8. L’enseignante reprend au tableau les fautes les plus récurrentes ( Le –s  fautif à l’impératif 2° pers. sing. verbe du premier groupe, oubli du tiret…)

9. Retour par écrit à l’enseignante des 2 listes d’injonctions « enfant »/ « adulte ».

10. L’enseignante lit en classe des « morceaux choisis » pour mettre en valeur ce qu’elle a appris de ses élèves et aussi engager une comparaison : quels points communs entre les injonctions enfant et adulte ? En quoi sont-ils révélateurs de la société d’aujourd’hui ? Comparaisons culturelles, etc.

11. Activité finale (qui peut servir d’évaluation) : Choisissez une personne plus âgée que vous : parents, grands-parents, arrière-grands parents ; posez-lui les mêmes questions.

► Les élèves reviennent en classe avec leur liste : discussion sur les points communs, les différences : évolution dans le temps, entre les générations et variations socio-culturelles.

 

Les textes des étudiants sont présentés non corrigés.

Annexe 2 : Production Lama, étudiante palestinienne, C1

Injonctions entendues dans l’enfance :

 - Mange sans faire de bruit 

- Range tes vêtements

- Enlève tes chaussures à l’entrée de la porte

- Ne reste pas longtemps à la porte sinon les gens te médisent

- Parle doucement

- Ne donne pas à manger aux chas

Injonctions à soi-même :

- Aime-toi-même

- Dis Bonjour Beauté quand tu te regardes dans le miroir

- Sois prudent

- Sois forte et courageuse

- Ne mange pas beaucoup

- Lis beaucoup d’articles, de roman, en arabe surtout

- Souris aux gens

- Sois gentille avec ceux qui le méritent

- Parle avec ta maman chaque jour

- Sois ponctuelle

- Reste calme face aux voisins qui font du bruit et met-toi des bouchons.

- Sois toujours croyante

Annexe 3 : Zimeng, étudiante chinoise, B2

Injonctions entendues pendant l’enfance :

- Zimeng, mets-toi là

- Prend ce livre

- Mange tout ton riz

- Lève toi de bonne heure

- Travaille sérieusement

- Rentre à 11 heures

- Fais ton devoir

- Sois polis envers les vieils

- Parle pas avec les inconnus

- Passe tes examens en 90/100

- Donne moi tes étrennes

- Arrête de sauter comme un singe

- Tiens correctement le stylo

Injonctions adressées à soi-même :

- Sois positive dès que tu réveillée

- Ne mange pas des chochonnerie

- Lève-toi de bonne heure

- Ne lis pas dans le lit

- Fais du sport deux fois par semaine

- Ecoutes le français tous les matin

Annexe 4 :  Vasileios, étudiant chypriote, C1

Injonctions entendues pendant l’enfance :

– Τα γράμματα να προσέχεις = Littéralement ‘’Fais attention aux lettres’’, c’est-à-dire

‘’Concentre-toi sur l’école, parce que l’éducation est importante’’.

► Une expression utilisée par mon grand-père. Un homme qui n’est jamais allé à l’école mais il a toujours reconnu l’importance d’obtenir une éducation.

Les classiques:

– Κάτσε κάτω και κάνε τα μαθήματα σου! : ‘’Assieds-toi et fais tes devoirs !’’

– Στρώσε το κρεβάτι σου! :  Fais ton lit !

– Έλα μέσα, νύχτωσε : Rentre à la maison, il fait noir dehors.

– Μην πηγαίνεις βαθιά, έχει καρχαρίες! = Ne va pas trop loin (dans la mer), il y a des requins.

► Bien évidemment, il n’y a pas de requins en mer Méditerranée, mais c’est une expression utilisée par plusieurs mères de mon île pour des raisons compréhensibles.

Injonctions adressées à soi-même :

Il y a certaines ‘’Injonctions silencieuses’’ en anglais. Pour diverses raisons, j’ai une longue relation avec l’anglais. Je ne suis pas bilingue mais je considère l’anglais comme ma deuxième langue maternelle.

– Just have some faith ! : Aie juste un peu de foi!

– Start with something! Just one battle at a time : Commence par quelque chose! Juste

une seule bataille à la fois.

– Μην το αφήνεις για άυριο, κάντο σήμερα! : Ne le remets pas à demain, faites-le aujourd'hui*

 –  Σταμάτα και πήγαινε για ύπνο : Arrête et va dormir.

Injonctions entendues par ma grand-mère :

Ma Grand-mère (la deuxième mère comme on dit en Grèce) née en 1939, à l'île de Rhodes au sud-est de Grèce prés de Chypre. Elle parle un dialecte local du grec, qui meurt lentement au fil des générations.

– Πήγαινε να φέρεις νερό από το πηγάδι : Va et apporte de l'eau du puits.

– Μάζεψε τα ρούχα : Ramasse les vêtements (qui sont suspendus en dehors pour sécher).

– Μάθε τέχνη κι άστην, κι αν πεινάσεις πιάστην : Apprends un métier et laisse-le, et si tu as faim, prends-le. C’est-à-dire qu’aucune connaissance n'est inutile, car un jour elle peut être utile.

Annexe 5 :  Han, étudiante chinoise B2

Injonctions entendues par sa grand-mère, Suqing, 69 ans

- Ne porte pas les vêtements révélateurs*

- Fais bien le ménage*

- Prenez bien soin de les frères et sœurs plus jeunes*

- Aide mes parents à faire des travaux agricoles*

- Fais bien la cuisine pour la famille*

- Cède l'opportunité d'étudier aux jeunes frères et sœurs

Injonctions que Suqing s’adresse à elle-même :

- Être heureuse toujours

- Ne pense pas trop de choses

- Sors pour danser tous les soir*

- Il faut faire les voyages*

- Il faut s'abstenir de boire de l'alcool

- Ne t'inquiète pas pour mes enfants*

 

[1] Nous opposons confrontation au « réel » de la langue et oubli de la langue. Le réel serait selon la perspective saussurienne le système dont la valeur du signe est fonction d’un rapport d’opposition, l’arbitrarité du lien entre signifiant et signifié tandis que l’oubli de la langue reposerait sur l’illusion référentielle, l’adéquation du mot à la chose. Dès qu’on est confronté à une langue étrangère, on ne peut qu’entendre le signifiant, la matérialité sonore de la langue tandis que dans une langue connue, le signifiant s’oublie. Tout se passe comme s’il se fondait dans le signifié.

[2] Dans le cas du français langue de scolarisation, la langue de l’école n’est pas par définition la langue de la famille. Dans les pays d’Afrique francophone par exemple, les enfants sont scolarisés en français alors que dans les familles, ils pratiquent des langues africaines. Non seulement ils apprennent une langue « étrangère/seconde » mais en même temps ils apprennent à l’analyser. De même dans les classes UPE2A en France (classe d’accueil pour les enfants nouvellement arrivés, issus de l’immigration et ne parlant pas ou peu français), certains élèves ont peu ou pas été scolarisés dans leur pays d’origine : ils vont non seulement apprendre le français mais aussi le processus même de description grammaticale.

[3] La distance métalinguistique est aussi en jeu dans l’entrée dans l’écrit. L’écriture implique un dédoublement du scripteur : A un premier niveau, le sujet écrit en se focalisant sur le fond, sur ce qu’il « veut » exprimer puis il doit contrôler ce qu’il écrit en anticipant le point de vue de son lecteur. Cette vérification de la lisibilité de son texte à partir de l’image mentale du lecteur implique une distance métalinguistique qui lui permet entre autre d’assurer la qualité lexicale, syntaxique et orthographique de son texte, ainsi que sa cohérence.

[4] « Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité ; mieux, il est cette réalité (nomen omen, tabous de la parole, pouvoir magique du verbe, etc.). A vrai dire le point de vue du sujet et celui du linguiste sont si différents à cet égard que l’affirmation du linguiste quant à l’arbitraire des désignations ne réfute pas le sentiment contraire du sujet parlant. » (Benveniste, [1966] 2010 : 52 (Tome 1)).

[5] Notons bien que ce point de vue extérieur n’est qu’une vue de l’esprit car notre rapport au réel est toujours médié par les mots. On ne sort pas du langage pour parler sur langage.

[6] Le jeu de la charade comme tout jeu de mot prépare l’élève à entrer dans un rapport réflexif au langage. En effet, pour associer mon premier « riz » et mon deuxième « dos » pour en faire mon tout « rideau », il faut se détacher du signifié pour se focaliser sur le signifiant. Si on associe du riz et un dos au plan des signifiés, on n’obtiendra jamais un rideau. L’association ne fonctionne qu’au plan des signifiants.

[7] Cf. (Krashen, 1981)

[8] Des études ont été réalisées sur les activités métalinguistiques des enfants ou adultes non scolarisés (Bredart & Rondal, 1982) 

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